Bonsoir à tous! Je souhaite à tous mes lecteurs francophones (aussi peu nombreux soient-ils ^^) une excellente année 2022. Et pour cela, on commence avec...le chapitre 22! Merci à mon nouveau lecteur no elf pour ses commentaires!

Dans ce chapitre, alors qu'Azula se bat entre la vie et la mort, Mai doit faire face à ses erreurs et Katara à son côté obscur.

Bonne lecture!


Chapitre 22 – Le sang et les larmes


Sitôt franchi le seuil de la porte de Taïma, Mai attrapa sans ménagement Ty Lee par le bras, et l'entraîna avec elle, sans se soucier de Sokka qui les hélait d'une voix forte pour savoir où elles allaient.

Trop bouleversée pour protester, Ty Lee se laissa mener sans résistance. Ses sanglots désespérés résonnaient entre les hautes colonnes de marbre à la grande exaspération de Mai qui ferma les yeux un instant et se mordit les lèvres pour retenir la réprimande sèche qui lui brûlait la langue.

Raffermissant sa prise, elle souleva le bord d'une tapisserie derrière laquelle un étroit corridor menait à une petite porte dérobée. Mai l'ouvrit à l'aide d'une grosse pierre rouge-sang qui ornait l'anneau qu'elle portait au majeur droit. Elle poussa Ty Lee dans une petite pièce aux murs grossièrement taillés dont la seule fonction était apparemment de permettre à ses occupants de s'échanger des informations à l'abri des regards indiscrets.

Mai s'était assurée de faire creuser plusieurs pièces similaires dans les différentes ailes du palais. Celle-ci était l'œuvre de Wu. Utiliser ses compétences de maître de la terre pour perfectionner son réseau avait été l'une de ses plus ingénieuses trouvailles. Nul autre que Mai et ses espions ne connaissait la totalité des passages et pièces secrètes que recelait le palais.

Ty Lee s'était arrêtée de sangloter. Reniflant sans vergogne, elle s'essuyait les yeux tout en examinant d'un air curieux cet étrange endroit.

« Mai, parvint-elle à balbutier entre deux reniflements, où sommes-nous ?

– Raconte-moi tout, la coupa Mai d'un ton sec, les bras croisés sur son étroite poitrine. Je veux savoir ce qui s'est passé.

– Je- je… je ne sais pas par où commencer. Je... »

Et elle fondit à nouveau en larmes. Au comble de l'exaspération, Mai tritura dans sa poche la lame de son shuriken préféré, celui qu'elle emmenait partout avec elle. Le contact réconfortant de sa pointe coupante aida Mai à retrouver son calme.

« Commence par le commencement, lui intima-t-elle d'une voix plus douce. Que fais-tu encore dans la Nation du Feu, déjà ? Zuko t'en a bannie. Et pourquoi traînais-tu aux alentours de la prison à une heure pareille ? »

Ty Lee entoura ses épaules de ses bras comme pour se protéger d'une attaque et baissa les yeux vers le sol. Mai regarda avec flegme les larmes tracer des sillons le long des joues joliment rebondies de Ty Lee et finir leur course vers le sol faiblement éclairé.

Résistant à l'envie de la secouer vertement, Mai prit une profonde inspiration et parla à nouveau du ton le plus patient qu'elle put :

« Allons, Ty Lee. Si tu sais quelque chose, tu dois me le dire. Je te couvrirai auprès de Zuko si c'est ce qui te fait peur. On trouvera une excuse pour expliquer ta présence ici alors qu'il t'a bannie.

– Ce n'est pas ça, l'interrompit Ty Lee d'une petite voix étranglée. Je me fiche de ce que Zu-Zuko peut me faire. Je… Oh ! Azula ! »

Et elle tomba à genoux en criant le nom de son amie. Mai ne put empêcher son cœur de se contracter douloureusement.

Elle savait bien que ces dernières années les avaient éloignées l'une de l'autre. La distance géographique, le statut exigeant de Dame du Feu, l'inconcevable loyauté de Ty Lee envers Azula… Mai ne comptait pas beaucoup d'amies proches. On ne pouvait pas appeler ainsi les dames de compagnie qui l'entouraient sans cesse et la suivaient comme de petits chiens où qu'elle aille. Ni Katara, Toph et Suki qui n'étaient là que quelques semaines par an, qu'elle appréciait certes, mais avec qui elle ne parvenait pas à se sentir à l'aise. Il n'y avait pas auprès d'elles cette petite étincelle, cette tranquille certitude qu'elle éprouvait quand elle voyageait en compagnie de Ty Lee et Azula autrefois.

Il semblait parfois à Mai que sa relation avec Ty Lee avait commencé à se détériorer le jour même où cette dernière l'avait sauvée de la rage meurtrière d'Azula, comme si un équilibre s'était rompu. La bonne humeur et la naïveté de Ty Lee était ce qui permettait aux deux autres de surmonter leur part obscure, leur rivalité, la méfiance naturelle qu'elles éprouvaient l'une pour l'autre. Mais sans Azula, l'exubérance et les réactions parfois puériles de Ty Lee étaient devenues franchement horripilantes au fil des années.

C'était tout Azula ! Même de loin, elle s'arrangeait pour tout salir. Et finalement, c'est elle que Ty Lee avait choisie. Sa gorge se serra tandis que la jalousie, dont Mai semblait être devenue l'hôtesse favorite, s'insinuait en elle.

Azula lui avait tout pris : son mari, sa seule amie. Bientôt, si elle survivait, elle lui volerait aussi son trône.

Cette garce manipulatrice trouverait bien le moyen de convaincre son abruti de frère de la répudier, de l'épouser elle, à sa place et d'en faire sa nouvelle Dame du Feu. Et ce, en dépit de toutes les lois. Elle aurait tôt fait de lui donner le fils qu'elle-même n'était pas parvenue à lui offrir. Les larmes aux yeux, Mai posa une main sur son ventre désespérément plat et la laissa reposer là un moment.

Ne sois pas stupide ! Tu divagues ! la sermonna dans sa tête une voix dont l'inflexion lui rappela celle de sa mère. Cela n'aidait pas vraiment.

Malgré tout, Mai s'efforça à la raison et se fit violence pour revenir au présent. A ses pieds, la pauvre Ty Lee pleurait encore, ses épaules étaient secouées de tremblements irrépressibles. Mai tomba à genoux devant elle et posa une main réconfortante sur son bras.

« Dis-moi tout Ty Lee. Ton récit peut être utile pour savoir ce qui est arrivé. Si quelqu'un a fait du mal à cette… à Azula. »

Entendre Mai appeler la princesse par son prénom sembla donner du courage à Ty Lee. Il ne lui avait sans doute pas échappé que la Dame du Feu en était arrivée à éprouver une violente répulsion rien qu'à l'idée de prononcer ce nom, comme s'il était frappé de quelque malédiction. Reconnaître un nom à cette sale petite traînée, c'était déjà lui faire un trop grand honneur.

