Chapitre 20 - Sur la mer déchaînée


Deux jours plus tôt

Assise dans la salle du trône sur le siège habituellement occupé par Zuko, le visage plus maussade que jamais, Mai attendait entre les quatre imposants piliers en bois sculpté. L'ombre qui tombait du dais cramoisi étendu au-dessus de sa tête la dissimulait en partie mais les flammes dansant sur les torches tout autour dans la salle jetaient des reflets rougeâtres sur ses joues pâles et faisaient briller ses yeux d'argent qui étincelaient de colère.

Le prochain visiteur devait arriver à midi d'après Kadao. La Dame du Feu poussa un profond soupir d'irritation. En acceptant d'épouser Zuko, elle n'avait pas pensé devoir un jour assurer les fonctions d'un monarque. Si au moins elle avait pu allumer le brasier derrière lequel elle se tenait, cela aurait pu lui octroyer un peu de l'autorité dont elle avait cruellement besoin pour accomplir ces tâches harassantes.

Il était difficile de ne pas céder au terrible ressentiment qui s'insinuait en elle chaque fois qu'elle pensait à son époux fuyant. C'est à peine si elle l'avait vu au cours des dix derniers jours. Il ne la rejoignait plus le soir et elle passait chaque nuit dans un lit trop grand pour elle qui lui semblait vide et froid malgré les températures caniculaires qui écrasaient les citoyens de la Nation du Feu en cet été exceptionnellement chaud.

Avant d'avoir pu s'en empêcher, Mai produisit un petit glapissement d'impatience. Elle savait bien où Zuko passait son temps dernièrement. La pensait-il idiote à ce point ? Elle se demandait souvent s'il n'avait pas oublié qu'elle était le maître des espions du palais. Wu, le plus fidèle d'entre eux, lui avait parlé des torches qui brillaient le soir et dont on devinait la lueur depuis les fenêtres closes des appartements de la princesse. Il lui avait parlé également de la haute silhouette fantomatique qui apparaissait parfois au balcon.

Mai avait peut-être gagné une bataille mais pas la guerre. Azula régnait sans partage dans le cœur de son imbécile de mari, et même emprisonnée, même hors d'état de nuire, elle restait sa plus terrible rivale. Mai porta ses mains à ses longues mèches noires, comme si elle avait voulu tirer dessus jusqu'à arracher sa chevelure de son crâne sous lequel elle devinait déjà les premiers symptômes d'une migraine imminente.

Son plan avait fonctionné au-delà de toutes ses espérances. Comme si cela ne suffisait pas, elle devait en plus lutter contre le sentiment de culpabilité qui la rongeait depuis que lui étaient parvenues les nouvelles de ce qui était arrivé au fils du Commandant Tsuneo. Son père, Okano, connaissait bien le Commandant et lui avait parlé du triste état dans lequel se trouvait Kojiro. Mai avait tenu à se rendre à son chevet malgré les tentatives répétées de Kadao pour l'en dissuader.

« N'y allez pas, votre Altesse. Ce n'est pas un spectacle pour la Dame du Feu. Ne vous infligez pas cela. »

Mai ne l'avait pas écouté. Elle n'avait pas peur de ce qu'elle verrait, elle n'était pas du genre sensible.

Pourtant, l'horreur l'avait saisie quand elle avait découvert la face noircie et suintante du jeune homme au physique avantageux qui avait parfois partagé ses jeux, enfants, quand Okano invitait le Commandant et sa famille à dîner. Bien qu'il fût de trois ans son aîné, Kojiro avait toujours été un garçon prévenant, attentif et sympathique. Si elle n'avait pas eu l'esprit si plein de Zuko depuis sa plus tendre enfance, Mai n'aurait probablement pas été insensible au charme de Kojiro.

Mai sentit son estomac se contracter douloureusement à l'évocation de ce souvenir et grimaça quand un violent élancement lui donna l'impression qu'on fendait son crâne en deux. Elle s'efforça d'oublier le visage horrible du pauvre Kojiro. C'était en partie sa faute et rien de ce qu'elle ferait ne pourrait jamais réparer ce crime.

Jamais elle n'avait imaginé que la folie d'Azula la conduirait aussi loin. Si elle avait su, à ce moment-là, ce qui était arrivé à son ami d'enfance, Mai se serait sans doute abstenue d'attendre la princesse dans les appartements d'Ozai.

Heureusement pour elle, c'était une Azula physiquement et psychologiquement diminuée qui s'était présentée dans la chambre sinistre de l'ancien roi mégalomane.

Mai était chanceuse. La manière dont Azula avait sauvagement attaqué Ty Lee et Suki le surlendemain de leur confrontation lui avait rappelé à quel point, même mentalement instable, Azula était dangereuse et mortelle.

Son sentiment de culpabilité décupla quand elle repensa au mensonge qu'elle avait inventé pour déstabiliser Azula. Avec un peu de chance, jamais Ty Lee n'apprendrait ce qu'elle avait dit à Azula dans la chambre d'Ozai, au sujet de la lettre codée. Mai était certaine que le sentiment de trahison était ce qui avait poussé la princesse à attaquer les deux guerrières Kyoshi.

