Bonjour

Désolée pour cet update tardif. J'ai posté la version anglaise il y a déjà un moment mais j'ai oublié la française.

Bonne lecture et bonne année 2022!


Chapitre 21 – Cauchemar


Un hurlement déchirant tira Ty Lee de sa torpeur.

Elle avait trouvé refuge sur un ressaut suffisamment large pour s'asseoir à condition de bien se coller à la paroi et avait fermé les yeux quelques minutes pour s'accorder un peu de repos avant de reprendre son ascension. Le manque de prise dans la paroi l'avaient obligée à redescendre le long de la prison à la recherche d'une surface moins lisse. Elle se tenait maintenant à une dizaine de mètres au-dessus de la mer. Un peu découragée à l'idée de tout le chemin qui lui restait à parcourir, elle s'était autorisé une pause, avait avalé quelques fruits secs et un peu d'eau pour se donner des forces.

Son cœur fit un bond violent dans sa poitrine quand le cri l'éveilla.

Pauvre inconsciente ! Tu as failli t'endormir !

Mais elle n'eut pas le temps de se faire davantage de reproches car à ce moment-là, un éclair aveuglant passa en trombe devant elle.

Ty Lee se releva sur ses pieds et s'appuya sur la paroi en poussant un cri strident. Elle baissa les yeux juste à temps pour voir un corps disloqué tournoyer dans le vide, heurter la paroi et se briser plus loin sur les rochers avec un craquement sinistre qui couvrit momentanément le son des vagues.

Le cœur battant à tout rompre, Ty Lee contempla un moment la forme indistincte qui remua un peu puis s'affaissa avant de s'immobiliser.

Instinctivement, elle leva les yeux au-dessus d'elle et aperçut une silhouette agrippée à la paroi qui grimpait à une vitesse étonnante le long de la façade de la prison, semblable à une énorme araignée répugnante. La silhouette disparut rapidement dans l'obscurité.

Ty Lee reporta alors son attention sur le rocher en contrebas sur lequel s'était écrasé le corps de la malheureuse victime. Une femme à en juger par le cri qu'elle avait poussé avant de tomber et par la forme de son corps qu'elle parvenait à distinguer grâce à la lueur vivace de la lune.

Avec un pincement au cœur, Ty Lee leva les yeux vers le sommet de la tour qui se perdait dans les nuages amoncelés là et marmonna :

« Pardon, Azula, tu vas devoir attendre. »

Rapidement mais prudemment, elle entama sa descente.

Elle doutait qu'il y eût le moindre espoir pour la malheureuse créature qui gisait sur son rocher mais elle ne pouvait pas la laisser là. Il fallait au moins prévenir les garde-côtes.

Ty Lee se demandait encore comment elle allait leur expliquer sa présence ici quand elle atteignit les premiers récifs. Elle éprouva un immense soulagement en sentant ses pieds toucher terre à nouveau puis se rappela pourquoi elle était là. Elle baissa les yeux vers le rocher où reposait le corps brisé de la victime à peine deux mètres plus bas. Soudain Ty Lee repensa à la lueur intense qui avait semblé traverser le ciel comme un météore quand le corps était passé devant elle. Elle n'aurait su dire pourquoi mais son cœur fit un bond si violent dans sa poitrine qu'elle crut qu'il allait transpercer sa cage thoracique. Puis elle comprit : cette lumière était bleue.

La silhouette désarticulée qui gisait là dans une mare de sang, la face contre la roche, était tristement familière. Ses cheveux noirs défaits, étaient éparpillés autour de sa tête. Elle portait un pantalon qui arrivait à la moitié des mollets et la tunique bordeaux des détenus de la prison.

« Non ! » gémit Ty Lee en s'agenouillant près du corps sur lequel elle se pencha.

Avec une douceur infinie, elle prit entre ses doigts tremblants une mèche de cheveux sombres et dégagea le visage de la jeune femme.

C'était bien Azula.

Ses jambes formaient un angle bizarre et une fracture ouverte au niveau de l'épaule révélait un os à la blancheur fantomatique.

Ty Lee éprouva les premiers signes d'une violente nausée.

S'efforçant de garder tout son sang froid, elle posa ses mains sur le dos de son amie, à la recherche d'un souffle de vie, d'un frémissement. Rien. L'air autour du corps était étrangement opaque et Ty Lee se demanda d'où venait cette impression étrange et elle comprit.

Son aura avait disparu, comme si elle s'était dissoute dans l'air marin.

Le plus précautionneusement possible, et avec difficulté, elle retourna Azula sur le dos, comme si elle avait eu peur de la casser. Elle eut l'horrible impression de manipuler une poupée de chiffon. Elle s'assit, posant la tête de la princesse sur ses genoux, comme pour lui servir d'oreiller. Elle contempla le beau visage barbouillé d'un sang écarlate mais miraculeusement intact, à l'exception d'un énorme bleu qui se dessinait déjà sur la joue. Les flammes qu'Azula était parvenue à expulser en tombant avaient dû ralentir sa chute, juste assez pour épargner son visage. Mal maintenue, la tête d'Azula retomba lourdement sur le côté, comme prête à se détacher de son corps et Ty Lee dut la retenir. Elle vit alors un filet de sang qui s'écoulait du coin de ses lèvres et de son oreille gauche.

La gorge de Ty Lee se serra et sa poitrine commença à se soulever à un rythme frénétique. Quand elle n'eut plus du tout d'air, elle inspira brusquement et expulsa un grand cri d'animal blessé qui partit de ses entrailles et résonna entre les rochers, couvrant le fracas des vagues qui se brisaient interminablement sur les rochers, suprêmement indifférentes à son chagrin.


Zuko rêvait.

C'était un de ces songes fiévreux dont on ne s'extirpe qu'avec peine. Son cerveau embrumé conservait une vague conscience de la réalité, juste assez pour qu'il devinât qu'il rêvait, mais pas assez pour qu'il se réveillât tout à fait.

Il se rappelait s'être assoupi sur le divan dans le salon de lecture où sa mère, autrefois, leur lisait des contes, Azula assise sur ses genoux, son pouce dans la bouche, lui, agenouillé devant elles, l'écoutant, fasciné par ses paroles enchantées.

« Zuko ! Regarde-moi !» l'appela Maman alors qu'il avait fermé les yeux pour mieux imaginer le monstre terrifiant qui menaçait le héros de son conte préféré.

Zuko ouvrit les yeux. Maman avait reposé son livre et Azula avait relâché son pouce. Toutes deux le fixaient avec de grands yeux étonnés et terrifiés, comme si elles le voyaient pour la première fois.

Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ? demanda-t-il, un peu inquiet.

Une expression de stupeur passa sur le visage aux joues rebondies d'Azula. Elle était semblable au souvenir qu'il avait d'elle à quatre ou cinq ans, à l'époque où ils partageaient les mêmes jeux, où elle le rejoignait le soir en douce, dans son lit, pour échapper aux monstres et aux chimères qui la terrorisaient nuit après nuit.

Était-elle alors déjà victime d'hallucinations ?

Zuko se demanda d'où venait cette idée étrange. Azula avait cinq ans, Maman était là. Azula n'était pas encore malade. Elle ne le serait pas avant des années. Pourtant, c'était la même terreur qui brillait dans ses yeux mordorés. Celle qu'il avait vue lors de sa seconde visite à l'asile, quand il l'avait secouée sans ménagement pour la faire taire.

Maman le contemplait avec non moins de terreur, la bouche entrouverte.

