Chapitre 23 – Sous le voile


Une agitation fébrile parcourait les cuisines du palais. On approchait du repas de midi. Des marmites remplies de potages et de sauces onctueuses bouillonnaient tranquillement sur des fourneaux. Des volailles appétissantes cuisaient paresseusement sur des rôtissoires, parfumant la grande pièce au plafond voûté de délicieux effluves prometteurs qui mirent l'eau à la bouche d'Iroh. Des commis rigolards épluchaient des fruits en se jetant parfois un morceau de peau au visage. Leur superviseur se retournait parfois et les réprimandait vertement avant de s'en aller chercher une autre caisse remplie de mangues, de goyaves juteuses et d'ananas dans la réserve.

Accompagné de Toph qui marchait tranquillement à ses côtés, les pieds nus, les mains dans le dos, les narines largement ouvertes humant toutes les odeurs que les cuisines avaient à offrir, Iroh s'avança vers la grande table centrale où la cuisinière-en-chef était assise, le nez plongé dans un carnet qu'elle remplissait de petits chiffres qu'elle rayait régulièrement et dont personne en dehors-d'elle ne devait comprendre le sens.

C'était une petite femme sans âge, sèche, au nez long et au cou décharné, très éloignée de l'image que l'on peut se faire d'une personne qui passait ses journées dans les cuisines d'un palais royal où l'on servait à chaque repas des plateaux débordant de victuailles délicieuses toutes plus raffinées les unes que les autres.

Entendant grogner son estomac, Iroh se dit qu'il aurait été plus avisé de venir à un autre moment qu'à l'heure du déjeuner. Cela aurait facilité sa concentration et il en avait bien besoin.

Lorsqu'ils eurent atteint la table et qu'ils lui firent face, la cuisinière daigna enfin lever les yeux vers eux.

« Oui, c'est pourquoi ?

– Bonjour, très chère, répondit Iroh sur un ton amène.

La petite femme rougit violemment en reconnaissant l'ancien prince de la Nation du Feu, celui qui aurait dû être son Seigneur du Feu, et elle se leva aussitôt, et rangea, toute confuse les documents qu'elle avait remplis de son écriture serrée. Elle appela aussitôt un jeune commis, un adolescent maigrichon à l'air un peu flegmatique, et lui ordonna d'apporter un plateau de son meilleur thé.

« Le Général est un amateur de bons thés. Apporte ce que nous avons de meilleur ! ordonna-t-elle sèchement.

– Oh ! Ce n'est vraiment pas nécessaire, sourit Iroh qui espérait bien dans son for intérieur, que la cuisinière ne tiendrait pas compte de ses politesses.

Le palais était réputé pour détenir une réserve secrète des thés les plus délicieux et les plus rares que l'on pût trouver dans la Nation du Feu. Iroh se dit en retenant un soupir, qu'il avait au moins réussi à enseigner quelque chose à son idiot de neveu si terriblement borné.

« Ramène des biscuits avec ! Cria Toph à l'adresse de l'adolescent qui s'éloignait d'un pas lent. Et plus vite que ça ! »

Le garçon sursauta et disparut à toute vitesse sans se retourner.

Toph ricana, tira une chaise vers elle et s'assit confortablement, les mains derrière la tête, satisfaite, face à la cuisinière, toujours debout qui les regardait d'un air inquiet.

« Que puis-je pour vous, votre Excellence ? Votre présence dans les cuisines est un honneur...inattendu.

– Appelez-moi Iroh, je vous en prie. Ce sera parfait, lui répondit-il en souriant. Installez-vous, je vous prie. Je serai un bien grossier personnage si je ne vous invitais pas à vous asseoir durant notre entretien.

La femme obéit et se rassit, le dos bien droit. Elle aboya un ou deux ordres en direction de son personnel qui s'activait près des fourneaux et attendit qu'Iroh parle.

« Comment vous appelez-vous, ma chère Madame ?

– Yume.

– Et depuis quand travaillez-vous dans les cuisines du palais ?

– Dix ans, votre… Monsieur Iroh… J'exerçais déjà sous le Seigneur du Feu Ozai. Son fils m'a gardée après son couronnement malgré la grande purge. J'ai pas trop compris pourquoi, parce que sa dame appréciait mes tartes, je crois... »

Le sourire d'Iroh s'élargit. La rudesse un peu naïve de cette femme au tempérament de feu, qui ne lui semblait pas dépourvue d'une certaine intelligence, lui plut aussitôt.

« Donc vous connaissez bien le personnel qui travaille au palais, demanda-t-il aimablement.

– Ah, ça, pour sûr ! Je connais chaque personne qui entre dans ma cuisine ! Je soumets chaque nouveau commis à un examen, et croyez-moi, ils ont intérêt à faire leurs preuves ! C'est moi qui vous l'dit ! »

Le ton de Yume avait changé, elle semblait ragaillardie, presque enthousiaste. Iroh comprit que son ses airs revêches, cette femme était du genre curieux et il sut qu'il avait frappé à la bonne porte. Il tourna la tête vers Toph qui regardait devant elle, d'un air absent, à quelques centimètres de l'endroit où se situait le visage de Yume. Il savait cependant qu'elle ne ratait pas une miette de la conversation et surveillait chaque battement du cœur de la cuisinière.

« Bien, reprit Iroh, vous pourrez donc peut-être m'aider un peu. »

Alors qu'il finissait sa phrase, le commis revint avec un plateau chargé de tasses en porcelaine, d'une théière fumante et de deux assiettes chargées de gâteaux au citron, à la cannelle et à la confiture de cerises. L'adolescent lança un regard bref et apeuré à Toph qui se redressa aussitôt sur sa chaise, l'air satisfait et s'empara immédiatement d'une poignée de biscuit qu'elle engouffra l'un après l'autre dans sa bouche.

« Parfait ! s'exclama-t-elle. Continuez sans moi ! dit-elle à l'adresse d'Iroh et de la cuisinière qui regardait avec de grands yeux remplis d'étonnement, cette jeune noble se comporter aussi grossièrement que les plus rustres de ses commis.

« Bien Yume, » reprit Iroh en servant aux deux femmes une tasse de thé fumant avant de remplir la sienne à raz-bord et se s'emparer discrètement d'un biscuit à la cannelle. « Vous me donnez l'air d'une femme très organisée, ajouta-t-il en désignant le carnet de comptes refermé devant la cuisinière.

– Ah, ça, M'sieur Iroh, reprit-elle. – Iroh ne put s'empêcher de sourire en remarquant comme son langage se relâchait maintenant qu'elle avait compris à qui elle avait affaire – vous pouvez l'dire. Il ne sort pas une pomme de ces cuisines sans que j'en sois informée ! – Eh toi là bas ! hurla-t-elle soudain en guise d'illustration, faisant sursauter Iroh et Toph, Que je t'y r'prenne à plonger les doigts dans la soupe ! »

« Bien, bien, dit doucement Iroh. Je pense donc ne pas me tromper en présumant que vous tenez un registre des serviteurs chargés de porter les plats aux résidents et aux hôtes du palais ?

–Sûr que vous vous trompez pas ! répondit-elle d'une voix où transparaissait une certaine fierté qui ne parvint pas totalement à dissimuler un ton un peu offensé, comme si elle s'offusquait qu'Iroh pût douter un instant de l'existence d'un tel carnet.

« Je suis pas intelligente comme ces gens qu'ont fait des études, M'sieur Iroh, mais j'ai toujours bien su compter et écrire. Et je sais observer. Qu'est-ce que vous voulez savoir ?

– Je souhaitais savoir si vous pouviez me confier le registre contenant le nom des serviteurs qui ont apporté les repas aux membres de la famille royale au cours des trois derniers mois, je vous prie.

– Bah, ça ! Pourquoi vous v'lez voir ça ?Interrogea-t-elle, les sourcils froncés.

– C'est mon affaire, répondit Iroh, un sourire aimable toujours affiché sur son visage.

Yume fronça le sourcils et émit un petit reniflement. Iroh comprit qu'il en faudrait plus pour amadouer cette femme élevée rudement. Il ne pouvait pas demander au petit personnel de le traiter comme l'un de leurs égal et gagner leur confiance en ne se montrant pas plus explicite. Et c'était une bonne occasion de tester la loyauté des gens de Zuko.

« Bien écoutez, Yume. Je ne veux répandre aucune rumeur ni créer un mouvement de panique. Puis-je compter sur votre discrétion ?

La cuisinière frémit d'excitation et elle se trémoussa un peu sur son siège, les mains jointes devant elle, dans l'attitude de quelqu'un à qui on s'apprête à offrir un cadeau.

– Bien sûr ! Pour qui vous me prenez ? Je sers la famille royale depuis plus de dix ans, je vais pas me mettre à dire des choses sur eux ! J'suis pas folle !

– Parfait. Je savais que je pouvais compter sur personne comme vous. Vous me semblez digne de confiance, Yume, alors je vais vous dire ce que je peux. Voilà, vous n'ignorez pas que notre Princesse nous est revenue gravement blessée il y a de cela dix jours...

« La p'tite ? Oh pardon, oui, la princesse Azula. Bien sûr, tout le monde ne parle plus que d'ça en cuisine. Comment qu'elle va ?

– Pas très bien malheureusement, répondit Iroh en fermant les yeux pour exprimer plus intensément un profond chagrin. Ma chère nièce se bat encore pour sa survie à l'heure où je vous parle.

– Oh, la pauvre petite. Elle est pas toujours facile mais au fond c'est pas une si mauvaise fille. C'est juste une pauvre gamine qu'a grandi sans maman et puis son père était pas un homme facile non plus. » Puis, soudain inquiète, elle ajouta : « Dites pas à son frère que j'ai dit ça ! »

– Vous pouvez parler librement avec moi, ne vous en faites pas. Je n'ignore pas que ma nièce a une façon un peu...rude de traiter le personnel du palais. Veuillez la pardonner pour sa grossièreté. Mon frère l'a élevée ainsi. Cette conversation restera entre vous, Mademoiselle Beifong ici présente, et moi. »

La cuisinière tourna la tête vers Toph qui acquiesça et elle parut un peu rassurée. Elle se détendit et écouta Iroh.