Mais elle ne pouvait pas lui parler de Wu, n'est-ce pas ? Ni lui révéler ce que ce dernier lui avait appris : que Zuko avait bien l'intention de rejoindre sa sœur à ce funeste rendez-vous.

Non, elle n'avait pas prévu que les choses aillent aussi loin.

Elle était enfin débarrassée de cette petite garce et pourtant, le soulagement et la sérénité qu'elle avait espérés ne venaient pas.

Bien qu'il ne sût rien de ses intrigues, Zuko s'éloignait d'elle à une vitesse vertigineuse. A peine avaient-ils échangé deux mots depuis l'incarcération d'Azula.

Mai se demanda ce qu'il faisait, pendant tout ce temps, dans la chambre d'Azula. Se couchait-il sur son lit en respirant ses oreillers ? Pensait-il aux heures délicieuses qu'il avait passées ici avec cette satanée putain qu'il osait encore appeler sa sœur ?

La jalousie lui creva le cœur, encore une fois. Les paroles d'Azula le soir de leur affrontement, l'avaient atteinte plus profondément qu'elle ne voulait l'admettre.

« Tu aurais dû voir comme il est devenu dur entre mes jambes...comme sa main était brûlante quand il l'a glissée sous ma robe... »

Azula avait peut-être simplement menti pour la provoquer. C'était plus que probable. Mais à l'instant où elle avait prononcé ces paroles mortelles d'une voix rêveuse, le doute s'était installé en Mai comme la vermine s'attaque aux murs d'une maison et la ronge jusqu'à l'écroulement. Mai se demandait combien de temps elle tiendrait encore avant que ne s'effondre le masque d'indifférence qu'elle portait jour après jour. Combien de temps encore parviendrait-elle à remplir les obligations que Zuko négligeait si honteusement ? Combien de jours avant qu'elle ne décide qu'il ne méritait décidément pas qu'elle le protège ainsi de la vindicte populaire, des sollicitations des ministres et des Sages qui s'inquiétaient de la disparition de leur roi.

Justement, trois coups puissants frappèrent à la porte et résonnèrent dans la longue salle hérissée de colonnes.

Mai se redressa sur son coussin et malgré son expaspération, elle parvint à se recomposer un visage impavide et autoritaire.

Kadao entra, accompagné d'un homme que Mai se souvint vaguement avoir déjà rencontré, peut-être à l'occasion d'un dîner protocolaire avec Zuko.

Quand le Général l'introduisit auprès d'elle, le présentant sous un nom qu'elle oublia aussitôt, l'homme de petite taille au crâne dégarni s'inclina profondément et s'adressa à elle.

« Votre Altesse, la Dame du Feu… Je vous remercie de m'accorder cette entrevue. »

Sans même le regarder, Mai répondit par un geste impatient de la main, l'invitant à poursuivre. Un peu inquiet, l'homme se tourna vers Kadao qui l'encouragea d'un signe de tête.

« Votre Altesse, je viens ici en tant que délégué de ma corporation. La guilde des artisans m'a chargé de vous transmettre cette lettre que nous avons tous signée pour vous faire part de nos inquiétudes concernant l'arrivée massive de migrants sur nos terres. »

La mention des migrants éveilla un vague intérêt chez Mai qui daigna tourner la tête vers lui. Kadao lui avait parlé des problèmes d'insécurité et du climat ambiant de xénophobie qui rampait dans les rues et suintait de tous les murs de la capitale comme une lèpre répugnante et nauséabonde. Pour avoir vécu dans les colonies, Mai n'était pas totalement insensible au sort de ces hommes et de ces femmes aux abois, chassés de chez eux par la violence de ceux qui étaient autrefois leurs concitoyens, leurs collègues, leurs amis, leurs valets, parfois leur famille.

Le mouvement presque sectaire des Fils d'Agni prenait une ampleur formidable. La veille encore, Kadao lui avait fait le récit du meurtre scabreux qui avait eu lieu près du port. Une couronne renversée, symbole du groupuscule, avait été tatouée au fer sur le front de la victime démembrée : une pauvre prostituée issue des colonies, immolée au nom de la souillure de la race pure. Ce crime avait révulsé Mai, malgré son mépris pour celles qui vendaient leurs charmes.

« Parlez, ordonna-t-elle d'un ton sec au petit homme qui se tenait devant elle, les yeux agrandis par l'anxiété. Quel grief avez-vous contre les réfugiés ? »

L'homme s'inclina à nouveau et parla d'une voix moins assurée. Il devait avoir noté la manière dont Mai avait insisté sur le dernier mot, signifiant ainsi sa désapprobation à l'idée de fustiger ceux qu'elle considérait comme des victimes.