«Ton visage, Zuzu ! » s'exclama Azula en pointant sur lui un index minuscule.

Eh bien ? Quoi, mon visage ? C'est ma cicatrice ! Tu le sais très bien, non ? rétorqua-t-il sur un ton offensé.

Qui t'a fait ça, Zuko ? » s'enquit sa mère dont les yeux clairs étaient emplis de larmes.

Zuko commençait à s'impatienter.

« Tu le sais bien ! C'est père ! Il était furieux après que j'ai parlé au Conseil pour faire taire cet imbécile qui voulait sacrifier toute une cohorte de nos hommes !

Menteur ! S'écria Azula. Ce n'est pas encore arrivé ! Tu dis n'importe quoi, Zuzu ! »

Azula avait raison. Si Maman était encore là, alors cela voulait dire que…

« Beurk ! Son visage est vraiment dégoûtant ! cria Azula en enfouissant son visage contre la poitrine de sa mère. Maman, ça me fait peur ! »

Zuko porta sa main à son visage et ses doigts ne rencontrèrent pas les rides qui couvraient habituellement sa joue gauche. Ils se posèrent sur une substance visqueuse et collante. Des filaments jaunâtres se collèrent à leur extrémité quand il voulut retirer sa main, avec un bruit spongieux.

Affolé, Zuko se leva pour se regarder dans la glace. Une figure atroce le dévisageait avec horreur. Un visage qui n'était pas le sien. Sa peau était noire et rouge par endroits. L'un de ses yeux manquait et il produisait un râle étrange chaque fois qu'il inspirait par la béance qui creusait son visage là où se trouvait autrefois son nez. Ce n'était pas son visage, c'était celui de Kojiro. Il poussa un hurlement.

« Voyons, mon chéri, ne crie pas aussi fort ! Tu vas réveiller ta petite sœur ! » chuchota Ursa sur un ton de reproche.

Maman ne le regardait plus. Elle tenait une Azula profondément endormie dans ses bras. Seulement, sa sœur semblait avoir grandi d'un coup. La jeune fille qui reposait contre sa poitrine avait au moins quatorze ou quinze ans. Ses membres dépassaient largement des bras et des genoux de sa mère qui ne semblait pas avoir remarqué cette soudaine et improbable croissance. Des mèches négligemment coupées retombaient piteusement sur le front d'Azula et des larmes noircies par des traces de khôl striaient ses joues.

« Ta sœur s'est enfin endormie. Ne la réveille pas ! »

Maman… essaya-t-il.

Qu'est-ce qui ne va pas chez cette petite ? » murmura Ursa pour elle-même, les sourcils froncés, les yeux abaissés vers le visage d'Azula.

Elle n'écoutait plus Zuko dont le visage se décomposait lentement sur place. Des lambeaux de peau noirâtres s'émiettaient à ses pieds, tels des cendres. Déjà il sentait l'os affleurer sur sa pommette.

Il commença à pleurer mais Maman ne fit pas davantage attention à lui.

« C'est Azula qui m'a fait ça, Maman ! » s'exclama-t-il, geignant, tapant du pied pour attirer son attention.

Mais Ursa ne l'écoutait pas. Elle se leva de sa chaise d'un air absent et se pencha pour cueillir quelques fleurs en chantonnant une berceuse.

« Tiens moi ça, mon chéri, tu veux ? »

Zuko se saisit docilement du bouquet qu'elle lui tendait.

Zuko réalisa seulement à cet instant qu'ils n'étaient plus dans le cabinet de lecture. Ils se trouvaient dans les allées fleuries du jardin.

Azula avait disparu. Une terreur soudaine s'empara de lui. Il leva la tête vers sa mère pour lui demander :

« Maman, où est Azula ? »

Il sursauta brusquement. Ursa se tenait devant lui, figée comme une statue, mais ne le regardait pas. Son visage habituellement bienveillant exprimait une profonde répulsion. Elle pointait un index accusateur vers lui. Il regarda autour de lui à la recherche d'un indice expliquant son étrange comportement et se rendit compte qu'il était cerné par une vingtaine d'individus qui le fixaient tous, le doigt tendu vers lui. Il reconnut parmi eux Mai qui le regardait, le visage plus pâle que jamais, proche de la nausée, consternée. Il y avait aussi Aang, Katara et Toph, ainsi que Suki, Ty Lee et Sokka. Tous dardaient sur lui leurs regards réprobateurs, silencieux, aussi rigides qu'une armée de soldats de pierre. Il reconnut parmi eux la silhouette trapue et bedonnante de son oncle qui secouait la tête de droite à gauche, l'air terriblement déçu.

Tous le fixaient avec la même expression étrange, mi-chagrine, mi-horrifiée. Zuko se sentit soudain honteux. Il remarqua que les index accusateurs braqués sur lui pointaient tous vers le bas. Il abaissa les yeux et sentit son souffle mourir dans sa gorge en remarquant pour la première fois Azula, agenouillée devant lui qui appuyait ses lèvres rubis contre son ventre, ses mains impatientes aux ongles longs tirant avidement sur l'ourlet de son pantalon.

« Azula, arrête ! Tout le monde nous regarde ! » protesta-t-il sur un ton suppliant. Il posa doucement ses mains qui tenaient toujours le bouquet d'Ursa sur la tête d'Azula pour la repousser mais au lieu de cela, il la rapprocha de lui et sentit aussitôt une vague d'excitation et de désir déferler sur lui.

Choisissant d'ignorer les regards dégoûtés que la foule indistincte jetait sur eux, il plongea ses mains dans la chevelure brillante de sa sœur. Les pétales de fleurs s'y dispersèrent, semblables aux perles de pluie qui s'accrochent à l'herbe folle. Il laissa ses doigts insolents emmêler les longues mèches noires. Les mots, à peine murmurés, s'échappèrent de ses lèvres sans qu'il ait pu les retenir :

« Vas-y. Oui. Plus bas. »

Azula obéit. Il se fichait bien des autres maintenant. Il garda les yeux ouverts pour ne rien rater du spectacle plaisant qui se déroulait à ses pieds.

Ils étaient seuls maintenant. L'herbe verdoyante et les fleurs éclatantes du jardin avaient laissé la place à un sol en marbre, une baignoire en cuivre et un grand miroir sali dans lequel il pouvait voir leur reflet. La salle de bain d'Azula.

Sa sœur, toujours agenouillée, qui tournait le dos à la glace, portait la tunique bordeaux dont elle était toujours vêtue lorsqu'il lui rendait visite à l'asile. Dans ses cheveux, les pétales qu'il avait répandus tout à l'heure s'étaient mués en cendres. Dans le reflet, vit ses les doigts agiles d'Azula s'accrocher à son pantalon et le faire descendre lentement sur ses chevilles.

Zuko prit une profonde inspiration et ferma les paupières.

Il percevait sans le voir les ondulations du dragon bleu qui tournoyait autour d'eux dans une danse lente et langoureuse.

« C'est bien, Seigneur du Feu Zuko, c'est cela. Tu peux avoir tout ce que tu veux.

Je la veux, elle ! » répondit-il faiblement, à peine capable de parler tant son souffle devenait court, alors qu'à ses pieds, Azula le portait au comble du plaisir.

N'y tenant plus, comme il était proche de l'extase, il repoussa sa sœur et lui ordonna de se retourner. Quand ses lèvres rubis s'ouvrirent pour parler, ce fut le dragon derrière lui qui répondit.