« Voilà Yume. Vous n'ignorez pas, j'en suis sûr, que la princesse a traversé quelques moments… difficiles… Et qu'elle souffre d'une maladie de l'esprit qui obscurcit parfois son jugement et sa raison.

– J'en ai vaguement entendu parler, dit nonchalamment la cuisinière en se frottant le menton.

– Je n'en doute pas… Mlle Beifong et moi-même avons quelques soupçons concernant la récente rechute de la princesse. Il est possible que quelqu'un ait pu, par inadvertance probablement, glisser dans sa nourriture une substance qui aurait pu altérer l'efficacité de son traitement.

– Quoi ? Vous pensez qu'un de nous l'a empoisonnée ? Demanda-t-elle à voix basse, visiblement atterrée et offensée. Jamais j'aurais…

– Oh, rassurez-vous, ma chère. Nous sommes certains que si cela vient de la nourriture, ce ne serait qu'un malheureux accident. Le traitement que le Docteur Taïma prescrit à la princesse est une formule très instable. Un simple ingrédient peut suffire à perturber ses effets.

– Oui, j'sais bien ! La jeune docteure a dit qu'il fallait pas mettre de pavot dans ses plats. Alors vous pensez bien qu'on y prend garde. Vous trouverez pas une graine de pavot dans mes cuisines !

– J'en suis convaincu et je vous suis très reconnaissant des précautions que vous prenez. Mais d'autres ingrédients peuvent expliquer que le traitement ne marche plus.

– Si vous voulez, reprit la petite femme, je peux vous donner le carnet de commande pour que vous voyiez tout ce qui est entré dans ma cuisine au cours du dernier trimestre. J'ai tout de noté là d'dans ! » Et elle désigna orgueilleusement le petit cahier devant elle pour plus d'emphase.

– Avec plaisir. Si vous le voulez bien, je prendrai ce carnet et le registre des serviteurs qui ont apporté les plateaux à la princesse. Ils sauront peut-être quelque chose. Pouvez-vous… ?

– Bien sûr que j'peux ! Attendez une minute ! »

Et elle quitta sa chaise précipitamment. Iroh se tourna immédiatement vers Toph qui sirotait tranquillement son thé, un sourire tranquille affiché sur son visage.

« Alors ?

– Alors cette femme est aussi honnête que cette théière ! dit-elle en désignant un point à quelques centimètres du plateau d'argent où fumait toujours la théière en porcelaine. La seule fois où j'ai perçu une vague perturbation de son rythme cardiaque, c'est quand elle a dit qu'elle avait vaguement entendu parler des problèmes de Princesse Bar… d'Azula, se reprit-elle aussitôt, soucieuse de ne pas offenser un autre membre de la famille de la princesse.

« Tu penses donc qu'elle me dit la vérité quand elle prétend s'inquiéter de l'état actuel de ma nièce ?

– Affirmatif ! Répondit Toph. Je ne sais pas si ses foutus carnets vont nous aider à trouver ce qu'on cherche mais en tout cas, je peux vous dire que si quelqu'un s'est amusé à empoisonner la princesse, ce n'est pas cette vieille carne ! »

Ils attendirent en silence que Yume revienne avec ses carnets.

« Voilà, dit-elle en lui tendant le premier de la pile. Le registre qui contient le nom de tous les serviteurs affectés au service de la princesse ces trois derniers mois. Vous pouvez r'garder. Si vous voulez les interroger, j'peux les faire venir !

– Ce ne sera pas nécessaire, Yume, merci beaucoup. Je peux m'en charger moi-même. Le mieux est que vous restiez très discrète sur toute cette affaire pour éviter les représailles. Si je puis me permettre une dernière question...

– Sûr ! s'exclama Yume sur un ton surexcité en se penchant vers lui.

Iroh sut qu'il avait piqué sa curiosité avec ces histoires d'empoisonnement et se félicita d'avoir osé pousser aussi loin ses confidences. Yume avait cette curiosité naturelle et cette vivacité d'esprit des gens du peuple qui aiment entendre les histoires sordides de leurs rois, pensa-t-il. Il se demanda jusqu'où il pourrait pousser ses questions. Les serviteurs devaient en savoir plus qu'ils ne voudraient l'avouer sur l'étrange relation qui semblait s'être tissée entre son neveu et sa nièce au cours de la dernière année. Mais ce n'était pas le moment. Au moins avait-il gagné en Yume une interlocutrice précieuse qui accepterait sans doute de coopérer sur d'autres sujets plus délicats encore.

« Je voudrais m'assurer une dernière fois que vous soyez sûre de bien connaître tous ces serviteurs, demanda-t-il en suivant du doigt la liste des noms inscrit sur les pages jaunies du carnet.

– J'les connais comme si c'étaient mes gosses, M'sieur Iroh. Jamais j'irais confier une tâche aussi importante à quelqu'un en qui j'ai pas confiance! Les seuls que j'autorise à monter, c'est ceux qui savent lire et qu'ont r'çu une éducation !

Iroh retint un soupir. Il ne pouvait pas dire qu'il fût vraiment surpris. Il avait souvent, au cours de ses voyages, rencontré des gens modestes qui érigeaient l'instruction et les bonnes manières des gens riches en valeurs suprêmes. Pour des gens comme Yume, le fait de savoir lire et écrire était presque une garantie d'intégrité morale. C'était probablement naturel, pour un esprit simple comme le sien. La petite instruction qu'elle avait reçue l'avait menée à la direction des cuisines du palais royal, quand ses semblables analphabètes devaient se contenter du poste de commis et de tâches plus ingrates.

Il savait qu'Ozai accordait la même valeur à l'intelligence, du moins à celle qui se voit. Pour son frère si imbu de lui-même, il était impensable qu'une personne manquant d'instruction pût constituer la moindre menace à son pouvoir. C'est pourquoi il s'était entouré de personnes issues de milieux modestes pour son petit personnel. Mais n'avait-ce pas toujours été l'erreur d'Ozai ? Iroh était convaincu que ce mépris des petits expliquait qu'il rôtissait en prison quand Iroh vivait une vie modeste et heureuse dans son salon de thé. Que sa fille, si douée, si ingénieuse, ait perdu la raison en essayant de lui plaire qu'elle ne soit plus que l'ombre d'elle-même quand Zuko, ce bon à rien, régnait sur la Nation du Feu.

Iroh se rendit soudain compte que Yume et Toph avaient toutes deux tourné la tête vers lui, attendant sa réponse. Il avait encore une fois laissé vagabonder son esprit.

– Hum… toussota-t-il, pardonnez-moi. Donc Yume, je disais : êtes-vous absolument certaine que ceux et celles qui apportent les plateaux à la princesse n'ont pas pu être dupés… que leur attention n'ait pas pu être détournée, juste un moment ?

– Bah ça, j'sais pas. Mais ils ont pour consigne d'aller droit à la pièce où la princesse et le Seigneur du Feu vont prendre leur repas. Et ils doivent parler à personne au passage. C'est une règle décidée par le Seigneur du Feu lui-même quand il a dû faire face à des tentatives d'assassinat au début de son règne.

– Oui, je me souviens, acquiesça Iroh qui se rappelait avoir soufflé l'idée à Zuko après qu'ils eurent découvert la présence de cyanure dans une tasse de thé destinée au Seigneur du Feu.

Fort heureusement, Zuko avait mis fin à la pratique barbare qui consistait à faire goûter ses plats à un innocent et personne n'avait été blessé. C'est Taïma qui avait immédiatement repéré la présence du poison mortel alors que Zuko s'apprêtait à partager une tasse avec elle un jour qu'elle était venue lui faire un compte-rendu des faibles progrès d'Azula à l'asile. Cela avait dû aider aussi. La gorge trop serrée pour avaler quoi que ce soit, Zuko avait heureusement négligé sa propre tasse.

« Tout ce qui entre et qui sort des cuisines est strictement contrôlé. Et c'est moi qui m'en charge personnellement, ajouta orgueilleusement Yume en levant devant elle un autre petit carnet qu'elle secoua sous son nez pour plus d'emphase.

– Très bien, dit finalement Iroh avec douceur en s'emparant du carnet. Je vous remercie infiniment des informations que vous m'avez données. Si vous ne pouvez pas m'aider davantage, je ne vous retiendrai pas. Mademoiselle Beifong, voulez-vous bien... ?

– Ouais ! répondit Toph en se levant et en emplissant ses poches de biscuits au citron. Merci pour le thé ! lança-t-elle à Yume qui la regardait faire sans ciller, le visage tendu.

Iroh se leva, s'inclina respectueusement devant la cuisinière et allait se retourner quand elle le rappela.

– Attendez ! »

Il leva les yeux vers elle, une expression de curiosité polie affichée sur son visage ridé et attendit :

« Maintenant que vous l'dites, commença la femme, les sourcils froncés dans une expression d'intense concentration. Il y avait bien ce type un peu bizarre…

– Ce type ?

– Oui, un garçon étrange, un peu taiseux mais poli. Avec ses yeux bizarres. Il m'a été recommandé par la Dame du Feu elle-même. Oh ça pour sûr, il travaillait bien. Mais j'ai jamais été très à l'aise avec lui. Enfin, je sais pas si ça vous intéresse...»

Quelque chose remua dans la poitrine d'Iroh. Un sentiment désagréable.

« Il n'a donc pas passé votre test ?

– Ben non ! rétorqua-t-elle sur un ton qui disait assez bien à quel point la question d'Iroh lui paraissait saugrenue. Puisque c'est la Dame du Feu elle-même qui me l'a recommandé ! »

Iroh échangea un regard avec Toph qui acquiesça dans sa direction. Il se dit qu'elle devait sentir chaque variation de son ryhtme cardiaque et il se demanda si elle pensait la même chose que lui.

Iroh se rassit et posa la main sur l'anse de la théière en porcelaine.