« Eh bien Madame, mes collègues et moi-même faisons face, depuis plusieurs semaines, à une rude concurrence depuis l'arrivée des migrants, dans certaines branches de l'artisanat. Les colons de Yu Dao qui sont passés maître dans l'art de la métallurgie, sont en train de ruiner nos forgerons en proposant leurs services au marché noir à des prix défiant toute concurrence. Les tisserands de Hu Xin vendent leurs produits à des prix ridicules dans les arrière-boutiques ou même dans la rue et dépouillent les tailleurs de leurs meilleurs clients. L'arrivée de ces colons est en train de déstabiliser notre économie et mes collègues et moi sommes profondément inquiets. »

Mai jeta un œil à Kadao dont le visage exprimait la même inquiétude que celle qui se diffusait dans ses veines et qui le disputait à l'ennui d'avoir à régler ce genre de problème. Quand Zuko allait-il enfin prendre ses responsabilités et réapparaître ?

Kadao prit la parole et la dispensa d'avoir à répondre. Mai l'écouta d'une oreille distraite répondre au marchand que la priorité du Seigneur du Feu était avant tout de maintenir la paix et la sécurité dans la Capitale et de veiller au bien-être de tous, natifs comme réfugiés.

« Mais mon général, essaya le plaignant. Si au moins le Seigneur du Feu diminuait nos taxes, peut-être pourrions-nous…

– Nous sortons de cent ans de guerre, l'interrompit Mai d'un ton condescendant. Pensez-vous que la Nation puisse se permettre une telle prodigalité à l'endroit de ceux sur qui repose la prospérité du royaume ? Si vous aviez, comme mon époux, la responsabilité de toute une nation sur vos épaules, vous sauriez à quel point votre requête est vaine et stupide.

« Sauf votre respect Général, Madame, répondit le petit homme d'une voix à peine audible en se tournant à nouveau vers elle. Mais nous avons le sentiments, mes collègues et moi, que les priorités du Seigneur du Feu sont ailleurs. Personne ne semble savoir où il est et ce qu'il fait. Avec toute la considération que j'ai pour la Dame du Feu, j'espérais rencontrer Son Excellence pour lui parler directement de ce problème qui, loin de n'affecter que ma guilde, touche toutes les strates de notre société, et…

– Comment osez-vous ? l'interrompit Mai, la voix glaciale, ses yeux argentés aussi froids que le métal. Comment osez-vous remettre en question les compétences de dirigeant de votre Seigneur du Feu ? »

L'homme sembla se ratatiner sur place et Mai éprouva l'espace de quelques secondes, un profond plaisir en voyant la peur s'étaler sur le ridicule visage de ce personnage au charisme aussi développé que celui d'une huître. Elle se demanda un moment si c'est ainsi que se sentait Azula quand elle disposait du pouvoir presque illimité que son père lui avait donné sur ses hommes.

Mai chassa immédiatement cette idée déplaisante et transperça du regard le pauvre idiot qui balbutiait maladroitement des excuses.

« Dehors ! ordonna-t-elle. Hors d'ici ! Disparaissez de ma vue !

– Madame, tenta Kadao en s'avançant prudemment d'un pas, si vous voulez bien écouter encore un peu…

– J'ai dit dehors ! Kadao, je vous connais bien et je ne peux pas croire une seconde à votre insubordination. Raccompagnez ce monsieur hors des murs du palais. Je parlerai de son cas à mon mari, croyez-le bien. Vous pouvez compter sur une entrevue privée avec le Seigneur du Feu, mon brave. Voici ce que votre insolence vous aura apporté ! »

Avec un dernier regard terrifié vers elle, l'homme recula et laissa Kadao l'escorter hors de la pièce.

Quand il sortit, Mai s'affala à nouveau sur son coussin, se maudissant déjà d'avoir ainsi perdu patience.

L'homme n'avait pas tort. Zuko fuyait ses responsabilités depuis trop longtemps, l'esprit plein d'Azula. S'il ne revenait pas rapidement se rasseoir sur ce trône et assumer son rôle de souverain, ils auraient bientôt une émeute, sinon une révolution sur les bras. Inutile d'être fin politicien pour le comprendre. Mai était certaine qu'Azula elle-même, si elle avait encore été en possession de ses facultés mentales, en aurait averti Zuko.

Il fallait arracher cette dangereuse garce du cœur et de l'esprit du Seigneur du Feu, dût-il en souffrir atrocement.

Sans doute était-il temps de prendre de nouvelles mesures.


Retour au présent:

La nuit était enfin tombée.

Ty Lee put sortir de sa cachette : une sorte d'alcôve naturelle taillée dans la roche sur laquelle était bâtie l'immense tour de plus de quarante mètres de haut qui la dominait de toute sa hauteur, menaçante. En levant les yeux vers l'édifice intimidant, Ty Lee se sentit minuscule et eut l'impression qu'il allait s'effondrer sur elle à tout instant.

Il était plus probable cependant, vu ce qu'elle s'apprêtait à faire, qu'elle fût celle qui chuterait la première.

Ty Lee risqua un pas en-dehors du recoin où elle s'était tapie et constata que le garde avait disparu au coin. Elle pouvait encore l'entendre siffloter tandis qu'il s'éloignait d'elle.