« Tout ce que vous voudrez, Seigneur du Feu Zuko. Je suis vôtre. »

Il se plaça derrière elle, face au miroir pour voir son visage quand il la prendrait.

Mais à sa grande frustration, les mèches noires qui encadraient sa figure la lui dissimulaient. Cela ne le découragea pas. Bientôt, il n'entendit plus que le souffle précipité d'Azula, ses propres halètements, plus rauques, et le son des bourrasques générées par le Dragon dont le corps serpentin s'enroulait autour d'eux à une vitesse affolante, les enveloppant d'un tourbillon d'écailles émeraude et saphir chatoyantes.

La course folle de la créature l'excitait et il accéléra la cadence.

C'était mal, tellement mal ! Et si délicieux en même temps.

Devant lui, Azula répétait amoureusement son nom sur un ton presque suppliant. Il se mit à pousser des grognements de satisfaction qui tenaient plus de la bête enragée que de l'amant attentionné.

« S'il-te-plaît, père, haleta Azula entre deux embardées, ne te fâche pas ! »

Stupéfait, Zuko s'arrêta immédiatement et leva les yeux devant le grand miroir au verre terni. Dans la glace, ce n'était pas son propre visage qui le fixait avec un air incrédule. Horrifié, il reconnut le menton pointu, la mâchoire puissante taillée au couteau, la barbiche noire et les cheveux longs, des yeux dorés aussi perçants que la lumière du soleil.

Son cœur fit un bond violent dans sa poitrine. Il relâcha immédiatement Azula qui retomba sur le sol. Son corps s'allongea alors étrangement. Sa peau se recouvrit d'écailles azur. Ses ongles pointus devinrent des griffes acérées et ses yeux d'ambre s'embrasèrent. On pouvait voir des flammes danser tout au fond de ses pupilles étroites.

Le dragon se redressa pour lui faire face. Il ouvrit sa gueule monstrueuse, à quelques centimètres seulement du visage de Zuko – ou Ozai ? Il ne savait plus très bien qui il était.

La bête dévoila ses dents tranchantes à la blancheur étincelante et ouvrit davantage sa mâchoire. Tout au fond de sa gorge, quelque chose palpita, puis sembla se rapprocher.

A sa grande horreur, il vit le visage de sa mère se matérialiser dans la gueule du monstre, un regard de reproche gravé sur ses traits doux et mélancoliques. Il se souvint avec un vague sentiment de honte qu'il était encore nu mais sa mère ne sembla pas le remarquer. Quand leurs visages furent proches, il murmura :

« Mère… »

Chut ! Tu vas réveiller ta petite sœur ! »

Et il suivit le regard triste d'Ursa qui contemplait quelque chose sur le sol en marbre.

Là, Azula gisait, nue, dans une mare de sang.

Morte.

Zuko voulut hurler mais il était trop suffoqué pour cela. Quand il releva la tête, la face pourrissante de Kojiro lui faisait face dans le miroir, son horrible sourire retroussant ses lèvres à moitié brûlées.

Il ouvrit ce qui lui tenait lieu de bouche et des paroles indistinctes s'échappèrent de sa gorge grouillante de vers. Tout ce qu'il put distinguer, ce furent les mots : « Pour le Seigneur du Feu ! »

Cette fois, il hurla vraiment.

« Seigneur du Feu ! Seigneur du Feu ! Vite, réveillez-vous ! »

Zuko se releva brusquement, jetant sa main au hasard dans le vide devant lui et une gerbe de flammes aveuglantes jaillit de sa paume.

Quelqu'un poussa une exclamation et Zuko se sentit tomber à la renverse, atterrissant sur les fesses au pied du divan sur lequel il s'était endormi.

Il se trouvait à nouveau dans le cabinet de lecture.

Devant lui, se tenait le Général Kadao, le visage pâle et défait.

« Sire ! Vous allez bien ? »

Zuko refusa d'un geste la main secourable que son général lui tendait et, honteux et confus, s'appuya sur le divan et la table basse pour se relever.

« Ce n'est rien. Juste un stupide cauchemar ! Laissez-moi, Kadao.

– Sire, je suis navré de vous réveiller, mais…

– Je vous ai dit de me laisser ! s'impatienta Zuko qui sentait une vieille colère bien trop familière monter en lui. Vous comprenez ce que je vous dis ?

– Sire, je suis désolé d'avoir à insister…

– Partez ! vociféra Zuko, le corps tremblant de rage et de honte, encore tout empli du rêve perturbant et terrifiant qu'il venait de faire, une main posée sur son entrejambe pour essayer de dissimuler la preuve encore accablante de son excitation.

– Sire, il s'est passé quelque chose de très grave. C'est à propos de la Princesse. »

Zuko se laissa retomber sur son séant et dévisagea un moment Kadao, incapable de parler, la tête lui tournant un peu.

« Il y a eu un accident. Les garde-côtes ont trouvé son corps au pied de la prison. Ils l'ont ramenée aussi vite qu'ils ont pu…

– S-son corps ? balbutia Zuko qui venait de retrouver l'usage de la parole.

Comment pouvait-il encore parler. Comment pouvait-il encore respirer, alors que son cœur avait cessé de battre et que son cerveau était totalement vide ?

Ce n'est rien. Je suis encore dans mon rêve. C'est juste un cauchemar.

« Venez, mon Seigneur, je vais vous amener auprès d'elle. »

La main de Kadao sur son épaule était bien réelle. Il pouvait sentir la chaleur qui en émanait.

Alors, docilement, Zuko laissa Kadao l'aider à se relever. Totalement étranger à ce qui se passait, il se laissa guider hors du cabinet de lecture et suivit le Général, rempli de l'impression étrange d'avoir laissé une part de lui dans le petit cabinet de lecture.


Quand il arriva dans les appartements de Taïma où Kadao avait ordonné qu'on transporte immédiatement la princesse, Zuko tremblait de tous ses membres. Sa tête était encore étrangement vide et il avait l'impression de n'avoir plus la moindre goutte de sang dans le corps. L'extrémité de ses doigts était gelée. Il lui semblait que plus jamais il ne pourrait en faire jaillir la moindre étincelle.

Le spectacle qu'il découvrit frappa son cœur et son âme avec la violence d'un coup de poignard. Il ne se rappelait pas avoir jamais éprouvé une telle douleur. Pas même le jour où son père lui avait brûlé la moitié du visage.

Son regard se dirigea immédiatement vers le grand lit que Taïma avait dû quitter précipitamment quand Kadao et ses hommes avaient frappé à la porte, la tirant de son sommeil. La tête enfoncée entre les oreillers, il reconnut le visage couvert de sang séché de sa sœur. Ses paupières étaient closes, un hématome impressionnant bleuissait l'une de ses pommettes. Un filet rouge s'écoulait de son oreille et des coins de sa bouche.

Zuko fut saisi de vertige et dut se rattraper au dossier d'une chaise pour ne pas flancher.

Il abaissa le regard sur sa poitrine. Inerte.

Une fracture ouverte laissait voir l'os de son coude droit qui formait un angle inquiétant avec le reste de son corps.

La première réaction de Zuko, quand il fut à nouveau capable de penser, fut de se précipiter vers le corps pour le prendre dans ses bras, pour le secouer de toutes ses forces jusqu'à ce qu'il reprenne vie.

Ce n'est pas possible. Non, non, non, NON, NON !

Mais deux mains vigoureuses le saisirent fermement par derrière et le forcèrent à rester immobile.