« Ma chère Yume, vous prendrez bien encore une tasse de thé ? », proposa-t-il.


Zuko leva les yeux, momentanément distrait de sa lecture, quand Azula gémit dans son sommeil. Posant sur le chevet le registre des gardes que Kadao lui avait apporté le matin-même, il se redressa aussitôt de son fauteuil et se précipita au chevet de sa sœur.

Des larmes s'écoulaient de ses yeux et ses lèvres se tordaient dans un rictus de douleur. Un sanglot unique les traversa et elle sombra à nouveau dans le silence et l'immobilité.

Elle n'avait même pas ouvert les yeux. Ses beaux yeux d'ambre dont il était privé depuis si longtemps.

Zuko n'était pas surpris. Depuis deux jours, il arrivait qu'Azula gémisse ou se tortille dans son sommeil profond, manifestant son inconfort ou sa douleur.

Cela faisait dix jours maintenant. Les trois premiers jours avaient été éprouvants, à tous points de vue. L'état d'Azula était terriblement instable et plus d'une fois ils avaient cru la perdre. Heureusement, il n'y avait pas eu besoin de recourir à la maîtrise du sang une deuxième fois. Zuko ne pensait pas pouvoir supporter ce spectacle épouvantable une deuxième fois. Taïma avait toujours pu la ramener.

La pauvre guérisseuse tombait de fatigue. Katara était revenue aussi procurer des soins à Azula et aider à réparer ses os brisés. Zuko n'admettait personne d'autre que ses amis proches auprès de sa sœur. Il avait refusé à maintes reprises les services des meilleurs médecins de la Caldera. Il savait qu'il faisait peser trop de responsabilités sur les seules épaules de Taïma et de Katara mais il n'était prêt à prendre aucun risque. Encore moins depuis qu'ils détenaient la preuve qu'on avait empoisonné sa petite sœur.

Zuko ne pourrait jamais assez montrer sa reconnaissance envers Toph. Sans elle et sa maîtrise du métal unique, personne n'aurait jamais su et l'état d'Azula aurait continué de se dégrader. C'était arrivé, presque par hasard, lors d'une simple visite.

Taïma était en train de remplir une seringue du sérum couleur lilas qu'Azula avait l'habitude de prendre chaque jour pour traiter sa maladie. Soudain, la jeune aveugle s'était étonnée à voix haute :

« Est-ce que c'est fréquent d'utiliser des métaux pour confectionner des médicaments ?

Taïma s'était figée net, tenant la seringue en l'air. De quoi parlait-elle ? Bien sûr que non ! Taïma ne travaillait qu'avec des herbes et des plantes.

« Pourtant, je vous assure que ce truc contient du métal ! Et il n'y en a pas que là ! »

Zuko et Taïma étaient restés interdits, les yeux grand ouverts, en regardant Toph extraire de la fiole qui contenait le traitement, une substance semi-liquide qui tournoya au-dessus de sa main et forma une petite bille argentée qui se solidifia en quelques secondes.

De l'arsenic. Et le corps d'Azula en était envahi. C'était presque un miracle qu'elle ait survécu si longtemps avec un tel poison dans son organisme.

Cela durait probablement depuis des semaines, peut-être des mois. Et personne n'avait rien vu. Taïma ne cessait de se reprocher son aveuglement.

Zuko avait essayé de la réconforter. Lui-même n'avait rien vu. Azula mourait à petit feu sous leurs yeux, et ils n'avaient rien vu !

Zuko alla mouiller un linge dans la salle de bain et le posa délicatement sur le front d'Azula qu'il épongea avec douceur. Il s'en servit ensuite pour essuyer les larmes qui avaient coulé sur ses joues.

L'arsenic expliquait les crampes et le sang dont leur avaient parlé Ty Lee et les gardes de la prison.

Le poison, une substance toxique à action lente, particulièrement vicieuse, avait presque détruit son foie, et causé d'importants dégâts dans son estomac et – Zuko avait violemment rougi quand Taïma l'avait évoqué – ses organes reproducteurs.

Horrifiée, Taïma en avait retrouvé des traces dans chacune des fioles qui contenaient le traitement d'Azula, celles-là mêmes qu'elle rangeait si consciencieusement dans sa pharmacopée.

On avait vidé tous les stocks. On fit analyser chaque substance, chaque produit que la princesse avait pu utiliser. On retrouva le poison dans les bouteilles de vin cachées dans son coffre, dans les huiles parfumées et les crèmes qu'Azula appliquait sur sa peau et, Zuko en fut terrifié, sur l'un de ses bâtonnets de rouge à lèvres.

On brûla tout.

Sur le conseil de Taïma, Zuko fit venir au palais une herboriste de renom pour examiner avec Taïma un échantillon du traitement d'Azula que la guérisseuse avait eu le bon sens de conserver. Comme il avait pâli en reconnaissant la femme qui entra dans la chambre, précédée de deux gardes en armure écarlate ! C'était la femme que Mai consultait pour leurs problèmes de fertilité.

Les pièces du puzzle s'assemblèrent dans sa tête et il lui fallut sortir de la chambre d'Azula pour ne pas tout détruire dans sa rage.

Zuko essora au-dessus d'une bassine le tissu imbibé d'eau qu'il venait d'utiliser pour tamponner les joues de sa sœur et posa une main sur son front.

La fièvre était retombée depuis que Toph avait retiré de son corps toute trace du métal mortel qui avait failli la tuer. Azula avait repris des couleurs et semblait aller mieux. Si on oubliait qu'elle n'avait pas ouvert les yeux, ni dit un mot, ni réalisé le moindre mouvement volontaire depuis dix jours.

Finalement, il n'y avait qu'une bonne nouvelle dans tout ce drame digne d'une mauvaise tragédie. L'herboriste avait été formelle.

« Ce n'est pas de l'asphodèle nocturne qui se trouve dans ce flacon, affirma-t-elle à une Taïma déboussolée qui lui montrait une à une les herbes entrant dans la composition du traitement d'Azula.

Zuko avait oublié le nom de la plante qu'une main criminelle avait substituée au précieux ingrédient qui, depuis plus d'un an, offrait à Azula une vie normale. Inutile de s'encombrer l'esprit de mots savants qu'il ne retiendrait pas. Le plus important, c'était que l'herbe que l'on avait substituée à l'asphodèle nocturne lui ressemblait en tout point. Son aspect, son odeur étaient identiques. La seule différence était l'inefficacité absolue de cette plante dans le traitement de la maladie de sa petite sœur.

« Alors elle va redevenir normale ? Le traitement marche toujours ? » demanda Zuko, incapable de contrôler la vive émotion que sa voix trahissait.

Sa violente rechute est probablement due au sevrage brutal qu'on lui a imposé. Le corps réagit mal à l'arrêt soudain d'un traitement aussi lourd. Correctement préparé et administré, il n'y a pas de raison pour que le médicament ne fasse plus effet. »

La réponse de Taïma avait fait renaître l'espoir dans le cœur dévasté de Zuko, dissipant presque l'horrible sentiment de trahison qui ne le quittait plus depuis qu'il avait compris l'implication de Mai dans cette affaire sordide.

Taïma avait détruit tout son stock et s'était aussitôt remise au travail. Elle passait des heures dans son laboratoire à concocter des réserves. Kadao veillait à ce que la pièce soit rigoureusement gardée, à toute heure de la nuit et de la journée.

À l'heure qu'il était, l'herboriste avait déjà découvert sa cellule dans la prison de la Capitale, le temps pour Zuko d'éclaircir son rôle dans ce complot. La vieille femme avait beau clamer son ignorance et affirmer ne pas détenir un seul gramme d'arsenic, elle ne reverrait pas la lumière du jour tant que son laboratoire n'aurait pas été consciencieusement fouillé et ses possessions brûlées par précaution. Ni tant que l'on n'aurait pas clairement établi son innocence.

Zuko s'était abstenu d'en parler à Iroh. Taïma elle-même ignorait ce qui s'était passé une fois que la vieille soigneuse avait passé la porte du palais pour regagner son laboratoire.

Penché au-dessus du lit d'Azula, Zuko se demanda amèrement s'ils ne perdaient pas tous leur temps.

Elle n'avait pas repris connaissance une seule fois et Zuko commençait à désespérer qu'elle sorte un jour de cet état végétatif. D'un commun accord, Taïma et lui avaient décidé de diminuer la dose de sédatifs pour voir si cela aurait un effet. Très vite, le corps d'Azula montra des signes si manifestes de souffrance qu'ils reprirent aussitôt la médication. Dans le même temps, Taïma lui administrait son traitement dans l'espoir que, quand elle se réveillerait, elle aurait retrouvé ses esprits.

Elle avait repris des couleurs et son cœur conservait un rythme constant. Il semblait que ses jours ne soient plus immédiatement en danger. Pourtant, malgré la sonde que lui avait posée Taïma pour continuer de la nourrir et de l'hydrater, Azula maigrissait à vue d'œil et ses lèvres étaient tristement sèches.

La voir ainsi, alitée, si terriblement diminuée, incapable de se nourrir, de se laver seule… C'était insoutenable et il lui arrivait de se demander, quand il pataugeait dans les brumes d'un sommeil peu réparateur, si Azula n'aurait pas préféré qu'on la laisse partir.

Zuko se reprit. Il devait garder espoir. Il n'avait plus qu'elle. Et Oncle Iroh.

C'était plus qu'une impression, c'était un fait depuis que Mai était partie. Il songea avec une pointe de culpabilité à la nouvelle que lui avait apportée Kadao, une semaine plus tôt, au petit matin.

« Sire, je suis désolé de vous déranger en un tel moment mais c'est une urgence.

...

Ce sont ses dames de compagnie qui m'ont alerté. On ne l'a pas vue depuis deux jours entiers.

La maison de ses parents est vide. Il semble que l'ancien Gouverneur Ukano et sa famille soient partis précipitamment. Les domestiques n'ont rien pu dire.

Zuko s'assit sur le lit à côté d'Azula et se mit à caresser son bras valide d'un air absent, espérant qu'elle pouvait le sentir.

