Après tant de souffrances et de stress, qui n'aurait pas besoin d'un peu de vacances ? Dans ce chapitre, nos frère et soeur préférés s'en vont prendre un peu de repos sur l'Île de Braise avec le Gaang! De son côté, Ty Lee mène l'enquête et fait une découverte perturbante...


Chapitre 26 – Vacances


« En vacances ? Comment cela, tu veux partir en vacances ? » s'exclama Oncle Iroh, ses yeux agrandis par l'incrédulité.

L'estomac de Zuko se contracta. C'était exactement la réaction qu'il avait crainte. Mais il était bien déterminé à réaliser ce projet. Mais surtout, il ne pouvait pas se présenter devant Azula, ce soir, et lui annoncer qu'Oncle Iroh avait refusé sa demande.

« Qui t'a mis une idée pareille dans la tête, Zuko ? Ce n'est pas le moment de prendre des vacances ! La Nation du Feu vit sous la menace permanente d'une attaque-surprise de Lu Fang. La colère continue de monter parmi les habitants de la capitale. Et toi, tu veux partir en vacances ?

– C'est l'idée d'Azula, admit-il à contrecœur. Elle pense que ce serait un bon moyen de resserrer les liens avec mes amis. Elle tient beaucoup à se faire pardonner pour tout ce qu'elle leur a fait. Et moi aussi, s'empressa-t-il d'ajouter… L'Avatar est le meilleur allié que nous ayons. Nous avons besoin de son soutien.»

Once Iroh n'eut pas l'air surpris par cette révélation.

« Évidemment, c'est elle qui t'a soufflé cette idée. » Puis il ajouta, d'un air mécontent. « Comme toutes les idées que tu as eues ces derniers mois.

– De quoi vous plaignez-vous ? s'agaça Zuko. Est-ce que le couvre-feu n'a pas permis de diminuer la criminalité ? Les meurtres ont cessé, non ? Et c'est grâce à Azula !

– Ne sous-estime pas le dragon qui dort, mon neveu. On ne s'empare pas d'un pays aussi puissant que la Nation du Feu en une bataille. Ta sœur ne t'a pas appris cela au cours de ces interminables soirées que tu passes seul en sa compagnie ? Tout est affaire de patience et Lu Fang le sait mieux que quiconque ! Tout comme les fanatiques qui s'attaquent aux colons à travers la Capitale.»

– Azula pense que si le Royaume de la Terre et les Fils d'Agni voient qu'Aang est pleinement de notre côté, cela les dissuadera de s'en prendre à nous… Tout le monde a l'air de savoir ce qu'a fait Azula et des rumeurs circulent déjà affirmant que l'Avatar et le Seigneur du Feu ne sont plus sur la même longueur d'onde. Cela ne peut que nous affaiblir aux yeux de nos ennemis !

– Et tu penses qu'en emmenant ta sœur en colonie de vacances avec eux, tu parviendras à les convaincre de rentrer tranquillement chez eux et de renoncer à leur offensive ?

Zuko serra ses poings et un peu de fumée échappa de ses narines alors qu'il émettait un reniflement furieux.

« Vous parlez comme Azula ! Le sarcasme ne vous sied guère, mon Oncle ! Je pensais que vous comprendriez avec tous vos discours et vos proverbes sur l'importance de l'amitié ! Ma sœur a failli mourir. La protéger est ma priorité. Et ce devrait être la vôtre également !

– Mais qui s'occupe de te protéger, toi ? lui demanda Iroh, l'air profondément inquiet.

– Je n'ai pas besoin de protection en ce moment. Je suis plus puissant que jamais. Malgré ses menaces, Kuei n'a toujours pas déclaré la guerre. Lu Fang ne fera rien sans son aval ! La Nation du Feu reste et restera la plus puissante des quatre nations. Nous avons l'avantage militaire et financier. Toute leur haine est dirigée contre une seule personne : Azula est la plus vulnérable. Je veux qu'elle ait le plus d'alliés possibles.

– Zuko… je comprends que tu veuilles protéger ta sœur. Mais ce qu'elle a fait à cette chère Suki et à Ty Lee. Et ce pauvre Kojiro qui souffre terriblement. Comment peux-tu demander à tes amis…

– Je pensais qu'un homme comme vous connaissait les vertus de la clémence et du pardon. Tous vos beaux principes ne sont donc que des paroles en l'air ?

– Non Zuko, répondit calmement Iroh. Seulement, le pardon est une affaire de temps et de patience. C'est un processus qui peut prendre du temps et nécessite de prendre de la distance. En voulant précipiter les choses entre ta sœur et tes amis, tu risques d'empirer la situation et j'ai peur que...