Ty Lee se tortilla un peu sur ses genoux et s'assit finalement contre le mur. Elle essuya ses larmes, laissa échapper quelques hoquets, tira de sa poche un mouchoir en tissu rose et se moucha bruyamment. Mai attendit patiemment et recueillit finalement le récit que l'acrobate lui fit d'une voix hésitante.

Mai s'efforça de maintenir tout du long un visage impavide. Il lui fut plus difficile de camoufler son trouble quand Ty Lee parla de l'étrange silhouette aperçue le long de la paroi de la prison et qui semblait avoir inexplicablement disparu dans la roche. Si Mai tressaillit un peu à cette description, Ty Lee était trop bouleversée pour le remarquer. Les larmes et les sanglots qui ponctuaient régulièrement ses phrases rendirent sans doute son histoire un peu incohérente et difficile à suivre mais finalement, Mai décida qu'elle avait les informations qu'il lui fallait. Elle ne demanda pas à Ty Lee ce qu'elle avait l'intention de faire une fois arrivée à hauteur de la cellule d'Azula. Cela n'avait plus d'importance, plus vraiment.

Au bout d'un moment, Mai se releva, s'apprêta à sortir mais, se rappelant ses bonnes manières, elle tendit une main à Ty Lee qui la prit avec hésitation. Mai la tira vers elle pour aider son amie à se relever.

« Merci Ty. Va retrouver les autres, maintenant. Claque simplement la porte derrière-toi en partant et assure-toi que personne ne te voie sortir. Je suis sûre qu'Azula sera heureuse de te voir à son chevet quand elle se réveillera.» ajouta-t-elle. Sa voix était douce mais le ton sans doute un peu trop cassant.

Ty Lee leva vers elle deux grands yeux gris incrédules. Mai détourna les yeux et sans répondre à son amie qui lui demandait où elle allait, elle quitta promptement la petite pièce dérobée.

Elle arpenta le couloir à grands pas et ce fut seulement quand elle atteignit un coude menant à une autre aile du palais, quand elle fut certaine d'être à bonne distance d'oreilles et de regards indiscrets, qu'elle autorisa son visage à se dépouiller de son habituel masque d'impassibilité.

La colère et la peur coulèrent sur elle comme une eau glacée, l'obligeant à serrer les poings et les dents.

Qu'est-ce qui était passé par la tête de cet imbécile de Wu ? Pourquoi avait-il fait sortir Azula de sa prison ? Rien, dans la mission qu'elle lui avait confiée, n'aurait dû l'inciter à prendre un tel risque ! Mai n'était-elle donc entourée que d'incompétents ?

Trahison ! railla joyeusement une voix amusée dans sa tête. Cette fois, ce n'était pas celle de sa mère, mais celle, pleine de méchanceté et de malice d'Azula.

« Rhââ ! Tais-toi ! » cria Mai avant d'avoir pu s'en empêcher.

Elle plaqua aussitôt une main sur sa bouche. Allait-elle se mettre à répondre aux voix dans sa tête, elle aussi ? Non, la nation avait bien assez d'une princesse cinglée !

Mai ne laisserait pas cette catin entrer dans sa tête et obscurcir sa raison. Il fallait qu'elle garde la tête froide.

Elle sentit à nouveau poindre dans son cœur l'affreuse angoisse qui ne l'avait pas quittée depuis la tombée de la nuit, quand elle avait compris que Wu ne viendrait plus. Elle l'avait attendu en vain, pendant des heures, jusqu'à ce qu'elle perde patience. Là, elle avait quitté la chambre secrète où ils s'étaient donné rendez-vous près des cuisines. Elle était tombée nez-à-nez avec le Général Kadao, complètement échevelé, les yeux hagards, qui suivait à pas pressés l'un de ses soldats en bouclant la ceinture qu'il n'avait pas eu le temps de fermer quand on l'avait brusquement tiré du lit. Piquée par la curiosité et l'estomac tordu par une terreur instinctive, Mai les avait suivis jusqu'au grand hall d'entrée où régnait une terrible agitation. Là, un petit attroupement s'était formé auprès d'un homme vêtu de l'uniforme des garde-côtes qui tenait dans ses bras un corps inanimé. Ty Lee était là elle aussi. Mai se figea en la voyant et reporta son attention sur la femme que le garde-côte tenait dans ses bras.

La certitude d'avoir déclenché quelque chose qui la dépassait saisit Mai à l'instant où ses yeux argentés tombèrent sur le visage pâle d'Azula, dont la tête pendait lamentablement en arrière, une cascade de cheveux noirs et emmêlés s'écoulant vers le sol. C'était comme avoir mis le doigt dans l'engrenage d'une machine devenue incontrôlable. Zuko allait devenir fou. Son misérable désir de revanche allait-il anéantir définitivement son mariage et mettre toute la nation en péril ?

Il fallait qu'elle retrouve son imbécile d'espion avant qu'il ne fasse plus de dégâts.

Je t'en prie, comme si tu avais la moindre chance de le retrouver. C'est un ancien agent du Dai Li. Où crois-tu qu'il soit allé ? Rusé comme il est, penses-tu avoir la moindre chance de remettre la main sur lui ? À l'heure qu'il est, il doit déjà s'être réfugié dans les jupes de Lu Fang !

Cette fois Mai n'essaya pas de faire taire la voix déplaisante qui s'adressait à elle sur un ton plein d'une satisfaction insupportable. A quoi bon nier l'évidence ? Wu l'avait trompée comme il avait trompé tout le monde.

Bientôt Lu Fang saurait toute l'étendue de la perversion de la famille royale, de ses plus épouvantables secrets, des complots de Mai, de ses blessures.

Lu Fang ne manquerait occasion de semer le trouble et la zizanie dans la Nation du Feu. Tôt ou tard, les manigances de Mai parviendraient aux oreilles de Zuko.

Zuko… Était-il seulement possible que ce soit lui qui ait...

Après tout, c'est à peine si elle avait pu adresser deux mots à son mari au cours des derniers jours écoulés. Personne ne l'avait vu. Il avait eu tout le temps qu'il lui fallait pour organiser cette évasion. Cependant, à voir la réaction de Zuko tout à l'heure, Mai pouvait affirmer que si un tel plan avait jamais existé, l'échec était cuisant !

Peu importe finalement. Les deux possibilités étaient aussi effrayantes l'une que l'autre et lui coûteraient tout ce qu'elle avait.

On pouvait toujours espérer qu'Azula ne survivrait pas. Et alors tout resterait caché. On s'interrogerait quelques temps sur les circonstances de cette tragédie qui avait coûté la vie à la princesse héritière de la Nation du Feu. Puis on oublierait… Cela résoudrait bien des tensions. Zuko aurait besoin d'elle pour se consoler. Ils pourraient confier quelques temps les rênes de la Nation à Iroh, puisqu'il était de retour, et partir en voyage le temps de tout reconstruire. Étant donné la popularité et l'implication de Zuko ces dernières semaines, il n'y avait pas grand risque à laisser provisoirement le pouvoir à l'ancien Général.