Il ne savait pas ce qu'il ressentait au sujet de Mai. Sa trahison et sa responsabilité dans ce qui était arrivé à Azula lui semblaient si flagrantes maintenant, qu'il ne parvenait pas à vraiment s'en vouloir de la façon dont il l'avait négligée, ni à se sentir vraiment chagriné par son départ brutal.

Il savait qu'on ne l'avait pas enlevée, bien que ce fussent les premières craintes de Kadao. Quand il était entré dans leur chambre, il avait immédiatement ouvert le coffre dans lequel elle rangeait sa collection de lames, de couteaux et de fléchettes. Il manquait ses préférées. Un ennemi ne l'aurait pas laissée emmener avec elle ses armes les plus tranchantes et les plus meurtrières.

Pas de mot sur le lit, pas d'excuse, pas d'explication.

Rien.

Les Sages s'étaient affolés de cette disparition et Zuko avait dû user de toute son autorité pour s'acheter leur silence. L'intervention d'Iroh avait aidé aussi. De manière générale, la présence de son oncle avait le don d'apaiser les gens autour de lui. Les Sages ne faisaient pas exception. Il se demanda en voyant Iroh parler avec les anciens, si ces derniers ne souhaitaient pas secrètement voir l'ancien prince héritier s'asseoir sur le Trône à la place de son neveu irréfléchi et borné.

Ils étaient finalement arrivés à un accord. Leurs ennemis ne devaient pas savoir que la Dame du Feu avait quitté le palais. Toute information qui pourrait fragiliser l'image de Zuko devait rester secrète, autant que possible. Les serviteurs, les domestiques et les courtisans qui la fréquentaient furent priés de se taire. Zuko n'aimait pas beaucoup avoir recours à l'intimidation. Ces méthodes ressemblaient davantage à Azula.

Il regarda son visage. Ses yeux clos, ses lèvres sèches, dépourvues de maquillage, ses joues un peu plus creuses que d'habitude. « Que me conseillerais-tu ? chuchota-t-il en poursuivant ses caresses.

Zuko n'avait pas parlé aux Sages de ses présomptions. Du sentiment de malaise grandissant qui le rongeait quand il imaginait Mai aux côté de Lu Fang, complotant peut-être dans son dos pour achever Azula. Il était plus simple de les laisser croire à une querelle amoureuse.

Les mensonges les plus simples sont les meilleurs, lui avait dit Iroh dans l'antichambre du Conseil. Plus un mensonge est élaboré, plus il est difficile de le tenir.

Qu'en aurait pensé Azula, l'experte de la dissimulation et de la tromperie ? N'était-ce justement pas cela, tous ces artifices, ces jeux de dupes, ce besoin de maintenir les apparences, qui avaient conduit sa sœur au bord de la folie ? Quand le masque était tombé, quand le vernis s'était fissuré, Azula avait perdu sa faculté à contrôler ses émotions. Le même destin attendait-il Zuko ? Combien de temps encore continuerait-il de se mentir ?

Ne m'oblige pas à faire un choix, l'avait-il avertie ce soir-là quand il était venue la voir dans ses appartements.

Alors qu'il contemplait le visage pâle de sa sœur endormie, Zuko sut qu'il s'était bercé d'illusions tout ce temps. Il y avait toujours eu, au fond de lui, cette part d'ombre qui voulait plaire à Azula. C'est elle qui s'était exprimée quand il l'avait rejointe à Ba Sing Se. Il en avait toujours été ainsi. Zuko savait aussi que cette partie cachée de son âme coïncidait avec ce qu'il y avait de pire en lui.

Ses propres désirs, son incapacité à résister à ses charmes, avaient failli la tuer.

Zuko tourna la tête à droite et à gauche, comme pour s'assurer qu'ils étaient vraiment seuls. Puis il se pencha sur le visage de sa sœur et pressa sa bouche contre la sienne. Il l'embrassa plusieurs fois, caressant du bout des siennes les lèvres passives et muettes d'Azula. C'était comme embrasser une morte.

Qu'espérait-il ? Qu'elle s'éveillerait comme la princesse des contes que leur lisait leur mère autrefois ? Il se rappela comme Azula grimaçait de dégoût quand arrivait la scène du baiser. Lui-même était contraint de faire semblant de trouver cela dégoûtant pour qu'elle ne se moque pas de lui.

Zuko se redressa et fouilla dans sa poche. Il en extirpa le bout de parchemin chiffonné sur lequel reposait la supplique devenue presque illisible d'Azula, écrite des années auparavant.

Reviens.

Il plaça le morceau de papier entre les doigts recroquevillés de sa sœur qu'il replia en poing. Puis il couvrit la main glacée de sa sœur avec la sienne.

« Je suis revenu, Azula. Je suis là. Maintenant, c'est à toi de me revenir. »

Il s'assit près d'elle. Le matelas s'affaissa sous son poids. Zuko se pencha vers elle et embrassa encore ses lèvres deux ou trois fois. Il nicha ensuite son visage dans le creux du cou d'Azula, inspirant bien fort pour essayer de capturer un peu de son odeur et expirant son souffle brûlant dans sa nuque, comme pour réchauffer le pauvre corps à moitié froid.

Zuko repensa alors à leurs étreintes sur ce même lit, quand il lui avait mordu le cou avant de la hisser sur ses genoux pour enfouir son visage entre ses seins et il sentit, malgré lui, une vague d'excitation l'envahir.

Personne n'a besoin de savoir.

Sa main vagabonde se posa autour de la taille d'Azula et se faufila sous sa robe. Un long frisson parcourut tout son corps quand sa main brûlante entra en contact avec la peau glacée de sa sœur.

« Azula » expira-t-il dans un murmure tremblant en pressant ses lèvres à la base de sa nuque.

Un vacarme métallique le fit sursauter violemment et il arracha son visage de la nuque de sa sœur. Le sang lui monta immédiatement aux joues et il se releva très vite pour mettre entre lui et Azula une distance respectable.

Taïma entra dans la pièce et se figea un moment, un peu étonnée de trouver le Seigneur du Feu debout, les bras ballants à bonne distance du lit d'Azula, le visage fort rouge.

« Tout va bien, Zuko ?

– Oui, très bien. Elle… elle a recommencé à pleurer dans son sommeil. »

La suspicion qui avait momentanément envahi le visage aux traits délicats de la guérisseuse sembla s'évanouir et un air triste passa dans ses yeux bleus et brillants.

« Je sais que c'est pénible à voir, Zuko. Mais c'est sans doute une bonne chose. On peut espérer qu'elle reprenne peu à peu conscience. Je vais lui redonner ses anti-douleur. Vous devriez aller prendre un peu l'air. Je prends le relais.

– D'accord », répondit-il docilement, comprenant qu'il était inutile de discuter. De plus, il tenait à mettre le plus de distance possible entre lui et Taïma.

Il quitta la pièce d'un pas rapide mais un peu gauche.

Où aller ensuite ?

Il pourrait aller retrouver Iroh et ses amis. Mais il se rappela, le coeur un peu serré, que la moitié d'entre eux refusait encore de lui parler, à moins que ce ne fût absolument nécessaire. Quand elle venait soigner Azula, Katara et lui échangeaient à peine quelques mots. Il savait qu'elle n'avait pas oublié ce qui s'était passé dans les cachots, ni ce qu'avait fait Azula sur le terrain d'entraînement.

Sokka et Suki n'étaient pas venus une seule fois et il se demandait bien pourquoi ils étaient encore là.

Aang et Ty Lee venaient parfois rendre visite à la princesse et ils restaient simplement là, en silence. Zuko avait remarqué qu'Aang évitait de regarder vers le lit où elle reposait, comme s'il avait craint de se brûler les yeux. Ty Lee, elle, restait près d'elle, passait parfois une main dans ses cheveux ou prenait sa main dans la sienne. Elle avait même insisté pour aider Taïma et les servantes à toiletter Azula et chaque matin, elle venait peigner ses épais cheveux ou vernir ses ongles.

Elle n'aimerait pas se sentir négligée, avait-elle expliqué à un Zuko médusé qui la regardait appliquer un vernis rose brillant sur les ongles de sa sœur.

Il ne lui avait toujours pas demandé comment elle s'était trouvée là le soir de l'accident. Il n'en avait plus vraiment envie. Il n'arrivait pas à en vouloir à Ty Lee. Elle avait sauvé Azula. Il avait une dette éternelle envers elle. Lui épargner un interrogatoire inconfortable était pour lui une façon de commencer à la rembourser.

Il aurait aimé rejoindre son oncle, mais il ignorait où le trouver. Zuko savait qu'il menait son enquête avec Toph et que leurs investigations les conduisaient fréquemment dans des parties du palais qu'il n'était pas habitué à fréquenter, voire – Zuko le devinait – dans les rues de la Capitale. Zuko imaginait fort bien Oncle Iroh proposant un verre à quelque garde bavard en permission dans une taverne bruyante de la ville. L'idée d'emmener Toph avec lui avait paru brillante à Zuko. Ce détecteur de mensonge vivant pouvait leur apporter une aide très précieuse. À condition bien sûr qu'elle eût vraiment à cœur de l'aider. Après ce qui s'était passé dans les cachots, après ce qu'elle lui avait dit, il n'en était plus très sûr.

Parfois Zuko se demandait ce qui se serait passé s'il n'avait pas envoyé Azula en prison. Elle serait sans doute déjà morte, proie facile laissée à la merci de ses assassins.

Mai…

Zuko n'avait toujours pas décidé ce qu'il ferait si on retrouvait Mai et une part de lui, la plus lâche, espérait un peu que ce ne serait jamais le cas. Il connaissait bien sa femme. Si elle tenait à ce qu'on ne la trouve pas, c'était peine perdue. Sa famille avait disparu aussi. C'était son seul véritable point faible et elle était assez maligne pour les avoir emmenés avec elle, profitant que l'attention de tous soit fixée sur Azula.

Écoutant les conseils d'Iroh, il avait préféré attendre. Il ne lancerait pas une armée d'espions et de soldats sur les traces de sa femme, pas tant que l'enquête poursuivait son cours.