– Pourquoi faites-vous comme si elle n'était rien ? s'emporta soudain Zuko. Elle fait aussi partie de votre famille au cas où vous l'auriez oublié !

– Je crains de ne pas être le seul dans cette pièce à l'avoir oublié», rétorqua Oncle Iroh, le visage soudain fermé.

Zuko se tut. Et il savait que s'il se prolongeait, ce silence pouvait devenir toute la confession qu'Iroh attendait.

Son oncle fouilla dans sa poche et en sortit un parchemin plié tout froissé et jauni. Il le déplia et le posa sur l'immense bureau en chêne verni qui les séparait.

Zuko baissa les yeux dessus et son visage pâlit. Il savait que ce genre d'affiches s'étaient répandues dans tout le royaume de la terre. Kadao lui en avait parlé. Mais en voir une de ses propres yeux...Et d'une telle grossièreté !

Sa première pensée, incohérente, fut : Ses seins sont plus petits.

Il se contrôla juste à temps pour ne pas formuler cette observation saugrenue à voix haute et se composa un visage qu'il espérait indifférent.

« Et alors ? Que voulez-vous que je fasse de cette horreur ? C'est une affiche de propagande ! Le mensonge et la calomnie sont à la base de ce procédé. Ce n'est pas à vous que je l'apprends, n'est-ce pas ? »

Iroh garda le silence et reprit l'affiche qu'il fourra à nouveau dans sa poche. Depuis combien de temps conservait-il cette immondice avec lui ? Zuko était certain qu'il l'avait gardé tout ce temps et n'attendait que le bon moment pour l'exhiber ainsi sous ses yeux.

« Vois-tu, Zuko, l'avantage quand on a, comme moi, renoncé à son statut royal, c'est la confiance que les petites gens placent soudain en vous. Ils n'ont plus peur de s'adresser à moi car je les vois et leur parle comme à mes égaux. Je t'assure que cela délie les langues bien mieux que les pénibles interrogatoires auxquels, sous tes ordres si je ne m'abuse, tes hommes soumettent tous ceux qui sont accusés, souvent sans preuve, de divulguer des rumeurs sur ta sœur et sur toi. »

Le cœur de Zuko manqua un battement. Comment savait-il ? Même Kadao ignorait tout de ces interrogatoires menés par le chef de la police à qui Zuko avait parlé en secret. Il l'avait chargé de lui transmettre toutes les informations concernant les criminels accusés de « diffamation envers les personnes royales. »

« C'est incroyable comme ces hommes et ces femmes réticents à parler sous la torture, se livrent plus volontiers à celui qui verse le thé bouillant dans une tasse au lieu de le jeter sur leur corps.

– Jamais je n'ai autorisé… je veux dire… Ils ne… Ces gens n'ont pas le droit de ternir mon image comme ça ! Je suis le Seigneur du Feu, élu d'Agni ! M'accuser ainsi de… C'est de la sédition !

– Tu n'es le Seigneur du Feu que parce que j'ai renoncé à mon trône en ta faveur, Zuko. Essaie de t'en souvenir. »

Un peu honteux, Zuko se renfrogna et tourna le dos à son oncle. Quand ce vieux fou idéaliste comprendrait-il enfin qu'Azula avait raison ? Que l'on ne dirigeait pas un pays avec de bons sentiments et des invitations à prendre le thé ?

« Zuko, reprit son oncle, plus calmement. Je suis venu pour t'aider. Je ne veux pas que tu suives le même chemin que mon frère, et que mon père et mon grand-père avant lui. Tu es quelqu'un de bien. Ne laisse pas les sirènes de la tentation te détourner de…

– Si vous voulez parler d'Azula, vous n'avez qu'à l'appeler par son nom ! Et puisque vous tenez tant à le savoir, mon Oncle, je vais vous épargner la peine de poser la question : Non, je ne couche pas avec ma sœur ! Je ne l'ai jamais fait et je ne le ferai jamais ! Voilà ! Vous êtes rassuré ? »

Mais Oncle Iroh ne parut pas satisfait. Après plusieurs minutes d'une conversation envenimée et stérile, il accepta, à contrecœur de prendre les rênes du royaume le temps que durerait le séjour de Zuko et de ses amis sur l'Île de Braise.

« J'accepte de prendre ta place le temps de ce séjour insensé, Zuko. Mais à ton retour, nous devrons avoir une petite conversation au sujet de certaines lettres qui, d'après ce que l'on m'a dit, te parviennent régulièrement.

Zuko manqua s'étouffer.

– Comment savez-vous ? hoqueta-t-il.

– Je crains que tu ne sous-estimes la menace. Tels les habitants de la vallée, tu ne crains l'orage que dès lors qu'il quitte la montagne pour s'abattre sur vos maisons. Je pense que tu commets une erreur. »

Zuko baissa la tête. Il ne servait à rien de prolonger la discussion. S'il voulait partir avec Azula et ses amis, il fallait faire quelques concessions.