« Ne vous approchez pas, Sire. Laissez Taïma travailler ». C'était la voix profonde et réconfortante de Kadao.

Incapable de protester, Zuko tourna les yeux vers sa gauche et vit enfin la guérisseuse.

Taïma était debout, s'affairant entre le lit et une tablette en métal, couverte de fioles et de matériel de soins.

Elle ne semblait même pas l'avoir remarqué.

Jamais Zuko ne l'avait vue aussi fébrile, aussi agitée. Ses mains tremblaient horriblement autour de la fiole qu'elle tenait et qu'elle rapprocha du visage de la princesse qui gisait sur le lit, misérable silhouette brisée échouée là, comme une pauvre créature marine sur le rivage.

Les mains secouées de tressaillements incontrôlables, elle versa le contenu de la fiole dans la bouche entrouverte d'Azula et se plaçant au-dessus d'elle, appuya plusieurs fois de ses deux mains jointes sur la poitrine désespérément immobile. Zuko remarqua l'eau brillante qu'elle fit surgir de ses paumes et qui traversèrent la cage thoracique de sa sœur.

« Allez, Princesse, réveillez-vous, allez ! » murmurait Taïma.

Un reniflement, dans un coin de la pièce, éveilla soudain l'attention de Zuko. Il remarqua seulement alors que Ty Lee était là, elle aussi, assise en boule dans un fauteuil, le visage caché dans les mains.

Il voulut parler mais sa gorge sèche et la terrible sensation d'oppression qu'il sentait enfler dans sa poitrine l'en empêchèrent.

Que faisait-elle ici ? N'était-elle pas supposée être depuis des jours sur l'Île de Kyoshi ?

Cela n'avait guère d'importance pour l'instant. Toujours hébété, il sonda la pièce du regard à la recherche de quelque secours, et vit soudain, dans le coin opposé, la silhouette élancée et raide de Mai qui assistait à la scène, le visage fermé, très pâle, tapie dans l'ombre.

Il esquissa un mouvement pour se diriger vers elle et leurs regards se croisèrent. Mai baissa immédiatement les yeux et il se figea comme une statue. Finalement, il préféra reporter son attention sur Azula.

La question qu'il avait voulu poser dès l'instant où il était entré dans cette pièce sinistre franchit enfin ses lèvres.

« Est-ce qu'elle est encore en vie ? »

Taïma sursauta et se retourna vivement, remarquant seulement sa présence à cet instant.

« Sire… Zuko, souffla-t-elle. Oui, pour le moment. J'ai réussi à réduire l'hématome et la pression dans son crâne, mais elle ne respire plus depuis deux minutes. S'il-vous-plaît, laissez-moi travailler. »

Il fut surpris par le ton ferme de sa voix et obéit immédiatement.

Désespéré, il se rua vers Mai qui ouvrit les bras à temps pour l'accueillir.

« Qu'est-ce qui s'est passé ? murmura-t-il dans sa nuque, les larmes jaillissant de ses yeux sans qu'il ait pu songer à les retenir.

– Je ne sais pas, répondit-elle dans un souffle. Kadao les as ramenées ici avec ses hommes, elle et Ty Lee. Ils les ont trouvées sur un rocher en contrebas de la façade est de la prison. Ty Lee est bouleversée, je n'ai pas encore réussi à la faire parler. Elle nous a simplement dit qu'Azula avait fait une grave chute. C'est elle qui a appelé les garde-côtes qui les ont conduites ici. »

Incapable de parler davantage, Zuko la relâcha et reporta son attention sur sa petite sœur.

Il sentait ses entrailles se tordre douloureusement à l'intérieur de son ventre.

Il n'était pas prêt pour ça. Il n'était pas prêt. Il n'y survivrait pas.

Il y eut un long moment pendant lequel personne ne parla. Tous, Mai, Kadao, Ty Lee, Zuko, observaient, impuissants, les efforts désespérés de Taïma pour maintenir la princesse en vie. Elle appuyait fréquemment ses lèvres contre celles de la princesse pour lui insuffler un peu d'air et appuyait sur sa poitrine, utilisant sa maîtrise pour la ranimer.

Au bout d'un moment, comme il ne se passait rien, elle se tourna vers Kadao.

« Il faut faire venir maître Katara. Je… je ne peux pas la sauver. Il faut… il faut refaire circuler son sang dans son corps. Je ne peux pas... »

Zuko pâlit. Ty Lee et Mai tournèrent leur regard vers Taïma, les sourcils froncés, indiquant leur incompréhension. Lui savait de quoi Taïma parlait.

« Non… murmura-t-il de la voix la plus ferme qu'il put se composer. Non, ça va la tuer, elle est trop faible. Vous devez encore essayer, Taïma !

– C'est la seule solution, Zuko, répondit la guérisseuse.

– Ce n'est même pas la pleine lune, répliqua-t-il sur le ton de l'impuissance. Ça ne marchera pas !

– Il faut essayer quand même. Elle est en train de mourir, Zuko !»

Elle tourna vers lui ses grands yeux outremer noyés de larmes mais brillants d'une détermination farouche. Il acquit à cet instant la certitude qu'une personne au moins dans ce palais, en-dehors de lui, se souciait sincèrement d'Azula. Et il sut qu'elle avait raison.

« Qu'est-ce que vous attendez ? » Hurla-t-il soudain à Kadao qui attendait stupidement, les mains jointes devant lui dans l'attitude absurde d'un homme qui s'inquiète pour l'un des siens.

Le Général sursauta et se mit au garde-à-vous, reprenant immédiatement la contenance du militaire.

« J'y vais de ce pas, votre Altesse ».

Et il disparut par la porte laissée ouverte.

Taïma posa sa main sur le bras de Zuko.

« Je vais tout faire pour la maintenir en vie jusqu'à l'arrivée de Katara. Elle peut la sauver, Zuko, j'en suis certaine. »

Leurs regards se croisèrent. Le feu se noya dans l'onde et il acquiesça. Une douceur qu'il n'avait jamais vue sinon dans les yeux de sa mère brilla dans ceux de Taïma. Il eut soudain terriblement envie qu'elle le serre dans ses bras.

Luttant contre ce désir aussi absurde qu'irrépressible, il s'assit précautionneusement sur le lit à côté d'Azula et prit sa main dans la sienne. Il eut l'impression que son bras était fait en chiffon. Il ne sentit aucune tension, aucune résistance.

« Allez, Azula, bats-toi. Ne meurs pas. J'ai besoin de toi. » confessa-t-il à voix basse en enfouit son visage dans le creux entre son épaule et sa nuque où il déposa un baiser discret. Il ne perçut aucun frémissement. Sa peau était livide et froide comme le marbre.

Zuko se redressa maladroitement, décidant d'ignorer le regard furieux que Mai devait darder sur lui et il recula pour laisser de l'espace à Taïma. Son regard se durcit et sa voix était plus rauque que d'habitude quand il parla d'un ton autoritaire :

« Sauvez-la »

Tirant une chaise vers le lit, il s'assit au chevet d'Azula et regarda Taïma reprendre son travail. Il reprit la main de sa sœur dans la sienne et ne la lâcha pas une seconde.

Un silence épais retomba dans la chambre où rôdaient la mort, le chagrin et la désolation, seulement interrompu par les va-et-vient de Taïma qui faisait son possible pour sauver la princesse qui gisait sur son lit, comme un pauvre jouet cassé.