Elle s'accrocha à la roche et commença à grimper. Ce fut facile tout d'abord et elle ne rencontra pas de sérieuse difficulté avant d'avoir atteint les dix premiers mètres. Puis elle se trouva face à un mur pratiquement tout lisse, sans prise. Elle repéra une fissure plus haut.

Prenant son élan, la jeune acrobate bondit avec une grâce féline et s'agrippa péniblement à l'anfractuosité dans la roche. Serrant les dents, elle se hissa avec toute la force de ses bras. Elle sentit son ventre entrer au contact de la pierre et se félicita d'avoir emporté son armure de guerrière Kyoshi pour se prémunir de toute éraflure.

Levant la tête au-dessus d'elle, elle avisa un ressaut sur lequel elle pourrait poser les pieds, s'assurant un meilleur équilibre. Mais celui-ci était trop haut et sans prise pour ses pieds, elle craignit de ne pas pouvoir l'atteindre, même en sautant.

Elle prit une profonde inspiration et se tenant fermement à la fissure dans laquelle elle venait d'enfoncer les doigts, Ty Lee contracta ses muscles abdominaux et resta suspendue une seconde à la seule force des bras avant d'envoyer ses pieds par-dessus sa tête, réalisant une figure spectaculaire qui aurait fait grimacer Mai d'effroi et Azula de jalousie.

Elle savait qu'elle avait moins d'une seconde pour agir. Elle profita que ses pieds nus, qu'elle avait préventivement enduits d'une substance un peu collante, adhérassent à la paroi pour lâcher la fissure et se redresser à la force de ses abdominaux. Dans un instant de panique, elle se sentit basculer en arrière mais elle rétablit son équilibre juste à temps et avec un bond léger, parvint à s'agripper au ressaut qu'elle avait repéré.

Parfait ! se félicita-t-elle.

Mais elle ne devait pas se réjouir trop vite. L'ascension était encore loin d'être terminée et la prouesse qu'elle venait d'accomplir lui avait coûté une quantité non négligeable d'énergie. Elle se hissa sans trop de difficulté sur le ressaut et se colla à la paroi, reprenant son souffle.

La lumière de la lune éclairait la roche comme un projecteur et elle espérait de tout son cœur que les sentinelles qui faisaient scrupuleusement le tour de la prison la mieux gardée de la Capitale, ne la repéreraient pas.

Elle regarda une fois en bas et se le reprocha tout de suite en voyant les rochers noirs aux formes escarpées contre lesquels se brisaient les vagues en contrebas.

Elle leva une nouvelle fois les yeux vers le sommet et sentit un moment le découragement s'insinuer en elle. Mais cela ne suffit pas à anéantir sa détermination. Elle n'allait pas flancher, pas maintenant.

Elle n'était pas restée cachée ici, dans la maison de l'une de ses sœurs, sans pouvoir sortir de la journée, pour renoncer maintenant. D'après ce que lui rapportait sa sœur, le Seigneur du Feu n'assumait que très partiellement ses responsabilités royales dernièrement. Mai semblait assurer la régence en attendant que son mari recouvre la santé.

Ty Lee était certaine que l'absence de Zuko ne devait rien à sa santé physique qui était probablement excellente, comme toujours. Sans doute l'absence d'Azula, la manière dont il l'avait trahie pour assurer la sécurité de ses amis, de son royaume, sans doute tout cela le consumait-il comme les flammes brûlantes de la princesse avaient fait fondre la peau sur le crâne de Kojiro.

Ty Lee ne voulait pas y penser maintenant. Penser à Kojiro, à ce qui lui était arrivé, était trop dur. Elle réfléchirait plus tard à tout cela. Peut-être Azula avait-elle eu une bonne raison d'agir ? Connaissant son amie, il était fort probable qu'elle ait mal interprété les gestes du jeune homme. Et Ty Lee connaissait suffisamment les garçons pour savoir qu'un type comme Kojiro avait forcément pris de malheureuses initiatives, à un moment ou à un autre. Azula était une si belle fille ! Elle avait peut-être eu peur, tout simplement.

Ça ne l'a pas empêchée de courir juste après dans les bras de son frère. Et elle n'avait pas vraiment l'air d'une vierge effarouchée quand tu l'as surprise, le kimono ouvert, en train de se frotter contre Zuko.

Ty Lee serra les dents, espérant faire taire la voix déplaisante qui n'avait cessé d'essayer de la dissuader depuis qu'elle avait pris sa décision.

Azula, elle le savait, était là, tout en haut. Désespérée, trahie, abandonnée. Folle. Se laissant probablement mourir de faim, torturée par l'ardeur de son feu intérieur qu'elle ne pouvait pas proprement maîtriser entre les quatre murs d'une prison.

Ce plan est stupide.

Oui, elle le savait. Mais elle ne pouvait pas s'en empêcher.

Elle a failli tuer Suki et son bébé. Elle a failli te tuer !

« Je sais ! » explosa-t-elle soudain, avant de mettre une main sur sa bouche, ses yeux agrandis par le constat de sa propre stupidité. Il ne manquait plus qu'elle se fasse prendre maintenant. Que dirait Mai en apprenant que son amie, censée avoir été temporairement bannie par le Seigneur du Feu, avait été prise en train d'escalader la paroi de la prison où était enfermée sa pire rivale, l'ancienne amie qu'elle détestait tant ?