Mais si Azula survivait, – bien sûr, qu'elle survivrait ! C'était Azula, non ? – quand viendrait l'heure du choix, qui ce traître qu'elle avait eu le malheur d'épouser choisirait-il ?

Mai repensa à la façon dont Zuko avait enfoui son visage dans le cou d'Azula tout à l'heure en découvrant son corps brisé. Elle ne put rien faire contre le sanglot qui franchit ses lèvres.

Elle ne pouvait pas rester une seconde de plus dans ce nid de frelons. Essayer d'arrêter Wu serait comme chercher une aiguille dans une botte de foin. Elle pensa soudain à son père, à sa mère et à Tom-Tom. Elle ne pouvait pas non plus laisser sa famille payer pour ses erreurs.

Tout le monde au palais avait les yeux rivés sur la princesse qui luttait quelque part entre la vie et la mort. L'occasion était trop belle.

Mai essuya rageusement ses larmes et se mit en marche.

Elle accéléra progressivement le pas jusqu'à atteindre sa chambre déserte. Les sentinelles se mirent au garde-à-vous en la voyant arriver. Elle les ignora superbement.

Il ne lui fallut que quelques minutes pour rassembler ses affaires. Pas trop afin qu'on ne remarque pas trop vite son absence. Ses lames préférées, quelques vêtements de voyage, une trousse de secours, une bourse d'or rangée dans un coffre fort. Elle hésita devant un portrait les représentant, Zuko et elle. Finalement, elle le retira de son cadre, le plia en quatre et le fourra dans sa poche.

Après un dernier regard vers le lit où elle s'était tant de fois donnée à lui, Mai se dirigea vers la tapisserie dissimulant le passage secret qui permettait d'accéder aux souterrains. Après une seconde d'hésitation, elle la souleva et disparut derrière.


D'abord il ne se passa rien. Puis tout le monde poussa un cri horrifié quand le corps de la princesse fut brièvement soulevé du matelas, parcouru d'un spasme épouvantable.

Zuko hurla plus fort que les autres et Iroh dut se ruer sur son neveu pour l'empêcher de se jeter sur le corps de sa sœur.

Ce dernier retrouva son immobilité et le calme revint progressivement dans la pièce. Katara était à bout de souffle, l'air stupéfait, comme si elle venait de courir une longue distance et d'atteindre la ligne d'arrivée pour s'apercevoir qu'elle avait remporté la course.

« Ça fonctionne ! » Souffla Iroh pour lui-même, émerveillé.

Le vieil homme n'avait jamais douté des aptitudes de Katara qui était sans doute l'un des plus grands maîtres de l'Eau qu'il eût connu en-dehors de Pakku. Pourtant ce qu'elle venait d'accomplir relevait de l'exploit.

Contrairement à ce que croyait Hama, la vieille folle qui prétendait avoir inventé la maîtrise du sang, ce don existait déjà depuis des siècles. Des témoignages le mentionnaient dans des textes anciens qu'Iroh avait dénichés dans les archives de Ba Sing Se et même dans le Temple des Sages où étaient conservés les vieux parchemins poussiéreux que plus personne ne lisait.

Mais jamais au cours de ses lectures, il n'avait rencontré de texte parlant d'un maître ayant montré cette aptitude en-dehors de la pleine lune.

Au cours de sa longue vie, Iroh avait vu bien des choses extraordinaires. Des hommes capables de maîtriser le feu à l'aide de la pensée, des maîtres de la terre ayant l'aptitude de transformer le sol en un tapis de lave, une petite fille de onze ans qui générait des flammes si brûlantes qu'elles en devenaient bleues...

Pendant qu'Iroh se perdait dans ses réflexions, Taïma s'était approchée d'Azula et avait collé son oreille sur sa poitrine.

« J'entends un battement, très faible. »

Zuko échappa à la prise de son oncle et approcha du lit. Avant que quiconque ait pu le retenir, il obligea Taïma à battre en retraite et posa à son tour son oreille contre le cœur d'Azula.

Iroh n'aurait su dire pourquoi ce geste, probablement naturel, lui parut si inconvenant à cet instant. Il croisa accidentellement le regard de Taïma et devina qu'elle guettait sa réaction. Iroh s'efforça de garder un visage impassible mais serra son poing dans sa poche. Sa main entra en contact avec l'affiche chiffonnée qui s'y cachait toujours et il grimaça.

Zuko relâcha sa sœur et recula vers son oncle sans la quitter des yeux. Quand il arriva à la hauteur d'Iroh, celui-ci le prit immédiatement par le bras.

« Recommence. » ordonna Zuko à Katara. Iroh n'aima pas le ton impérieux que son neveu employa pour s'adresser à son amie.

Katara leva à nouveau les bras au-dessus de sa tête, exécuta une série de mouvements circulaires lents et complexes et les abaissa d'un geste sec.

Le même sentiment d'horreur mêlé de fascination s'empara d'Iroh quand il vit la forme disloquée de sa nièce se cambrer et se tordre sous l'action du sang qui courait à nouveau dans ses veines, inondant son corps, l'animant d'une nouvelle vie, lui redonnant ses couleurs.

La scène était presque insoutenable. Une main plaquée sur la bouche, l'autre retenant le poignet de son neveu, Iroh dut lutter contre la sensation de nausée qui l'envahissait. A côté de lui, il entendit Zuko crier le nom de sa sœur, désespéré par le spectacle horrible que Katara leur imposait.

Soudain, à la grande stupeur de tous, Azula ouvrit les yeux. Ils étaient injectés de sang, ses iris couleur d'ambre semblaient presque rouges et la lueur des flammes environnantes dansaient dans ses pupilles noires comme la nuit. Comme le rescapé d'une noyade qui regagne enfin la surface, elle inspira brutalement une grande bouffée d'air. Son buste se redressa et elle se trouva quasiment en position assise. Puis son corps s'affaissa de nouveau et retomba en arrière, sa tête heurtant durement la tête de lit.

On eût dit un pantin qu'un marionnettiste sadique, lassé de son jouet, fracassait contre les murs.

« Azula ! hurla Zuko en se précipitant à nouveau vers elle pour parer sa chute. Arrête Katara ! Tu lui fais mal ! »

– N'approche-pas ! avertit Katara qui jeta un bras en arrière, tout en contrôlant Azula de l'autre.

De là où il se trouvait, Iroh pouvait presque entendre le sang d'Azula qui bouillonnait furieusement, affluant et refluant comme une mer agitée. Iroh craignit de le voir jaillir de ses veines avec la violence d'une éruption volcanique. Il imaginait le liquide épais et écarlate s'infiltrer dans les organes, les remplir, jusqu'à les faire exploser.