Zuko sentit son cœur se contracter dans sa poitrine en pensant à la manière dont Mai l'avait si ignominieusement trahi. Il n'arrivait pas à la détester vraiment.

Il réalisa qu'il n'avait plus du tout envie de retrouver ses amis. Il voulait être seul. Ses pas avaient déjà commencé à le mener vers le grand salon où il avait plus de chance de les retrouver. Il fit volte-face et changea de direction. À cette heure, la petite crique déserte où il aimait venir avec Azula serait magnifique. Là-bas, il pourrait penser à la douceur de ces après-midis évanouis, aux joues rosissantes de sa sœur quand ils échangeaient un regard, aux lueurs du soir qui se reflétaient sur sa couronne, à ses lèvres rubis qui s'étiraient en un sourire quand il revenait triomphant de son combat épique contre la mer déchaînée et s'allongeait près d'elle sur le sable blanc.

Là-bas, il pourrait plonger dans les vagues tumultueuses et nager, nager, lutter contre les rouleaux mortels, jusqu'à épuisement.


Arrivé sur la couronne de crêtes escarpées qui formaient le sommet du volcan, Aang se retourna et contempla avec ravissement l'immensité de la ville de la Caldera qui s'étendait au-dessous d'eux. Dans l'or du soir, les bâtiments semblaient étinceler et le palais royal flamboyait. Il détourna un moment les yeux du spectacle pour sourire à Katara qui le rejoignait, un peu essoufflée, une main posée sur un point de côté. Il lui tendit une main qu'elle accepta avec reconnaissance et la tira vers lui.

Elle se lova aussitôt contre la poitrine d'Aang qui passa un bras au-dessus de ses épaules et lui dit :

« Regarde comme c'est beau.

– C'est magnifique ! Répondit Katara, un grand sourire se dessinant sur ses lèvres, se yeux brillant d'émotion.

C'était si bon de la voir sourire. Aang se félicitait d'avoir eu l'idée de l'emmener avec lui contempler le paysage depuis les hauteurs de l'île. Il venait parfois ici seul ou avec Appa quand il se sentait troublé et ressentait le besoin de méditer. En constatant à quel point Katara semblait épuisée et malheureuse depuis quelques temps, il avait pensé que cela lui ferait du bien de s'évader un moment du palais et de son atmosphère toxique.

L'état d'Azula était stationnaire et Taïma et Zuko se relayaient constamment auprès d'elle. Kojiro pouvait bien attendre un peu aussi. Chaque jour, le garçon reprenait des forces. On ne l'avait pas encore autorisé à retirer ses bandages, bien qu'il en exprimât le désir.

C'est du moins ce qu'Aang, Katara et Tsuneo avaient cru comprendre. C'était difficile de saisir le sens derrière les borborygmes inarticulés qui s'échappaient parfois de la bouche à moitié brûlée du jeune homme. Aang se demandait encore comment son cœur réagirait au choc lorsqu'il découvrirait son nouveau visage dans une glace. Tsuneo devait partager sa crainte car lors de sa dernière visite, Aang avait remarqué que le Commandant avait fait retirer tous les miroirs de sa maison, avant même que Kojiro soit capable de se lever et de marcher.

« C'est vraiment très...très beau ! » répéta Katara. Et elle fondit en larmes.

Aang la prit aussitôt dans ses bras. Il ne s'était pas attendu à ce qu'elle craque si vite. Il avait même craint d'avoir à insister un peu pour la faire parler et lui révéler ce qui la tourmentait depuis tant de jours, bien qu'il en eût déjà une très bonne idée.

« Aang ! s'exclama Katara entre deux sanglots, je suis une personne horrible !

– Mais non ! Qu'est-ce que tu racontes ? Tu es la fille la plus gentille, la plus compréhensive et la plus compatissante que j'aie jamais vue ! Tu aurais pu être l'Avatar ! »

Katara rit un peu au milieu de ses larmes et poussa une exclamation incrédule.

Aang, lui, ne riait pas du tout. Au fond de lui, il savait. Il avait toujours su. Il avait toujours su, dès l'instant où Katara avait dévoilé tout son potentiel grâce à l'enseignement de Maître Pakku, que sa fiancée aurait dû être le nouvel avatar. Si lui-même n'avait pas rompu le cycle en hibernant pendant cent ans dans la glace, un nouvel avatar lui aurait succédé. Après l'air, l'eau. Si Aang avait mené sa vie à l'époque qui était la sienne, il aurait très bien pu mourir il y a vingt ans. Et le nouvel Avatar aurait cherché un nouveau corps dans lequel s'incarner. Et quel meilleur hôtesse que la dernière maîtresse de l'eau de la Tribu de l'Eau du Sud pour héberger cette âme ancestrale ? C'était son intime conviction, même s'il ne l'avait jamais partagée avec qui que ce fût.

Au moins sa confidence avait-elle eu le mérite de calmer Katara qui s'essuyait maintenant les yeux et s'efforçait de reprendre une contenance.

« Aang, il faut que je t'avoue quelque chose. À propos d'Azula. Ce soir-là, quand j'ai utilisé la maîtrise du sang pour la ranimer…

– Je sais, la coupa Aang. Iroh m'a raconté. »

Katara leva vers lui ses beaux yeux bleus agrandis par la surprise. Puis l'étonnement fut rapidement dissipé par une vague de culpabilité et de remords et ses épaules s'affaissèrent.

« Que t'a-t-il dit exactement ? »

Alors Aang lui raconta tout ce qu'il savait. Comment au bout d'un moment, le corps déjà éprouvé d'Azula avait totalement échappé à son contrôle, comment elle avait refermé ses mains en serre autour de son cou. Comment ses doigts y avaient laissé des marques violacées, comment elle avait failli s'étrangler elle-même.

« Tu savais ? demanda Katara, le visage blême. Tu savais et tu n'as rien dit… Comment fais-tu pour continuer de dormir près de moi ? Pour me regarder dans les yeux ? Quand moi je ne peux plus me voir dans un miroir ! »

Aang la serra contre lui et la laissa sangloter contre sa poitrine.

« Je n'imagine même pas ce qu'Iroh a dû penser de moi ! Et si Zuko l'apprenait, il…

– Tu n'as pas à t'en faire. Iroh m'a averti parce qu'il craignait justement que tu réagisses comme ça. Zuko n'en sait rien. Il a cru que c'était un réflexe.

– J'ai failli tuer sa nièce ! Par pur égoïsme ! Comment peut-il me pardonner ?

– Tu ne l'as pas fait égoïstement. Tu as pensé à la Nation, tu as pensé à la Paix, tu as pensé à nos amis, à tous nos efforts pour la maintenir. »

Katara s'essuya les yeux. Elle n'osait pas le regarder et Aang sentit son estomac chavirer.

Aucun d'eux n'évoqua l'autre possibilité. L'autre raison qui aurait pu pousser Katara à profiter de l'opportunité que leur donnait le destin de débarrasser le monde de la menace que représentait Azula. Imaginer une Katara vindicative était une bizarrerie et pourtant… Un vieux souvenir sembla flotter un moment dans la brise qui faisait voleter les cheveux bruns de Katara.

Aang se rappela douloureusement le visage furieux de Katara alors qu'elle s'envolait avec Zuko sur le dos d'Appa, en quête de l'homme qui avait tué sa mère.

Comme si elle avait lu dans ses pensées, Katara prit une grande inspiration et dit :

« Tu n'as pas tué Ozai, alors qu'il était sur le point de réduire tout un royaume en cendres. Tu as su rester toi-même, tu as su résister au désir de venger tout ton peuple !

– Ce n'est pas Ozai qui avait tué tout mon peuple. Si ç'avait été Sozin, je ne sais pas ce que j'aurais fait.

– Je suis sûre que tu aurais agi exactement de la même manière. Tu es...tu es tellement… »

Elle n'acheva pas sa phrase et enfouit à nouveau son visage dans son cou. Il l'entoura de ses bras et la maintint contre lui.

Peut-être était-ce le moment de parler à Katara de ce qu'il avait ressenti ce jour-là, quand il tenait Ozai à sa merci. Quand, investi de l'incroyable pouvoir que lui avait offert le Lion-Tortue, il avait failli céder à la toute puissance qui habitait son corps. Quand il avait senti les ténèbres le ronger, s'emparer de son âme. Quand la seule chose qui l'avait préservé de devenir un meurtrier était la pensée de la fille qu'il aimait, qui luttait avec lui depuis un an pour ramener la paix dans le monde.

Il n'avait jamais avoué à quiconque la vraie raison pour laquelle il avait toujours refusé d'ôter sa maîtrise à Azula, même quand les Sages l'en avaient supplié quelques semaines plus tôt. Comment avouer, quand on était l'Avatar, un moine de l'Air dont tout le monde chantait la sagesse, que l'on avait peur de céder à la tentation ? La tentation de goûter encore à cette sensation toute puissante, celle que l'on éprouvait quand on avait entre les mains le pouvoir de prendre aussi bien que celui de donner. Le pouvoir de prendre à l'autre le don que les dieux lui ont accordé ? Et celui, bien plus grisant encore, d'ôter la vie, comme on arrache la mauvaise herbe.

Ce n'était pas pour protéger Azula qu'il avait refusé. Ni pour d'obscures raisons philosophiques. La vérité était qu'il avait peur. Il craignait de ne pouvoir résister une seconde fois. Il craignait le plaisir qui naissait de la toute puissance, du fait de disposer d'une autre vie. Ozai était peut-être le pire des hommes, mais jamais il ne s'était directement attaqué à ceux qu'Aang aimait – si l'on excluait Zuko –.

Alors qu'Azula… Elle l'avait percé de ses éclairs, l'avait laissé pour mort, lui, un enfant de douze ans, sans éprouver le moindre remords. Elle avait essayé de tuer Katara. Plus récemment, Ty Lee, Suki et son bébé auraient pu succomber à ses coups. Elle était mauvaise, menteuse, manipulatrice et avide de pouvoir. Elle avait perverti l'esprit et le cœur de son frère, le meilleur ami qu'Aang eût jamais connu et le détournait de lui, chaque jour un peu plus.