Vu l'état actuel des choses, Ty Lee doutait que Mai se montrât particulièrement clémente et d'humeur conciliante. Malgré la douceur avec laquelle elle l'avait aidée à se relever après l'agression d'Azula, elle s'était ensuite montrée froide et distante, jusqu'à son faux-départ. Elle n'avait pas même daigné lui proposer de la raccompagner au port.

Concentre-toi sur l'ascension, s'enjoignit-elle, c'est la priorité. Tu montes sans corde, sans sécurité. Tu peux te tuer à tout instant.

Toujours ces idées déplaisantes. Est-ce ainsi que les voix tourmentaient Azula lorsqu'elle était en crise ?

D'après le peu que son amie lui avait raconté, cela n'approchait en rien la torture qu'elle endurait nuit et jour au temps de sa maladie.

Ty Lee était certaine qu'Azula n'aurait pas agi ainsi si elle avait été en bonne santé. Elle s'en voulait terriblement de ne pas avoir alerté Zuko, ni Taïma, même après avoir perçu les premiers signes de rechute.

Quelques jours avant l'incident avec Kojiro, Ty Lee avait commencé à la trouver bizarre. Azula marmonnait parfois toute seule, clignait des yeux plusieurs fois en l'espace de quelques secondes et était sujette à des sautes d'humeur de plus en plus fréquentes.

Après Kojiro, les choses avaient empiré. Et malgré l'humeur apparemment sereine qu'elle affichait depuis ses ébats interrompus avec son frère, Ty Lee voyait bien que son tourment augmentait, accru par la culpabilité et la crainte du jugement de sa seule amie.

Puis étaient venus les crampes, les vomissements qu'Azula essayait si désespérément de lui cacher.

Mais tout s'était précipité dans les deux derniers jours avant son incarcération. Ty Lee n'était pas au palais à ce moment, trop choquée par les révélations d'Hikaru, ne sachant pas comment aborder Azula. Quand elle l'avait revue, après seulement quarante-huit heures, la princesse était devenue méconnaissable, s'était changée en une espèce de furie meurtrière et incontrôlable.

Ty Lee craignait de ne jamais savoir ce qui s'était passé, ce qui avait plongé Azula dans des abysses de folie et de rage. Mais elle était certaine que la vraie Azula, celle qu'elle connaissait, celle qui s'était confiée à elle et lui avait demandé des conseils, qui avait insisté pour qu'elle dorme dans sa chambre… Cette Azula n'aurait jamais essayé de la blesser, encore moins de la tuer.

Malgré tout, elle ne pouvait pas tourner le dos à Azula, pas quand Zuko lui-même, l'avait abandonnée, une nouvelle fois.

Ty Lee ne savait pas très bien ce qu'elle ferait une fois là-haut. La lime qu'elle avait emportée à tout hasard dans le sac qu'elle portait sur le dos y resterait peut-être si l'état d'Azula ne lui permettait pas d'envisager une évasion.

Et même si c'était le cas. Une fois sorties, que feraient-elles ? Azula n'était probablement pas en état de descendre le long des parois de la prison, même par les chemins plus sécurisés que Ty Lee avait repérés lors de ses visites nocturnes. Et où la cacherait-elle ? Sans son traitement, l'état d'Azula s'aggraverait et Ty Lee savait bien qu'elle ne pourrait pas gérer ses crises de démence. Elles se feraient prendre et Ty lee serait condamnée pour haute-trahison. Si toutefois Azula ne l'immolait pas sur place dès l'instant où elle la verrait !

Ty Lee prenait des risques inconsidérés mais elle n'avait pas le choix : il fallait qu'elle la voie. Il fallait qu'elle sache. Qu'elle constate qu'Azula respirait toujours, qu'elle lui dise, qu'elle lui assure son soutien, qu'elle l'aimait et l'aimerait toujours, que ce n'était pas sa faute, qu'on la soignerait, qu'elle irait mieux et qu'alors, elle pourrait à nouveau compter sur elle, sur sa loyauté et son amitié éternelle.

Ty Lee avait depuis longtemps pris sa décision au sujet d'Azula. A l'asile, quand elle l'avait vue se débattre en sanglotant sous le poids de l'infirmier qui la retenait au sol, elle avait su. Elle avait su qu'elle serait celle sur qui Azula pourrait s'appuyer, toujours, quoi qu'il en coûte. Sa mère l'avait abandonnée, puis son frère. Elle avait été le jouet des manipulations d'un père violent et abusif, des années durant.

Bien qu'Azula n'en parlât jamais, Ty Lee avait vu, parfois, les bleus sur le corps de son amie, les moments d'absence dans ses yeux profonds. Plus encore après le jour du Soleil Noir, après qu'Azula eut disparu pendant plus d'une semaine, sans donner la moindre nouvelle.