« Katara ! Arrête ! Tu vois bien que ça lui fait mal, maintenant ! » hurla Taïma.

Mais Katara, les sourcils froncés, le visage fermé, resta sourde à cette supplique. Le corps abîmé d'Azula convulsait à intervalles irréguliers, comme animé d'une vie qui ne lui appartenait pas. Parfois ses paupières se soulevaient et révélaient un œil écarquillé, bordé de sang, terrifié.

Une pensée horrible traversa l'esprit d'Iroh. Sa nièce ressentait-elle la douleur ? Était-elle consciente ?

Soudain, le buste d'Azula se redressa à nouveau, ses yeux s'ouvrirent pour se fixer quelque part vers le plafond. Avec un râle épouvantable, Azula porta inconsciemment une main à sa gorge et la serra autour de son cou.

Zuko se précipita sur elle et tira de toutes ses forces sur la main qui ne voulait pas lâcher prise. Il hurlait et des larmes de terreur s'échappaient en cascade de ses yeux.

Iroh assistait au spectacle, abasourdi. Il jeta un nouveau regard impuissant à Katara et son cœur manqua un battement. Une haine féroce et glaciale s'étendait sur le visage habituellement aimable de la jeune maîtresse de l'eau. Il remarqua que sa main était resserrée en poing, l'autre dirigée, paume ouverte, vers Azula. Pour la première fois depuis qu'il la connaissait, Iroh eut peur d'elle.

Taïma vint assister Zuko et ils tirèrent en même temps sur le poignet d'Azula, privée d'air, dont le visage bleuissait déjà. Mais sa main, tel un étau, refusait de lâcher prise.

Iroh décida d'intervenir. Approchant Katara, il posa doucement ses deux mains sur ses épaules.

« C'est fini maintenant. Tu peux arrêter. » murmura-t-il dans son dos d'une voix bienveillante.

Katara baissa les bras, et se tourna vers lui. Il lut la sidération dans ses grands yeux saphir avant qu'elle ne les porte sur la scène de chaos devant elle. C'était comme si elle émergeait soudain d'une transe.

Azula était à nouveau allongée sur le lit, inerte, manifestement inconsciente. La main qui avait si fermement agrippé son cou quelques secondes plus tôt reposait mollement dans celle de Zuko. Des traces violacées autour de son cou étaient venus s'ajouter aux bleus qui ornaient son visage. Taïma tenait son autre bras à la recherche de son pouls, une intense concentration imprimée sur son visage à la peau sombre.

Un silence pesant s'installa, seulement interrompu par la respiration saccadée de Katara et par le bruit des lèvres que Zuko pressait régulièrement sur le front de sa sœur.

« Reviens Azula, reviens-moi ! » soufflait-il entre deux baisers.

– Je sens quelque chose ! cria soudain Taïma. Son cœur bat à nouveau !

– Vraiment ? s'enquit Zuko sur le même ton surexcité. Et il posa à nouveau son oreille sur la poitrine d'Azula, une de ses mains reposant sur son ventre. Un sourire de soulagement illumina son visage ravagé par l'inquiétude, le chagrin et les larmes. Il couvrit le visage d'Azula de baisers et lui murmura des paroles inaudibles.

Près d'Iroh, Katara, visiblement bouleversée tournait la tête à droite et à gauche, son regard affolé semblant demander des appuis. Il prit pitié d'elle.

« On devrait sortir prendre l'air un moment. Laissons-leur un peu d'intimité», murmura-t-il d'une voix douce mais ferme.

Sans dire un mot, hébétée, Katara se laissa guider en-dehors de la pièce.

Iroh lança un dernier regard par-dessus son épaule : Taïma posait un masque relié à un spirophore sur la bouche d'Azula tandis que son neveu s'allongeait précautionneusement sur le lit et enveloppait de ses bras le corps douloureusement éprouvé de sa petite sœur.


Dès qu'elle eut quitté la pièce, Katara voulut partir. Elle voulait rejoindre Aang, tout de suite. Jamais elle n'avait eu tant besoin de lui parler qu'en cet instant.

Mais c'était sans compter sur le comité d'accueil qui les attendait derrière la porte. Sokka, Suki et Kadao voulurent tout de suite savoir si elle avait réussi à ranimer Azula.

Katara fut incapable de leur répondre et des larmes brûlantes lui montèrent aux yeux tandis qu'ils l'assaillaient de questions à voix basse.

Finalement, ce fut Iroh qui vint à son secours. Il posa deux mains réconfortantes sur ses épaules et répondit à leurs interrogations.

Oui Azula avait recommencé à respirer. Était-elle tirée d'affaire ? Impossible de le dire.

« Katara, dit Sokka en se précipitant vers sa sœur. Tu as réussi ? Tu as maîtrisé le sang en dehors de la pleine lune ?

– Je suppose », répondit-elle évasivement.

Katara ne pensait pas avoir jamais éprouvé à ce point le besoin de fuir une conversation. Ses amis ne semblèrent pas le remarquer car ils se remirent tous à parler en même temps, à lui demander de plus amples détails.

« Comment c'était ? s'enquit Sokka, les flammes des torches alignées le long du mur jetant leur reflet rougeoyant dans ses yeux. Elle a eu mal ? »

Katara perçut dans cette simple question, apparemment innocente, une note d'espoir qui fit chavirer son estomac. Et elle reconnut dans le regard avide de son frère un peu de la haine meurtrière qui l'avait animée plus tôt dans la chambre où reposait Azula.

En quête d'un secours, elle se retourna et tomba sur le visage amène d'Iroh. Le vieil homme lui adressa un sourire qui – elle ne put s'empêcher de le remarquer, – n'atteignit pas ses yeux. Pour la première fois, elle réalisa que ces derniers avaient exactement la même teinte ambrée que ceux d'Azula. Sa gorge se serra.

Iroh lui épargna encore une fois la peine de répondre :

« À l'évidence, ce n'était pas un spectacle des plus plaisants. Mais notre Katara a été extraordinaire et si Azula survit, ce sera grâce à ses efforts et à ses incroyables aptitudes. »

Le ton était aimable mais sans appel. Sokka se tut, un peu déçu et profondément frustré d'après ce que Katara pouvait voir, et il baissa les yeux vers le sol. Suki prit son bras et serra sa main autour de son poignet.

« Je pense qu'il est temps pour Katara de prendre un peu de repos. Cette séance a dû être éprouvante pour elle aussi. Non, non, Sokka, ne vous inquiétez pas, je m'occupe de la raccompagner. Vous devriez aller prendre un peu de repos, Suki et toi. Nous avons fait un long voyage et vous avez besoin de dormir un peu. » Puis, se tournant vers Kadao, étrangement silencieux depuis le début de cet échange, mais qui se redressa aussitôt, prêt à servir : « Général, auriez-vous l'obligeance d'accompagner nos amis jusqu'à leurs appartements ?

– Bien sûr, Général Iroh.