Alors il ne voyait vraiment pas comment il aurait pu blâmer Katara d'avoir pensé, une seconde, que c'était possible. Surtout dans un moment où tout son pouvoir s'était révélé. Katara arrivait à maîtriser le sang, alors que ce n'était pas la pleine lune ! Jamais personne avant elle n'avait pu accomplir un tel exploit d'après ce que lui avait dit Iroh.

Aang n'avait jamais osé parler à quiconque des pensées coupables qui l'agitaient et l'empêchaient de trouver le sommeil certaines nuits. Pas même à la femme qu'il tenait maintenant dans ses bras et qui était tout l'univers. C'est le souvenir d'elle qui l'avait sauvé de ses propres pulsions ce jour-là quand il tenait la vie du roi-Phénix entre ses mains. Alors il lui devait bien cette faveur.

« Ecoute Katara, je dois te dire quelque chose... »

Katara se détacha de lui et leva vers lui ses grands yeux bleus brouillés de larmes. Sa lèvre inférieure tremblait encore et il y déposa un baiser plein de tendresse. Après une dernière hésitation, il commença son récit.

Et à mesure qu'il parlait, il se produisit quelque chose d'extraordinaire.

Le chagrin et la honte qui logeaient dans les yeux de sa fiancée s'estompèrent petit à petit. Il lui sembla qu'ils entraient en lui et devenaient siens.

Il les accueillit presque avec soulagement. Ces sentiments n'étaient pas si pénibles à porter. Bien moins que le doute et la culpabilité. Bien moins que la certitude de se mentir à soi-même. Aang repensa à l'enseignement du gourou Pathik, aux chakras, à l'énergie spirituelle qui circulait dans le corps. Et il sourit. Ce n'était pas grave d'avoir honte. Sa détermination à faire le bien l'en libérerait. Quant au chagrin, l'amour inconditionnel de Katara l'aiderait à s'en accommoder, de même que son amour pour elle lui apporterait le réconfort dont elle avait tant besoin.

La chape de plomb qui tapissait son estomac depuis bientôt cinq ans s'allégea et la main de fer qui étreignait son cœur sembla relâcher un peu son étreinte. Sa gorge se desserra également et il put parler :

« C'est bon de dire enfin la vérité. »

Katara acquiesça contre son épaule.

Comme ce jour-là au Temple de l'air Austral, alors qu'il pensait à tous ses amis tragiquement disparus, les larmes lui montèrent aux yeux. Ils pleurèrent ensemble, Katara et lui. Ce n'étaient pas seulement des larmes de chagrin. Il y avait aussi du soulagement, de la joie, et beaucoup d'amour. Au bout d'un moment, ils se regardèrent et, sans explication, leurs larmes se muèrent en rire et ils furent pris tous deux d'un fou-rire presque incontrôlable.

Il s'agenouilla à côté de Katara qui avait dû s'asseoir et qui se tenait encore le ventre. Quand elle le vit près d'elle, elle s'accrocha à son cou et plaqua sur sa bouche un baiser fougueux qu'il lui rendit avec plus de passion. Il sentit quelque chose palpiter dans le bas de son dos et dans son bas-ventre.

Sentant son désir, Katara se pressa un peu plus contre lui.

La vue était magnifique, la soirée était douce et ils étaient seuls.

Avec un sourire, Katara l'entraîna vers un coin où le sol était moins accidenté et à l'abri d'un rocher, elle dénoua sa ceinture.

La culpabilité bloque le siège du plaisir.

Ici, sur les crêtes tranchantes du volcan, à l'abri des regards, alors que le plaisir les enveloppait tous deux, Aang sentit la culpabilité le quitter, flotter un moment au-dessus de leurs corps enlacés, et s'évanouir dans le ciel du soir.


Lu Fang avançait dans le large tunnel faiblement éclairé par des torches alignées le long des parois rocheuses. Indifférent au tapage que faisaient autour de lui les maîtres de la terre chargés de l'aménagement des galeries souterraines, il progressait d'un pas sûr et conquérant.

Derrière lui, les bras croisés dans le dos, marchait un jeune homme efflanqué, au visage à moitié dissimulé par un chapeau pointu vert aux bords évasés et vêtu d'une longue tunique à col haut de la même couleur. Il avançait d'un pas tranquille qui ne faisait presque pas de bruit, comme s'il glissait au-dessus du sol terreux. Si les ouvriers devant lesquels ils passaient ne manquaient pas de remarquer Lu Fang dans son armure étincelante et interrompaient le chantier pour s'incliner respectueusement devant lui, personne ne semblait faire attention à l'être étrange qui lui emboîtait le pas.

« Je vous le demande une dernière fois, Wu. Pensez-vous sincèrement que votre plan puisse fonctionner ?

– J'en mettrai ma main à couper, Commandant. J'ai eu longtemps l'occasion de les observer et je suis certain qu'ils coopéreront. »

Lu Fang se tourna vers son agent, un air de mécontentement manifeste affiché sur son visage rude à la mâchoire carrée.

« Vous m'avez déjà déçu une fois, Wu. Vous deviez me ramener la princesse Azula vivante. Votre incompétence nous a tous mis en danger et risque de nous exposer momentanément à nos ennemis. »

L'agent du Dai Li inclina humblement le torse et se redressa rapidement avant de répondre d'une voix tranquille :

« J'ai conscience de mes erreurs et j'implore encore une fois votre pardon, votre Grandeur. J'aurais dû faire preuve de plus de prudence. Je n'étais pas préparé à devoir gérer la grande instabilité mentale de la princesse. J'aurais dû le savoir. Cependant, au risque de me répéter, je puis vous assurer qu'il est impossible qu'elle ait pu survivre à une telle chute. »

Lu Fang grommela quelque chose mais ne répondit pas. Il reprit sa marche, talonné par Wu qui avançait toujours derrière lui avec son exaspérante et tranquille assurance.

Lu Fang ne l'aimait pas. Il n'aimait aucun de ses agents du Dai Li. Si ces derniers ne s'étaient pas révélés d'aussi brillants espions et des maîtres de la terre si compétents, il les aurait volontiers tous fait exécuter. Jamais il ne leur ferait confiance. Et Wu avec son regard plein de malice, ses yeux impairs qui semblaient crier sa duplicité aux yeux du monde, était peut-être le plus dangereux de tous.

Il ne lui paraissait pas de bon augure qu'aucune nouvelle ne leur soit parvenue de la Nation du Feu depuis la désastreuse tentative d'enlèvement de la Princesse Azula. Grâce à Wu qui avait réussi à s'infiltrer au palais dans les heures qui avaient suivi, Lu Fang savait qu'on avait retrouvé le corps brisé de la princesse et que ce dernier avait été ramené au palais.

Wu avait ensuite filé vers le quartier général où il avait retrouvé Lu Fang en train de superviser le travail des ouvriers. Alors qu'ils continuaient leur progression à travers les galeries plus faiblement éclairées qui descendaient vers les profondeurs, Lu Fang s'émerveilla des progrès réalisés au cours de la dernière semaine. Le réseau de souterrains et de tunnels continuait sa formidable expansion. La nuit avant de s'endormir, Lu Fang se surprenait parfois à rire en pensant à ces imbéciles de soldats de la Nation du Feu qui ne se rendaient même pas compte de ce qui se passait juste sous leurs pieds.

Son plan d'invasion fonctionnait à merveille. Les armées de Zuko perdaient leur temps à Yu Dao où ils avaient commencé à assiéger le camp de Lu Fang dont ils surveillaient toutes les entrées. Dans leurs rangs se trouvaient même quelques maîtres de la terre, des traîtres à leur sang, chargés de repérer d'éventuels souterrains clandestins qui auraient permis aux soldats de Lu Fang de s'évader.

Mais ces derniers restaient bien sagement au camp, supportant bravement le siège sous la direction de Yao qui avait pour ordre d'attendre.

Observer et attendre.

C'était le credo de Lu Fang. Et il avait eu raison, comme toujours. Ainsi, lorsque l'opportunité s'était présentée, sous la forme d'un navire de la flotte impériale de Zuko, amarré à quelques kilomètres du port de Yu Dao, sans doute pour se réapprovisionner, Lu Fang n'avait pas hésité une seconde. Il avait agi.

Quelques pots de vins et deux ou trois gorges tranchées avaient suffi à passer le mur de soldats envoyés ici par Zuko et après seulement quelques heures de marche, Lu Fang et une escouade de ses meilleurs maîtres de la terre étaient à bord du bateau qui faisait mouillage dans la baie. Son équipage n'était manifestement pas prêt à cette attaque surprise. Ces imbéciles avaient une confiance aveugle en leurs collègues et pensaient probablement que l'armée qui encerclait le camp de Lu Fang suffirait à les protéger d'éventuelles attaques. Quelle naïveté ! Cet idiot de Zuko devait être trop occupé à baiser sa putain derrière les portes closes de son palais pour prêter attention à ce qui se passait juste sous son nez !

Lu Fang sourit en se rappelant avec quelle facilité lui et ses hommes, revêtus des uniformes et des armures des soldats de la Nation du Feu, avaient passé tous les contrôles et les postes-frontière. Laisser la vie au Capitaine du Navire avait été une brillante idée. Ce dernier s'était montré étrangement coopératif lorsqu'on lui avait demandé d'agir comme si de rien n'était et de prétendre que tous ces hommes étaient les siens. Les menaces de mort avaient aidé bien sûr. Ainsi, sans nul doute que la pensée de sa jolie fille de dix-huit ans, fraîchement engagée dans la Marine aux côtés de son père, liée à fond de cale et livrée aux appétits des hommes de Lu Fang. Quelle tête avait fait le père quand il avait découvert ce qu'il restait de l'honneur de sa fille, juste avant qu'on le jette à l'eau une fois la terre en vue ! Il en riait encore !