Quand elle était revenue, malgré le calme et la détermination qu'elle affichait, elle n'était plus la même. Elle ne souriait plus, pas même de ce rictus rusé qui retroussait si souvent le coin de ses lèvres. Elle ne s'amusait plus à se moquer de Mai, ni d'elle. Elle avait cessé de terroriser les courtisans et les domestiques pour le plaisir. Elle ne parlait plus que de Zuko, de ce traître de Zuko. Rien d'autre ne comptait. Ty Lee avait bien senti alors, que Mai s'éloignait, qu'elle ne cautionnerait plus longtemps les décisions d'Azula. Là encore, elle avait laissé faire, sans agir.

Quoi qu'il se fût passé le jour du Soleil Noir, cela avait brisé Azula. Et c'est cela sans doute qui l'avait remplie de ce désir de meurtre, qui l'avait poussée, sans scrupule, à tenter de tuer Mai.

Alors Ty Lee serait là. Elle ne l'abandonnerait pas. Même si elle faisait des erreurs, même si elle commettait des actes impardonnables. Même si elle brûlait un pauvre type qui avait eu l'imprudence de la trouver trop jolie. Elle pensait pouvoir faire semblant d'ignorer qu'Azula était amoureuse de son propre frère, qu'elle était prête à détruire le monde dans un déluge de feu azur, juste pour obtenir la place qu'elle convoitait dans son cœur. Elle ne savait pas si elle pourrait s'y habituer, mais elle était prête à accepter.

Et tant pis si c'était difficile.

Une lueur de détermination brilla dans les yeux gris de Ty Lee que la lumière de la lune rendait argentés. Elle étudia la paroi. De nombreuses anfractuosités, là où la mer n'avait pas pu polir ses bords, faciliteraient sa progression.

Ty Lee plaqua son dos contre la roche et ferma les yeux, écoutant les vagues qui se brisaient contre les rochers en contrebas dans un fracas lugubre et inquiétant. Si les choses se passaient mal, c'est sans doute contre ces écueils noirs et tranchants aux formes menaçantes qu'elle s'écraserait. Après une dernière inspiration, se reprochant sa couardise, elle se retourna, rouvrit les yeux et reprit son ascension.


« Est-ce que c'est encore loin ? »

Le jeune homme s'arrêta, se retourna et lui adressa son étrange sourire un peu dissymétrique.

Avec un soupçon de honte, Azula comprit qu'elle avait dû donner à sa voix une intonation plaintive, pareille à celle qu'utiliserait un enfant se plaignant auprès de sa mère d'une promenade trop longue.

« Ne vous inquiétez pas, Princesse. Je vous emmène en sécurité. Il faut poursuivre notre route. »

Azula se mordit l'intérieur des joues pour retenir la réplique qui lui brûlait la langue.

Ce n'est pas ce que je t'ai demandé, pauvre imbécile !

Azula savait qu'elle aurait dû éprouver une plus grande gratitude pour ce mystérieux sauveur qui venait de l'arracher de sa geôle où elle était enfermée depuis des jours avec ses chimères, hantée par les spectres de son passé et de son présent qui la tourmentaient à chaque heure du jour. Pourtant, elle ne pouvait se départir de l'inquiétude qui lui serrait la poitrine, ni ignorer la voix de sa mère qui marchait derrière elle en lui répétant de se méfier.

Maman était réapparue miraculeusement à l'instant où Azula était sortie de sa cellule. Il avait fallu toute la force de sa volonté pour ne pas pousser un grand cri, tant de frayeur que de soulagement, quand elle avait reconnu le long visage aux traits doux, l'or clair de ses yeux et les longs cheveux noirs retenus dans un chignon haut surmonté d'une couronne en forme de flamme.

Azula se demanda avec un soupçon de mépris pourquoi Ursa lui apparaissait toujours dans des lieux comme celui-ci.

Un tunnel...Ça ne devrait pas m'étonner de la part de quelqu'un qui se cache depuis des années. Quelle lâcheté !

Elle devina plus qu'elle n'entendit la désapprobation de sa mère derrière elle qui poussa un profond soupir exaspéré.

Azula se sentait profondément irritée contre sa mère. Elle l'avait abandonné au pire moment comme toujours, et réapparaissait comme une fleur quand elle était accompagnée d'un inconnu à qui elle ne voulait surtout pas montrer l'étendue de sa folie. Mais cela ne l'empêchait pas, de temps en temps, profitant de l'inattention de l'homme devant elle, de laisser errer un peu sa main derrière dans le vide pour l'offrir à Ursa. Celle-ci s'en emparait doucement, répandant une tiédeur vague qu'Azula aurait pu prendre pour la chaleur véritable d'un corps humain.

Il était devenu compliqué de distinguer les hallucinations de la réalité. Au moins avec sa mère, c'était facile. Jamais la vraie Ursa n'aurait pris sa main dans la sienne pour la rassurer ainsi. C'était réconfortant malgré tout, et plus encore quand on s'enfonçait dans un tunnel obscur sur les talons d'un inconnu étrange aux intentions obscures.