– Iroh tout court, ça suffira », le corrigea le vieil homme avec un sourire qui cette fois, plissa ses yeux. Des dizaines de petites rides se formèrent au coin de son œil et Katara se sentit soudain envahie d'une immense fatigue, comme si les années qui la séparait de l'âge d'Iroh lui retombaient soudain dessus, l'accablant du poids de la vieillesse.

Elle pensa aussi à Mabouba, qu'elle et Sokka avait laissée si faible là-bas, dans le Sud.

L'envie de tout quitter et de laisser Zuko régler seul ses problèmes l'envahit encore, mais cette fois, le chagrin et le découragement avaient remplacé la colère.

« Venez, ma chère », l'encouragea Iroh en posant sa main sur son épaule.

Katara se laissa entraîner, trop épuisée pour s'inquiéter à l'idée de la conversation inconfortable qui l'attendait.

Nul doute qu'Iroh avait compris ce qui s'était passé dans la chambre lugubre tout à l'heure, quand Azula avait commencé à s'étrangler de ses propres mains.

Katara n'avait pas prévu, n'avait pas voulu cela. Elle se rappela comme elle s'était soudain sentie emplie d'un pouvoir immense, qui la dépassait. De l'assurance que tout était possible. Elle avait su, dès l'instant où le corps désespérément inerte avait commencé à réagir, qu'elle pouvait sauver Azula. Elle savait aussi qu'un geste de trop pourrait la tuer ou causer des dégâts irréversibles dans son corps. Dans ce corps trop parfait qui faisait perdre la tête à Zuko. Katara avait compris qu'elle avait à sa disposition le plus grand des pouvoirs : celui de choisir !

Elle avait réussi ! Elle arrivait à maîtriser le sang alors que ce n'était pas la pleine lune ! Hama elle-même n'avait jamais pu accomplir un tel exploit !

L'espace d'un instant, elle avait songé à l'occasion inespérée que cette situation représentait pour la Nation du Feu. Pour le monde entier. Le spectre d'une nouvelle guerre qui planait sur eux depuis des semaines s'éloignerait enfin. Il ne resterait que Zuko et son chagrin. Était-ce un prix trop fort à payer ?

Katara résista au désir d'enfoncer ses ongles dans sa chair, comme le faisait Azula quand elle voulait se punir. Valait-elle mieux qu'Hama ? Ce qu'elle et ses amis avaient pris pour de la folie chez cette vieille sorcière, n'était-ce pas exactement la même force qui avait noirci le cœur de Katara tout à l'heure et embrumé son esprit ?

C'est la maîtrise du sang, se dit Katara. Ce pouvoir était trop puissant, trop dangereux. Quiconque s'en trouvait investi risquait de se perdre lui-même. Elle se demanda si c'est ce qu'Aang avait ressenti, du haut de ses treize ans, quand il avait retiré sa maîtrise à Ozai. Elle comprit un peu mieux alors pourquoi il s'était montré si réticent à l'idée de faire subir le même sort à Azula lorsque Zuko lui avait posé la question cinq ans auparavant après le passage de la comète. Et une nouvelle fois, quelques jours plus tôt, quand les Sages l'avaient supplié de reconsidérer la question. Aang s'était montré ferme. Katara devait s'imprégner de son exemple, montrer une volonté tout aussi farouche de refuser de faire le mal.

Ce n'était pas son rôle de décider du destin du monde. C'était le rôle de l'Avatar.

Iroh marchait devant elle et elle le suivait dans le dédale de couloirs qui la ramenait aux appartements qu'elle partageait avec son fiancé. Elle espérait de tout cœur qu'il serait là, à l'attendre. Le vieil homme restait étrangement silencieux et ils n'échangèrent pas un mot jusqu'à ce qu'ils se trouvent devant la porte de sa chambre.

Il ouvrit la bouche pour parler mais Katara le précéda :

« Merci de m'avoir raccompagnée. Je… Tenez-moi au courant si Azula…

– Bien entendu, répondit Iroh, en s'inclinant, les deux bras dissimulés dans les larges manches de sa robe olive.

– Iroh, écoutez, je…

Mais il l'interrompit.

« Reposez-vous bien Katara. Je vous propose que nous nous retrouvions demain devant un bon thé pour échanger les dernières nouvelles. Peut-être qu'Aang et cette chère Toph pourront se joindre à nous? »

Et Katara éprouva une profonde reconnaissance pour le vieil homme et sentit quelque chose fondre quelque part dans sa poitrine. Il lui laissait une chance. Il la pardonnait.

Après tout, Azula avait failli prendre son neveu à Katara. Iroh considérait-il qu'ils étaient quittes ?

Katara se demanda, sans doute pas pour la dernière fois, ce qu'Iroh ressentait vraiment pour Azula. Elle avait parfois éprouvé un certain malaise en pensant à tout ce qu'il avait fait pour son neveu pendant que sa nièce subissait l'influence de son mégalomane de père. Elle lutta un peu pour ne pas laisser le mot déplaisant – négligence – atteindre la sphère consciente de son cerveau. Et puis d'ailleurs, après ce qu'elle venait de faire, qui était-elle pour donner des leçons à qui que ce soit ?

Elle parvint à grimacer un petit sourire et entra dans sa chambre puis referma la porte derrière elle, sans regarder Iroh qui, elle le savait, resterait encore quelques secondes devant les grands panneaux métalliques, silencieux, l'esprit empli de pensées que Katara espérait ne jamais connaître.


L'aube peinait à percer l'épaisse barrière de nuages noirs qui s'étaient amoncelés au-dessus du palais au cours de la nuit. Des vents violents avaient secoué les carreaux des fenêtres toute la nuit, faisant craindre à Taïma qu'une bourrasque brise les vitres et s'engouffre dans la pièce, brisant les petits flacons en verre qu'elle avait soigneusement disposés sur la petite tablette métallique à côté du lit où reposait Azula.

De l'autre côté du lit, dans un grand fauteuil que Taïma avait insisté pour placer ici, Zuko s'était enfin endormi. Mais son sommeil était agité. La guérisseuse se demanda une nouvelle fois s'il ne serait pas judicieux de profiter de ce qu'il soit inconscient pour lui injecter un somnifère.

Il lui avait été difficile de travailler sereinement avec Zuko à côté d'elle, qui paniquait chaque fois que les constantes d'Azula montraient de nouveaux signes de faiblesse.

Taïma s'épongea le front, épuisée. La tempête au-dehors, n'avait rien fait contre la chaleur étouffante qui continuait d'accabler toute la nation sous son joug.

Plus d'une fois au cours de la nuit, ils avaient cru perdre Azula. Partagée entre l'angoisse et l'exaspération que lui inspirait Zuko, qui se levait et parcourait la pièce de long en large, lui criant des ordres incohérents, Taïma avait fait tout ce qu'elle avait pu pour la maintenir en vie.