Maintenant, le père et la fille, trop usée pour avoir encore une quelconque valeur, reposaient au fond de la mer, à quelques kilomètres au large de l'île principale de la Nation du Feu.

Aussitôt à terre, Lu Fang et ses hommes s'étaient mis au travail. Le souterrain dont l'entrée n'était détectable que pour un maître de la terre aguerri, était long maintenant de plusieurs dizaines de kilomètres. Ils se rapprochaient chaque jour un peu plus de la Capitale. Bien sûr, leur progression aurait été beaucoup plus rapide à terre, mais s'il avait été facile de venir à bout de l'équipage d'un navire et de tromper la vigilance d'une troupe de soldats mal préparés en territoire ennemi, il ne faisait aucun doute que dans leur propre pays, les membres de l'Armée impériale de Zuko se montreraient beaucoup plus retors. Mieux valait agir de façon souterraine.

Lu Fang et Wu arrivèrent à un croisement, tirant le Commandant de ses agréables pensées alors qu'il se demandait s'il ne pourrait pas se faire préparer une chambre juste en-dessous de celle du Seigneur du Feu quand ils auraient atteint le cœur du volcan où trônait le palais royal. L'idée d'utiliser les bunker aménagés par Ozai, et abandonnés depuis l'invasion du jour du Soleil Noir, avait un moment traversé l'esprit de Lu Fang.

Ces derniers avaient constitué une aide précieuse quand il s'était agi de communiquer avec Wu au cours des dernières semaines. Mais ce plan lui paraissait risqué.

L'attentat commis sur la princesse Azula – à l'heure qu'il était, Lu Fang doutait qu'il y eût encore qui que ce soit pour croire qu'il s'agissait d'un accident – devait avoir renforcé la vigilance de la Garde Impériale et il était certain que Zuko devait avoir posté des soldats partout dans la Caldera.

Wu s'arrêta à côté de Lu Fang, attendant vraisemblablement qu'il reprenne sa route pour le suivre.

Lu Fang ne pouvait s'empêcher de se montrer profondément irrité à l'égard de son agent. Si celui-ci n'avait pas fait aussi lamentablement échouer sa mission, ils auraient toujours un homme au palais pour les informer des décisions du Seigneur du Feu.

Lorsqu'il avait appris la nouvelle de l'incarcération de la princesse, Lu Fang s'était enfermé toute la journée dans sa chambre souterraine. Azula neutralisée, il perdait son bouc-émissaire et son peuple perdait sa principale source de revendication. Lu Fang ne pouvait supporter que le soufflet retombe maintenant que la révolte était en marche. La présence de Wu au palais était son seul espoir. Il lui aurait ramené la princesse et Lu Fang aurait pu l'utiliser à la fois pour attiser la colère de son peuple et pour faire chanter Zuko. Si Azula ne remplissait pas ces offices, il avait une troisième idée pour elle. Aussi intense fût sa haine envers la princesse conquérante, il reconnaissait la beauté quand il l'avait sous les yeux. Si ses propres répugnances le rendaient imperméable à ses charmes, il ne les ignorait pas. Quand ses hommes en auraient fini avec elle, envoyer son corps saccagé et déshonoré à Zuko serait parfaitement jubilatoire !

La princesse devait avoir succombé à ses blessures à présent mais d'après les rapports de ses espions qui revenaient de la Caldera, il n'y avait eu ni cérémonie, ni funérailles organisées au palais. Du moins, publiquement.

Qu'elle fût morte ou vive, Zuko n'aurait-il pas eu intérêt à annoncer sa mort ? Soit pour apaiser la colère de son peuple, soit pour protéger sa sœur de nouvelles tentatives de meurtre ? Lu Fang retint un soupir de frustration. C'était à peine si ses espions avaient pu glaner quelques informations sur le départ inexpliqué de la Dame du Feu. Les nouvelles venant du palais filtraient au compte-goutte.

Lu Fang aurait bien envoyé Wu, qui restait malgré sa bavure, le meilleur de ses agents. Mais c'était trop risqué. Son absence avait dû être remarquée par le personnel du palais à présent et sa disparition devait paraître des plus suspectes en ces temps troublés pour la famille royale. Il pouvait être reconnu à tout moment et faire échouer le plan si on le capturait. À moins que…

On verrait plus tard, pensa Lu Fang. Il y avait toujours le plan A, celui suggéré par Wu. Si celui-ci échouait encore, alors on réfléchirait à une nouvelle stratégie qui aurait le double mérite de lui offrir la sœur de Zuko et de le débarrasser de ce complice encombrant.

« Commandant, l'interrogea Wu, d'un ton patient, alors que Lu Fang paraissait hésiter sur le chemin à suivre. Puis-je vous indiquer…

– Je sais parfaitement où aller, Wu. Merci. Je réfléchissais. Vous semblez penser que notre prisonnière la plus récalcitrante pourrait coopérer. Je me demandais quelle était la meilleure manière de l'aborder. »

Wu lui adressa un sourire rusé qui sembla faire étinceler son œil vert, bien que celui-ci fût à moitié dissimulé par son chapeau.

Lu Fang écouta attentivement son agent qui lui détaillait,à travers le dédale de galeries de plus en plus sombres, tout ce qu'il avait découvert sur leur prisonnière au cours des derniers mois.

Ils marchèrent encore un moment et atteignirent enfin les cachots, situés au plus profond de leur réseau souterrain. Ici l'atmosphère devait être presque irrespirable pour qui n'était pas un maître de la terre et de longs tuyaux qui traversaient la croûte épaisse de la terre avaient été installés pour permettre aux prisonniers qui se trouvaient ici, de respirer un peu d'air.

Lu Fang emmena Wu jusqu'à la dernière cellule, située tout au fond du couloir artificiel creusé par ses hommes. Derrière les barreaux d'une cage, une silhouette mince leur tournait le dos, assise sur le sol humide de sa cellule. Ses longs cheveux noirs tombaient dans son dos, formant un rideau qui leur dissimulait ses étroites épaules.

« Que me vaut l'honneur de votre visite, Commandant ? Ânonna une voix morne dépourvue de timbre et un peu enrouée.

– Je venais voir si vous étiez bien installée, Madame. Je ne pourrais souffrir qu'une hôte de marque telle que vous ne soit pas satisfaite des prestations que je propose. Votre chambre est-elle à votre convenance ?

– Vous pouvez m'enfermer aussi longtemps que vous le voulez, Lu Fang, me priver de lumière et de nourriture, je ne vous dirai rien tant que vous ne m'aurez pas dit ce que vous avez fait de ma famille, sinistre enf…

– Calmons-nous, calmons-nous, ma chère. Il ne sera pas dit que moi, Lu Fang, Ministre des armées et plus proche conseiller de Sa Majesté le 52e roi de la Terre, ai manqué à mes devoirs de courtoisie. J'ai amené ici une connaissance que nous avons en commun vous et moi. Je pensais vous confier à tous deux une mission très spéciale. Je suis sûr que si vous acceptez, nous pourrons arriver à un accord concernant votre petite famille... »

La femme se retourna, un air furieux imprimé sur son visage mince. Sous son épaisse frange noire qui barrait son front, des yeux en demi-lune argentés scintillaient à la lueur des torches. Sa mâchoire se contracta un peu mais elle ne trahit aucune émotion en reconnaissant Wu qui se tenait un peu en retrait, à quelques centimètres, à moitié dissimulé par l'imposante carrure de Lu Fang. Ce dernier s'effaça un peu et laissa Wu s'avancer vers la cage, son éternel sourire aux lèvres.

« Je suis ravi de vous revoir en bonne santé, Lady Mai. »


Azula s'éveilla dans les heures grises qui précèdent l'aube, un matin d'août, le lendemain de son vingtième anniversaire, quinze jours précisément après la chute qui avait failli lui être fatale.

Zuko était absent lorsqu'elle ouvrit les yeux. Après une nuit difficile ponctuée de cauchemars horribles, il s'était réveillé dans les draps trempés de sueur de son lit.

L'esprit encore engourdi de sommeil, il tâtonna le matelas près de lui par habitude. Sa main ne rencontra que les draps froids à sa gauche et il se souvint.

Mai est partie. Elle n'est plus là.

Quand il restait au chevet d'Azula, la pensée de Mai ne charriait en lui qu'une sourde colère. Il n'avait qu'à contempler le beau visage vidé de couleurs de sa petite sœur et la trahison de sa femme lui sautait à la gorge, lui coupant le souffle aussi sûrement qu'un coup de poing asséné dans l'estomac.

Mais la nuit, c'était une toute autre histoire. Lorsqu'il regagnait sa chambre un soir sur deux, passant le relais à Ty Lee ou Taïma qui se chargeaient de garder un œil sur la princesse, le chagrin surgissait d'un coup et lui comprimait la poitrine.

La même sensation l'accueillit à son réveil ce matin-là.

Le corps ankylosé par la fatigue et le désespoir, qui ne le lâchaient plus depuis l'accident, il s'extirpa de ses draps avec l'intention d'esquiver le petit déjeuner. L'idée de se trouver face à son oncle et ses amis et de devoir nourrir la conversation l'épuisait d'avance. Il décida donc plutôt de se rendre directement dans la cour d'entraînement. Il avait largement négligé ses exercices de maîtrise du feu depuis l'incarcération d'Azula.

Le souvenir de ce qui s'était passé dans les sombres cachots du palais continuait de le hanter. Zuko avait depuis longtemps renoncé à l'ambition de maîtriser la foudre et s'était résolu à demeurer le seul membre de la famille royale à ne pas posséder cette faculté. Il s'en était accommodé, tout comme il avait enfin accepté que ses flammes n'arboreraient jamais la magnifique teinte azur dont Azula parait les siennes. Il n'avait pas pu s'empêcher, cependant, dès qu'il s'était trouvé seul dans la cour d'entraînement, de refaire une tentative. Comprenant qu'il n'y parviendrait guère sans une motivation suffisante, il avait utilisé des mannequins sur lesquels il s'était imaginé l'odieux visage de l'ignoble Lu Fang.