Ce dernier creusait dans la roche pour leur ouvrir un chemin dans le noir, s'éclairant à l'aide d'une petite lampe à gaz qu'il tenait à la main. Il n'avait pas demandé une seule fois à Azula de l'aider en produisant sa propre lumière. Ses flammes azur auraient pourtant répandu une lumière bien plus vive que la pauvre lueur vacillante qui dansait dans la lampe en cuivre. Il devait craindre un accident. Après tout, l'état dans lequel il l'avait trouvée dans sa cellule n'engageait probablement pas à la confiance. Qui voudrait de l'aide d'une maniaque aux tendances pyromanes notoires dans un lieu clos comme celui-ci ?

Azula ferma les yeux pour oublier un instant où elle se trouvait. Le tunnel était assez large pour respirer mais chaque fois qu'elle réalisait l'absence d'ouverture sur l'extérieur, il lui semblait que ses poumons se rétractaient dans sa poitrine et que l'air filait à travers sa gorge comme si elle eût inspiré dans une paille. Elle accepta donc de s'en remettre à lui.

Il le fallait bien car il apparut très vite à Azula que cet homme avait une maîtrise parfaite de la terre et elle se sentait moins confiante qu'au moment où elle avait décidé de le suivre, quand elle était convaincue qu'elle en viendrait facilement à bout s'il devenait menaçant.

Elle le suivit longtemps. Parfois ils entendaient des éclats de voix ou des bruits de l'autre côté des parois de pierre et elle comprit qu'il s'agissait des sons produits par les détenus et les gardiens de la prison. L'homme leur frayait un chemin à l'intérieur des murs épais de la grande forteresse. Azula ne put s'empêcher de s'émerveiller de son habileté à contrôler la roche et à ouvrir des passages sans faire s'effondrer la structure ou des murs complets. Plus d'une fois elle craignit qu'il ne fît s'écrouler la paroi, parfois à peine plus épaisse qu'une cloison, qui les séparait des cellules où des prisonniers aussi fous qu'elle gémissaient ou hurlaient des injures à leurs gardiens ou à leurs codétenus.

Au moins Zuko avait-il eu la décence de lui offrir une cellule privative.

« Il l'aura fait pour protéger les autres détenus. Ça n'a rien à voir avec toi.»

Azula se retourna pour lancer un regard mauvais à sa mère qui avançait tranquillement derrière elle, faisant comme si elle n'avait rien dit.

La princesse retint la réplique incendiaire qui lui brûlait les lèvres et comme elle ne regardait plus devant elle, elle percuta de plein fouet le maître de la terre qui s'était arrêté brutalement.

« Vous ne pouvez pas faire attention pauvre imbé… ! »

Mais il l'interrompit.

« Chut ! Écoutez, Princesse ! »

Un peu irritée mais piquée par la curiosité, Azula le rejoignit, colla sa joue contre la paroi, comme lui, tendit l'oreille et distingua, derrière le mur, le son très net des vagues furieuses qui s'écrasent contre un rocher.

« Nous sommes proches, annonça l'homme en la fixant de son regard singulier. Je vais ouvrir un dernier passage et nous serons sur la façade est de la prison. Nous nous trouverons à une dizaine de mètres au-dessus de la mer. Vous n'avez pas le vertige, Princesse ? demanda-t-il en levant un sourcil interrogateur.

– Non, répondit-elle. Mais pourquoi ne nous faites-vous pas descendre davantage ? »

Bien qu'elle ne craignît pas l'altitude, Azula n'aimait pas particulièrement l'idée de se suspendre à la paroi glissante de la prison à plusieurs mètres au-dessus des vagues déchaînées. Surtout dans l'état de faiblesse où elle se trouvait. Elle était bien incapable de se propulser comme elle l'avait fait pour se sauver d'une mort certaine au Temple de l'Ouest. Et elle était bien trop épuisée pour s'essayer à la varappe.

« Malheureusement c'est impossible, répondit-il. Plus bas, la base de la prison est ceinte d'une protection de métal inoxydable destinée à protéger les murs de l'érosion. Je ne peux pas nous faire passer par là.

– Vous n'êtes pas capable de maîtriser le métal ou je ne sais quoi ? demanda-t-elle sur un ton un peu impatient en pensant à la petite aveugle qu'elle avait vue plier les alliages les plus solides comme s'il s'agissait de simple brins d'herbe.

– Non. Il existe très peu de maîtres du métal parmi nous. » répondit-il.

Azula crut discerner une note d'amertume dans sa voix mais ce pouvait tout aussi bien être son imagination car l'œil vert de l'homme s'illumina quand il lui adressa une nouvelle fois son curieux sourire.

« Vous allez monter sur mon dos, Princesse, et vous vous accrocherez à mes épaules, je vais vous porter jusqu'à ce que nous trouvions un endroit plus sûr de l'autre côté.

– Certainement pas ! s'indigna Azula qui ne supportait pas l'idée qu'il la touche. Vous êtes un maître de la terre, non ? Vous devez bien être capable de créer un chemin sûr le long de la paroi ?

– La prison est surveillée étroitement. Si nous créons un chemin assez large pour vous permettre de vous déplacer à pied, nous serons immédiatement repérés. Les garde-côtes scrutent la façade maritime de la tour. Nous serons plus discrets si nous progressons contre la paroi.