Depuis deux heures, Azula respirait de façon régulière grâce au spirophore mais son rythme cardiaque restait irrégulier, s'emballant parfois soudainement pour se limiter à un faible battement à peine perceptible dans la minute qui suivait.

Taïma appliquait maintenant des soins qu'elle tenait du savoir ancestral des Tribus du Nord. La tête d'Azula était enveloppée d'une sphère bleue aux bords irisés qui déformait drôlement son visage déjà couvert par le masque respiratoire. Depuis quelques minutes, le sang s'était à nouveau dangereusement accumulé dans une région du crâne d'Azula, comprimant son cerveau et Taïma faisait tout ce qu'elle pouvait pour résorber l'hématome qui se formait.

Cela tenait presque du miracle qu'Azula ait pu passer la nuit.

Taïma avait dû s'occuper d'Azula tout en répondant aux sollicitations des différents visiteurs qui s'étaient succédé pour s'enquérir de la princesse ou apporter de nouvelles informations.

Ainsi Kadao était-il passé, très pâle, et leur avait annoncé, le casque sous le bras, debout devant le corps allongé d'Azula qu'il regardait tristement, que les gardes de la prison avaient trouvé un trou béant dans sa cellule. Seul un maître de la terre particulièrement doué avait pu s'infiltrer ainsi et ménager une telle ouverture dans le mur sans se faire repérer. Une escorte de ses hommes avaient suivi le tunnel qui s'arrêtait à un éboulement. L'homme ou la femme qui avait aidé Azula à s'évader avait dû le créer pour s'assurer qu'on ne les suive pas.

Zuko s'était redressé, les yeux écarquillés, les poings serrés, prêt à exploser.

« Vous pensez...vous pensez que Lu Fang…

Nous ne pouvons rien affirmer pour le moment, Sire. Mes hommes continuent l'enquête. Je reviendrai vers vous dès que j'en saurai davantage. Restez près de la princesse. Je m'occupe du reste. »

Ty Lee était revenue un moment. Un peu plus calme, elle avait pu leur expliquer, sans oser regarder Zuko qui la fixait intensément, les sourcils froncés, qu'Azula était parvenue à ralentir un peu sa chute en faisant apparaître des flammes dans ses mains ou peut-être à ses pieds. C'est ce qui avait dû la sauver. Elle leur parla aussi de la silhouette étrange qu'elle avait vu grimper le mur à toute vitesse après la chute d'Azula et cela ne fit que renforcer les présomptions de Zuko qui se leva et se mit à faire les cent pas dans la chambre.

Taïma fut contente que Zuko ne demande pas à Ty Lee par quel miracle elle s'était trouvée là ce soir. Elle imaginait aisément le combat intérieur qui devait se dérouler dans l'esprit troublé du jeune souverain.

Ty Lee n'aurait pas dû être là. Sans elle, Azula ne serait pas sortie en ville et rien de tout cela ne serait arrivé Mais sans elle, elle serait morte, brisée sur ces rochers, abandonnée aux puissantes rafales de vent et aux vagues qui s'abattaient violemment sur les rochers. Son corps aurait fini par être emporté dans la mer et nul ne l'aurait plus jamais revue, ni n'aurait su ce qui était arrivé. Zuko serait devenu fou.

Taïma se demanda si ce n'était pas déjà le cas, à en juger par les traits tirés de son visage qui faisaient ressortir la cicatrice hideuse qui le défigurait, par les cernes creusés sous ses yeux dorés, par son teint livide et son crâne hérissé d'épis indomptables.

Finalement Ty Lee était ressortie la tête basse, découragée, après avoir embrassé Azula sur le front. Taïma se demanda où elle comptait aller et s'offusqua un peu que Zuko ne lui propose pas spontanément l'asile. Peut-être Mai s'en était-elle chargée ?

Iroh était revenu. Sa présence rassurante avait un moment apaisé Zuko qui bouillonnait depuis la visite de Kadao. L'ancien général avait su le convaincre d'attendre et il était resté longtemps près de Zuko, une main sur son épaule, à regarder Azula lutter entre la vie et la mort.

La Dame du Feu n'était pas revenue. Taïma supposait que c'était trop difficile pour elle de voir Zuko se consumer de douleur et d'inquiétude pour sa rivale.

Taïma étouffa un bâillement. Après un moment, jugeant que l'hématome dans le crâne était suffisamment réduit, elle fit planer ses mains au-dessus des côtes d'Azula. Ces dernières étaient sérieusement endommagées, à la fois à cause de la chute et des multiples massages cardiaques qu'elle avait été contrainte de lui prodiguer. Si Azula devait se réveiller maintenant, la douleur serait presque intolérable pour elle. Taïma tenait à réparer au mieux ses os brisés avant qu'elle ne reprenne conscience.

Elle exécutait ces gestes presque automatiquement, avec une aisance que d'autres maîtres de l'eau lui auraient enviée. Taïma avait toujours profondément regretté que les femmes de sa Tribu ne soient pas autorisées à pratiquer la maîtise de l'Eau à d'autres fins que la médecine. Mais aujourd'hui, elle était reconnaissante d'avoir eu assez de temps pour acquérir un tel savoir.

Un grognement attira son attention vers le fauteuil où Zuko remua, en quête d'une position plus confortable. Il marmonna quelque chose et se rendormit.

Avec un pincement au cœur, Taïma contempla la partie intacte de son visage. Zuko était un très beau garçon si l'on oubliait sa cicatrice. Ses traits avaient la délicatesse et le raffinement qui sied aux rois. Azula possédait les mêmes atouts. Elle s'émerveilla une nouvelle fois de voir à quel point ils étaient semblables et cette simple observation fit remuer quelque chose dans son ventre qui lui causa un profond malaise.

Si Taïma avait encore des doutes concernant les sentiments de Zuko pour sa sœur, ces derniers s'étaient dissipés au cours de cette nuit funeste. La manière dont il s'était allongé auprès d'elle, enfouissant son visage dans le cou d'Azula, dont il laissait sa main errer sur ses épaules, son ventre, sans se soucier qu'elle effleurât sa poitrine au passage… Ces gestes pouvaient difficilement être considérés comme simplement fraternels.

À un moment au moins, Zuko surprit le regard de Taïma et elle dut être trop lente pour camoufler le dégoût qu'elle ressentait malgré elle, car il s'écarta d'Azula et descendit du lit dont le matelas émit un grincement sinistre qui sembla résonner dans l'atmosphère lugubre de la chambre.

Qu'avait-il bien pu se passer entre Zuko et Azula au cours des dernières semaines ? Que s'étaient-ils dit dans le petit cachot capitonné où le Seigneur du Feu s'était rendu pour administrer le sédatif qui devait contenir Azula assez longtemps pour organiser son transfert en prison ?

Que ferait Zuko si par miracle Azula survivait à ses blessures ? La ferait-il enfermer à nouveau ? Taïma en doutait sincèrement. Elle-même ne saurait lui conseiller une telle idée. L'incarcération n'avait faut qu'empirer l'état de la pauvre princesse.