Un vent de panique secouait le palais. A cette heure tardive, Sokka fut surpris de trouver tant de serviteurs et de gardes éveillés. Alors qu'il tendait les bras pour aider Suki à descendre du dos d'Appa, un groupe d'une dizaine de gardes passa en courant devant eux dans un bruit de ferraille, soulevant un nuage de poussière sur leur passage, parfaitement indifférents à la présence du gigantesque bison volant qui venait d'atterrir dans la cour.

Alors qu'Iroh, toujours sur la selle, lui jetait les sacs contenant leurs bagages, Sokka jeta un regard curieux vers la galerie où s'était formé un petit attroupement composé de jeunes filles parmi lesquelles il crut reconnaître la jeune Sanae, la demoiselle de compagnie qu'Azula aimait persécuter. Plus d'une fois lors de leurs séjours au palais, l'adolescente était venue trouver refuge auprès de Katara après avoir été malmenée par la princesse cruelle et égocentrique.

La jeune fille semblait bouleversée d'après la façon dont elle avait plongé la tête dans ses mains. Ses amies qui l'entouraient, pleines de sollicitude, l'interrogeaient, la tenaient par les épaules.

Sokka laissa échapper un soupir méprisant, se demandant ce qu'Azula avait encore bien pu lui faire. Puis il se souvint que la princesse était en prison, solidement enfermée au dernier étage dans un quartier de haute-sécurité, probablement en proie à ses démons et à ses hallucinations.

Bien fait. Qu'elle en crève ! Pensa-t-il avec une pointe de joie malsaine où perçait aussi un peu de culpabilité.

« Que se passe-t-il ici ? Demanda Suki en posant une main sur son bras tandis que Sokka hissait un gros sac en jute sur ses solides épaules.

– Aucune idée, allons nous renseigner.

– Je n'aime pas cela. »

C'était Iroh qui venait de parler derrière eux. Sokka se retourna et son cœur se contracta en lisant l'expression qui se dessinait sur le visage d'habitude serein et jovial du vieil homme.

Sokka soupira. Lui qui avait misé sur une arrivée discrète et qui se réjouissait de retrouver le confort et l'intimité de la chambre qu'il partageait avec Suki quand ils séjournaient au palais ! La nuit promettait d'être longue.

Sa mission était achevée après tout. Il avait ramené le Grand Lotus. C'était des affaires de famille à présent et il comptait bien prendre la mer pour le Sud avec Suki une fois qu'ils auraient pris un peu de repos.

Alors qu'ils abordaient la galerie où se pressait toujours plus de monde dans une effervescence inhabituelle, Sokka repéra deux silhouettes familières.

« Katara ! » cria-t-il à la plus petite des deux silhouettes qui courait derrière celle, plus massive du Général Kadao.

La jeune femme se retourna et Sokka vit la surprise et l'inquiétude briller dans ses yeux bleus. Katara s'arrêta brusquement et se dirigea vers eux après avoir bredouillé une excuse à Kadao qui se retourna et les regarda tous, faisant claquer sa langue d'un air impatient.

« Maître Katara, je vous en prie, la Princesse ne peut pas attendre. »

Sokka sentit une rage irrationnelle déferler en lui et saisit le poignet de Katara qui s'était jetée dans ses bras et qui se tournait maintenant vers Suki.

« La Princesse ? Katara, de quoi parle-t-il ? » lui demanda-t-il, faisant un effort louable pour ne pas laisser transparaître la colère qui lui brûlait les entrailles.

Était-il possible que Zuko ait profité de leur absence pour libérer…

« Je n'ai pas le temps de t'expliquer, répondit précipitamment Katara en jetant un regard inquiet à Iroh qui observait la scène d'un air tendu, comme étranger à tout ce qui se passait. Vous n'avez qu'à me suivre, Kadao et moi vous dirons tout en chemin. »

Après avoir échangé des regards troublés avec ses deux compagnons de voyage, Sokka héla un jeune valet qui passait par-là.

« Hé, toi, là-bas, le blanc-bec ! Prends-ça tu veux et mets-le dans notre chambre. »

Avant que le garçon ait pu répondre, il envoya son lourd bagage dans sa direction. Surpris par le poids du sac, l'adolescent bascula en arrière et atterrit sur son derrière en poussant un gémissement étouffé.

Sokka se lança ensuite à la poursuite de ses amis qui l'avaient précédé dans la galerie et passa devant le petit groupe de filles qui consolaient Sanae.

« Elle avait l'air d'être morte, je vous assure ! hoquetait la jeune fille entre deux sanglots. Son visage était si pâle quand je l'ai aperçue par la porte du docteur Taïma ! Et il y avait tellement de sang !»

Du sang ? Parlaient-elles d'Azula ? Il accéléra l'allure pour entendre Katara qui parlait précipitamment.

« Ce sont les garde-côtes qui les ont ramenées ici. D'après le Général, ses heures sont comptées.

– De qui parlez-vous ? S'enquit Sokka qui les abordait. D'Azula ?

– Elle a fait une grave chute, lui répondit Suki en se tournant vers lui, essoufflée, une main posée sur son ventre rebondi. Du haut de la prison ou je ne sais quoi. Ty Lee l'a trouvée à ce qu'il paraît. Zuko a fait appeler Katara. Taïma pense qu'elle est sa seule chance de survie. »

Sokka attrapa le bras de Katara et la tira brusquement vers lui. Leurs compagnons, tout à leur hâte, ne semblèrent pas s'en rendre compte et poursuivirent leur course.

« Sokka, qu'est-ce que tu fais, je n'ai pas le temps de…

Mais il ne lui laissa pas le temps de finir sa phrase.

– Est-ce que tu vas vraiment le faire ? Tu vas la sauver ? »

Katara ouvrit la bouche pour répondre puis la referma aussitôt, comme si les paroles de Sokka l'avaient frappée en plein visage. Leurs regards se croisèrent et il sut qu'elle devinait ses pensées. Ils se fixèrent intensément durant quelques secondes et Sokka qui connaissait bien sa sœur pouvait voir la lutte intérieure qui se livrait en elle.

En tant que guérisseuse, Katara n'avait pas dû hésiter une seconde quand Kadao était venu la tirer du lit pour lui demander de l'aide. Mais maintenant que Sokka était là, rappel vivant de la folie meurtrière d'Azula, du danger qu'elle représentait pour tous, pour Zuko, pour la paix… Sachant tout cela, pouvait-elle honorer son serment ?

Les autres avaient déjà tourné au coin et se précipitaient vers l'aile où se situaient les appartements des hôtes de marque.

« Écoute Sokka, je ne sais pas ce que je peux faire, répondit-elle finalement d'une voix mal assurée qui ne lui ressemblait pas, mais je dois essayer. P-pour Zuko. »

Sokka ne put réprimer une grimace de mépris à la mention de ce nom.

« Tu continues de le défendre ? »

Sa sœur ferma un instant les yeux. Quand elle les rouvrit, il vit passer une lueur indéchiffrable dans ses prunelles saphir et il sut qu'elle pensait, comme lui, aux éclairs dont Zuko avait failli les frapper ce jour-là dans les cachots. Au visage bouleversé de Suki quand elle l'avait aidée à se redresser sur ses jambes flageolantes dans la cour. À la guerre qui menaçait et que les nuages sombres qui s'amassaient en grondant au-dessus du palais semblaient annoncer.