Son oncle lui avait toujours dit que la maîtrise de la foudre exigeait une concentration maximale et un contrôle total sur ses émotions. Cela expliquait sans doute qu'il en fût incapable en cette heure où il pleurait l'échec de son mariage et où il vivait dans la crainte constante de perdre sa petite sœur. Pourtant, n'était-ce pas la colère qui l'avait momentanément investi de ce pouvoir, alors qu'il se consumait de rage contre ceux qui voulaient du mal à Azula ? Et si Oncle Iroh lui avait menti ?

Il en était là de ses réflexions lorsque Ty Lee surgit dans la cour, pantelante. D'après la teinte cramoisie de ses joues, elle avait dû courir longtemps.

Elle arriva près de lui, presque pliée en deux. Quoiqu'elle fût une acrobate extraordinaire et d'une rapidité épatante dans ses gestes, Ty Lee n'était pas une coureuse. Mai était une sprinteuse, efficace sur de courtes distances. Mais c'est Azula qui se distinguait surtout à la course. Elle était à la fois rapide et endurante. Zuko était un bon coureur mais il n'avait jamais pu rattraper sa sœur quand elle avait décidé de lui échapper. Aang lui-même avait admis en avoir été incapable le jour du Soleil Noir quand Azula avait essayé de les perdre dans le labyrinthe sous la montagne.

Azula ne courrait sans doute plus jamais. Elle ne ferait plus jamais rien. C'est la pensée douloureuse qui le traversa tandis que, devant lui, la main sur son point de côté, Ty Lee reprenait son souffle.

« Zuko… », haleta-t-elle.

Une terreur instinctive saisit Zuko qui se prépara au pire. Qu'est-ce qui pouvait avoir poussé Ty Lee à quitter la chambre d'Azula au petit matin et à courir après lui à travers tout le palais ?

– Azula ? », interrogea Zuko, incapable de prononcer plus que son nom.

Ty Lee prit une grande inspiration et parla enfin : « Elle est réveillée, Zuko ! Elle est là ! Elle est consciente. »

C'était comme avoir été frappé à la tête par un projectile lancé à toute vitesse. Zuko sentit le sang affluer vers l'arrière de son crâne et y créer une pression douloureuse. Son cœur manqua plusieurs battements.

Il serait tombé à genoux si Ty Lee ne l'avait rattrapé juste à temps, les genoux ployant sous son poids.

« Ça va aller, Zuko. Elle est réveillée ! s'exclama-t-elle, des larmes dans la gorge.

– Je veux la voir ! souffla-t-il dans la nuque de Ty Lee qui le supportait sur son épaule.

Dix minutes plus tard, ils arrivaient en nage devant l'immense porte à double battant. Avec un pincement au cœur, Zuko pensa à tout ce qui s'était passé dans cette chambre : Azula agenouillée devant lui, ses mains cherchant avidement dans sa robe quelques semaines plus tard, les caresses brûlantes qu'elle lui avait prodiguées sur le lit... Par trois fois il avait laissé les choses déraper avec sa sœur. Il n'entra pas tout de suite. Ses épaules s'affaissèrent sous le poids de la culpabilité.

« Zuko, ça ne va pas ? L'interrogea Ty Lee, pleine de sollicitude. Azula est là, elle t'attend.

– Je lui ai fait tant de mal, Ty… Et si… et si elle ne me pardonnait pas ?

– Elle t'a déjà pardonné une fois, répondit-elle gentiment. Je suis certaine qu'elle y parviendra à nouveau. Elle t'aime, tu sais.»

Elle tendit une main vers lui et Zuko s'en saisit avec reconnaissance. De l'autre, Ty Lee appuya sur la poignée et ouvrit la porte.

Ils entrèrent ensemble.


Azula se reposait sur son lit. Depuis le moment où Ty Lee avait quitté la chambre quelques minutes plus tôt pour prévenir Zuko, Taïma avait placé des oreillers derrière elle pour qu'elle puisse se tenir assise.

La princesse semblait complètement perdue. Bien qu'elle eût répondu correctement à toutes les questions que lui avait posées Taïma à son réveil, elle semblait dans un état de grande confusion et ne cessait de jeter des regards partout autour d'elle, comme si elle cherchait des appuis, des preuves que le monde qui l'entourait était réel. Ses grands yeux d'ambre semblaient terrifiés et ses lèvres tremblaient un peu.

Taïma était assise à côté d'elle, une main doucement posée sur son bras valide, un sourire bienveillant illuminant son visage.

« Regardez qui est là, Princesse », souffla-t-elle doucement à son oreille quand elle vit entrer Zuko et Ty Lee.

Le Seigneur du Feu resta un moment sous l'arche qui marquait l'entrée de la chambre desservie par un corridor qu'illuminaient des torches enflammées alignées le long des murs. Il semblait pétrifié, momentanément incapable de bouger et de parler. La même confusion brillait dans ses yeux dorés résolument fixés sur Azula.

Taïma avait souvent imaginé ces retrouvailles et s'était toujours représenté de grandes effusions, des rires mêlés de larmes.

Ce ne fut pas ce qui arriva.

Un silence de mort enveloppa la pièce et la tension dans l'air était telle que Taïma trouva qu'il devenait difficile de respirer.

Frère et sœur se fixaient comme s'ils se défiaient du regard, incapables de parler.

De grosses larmes roulaient sur les joues de Zuko, rougies par la course à travers les dédales du palais. Sa poitrine se soulevait et s'abaissait à un rythme frénétique. Taïma avait l'impression que d'une minute à l'autre, il allait se jeter sur sa sœur.

Quant à Azula, son visage livide exprimait le plus total désarroi. Taïma crut voir tous les sentiments passer dans ses yeux un peu vitreux : une colère immense, du soulagement, du bonheur et un chagrin écrasant aussi. Taïma était certaine que son esprit embrumé recomposait les souvenirs des dernières semaines et cherchait à démêler ce qui était réel et ce qu'elle avait imaginé. La guérisseuse craignait les conséquences pour elle d'un tel tourbillon d'émotions contradictoires.

Les prochaines heures seraient déterminantes. On découvrirait si la princesse avait retrouvé toutes ses capacités mentales grâce au traitement que Taïma avait continué de lui administrer par voie veineuse. Un simple test lui avait déjà révélé que les facultés intellectuelles étaient intactes : Azula avait réussi à lire quelques phrases de sa voix râpeuse et était parvenue à effectuer les opérations que lui avait posées Taïma. Elle se souvenait qui elle était et où elle était. C'était déjà inespéré. En revanche, elle ne conservait aucun souvenir de son accident ni des heures qui avaient précédé. Taïma supposait que sa mémoire reviendrait petit à petit.

Finalement, après un temps qui parut interminable à Taïma, Zuko fit un pas en avant.

« Tu es là… », murmura-t-il si faiblement que Taïma crut l'avoir imaginé.

Taïma sentit Azula se raidir et une grimace exprimant une vive douleur déforma ses traits réguliers. La princesse avait repris conscience peu de temps après que Taïma lui eut administré ses anti-douleurs et elle s'en félicita. Le réveil aurait pu être bien plus rude.

«Va-t-en ! gémit soudain Azula au prix de ce qui semblait un effort surhumain. Va-t-en ! » répéta-t-elle plus fort, des larmes noyant ses yeux mordorés.

Taïma décida d'intervenir.

« Azula, n'ayez pas peur. Zuko ne vous veut aucun mal ! Il est simplement heureux de vous revoir. Tout le monde ici est heureux. Personne ne va vous faire de mal, croyez-moi. »

Azula voulut s'écarter d'elle. Dans sa panique, elle ne prit pas garde à ses os fragiles et poussa un hurlement déchirant quand le mouvement sollicita son bassin fracturé.

Zuko fut sur elle en un instant, fondant sur sa sœur comme un oiseau de proie sur un petit animal terrifié.

La douleur dans son crâne, dans ses côtes et dans son bassin devaient être insupportables. Mais elle ne pouvait s'empêcher de gesticuler en tous sens. Affolée à l'idée qu'elle se blesse, Taïma essaya de l'immobiliser.

« Non! Non ! Je ne veux pas ! hurlait maintenant Azula d'une voix stridente. Je ne veux pas ! Lâchez-moi ! Lâchez-moi ! »

– Azula ! Stop ! Regarde-moi ! ordonna Zuko d'une voix forte que faisait trembler l'émotion mais qui domina aisément toutes les autres.

La princesse obéit instantanément, s'immobilisa et rouvrit les paupières.

Alors Zuko se pencha sur elle, referma précautionneusement ses bras autour de son corps éprouvé et la maintint fermement contre lui, comme un noyé s'accroche à sa bouée, et il se mit à pleurer contre son épaule.

«Tu es là ! », gémit-il entre deux sanglots, sa tête enfouie dans son cou. Les baisers dont il ponctuait ses paroles résonnaient dans la pièce silencieuse. Et Azula capitula.

Elle passa son bras valide autour de son épaule et s'y agrippa tout aussi désespérément. Elle enfonça ses ongles pointus dans la nuque de son frère qui poussa un grognement étouffé mais resta là. Il fit courir des baisers le long du cou d'Azula et remonta jusqu'à sa joue, embrassa ses paupières et son front.

Aussi émue qu'embarrassée, Taïma chercha le regard de Ty Lee qui s'essuyait silencieusement les yeux dans un coin de la pièce. Elle se leva doucement en essayant de ne pas faire bouger le lit, de peur de faire mal à Azula. Puis elle rejoignit la jeune acrobate et posa une main sur son épaule.

« Venez Ty Lee, laissons-les seuls. »

Sans un mot, Ty Lee acquiesça et avec un dernier regard en arrière, elles quittèrent la pièce.

Il y aurait un temps pour les mots, se dit Taïma. Un temps pour la colère et les ressentiments. Un temps pour se haïr puis pour se dire pardon.

Mais pour l'instant, rien ne semblait compter pour le frère et la sœur étroitement enlacés sur le lit qui cherchaient avidement le regard de l'autre, comme s'ils cherchaient à s'y noyer.