Le maigre répit qu'elle avait pu lui apporter, quand elle était entrée dans la cellule, flanquée de deux gardes assez forts et assez courageux pour neutraliser Azula, ne semblait pas avoir amélioré les choses.

Taïma s'était arrangée pour redonner un peu de forces au corps d'Azula, affaibli par des jours de privations et d'automutilations. Les puissantes drogues qu'elle lui avait données embrumaient suffisamment son esprit sans émousser ses réflexes les plus primitifs. Azula pouvait encore ouvrir la bouche, déglutir. Elle était ainsi parvenue à la nourrir. Taïma s'était sentie envahie d'un profond dégoût pour elle-même. Elle détestait avoir recours à de pareilles méthodes avec ses patients et voir Azula nourrie à la cuiller comme une vieillarde grabataire avait été une expérience douloureuse. Taïma avait insisté pour s'en charger elle-même. Personne d'autre n'assisterait ainsi à l'ihumiliation de la princesse.

Cela n'avait pas eu que des désavantages. Au moins Taïma avait-elle pu examiner Azula et s'était étonnée de ce qu'elle avait découvert. Il y avait quelque chose avec son ventre. Elle sentait de nombreuses perturbations dans cette zone et elle se rappela la description de Zuko qui lui avait détaillé l'état dans lequel il avait trouvé Azula. La façon dont elle s'était tortillée sur le sol, hurlant de douleur. Puis au sang qu'elle crachait parfois d'après les gardes.

Devenue livide, Taïma avait demandé aux gardes qui veillaient en permanence de sortir de la salle. Après avoir échangé un regard un peu inquiet, ils s'étaient exécutés. Taïma s'en voulait un peu de procéder à un tel diagnostic sans le consentement d'Azula. La princesse dormait alors profondément.

Taïma avait terminé cet examen à la fois soulagée et plus perplexe encore.

Au moins Azula n'était-elle pas enceinte. Taïma en éprouva une profonde reconnaissance. Comment aurait-elle annoncé une telle nouvelle à Zuko ? Soit qu'il fût le père, soit que ce fût un autre homme, la nouvelle lui aurait fait perdre le peu qui lui restait de discernement.

Autre chose dérangeait Taïma. Malgré l'attitude séductrice que la princesse affichait en public, la guérisseuse ne pensait pas qu'Azula eût jamais connu d'homme. Elle ne sortait pratiquement jamais du palais, à part cette nuit là, avec Kojiro. Était-ce avec lui qu'elle avait perdu sa virginité ? Était-ce pour cela qu'elle l'avait attaqué ? L'avait-il forcée ? Ce ne pouvait pas être avant l'asile. Azula était encore une toute jeune fille à l'époque et jamais elle n'aurait pris le risque de se couvrir de déshonneur, surtout avec son père qui y veillait scrupuleusement. Alors si ce n'était pas cela… était-ce...Zuko ?

Et puis il y avait l'autre possibilité. Celle qui avait si souvent traversé l'esprit de Taïma alors qu'elle contemplait une Azula terrifiée, en pleine crise, en train de supplier quelqu'un qu'elle seule pouvait voir, à genoux sur le sol de sa cellule à l'asile.

Pardonnez-moi, pitié ! Ne le faites plus ! Ne me faites plus mal !

Cette possibilité terrifiante rendait Taïma malade chaque fois qu'elle avait effleuré son esprit… Chaque fois que ses yeux s'étaient posés sur l'étrange cicatrice qu'Azula portait à la hanche et dont elle refusait obstinément de parler, prétextant une vieille blessure obtenue au combat ou éludant tout simplement la question.

Plus d'une fois Taïma s'était demandé si elle devait parler de ses suspicions à quelqu'un. Mais elle n'en avait jamais trouvé le courage. La croirait-on ?

En tant que femme ayant grandi dans une société où la parole de ses semblables n'avait presque aucun poids, Taïma avait appris qu'il fallait parfois mieux se taire. Dans les plaines enneigées du Nord, les langues se déliaient parfois lors des soirées où les femmes se retrouvaient, quand les hommes partaient pour mener leurs expéditions dans les steppes glacées. Ils laissaient alors à la chamane, seule femme qui jouissait d'un respect et d'une autorité comparables aux leurs, le soin de diriger le village.

Quoi qu'en pensent leurs maris et leurs pères, cette dernière n'avait pas oublié qu'elle était femme elle aussi et elle fermait volontiers les yeux sur ces petites réunions qu'organisait parfois la mère de Taïma dans le salon de leur modeste maison familiale.

C'est de cette vieille femme que Taïma avait tout appris. Elle lui avait enseigné comment plier l'eau à sa volonté et en faire le plus puissant des remèdes, comment écouter les esprits qui murmuraient dans le vent du nord, comment réconforter les pauvres et les déshérités. La vieille l'avait prise sous son aile quand Taïma avait commencé à dévoiler tout son potentiel, alors que sa mère en était effrayée, craignant les ennuis qu'un tel pouvoir pourrait attirer à sa fille.

Si la vieille chamane avait éveillé chez Taïma un esprit rebelle, elle lui avait aussi appris la résignation. Certains secrets doivent rester cachés. C'est quelque chose que les femmes du Nord avaient appris, elles en avaient fait un art de vivre.

Les mentalités étaient différentes dans la Nation du Feu. Taïma avait été stupéfaite tout d'abord la première fois qu'elle avait vu une femme vêtue de l'uniforme écarlate des soldats. Ainsi, ici, les femmes pouvaient pratiquer leur maîtrise, faire la guerre, être l'égal des hommes ! Mais quelques mois passés ici et ses discussions avec les deux ou trois filles qu'elle avait fréquentées, avaient suffi à émousser ses espoirs. Cette égalité n'était qu'un mirage. Et si les femmes d'ici semblaient plus indépendantes, la tyrannie des hommes ne les épargnait pas. On voulait bien des femmes là où elles se montraient utiles. Mais pas une seule d'entre elles ne siégeait au Conseil des Sages et jamais un Seigneur du Feu de sexe féminin n'avait régné. Les femmes étaient priées de cesser toute activité militaires dès lors qu'elles se mariaient. Les autres étaient contraintes de faire un choix : épouser un homme ou une carrière militaire. La plupart choisissaient la première option. Et le long servage commençait. C'était, partout, la même histoire.

Aussi Taïma avait-elle eu peur. Peur de ce qui se passerait si elle révélait ce qu'elle devinait du passé d'Azula. La croirait-on ? Chercherait-on à la faire taire ? Taïma doutait que Zuko lui-même, aussi grand soit le mépris que lui inspirait son père, soit prêt à entendre une vérité aussi dérangeante.