Son doux visage se durcit d'une étrange manière qui ne lui ressemblait pas. Il crut reconnaître un peu de la colère terrible qui l'avait animée le soir où elle s'était envolée avec Zuko sur le dos d'Appa pour retrouver l'assassin qui avait tué leur mère. Bien qu'il fût certain que cette colère n'était pas dirigée contre lui, Sokka se sentit un peu effrayé. Il la relâcha, comme si la peau brune de sa sœur était soudain devenue brûlante sous sa paume.

Ils entendirent gronder le tonnerre au-dehors. Cette nuit, il pleuvrait, pour la première fois depuis ce qui semblait des semaines. Une violente bourrasque s'infiltra dans la galerie à travers les hautes fenêtres percées dans les murs et des feuilles séchées que la canicule des derniers jours avait arrachées aux arbres s'engouffrèrent en tournoyant dans le couloir au sol pavé. Sokka frissonna devant ces signes annonciateurs d'une tempête imminente qui promettait d'être destructrice.

Mais ce ne serait rien comparé à la fureur du Seigneur du Feu si sa sœur adorée venait à mourir.

Il fixa à nouveau ses yeux océan sur ceux de Katara et il y lut la même angoisse, la même hésitation, la même pensée coupable.

« J'espère que tu sais ce que tu fais», murmura-t-il sombrement.

Katara prit une profonde inspiration avant de répondre :

« Je l'espère aussi. »

Ils reprirent leur course à travers les dédales du palais.


Quand Sokka et Katara entrèrent dans la chambre sur les talons de leurs amis, la jeune femme fut immédiatement saisie par l'atmosphère lugubre qui régnait dans les lieux.

Dans un coin de la pièce, Ty Lee pleurait, recroquevillée dans un fauteuil. Plus loin, Mai se tenait dans un recoin, austère et digne, comme toujours, à moitié dissimulée dans l'ombre, à bonne distance de la scène.

Zuko qui semblait s'être levé précipitamment, pleurait dans les bras de son oncle qui le tenait étroitement contre lui, tapotant maladroitement son épaule dans une vaine tentative de réconfort.

Katara eut l'impression d'assister à quelque chose d'impudique. Elle ne se souvenait pas avoir déjà vu Zuko pleurer et elle sentit le sang lui monter aux joues quand il tourna vers elle ses yeux à l'éclat doré.

« Katara ! »

Il s'arracha à l'étreinte d'Iroh qui laissa retomber ses bras, momentanément figé dans l'attitude presque comique d'un homme à qui on vient d'arracher son repas.

Le Seigneur du Feu se rua vers Katara et la saisit par les épaules.

« Katara ! Fais quelque chose ! Je t'en supplie ! Elle est en train de mourir ! »

Il la secoua un peu et Katara entendit Sokka remuer derrière elle, probablement prêt à extirper sa sœur des griffes de Zuko s'il devenait trop entreprenant.

Ce dernier semblait trop bouleversé pour remarquer la présence du guerrier et Katara adressa un signe de la main à son frère pour l'enjoindre au calme.

Zuko la relâcha mais la rattrapa immédiatement par le poignet pour la conduire vers le lit où reposait la princesse que la silhouette affairée de Taïma lui avait cachée jusque là.

« Répare-la Katara. Fais-le pour moi. »

Réparer. Le mot était bien choisi.

Azula était brisée. On eût dit un pantin désarticulé, une marionnette pitoyable dont on aurait coupé les fils. L'œil expert de Katara repéra immédiatement les os fracturés sous la peau diaphane. Son visage était pâle à faire peur malgré les taches de sang qui l'empourpraient par endroits et ses lèvres violacées. Le bout de ses doigts et ses orteils nus bleuissaient déjà à la lueur incertaine des torches. Sa poitrine semblait s'être creusée au niveau du diaphragme, comme si on avait enfoncé ses côtes. Katara reconnut les dégâts que pouvait infliger un massage cardiaque prolongé ou un peu vigoureux.

«J'ai réduit l'hématome qui comprimait son cerveau, expliqua Taïma à Katara. J'ai réparé tant bien que mal le bassin qui était brisé en morceaux quand on me l'a amenée. Elle aura besoin d'une solide rééducation si... »

Elle s'interrompit un moment, secoua la tête comme pour se forcer à reprendre ses esprits, et poursuivit :

« Elle a une double fracture ouverte au bras droit que j'ai réduite également. Elle a fait plusieurs arrêts cardiaques. Je l'ai ramenée à chaque fois, dit-elle en désignant inutilement le thorax un peu encaissé d'Azula. Mais maintenant elle ne respire plus. Le sang ne circule plus correctement. »

En-dehors de sa courte interruption, Taïma avait parlé à toute vitesse, sur un ton professionnel et avec un sang-froid dont seuls sont capables les guérisseurs et les médecins dans de telles circonstances.

Katara qui s'efforçait d'ignorer les regards braqués sur elle, écouta attentivement le compte-rendu de Taïma.

Elle la questionna sur les techniques de maîtrise de l'eau qu'elle avait utilisées jusqu'ici pour maintenir la princesse en vie.

« J'ai fait tout ce que j'ai pu. Si son sang ne se remet pas à circuler normalement très vite, son cerveau ne sera plus irrigué et on va la perdre». Taïma chuchota les derniers mots en approchant son visage du sien pour que Zuko n'entende pas.

Les yeux de Katara abandonnèrent le corps d'Azula qui reposait pitoyablement sur son matelas, vidé de toutes ses couleurs et qu'animait à peine un dernier souffle de vie. Elle chercha ceux, turquoise, de Taïma et sut ce que la guérisseuse attendait d'elle.

« Taïma...je.. je ne sais pas. C'est dangereux dans l'état où elle est. Et puis ce n'est même pas la pleine lune. Je ne crois pas en être capable. Si Aang était là, peut-être qu'il pourrait. Mais il est allé chez Kojiro avec Toph, et...

– Katara, intervint Zuko.

Elle se retourna et observa le visage livide de son ami qui la fixait, les lèvres tremblantes, une lueur un peu démente animant ses yeux dorés.

– Tu dois essayer. Pour elle, pour moi. S'il-te-plaît. Si elle meurt, je ne… Je ne pourrai pas... »

Sa voix se brisa à la fin de sa phrase et Katara entendit Mai remuer imperceptiblement dans son coin. Elle pouvait sentir la jalousie et la désapprobation qui irradiaient d'elle malgré la distance qui les séparait.

Elle se tourna vers Sokka qui dardait sur elle un regard aussi dur que les stalactites de glace qui pendaient parfois des linteaux des fenêtres, au matin, dans les contrées gelées du sud. Katara se sentit prise en étau. Elle aurait voulu leur hurler de quitter la pièce, de la laisser réfléchir.

Ce n'était pas la pleine lune.

Il était très peu probable que cela fonctionne.

C'était dangereux. Azula n'y survivrait peut-être pas.

Si elle ne faisait rien, elle mourrait de toute façon.

Zuko attendait derrière elle, désespéré, le cœur en lambeaux.

Elle pensa à Zuko. En-dehors d'Iroh, Azula était toute la famille qui lui restait. Lui aussi avait perdu sa mère. Il avait investi des sommes considérables dans cette quête. Malgré cela, Ursa n'avait jamais été retrouvée.

Que ressentirait-elle si on lui enlevait Sokka ?

Ta relation avec Sokka n'a rien de comparable avec celle de Zuko et Azula.

Les paroles échangées avec Aang l'autre matin lui revinrent en mémoire.

Elle réfléchit à toute vitesse.

Azula avait failli tuer Suki et son bébé. Son futur neveu ou sa future nièce. Elle avait brûlé un homme jusqu'à faire fondre sa peau sur son crâne.