– Pourquoi ne pas nous avoir emmenés d'un autre côté alors ?

– Parce que les autres façades sont plus surveillées encore. »

Azula fronça les sourcils. Elle n'aimait pas du tout cette idée. Mais elle n'avait pas vraiment le choix.

« Très bien, soupira-t-elle. Ouvrez ce stupide passage et baissez-vous que je puisse monter sur votre dos. »

L'homme obéit. Il fit disparaître le mur devant eux comme par magie et une bouffée d'air marin s'engouffra immédiatement dans le tunnel en même temps que le fracas assourdissant des vagues indomptables. Azula prit une profonde inspiration et se sentit émue aux larmes quand elle vit la lumière argentée de la lune se refléter sur la surface ridée de l'eau noire en contrebas, et les millions de petites étoiles qui criblaient un ciel profond.

Sans raison, elle pensa à Zuko et il lui sembla qu'une main de fer étreignait son cœur.

Elle détourna les yeux du spectacle magnifique qui s'étendait devant elle et constata que l'homme s'était agenouillé afin de lui permettre de s'accrocher à son dos.

A contrecœur, elle enroula ses bras graciles autour de son cou et s'agrippa à lui, comme un bébé singe au dos de sa mère. Elle se sentit parfaitement ridicule et ferma les yeux pour ne pas croiser le regard désapprobateur de sa mère qui assistait à la scène, un peu en retrait. Elle essaya de garder assez de distance pour ne pas presser ses seins contre lui. Mais quand il se releva sans difficulté malgré sa frêle stature, l'emportant avec lui comme si elle ne pesait rien, elle prit peur et se colla un peu plus contre lui.

Il contourna la paroi et Azula grimaça de terreur quand elle prit conscience du vide en-dessous d'eux. Plus rien ne les retenait sinon les mains de l'inconnu fermement cramponnées dans la roche.

L'ouverture qu'il avait créée pour les laisser passer s'était déjà refermée et il commença à faire saillir de la paroi, à intervalles réguliers, des prises auxquelles il comptait s'accrocher et se hisser. Apparemment, il leur faudrait remonter un peu avant de trouver un endroit plus sûr pour entamer la descente. Il commença l'ascension. Azula se serra contre lui, et ferma les yeux pour éviter de regarder en bas. Le son des vagues qui se fracassaient contre la prison était bien suffisant.

Elle se demanda si Maman les suivait encore. Elle risqua alors un regard à côté d'elle et la vit, à quelques centimètres au-dessus d'eux, qui grimpait tranquillement, sa robe cramoisie voletant gracieusement autour de ses chevilles. Elle montait sans s'aider d'aucune prise, comme si elle glissait sur la paroi. Azula frissonna.

Comme si elle avait lu dans ses pensées, sa mère tourna la tête vers elle. Azula sursauta violemment et faillit lâcher prise.

La figure qui la fixait n'avait plus rien du doux visage bienveillant de sa mère. A la place, il n'y avait plus qu'une face sinistre et carbonisée, des traits à moitié fondus. Un rictus affreux s'étirait, comme sur le visage d'un mort, révélant des gencives purulentes et des dents à la blancheur de porcelaine. Deux yeux de la couleur du soleil étincelaient dans ses orbites, mais l'un d'eux était voilé, comme si une épaisse couche de nuages le couvrait. On devinait sous les chairs mortes les contours d'une mâchoire autrefois ferme et carrée qui semblait s'être affaissée sous l'action de la chaleur. Cette tête grotesque était surmontée de la coiffure soignée qu'arborait Ursa et sa couronne étincelait sous la lueur blafarde de la lune. La créature ouvrit la bouche. Azula vit des choses grouiller sur sa langue et dans le fond de sa gorge et une voix d'outre-tombe s'adressa à elle :

« Bonsoir, Miyu ! Est-ce que je peux t'embrasser ? »

Azula poussa un hurlement d'effroi, lâcha le cou de l'homme qui cria quelque chose d'indistinct et son corps bascula dans le vide.

Dans sa panique, elle fit naître deux gerbes de flammes bleues qui traversèrent la nuit comme un éclair mais Azula ne parvint pas à les contrôler et elles se dissipèrent presque aussitôt.

La dernière chose qu'elle vit fut la face blême de la lune dont elle s'éloignait à une vitesse vertigineuse. Et sur sa surface argentée, à moitié plongée dans l'obscurité, un visage grimaçant la regardait tomber avec un sourire satisfait et cruel. Elle se demanda où elle avait déjà vu ce sourire et la réponse surgit dans son esprit juste avant que son corps ne heurte les rochers : c'était le sourire de son frère.


J'espère que vous avez aimé. Ce chapitre est plus court que d'habitude mais c'était nécessaire. Je ne me voyais pas ajouter une section après cet événement.
J'ai conscience que c'est la troisième fois consécutive que je vous laisse sur un cliff-hanger. Pas d'inquiétude, je ne compte pas en faire une habitude !