Et s'il y était disposé ? Et si l'enquête qui s'en suivrait parvenait aux oreilles d'Azula, la princesse supporterait-elle d'être si brutalement confrontée à ce souvenir qu'elle essayait si désespérément d'enfouir ? Taïma craignait de connaître déjà la réponse. Alors elle se tut.

Et quand Azula commença à aller mieux grâce à son traitement et aux efforts de Zuko, quand elle recommença à sourire et à s'épanouir, la guérisseuse n'eut tout simplement pas le cœur à le faire. À quoi bon rappeler à la princesse les traumatismes qu'elle-même faisait tout pour oublier ? Quel bien cela ferait-il, cinq ans après, de déterrer des secrets que personne n'avait envie de connaître ? Et puis, ce n'étaient que des présomptions, non ?

Taïma avait donc choisi l'ignorance. Elle avait choisi la lâcheté.

Et maintenant, Azula était ici, presque morte. Et c'était peut-être un peu sa faute à elle aussi.

Taïma se rappela qu'elle avait passé les jours suivant cet examen à chercher d'où pouvaient provenir les perturbations qu'elle sentait dans les organes d'Azula. Mais elle ne trouva rien. Quand Azula parut suffisamment forte, Taïma, le cœur dans la gorge, sachant à quelles ténèbres elle condamnait la jeune femme, autorisa les gardes, de plus en plus pressants, à la ramener dans sa cellule.

Taïma se demandait, alors qu'elle contemplait le visage livide et la poitrine creuse d'Azula, dans quel état psychologique elle reprendrait conscience. Était-il judicieux de lui donner son traitement dès maintenant ? Cela n'avait pas été possible en prison, quand la princesse refusait toute nourriture. Taïma avait bien essayé de dissimuler le médicament, sous forme d'une poudre presque indétectable, dans ses aliments.

Le stock qui se trouvait dans sa pharmacie était presque épuisé et Taïma se demandait s'il valait vraiment la peine d'en préparer d'autre. Ty Lee affirmait qu'Azula prenait son traitement tous les matins, et ce, deux jours encore avant qu'elle ne rechute complètement et n'attaque la malheureuse Suki. À l'évidence, il ne fonctionnait plus. Mais c'était tout ce dont ils disposaient actuellement pour lutter contre la progression de la maladie.

Elle se dirigea donc vers un petit meuble dans la salle de bain et tira d'un tiroir une petite fiole qui contenait le liquide couleur lilas inodore qu'Azula versait chaque matin dans son thé avant le petit déjeuner. Elle s'approcha de la princesse dont la poitrine se soulevait et s'abaissait à un rythme presque satisfaisant grâce au spirophore.

Le bruit de l'appareil momentanément débranché réveilla Zuko. Il se redressa son fauteuil l'air inquiet. Taïma le rassura d'un petit sourire et d'un geste de la main et elle versa doucement le médicament dans la bouche d'Azula en prenant garde de bien tenir sa tête pour qu'elle n'avale pas de travers. Puis, à l'aide de sa maîtrise, elle guida le précieux liquide vers la gorge de la jeune femme.

Zuko la regarda travailler sans un mot et quand elle releva la tête, elle pensa lire dans son regard morne, les doutes et les inquiétudes qui l'assaillaient elle-même.

Azula survivrait-elle ? Et si oui, se réveillerait-elle un jour ? Et dans quel état?

Taïma ne pouvait supporter l'idée d'une Azula physiquement ou intellectuellement diminuée qui errerait dans le palais telle une morte-vivante, ou clouée à vie dans une chaise roulante, incapable peut-être de parler, de lire, d'écrire. Elle savait – et Zuko aussi – que c'était une éventualité que l'on ne pouvait écarter. On ne survit pas à une chute de dix mètres sans séquelles. Elle craignait que l'asphyxie ait privé son cerveau d'air trop longtemps.

Taïma avait évité toute la nuit de penser à Katara. C'était son idée d'avoir recours à la maîtrise du sang. Mais ce qu'avait fait Katara ce soir… Le spectacle du corps malmené d'Azula avait horrifié Taïma. Elle n'avait jamais vu personne faire usage de ce pouvoir auparavant. Katara devait savoir ce qu'elle faisait, non ? Et cela avait marché au-delà de toutes ses espérances.

Taïma se demandait si elle avait rêvé la haine et la détermination dans les yeux saphir de Katara quand Azula avait commencé à s'étrangler avec ses propres mains.

Elle contempla le pauvre visage livide d'Azula et remarqua un reste de sang séché sous son nez et à la bordure de son oreille. Taïma se retourna pour chercher de quoi l'essuyer sur sa petite tablette en métal mais elle exécuta ce geste avec un peu trop de vivacité et elle fut prise d'un étourdissement. Elle se rattrapa à la tablette et celle-ci bascula sous le poids de son corps. Seringues, flacons, ciseaux et linges de toilettes tombèrent sur le sol dans un fracas assourdissant.

Taïma poussa un juron sonore et en quelques secondes, Zuko fut à ses côtés, la prenant par la taille.

« Allez-vous asseoir Taïma, ordonna-t-il d'un ton ferme en la guidant vers le fauteuil qu'il venait de quitter.

– Non… je- je dois…, protesta-t-elle piteusement.

Elle se sentit soudain épuisée. Elle ne s'était assise que quelques minutes depuis qu'on lui avait amené Azula.

– Cela suffit ! trancha-t-il. Vous avez travaillé toute la nuit. Reposez-vous. Je vais demander à ce que l'on fasse installer un lit de camp pour que vous puissiez prendre un peu de peux veiller sur elle. »

Il tourna la tête vers sa sœur et une tristesse immense passa sur son visage. Ses yeux clairs s'assombrirent, prenant une teinte assez semblable à ce qu'était celle d'Azula.

Depuis le fauteuil où elle était assise, Taïma le regardait, une main soutenant sa tête qui lui paraissait terriblement lourde.

« Je vais découvrir ce qui s'est passé, Taïma, vous verrez, annonça-t-il en replaçant une couverture sur la poitrine esquintée d'Azula. Je vais traquer et débusquer ceux qui lui ont fait ça et je les exterminerai l'un après l'autre. »

Un frisson traversa la colonne vertébrale de Taïma, envoyant des décharges dans toutes les extrémités de son corps. Elle regarda Zuko se pencher sur le front de sa sœur et y déposer un baiser.

Quand il releva la tête vers elle, c'est un visage très différent de celui qu'elle connaissait qui sonda son regard.

Ses yeux dorés étaient aussi incandescents que la braise encore chaude qui rougeoie dans l'âtre. L'un d'eux se perdait dans la cicatrice plus couturée de ridules que jamais. La mâchoire anguleuse semblait plus carrée, presque taillée au couteau. Des veines saillantes palpitaient sur son cou, trahissant une colère noire et sans repos.

Le cœur de Taïma se serra dans sa poitrine et elle sut, elle sut en son for intérieur, que l'ère de paix qu'ils avaient connue venait de prendre fin.