Zuko était prêt à déclencher une guerre pour la défendre. L'esprit trop plein de sa sœur, il n'avait rien fait pour lutter contre les terroristes et les fanatiques qui déversaient leur haine et leur violence dans les rues de la ville. Indifférent au sort de ses concitoyens, il avait laissé l'étincelle devenir incendie. Les réfugiés vivaient dans la peur des répressions violentes des habitants. Les Fils d'Agni agitaient leur propagande et attisaient la méfiance par leurs discours populistes qui gagnaient du crédit à chaque rassemblement.

Tout cela pour les yeux d'Azula.

Katara, son frère, Suki, Iroh… tous avaient dû abandonner la sécurité et le réconfort de leur foyer pour assurer une paix que Zuko ne tentait même plus de maintenir.

Il lui semblait presque entendre les pensées qui devaient bouillonner dans l'esprit de son frère qui attendait sa décision, prêt à intervenir si Zuko exprimait sa désapprobation avec trop de virulence.

Oui. Ce serait plus simple de laisser Azula mourir. C'était indéniable.

Elle posa à nouveau les yeux sur la princesse. Cela paraissait incroyable que le destin du monde reposât sur le sort d'une seule personne. Même proche de la mort, sa beauté insolente semblait les narguer. Et en même temps, elle paraissait si fragile, si vulnérable à reposer là dans ce lit où s'enfonçait son corps qui paraissait se ratatiner, se recroqueviller sur place.

A cet instant, sans prévenir, un souvenir vieux de presque cinq ans frappa Katara.

Un silence pesant régnait dans l'antichambre où elle se tenait avec Zuko, attendant qu'on leur ouvre la porte blindée qui les séparait de la cellule capitonnée d'Azula. La petite pièce carrée sentait la maladie et le camphre. Le chagrin, l'angoisse et la culpabilité transpiraient sur les murs et s'infiltraient à travers les interstices, les enveloppant tous les deux dans une atmosphère épaisse, presque irrespirable.

Son ami lui avait demandé de l'accompagner à l'asile le matin-même. Les derniers rapports qui lui étaient parvenus n'étaient pas optimistes.

D'après le docteur Tanaka et Taïma, l'état psychologique de la princesse empirait.

Il s'était passé trois mois depuis que Zuko avait découvert l'effroyable châtiment que le docteur Huan-Li avait imposé à Azula. Elle ne s'était toujours pas remise de ces semaines passées dans le noir, ni de la scène qui avait suivi dans la chambre à son réveil.

Katara y repensait chaque fois avec un frisson désagréable. Quelque chose dans la manière dont Zuko s'était mis à secouer Azula l'avait un instant pétrifiée et elle avait cru voir l'ombre d'Ozai passer dans les yeux d'or de son ami.

Depuis, Zuko se débattait comme il le pouvait avec sa culpabilité. Il n'était retourné visiter sa sœur que deux fois depuis l'incident et chaque fois, ses visites avaient été écourtées par de violentes crises de nerfs qui jetaient Azula sur le sol, la muaient en une furie incontrôlable ou qui se traduisaient par des accès de panique tels que les infirmiers avaient été contraints de l'endormir à l'aide d'une seringue qu'ils avaient toujours dans leur poche.

Le dernier rapport avait poussé Zuko à prendre le premier vol pour l'Île de Braise qui quittait la Caldera à l'aube. Il était venu frapper chez Katara qui séjournait au palais avec Aang pour lui demander de l'accompagner.

Sur le chemin, il lui expliqua la situation : Azula avait cessé de se nourrir. Elle avait commencé à se scarifier et ses médecins l'avaient découverte, allongée, presque inanimée sur son petit lit blanc, deux longs filets de sang coulant de ses poignets jusqu'à ses coudes.

Désireuse de soutenir son ami, Katara n'avait pas hésité une seconde et après avoir passé les premiers vêtements qu'elle avait pu trouver, elle avait suivi Zuko jusqu'à la plateforme de décollage où les attendait un dirigeable qui les emmena en une heure sur l'île de Braise.

Maintenant, ils attendaient, dans la sinistre antichambre aux murs nus, que l'infirmier – qui traînait les pieds derrière eux en faisant tinter les clés d'un énorme trousseau – les rejoigne et leur permette de voir Azula. Zuko faisait claquer sa langue d'un air impatient et quand enfin l'homme leur ouvrit la porte blindée, il le poussa du coude et entra dans la chambre, Katara sur ses talons.

Elle ne s'était pas préparée au triste spectacle qui les attendait de l'autre côté.

Azula était recroquevillée dans un coin de sa cellule, accroupie, les deux mains au-dessus de sa tête comme pour se protéger d'un coup. Katara remarqua tout de suite que ses mains étaient totalement enveloppées d'épais bandages et s'en étonna.

En face d'elle, un autre infirmier était agenouillé, son imposante silhouette leur dissimulant en partie la princesse. Un air de profonde indifférence était gravée sur ses traits rugueux. Il tenait dans sa main une assiette remplie d'une purée brunâtre, et de l'autre, il tendait une cuiller dans la direction d'Azula.

Azula tournait la tête pour éviter la cuiller et Katara sentit son cœur se contracter douloureusement dans la poitrine quand son contenu finit sur sa joue, comme un bébé qui refuse sa bouillie.

L'infirmier ne se découragea pas, ramassa une autre cuillerée de purée et dirigea l'objet vers le visage d'Azula qui, cette fois, lança l'une de ses mains gantée devant elle pour l'éloigner d'elle.

La cuiller tomba au sol, et un peu de nourriture fut projetée contre les murs matelassés et sur le revêtement gris et froid de la cellule.

L'infirmier qui tournait toujours le dos à Zuko et Katara, perdit patience. Avec un grognement, il ramassa la cuiller, s'approcha d'Azula à genoux, la saisit par les cheveux et lui engouffra la cuiller de force dans la bouche.

La jeune fille recracha aussitôt son contenu en laissant échapper une exclamation de rage. L'infirmier en poussa une de colère et leva une de ses grosses mains au-dessus de sa tête. La princesse se ratatina instantanément sur place.

Zuko avait réagi avant que Katara ne comprenne ce qui s'était passé.

Il se rua vers l'infirmier qui faisait sans doute deux fois son poids et au moins une tête de plus, le prit par l'épaule et le força à se retourner.

Les yeux du colosse s'agrandirent de stupeur quand il reconnut le visage ravagé de son Seigneur du Feu et c'est à peine si Katara distingua les vagues excuses qu'il bredouilla. Elle entendit Zuko ordonner à l'homme de filer immédiatement en lui promettant des représailles pour les mauvais traitements qu'il infligeait à ses patients. Katara ne l'écoutait que distraitement, toute son attention focalisée sur la petite silhouette tremblante qui repoussait précipitamment avec ses pieds l'assiette et la cuiller que l'infirmier avait abandonnés près d'elle. Elle ressemblait à un enfant qui profite de l'inattention de ses parents pour jeter le contenu de son assiette au chien sous la table.

Elle n'avait même pas remarqué la présence de son frère et de sa pire ennemie. Elle s'était à nouveau réfugiée dans le coin de sa cellule et marmonnait des paroles inintelligibles. Katara crut distinguer le mot « Mère » dans ce discours insensé.

Azula porta ses mains bandées à son visage et commença à les frotter frénétiquement contre ses joues. Les yeux de Katara s'agrandirent d'étonnement et bientôt, elle comprit avec un mélange d'horreur et de pitié ce qu'elle essayait de faire. La fonction de ces gants rudimentaires lui parut alors évidente : sans eux, Azula se serait déjà lacéré le visage jusqu'au sang.

Folle de rage et de frustration, comprenant qu'elle ne parviendrait pas à se faire mal, Azula s'effondra en pleurs sur le sol, la tête entre les bras.

Katara ne savait pas du tout quoi faire. Devait-elle intervenir ?

Zuko revenait vers elles. Il avait escorté l'infirmier jusqu'à la porte menant à l'antichambre.

Il s'arrêta près de Katara et elle put sentir le chagrin et la pitié qui irradiaient de lui comme elle avait perçu sa colère quelques secondes auparavant. La température de l'air avait augmenté de quelques degrés quand ils avaient assisté à l'altercation entre Azula et le géant. Maintenant, elle sentait le froid les envelopper, comme si elle avait généré autour d'eux l'une de ses fleurs glacées, semblable à celle dans laquelle elle avait piégé Azula le jour de l'Agni Kai.

Pétrifiée, incapable de respirer, Katara regarda Zuko faire un pas en avant. Le geste était timide, mal assuré. Elle voulut prévenir son ami de rester sur ses gardes mais quand Zuko s'agenouilla devant sa sœur, la prit dans ses bras et la tint contre lui, lui murmurant des paroles inaudibles dans le creux du cou, son avertissement mourut dans sa gorge.

Après quelques instants, Zuko se redressa. Il s'assit sur le sol de la cellule, le dos contre le mur et tira Azula à lui, la faisant asseoir sur ses genoux. La princesse n'opposa aucune résistance et quand elle fut contre lui, elle nicha sa tête contre la poitrine de son frère. Des larmes coulaient sur ses joues sales et Zuko les essuya de la paume de sa main.

« Katara, donne-moi l'assiette, tu veux bien ? » demanda-t-il avec douceur.

Katara s'exécuta sans discuter. Elle se baissa, ramassa l'assiette et la cuiller et les tendit prudemment à Zuko. Puis elle recula de quelques pas, se demandant si elle devait sortir ou non.

Zuko réinstallait maladroitement Azula de façon à ce qu'elle se tienne droite tout en s'appliquant pour ne pas renverser le contenu de sa gamelle sur elle.

Quand elle fut convenablement installée, il murmura: « Voilà, c'est bien comme ça. »

Et avec des gestes infiniment doux, il plongea la cuiller dans l'assiette, la remplit de purée et l'approcha patiemment de la bouche de sa sœur qui retroussa le nez dans un geste de dégoût.

« Non, non ! Je ne veux pas ! » protesta-t-elle d'une petite voix aiguë.

Il faut que tu manges, Azula. C'est important, tu dois reprendre des forces si tu veux rentrer à la maison. »

Le dernier mot dut raviver un souvenir, un désir dans l'esprit de la princesse. Elle leva vers son frère ses beaux yeux noyés de larmes et sans ajouter un mot, entrouvrit la bouche. Zuko y introduisit la cuiller.

Il la regarda mâcher lentement, retourner la nourriture longuement dans sa bouche comme si elle était incapable d'avaler. Finalement, elle y parvint et rouvrit les lèvres pour une seconde cuillerée.

« C'est bien, Azula. Bravo, je suis fier de toi. » chuchota Zuko.

Katara contemplait cette scène, saisie d'un puissant sentiment d'étrangeté. Elle ne se rappelait pas avoir déjà vu quelque chose de plus déchirant, de plus émouvant, de plus beau que le spectacle de cet homme à peine sorti de l'adolescence, de ce roi qui s'asseyait sur le sol gris d'une cellule pour nourrir sa pire ennemie.

Elle regarda Zuko donner deux cuillers de plus à Azula qui mâchait à chaque fois avec la même lenteur, comme si elle craignait de se faire mal et avalait avec une grimace douloureuse avant d'accepter une autre bouchée.

Le frère et la sœur pleuraient tous les deux. Et Katara sentait confusément que dans leur course, leurs larmes silencieuses emportaient avec elles des choses invisibles : les trahisons, la rancœur, des blessures jamais voisées. Qu'elles lavaient leur cœur flétri par la jalousie et l'amertume. On éprouve parfois le même sentiment après la pluie, se dit Katara, comme si les trombes d'eau que déversait le ciel avaient fait table rase et que le monde était autorisé à renaître. De même, les larmes que versaient Zuko et Azula paraissaient repousser au loin tout ce qui avait jusque là empêché leur rencontre.

La suite des événements donna raison à Katara : à partir de ce jour, Azula n'essaya plus jamais de blesser Zuko.

« Katara ? »

La voix de Taïma émergea, claire et forte dans la chambre lugubre et tira Katara de ses souvenirs. Elle se retourna et constata que tout le monde la regardait, suspendu à sa décision.

Elle rougit légèrement, secoua la tête et s'éclaircit la gorge pour reprendre une contenance. Elle fit signe à Zuko d'approcher et murmura quelque chose à son oreille. Aussitôt, il se redressa et embrassa la pièce du regard :

« Sortez tous. Je ne veux personne dans la pièce, à part Taïma, Katara, mon oncle et moi. »

Katara vit Sokka froncer les sourcils derrière lui et elle lui adressa un regard implorant. Il dut comprendre car il se détendit un peu et laissa retomber la main qui caressait la garde de son sabre. Suki la prit dans la sienne et lui fit un signe de la tête, désignant la porte par laquelle Kadao sortait déjà, suivi de près par Ty Lee. Celle-ci s'était relevée d'un bond de son fauteuil et jeta à Katara un regard plein d'espoir auquel elle ne parvint pas à répondre. Mai haussa un peu les sourcils et Katara crut un instant qu'elle allait refuser de sortir. Mais avec un soupir, la Dame du Feu se redressa, la tête haute, et sortit d'un pas raide, suivie de Sokka et Suki.

« Ce serait sans doute mieux que vous sortiez aussi, avertit Katara en se tournant vers Zuko et Iroh. Si ça marche, ce ne sera pas un spectacle plaisant.

– On reste ici, trancha Zuko sans laisser à Iroh le temps de répondre. Je ne vais nulle part.

– Comme tu voudras », soupira Katara.

Elle ferma ensuite les yeux et se concentra longuement, préparant son esprit et son corps. Elle pensa à une lune pleine et éclatante. Avec une grimace dégoûtée, Katara dissipa le souvenir du visage ridé et rusé de Hama qui essayait de s'insinuer en elle. Elle pouvait presque entendre sa voix caquetante qui l'enjoignait à blesser son adversaire, à en faire sa marionnette.

Puis ce fut le visage pathétique et terrifié de l'assassin de sa mère qui la suppliait de le laisser vivre.

Katara prit une profonde inspiration. Elle avait tenu sa promesse, faite cinq ans auparavant, de ne plus jamais recourir à ce pouvoir terrifiant. Jamais elle ne l'avait utilisé dans un but thérapeutique. Cela tuerait peut-être Azula. Cela pouvait la sauver.

Comme si elle l'avait fait la veille, ses mains reproduisirent les gestes lents et gracieux que lui avait enseignés Hama. La mémoire de la maîtrise du sang était inscrite dans ses veines et avec un frisson qui ne devait rien à l'atmosphère sinistre de la pièce, Katara plaça ses mains au-dessus de la poitrine d'Azula, prête à commencer son travail.