– Bien, mon Oncle, dit-il en donnant à sa voix une inflexion pleine d'humilité. Je vous donne ma parole que nous nous pencherons sur la question de ces lettres dès mon retour.

– En as-tu parlé à Azula ? »

Zuko hésita à répondre. La vérité ne plairait sans doute pas à son oncle. Si le vieil homme découvrait que son neveu partageait avec Azula des informations qu'il lui cachait à lui, cela le contrarierait encore davantage.

« Non, mentit-il. Je n'ai pas voulu l'inquiéter. Elle est encore fragile...

– C'est très bien. Je pense qu'il serait plus sage que tu t'abstiennes de lui en parler tant que nous n'aurons pas résolu l'affaire. Je crains que sous le coup de l'émotion, ses conseils manquent de… circonspection. »

Un peu déconcerté mais désireux de s'extraire au plus vite de la conversation avant que son oncle ne change d'avis, Zuko promit. Le soir-même, il demandait aux serviteurs d'empaqueter ses affaires pour leur voyage.

Azula se jeta dans ses bras quand il vint lui annoncer qu'ils partaient le lendemain et soudain, tous ses doutes le quittèrent. Comme tout était plus facile quand il la tenait contre lui !

Elle insista ensuite pour qu'il reste avec elle et après avoir renvoyé Ty Lee de la chambre, elle l'invita à s'allonger près d'elle sur le lit. Zuko pensa qu'il ne risquait rien à lui accorder cette faveur. Si elle avait eu des idées en tête, elle n'aurait pas aussi simplement renvoyé son amie.

Là, lovée contre lui, elle lui demanda de lui faire la lecture. Elle prit sur le chevet un livre à la couverture bariolée qu'elle lui mit entre les mains.

– Page cent-soixante, annonça-t-elle en reposant sa tête contre son torse.

Zuko s'en saisit et commença à lire.

À mesure qu'il avançait dans sa lecture, Zuko se sentit atterré. Depuis quand Azula lisait-elle des romances à l'eau de rose ? Est-ce qu'elle se moquait de lui ?

Finalement sa chute a dû avoir des conséquences plus graves que ce qu'on croyait, songea-t-il alors qu'il lisait un passage particulièrement dégoulinant de sentimentalisme dans lequel le héros et l'héroïne se juraient un amour éternel.

De ce qu'il comprit, le roman parlait d'un amour impossible entre deux jeunes gens issus de familles ennemies. C'était d'une mièvrerie écœurante qui n'avait rien à voir avec Azula.

Mais vers la fin de l'histoire, Zuko commença à se sentir mal à l'aise. Les amants découvraient qu'ils étaient en fait demi-frère et sœur. Leur père ayant eu une aventure avec la femme de son ennemi, il lui avait fait un enfant.

« Ça alors ! Je ne m'y attendais pas du tout ! » s'exclama Azula dont la voix feignait l'étonnement avec une outrance que Zuko trouva presque insultante et qui lui fit grincer des dents. « Quel coup de théâtre ! Un amour interdit ! C'est si romantique ! Cet auteur est vraiment un génie, tu ne trouves pas ? »

Zuko évita de répondre et se contenta de grommeler quelque chose avant de poursuivre la lecture.

Sa sœur l'écouta lire sans un mot en caressant la cicatrice sur le torse de Zuko, un sourire serein recourbant ses lèvres. Elle déposait parfois dans sa nuque un baiser qui envoyait des frissons dans tout son corps. Zuko décida de jouer la carte de l'indifférence et poursuivit sa lecture en faisant mine de n'avoir pas saisi l'ironie de la situation.

La découverte du secret bouleversait la vie des deux amants qui décidaient de s'enfuir pour vivre leur amour loin de leurs familles. Mais leur père les retrouvait, les forçait à se séparer et la jeune fille se donnait la mort. Son amant, en découvrant son corps sans vie, se planta une épée dans le cœur et tomba sur son cadavre.

Azula s'endormit peu avant la fin et Zuko l'allongea sur ses oreillers, remonta les couvertures sur elle et quitta discrètement la chambre. En sortant, il demanda aux gardes de veiller sur elle jusqu'au retour de Ty Lee.

Il rejoignit ses propres appartements avec un profond sentiment de malaise. Il était sûr et certain qu'Azula n'avait pas choisi cette lecture au hasard et il éprouvait une grande confusion.

Cette nuit-là encore, Zuko se faufila entre les murs du palais et se rendit en ville. Il aurait préféré s'en abstenir, mais elle ne lui laissait guère le choix. Il n'y aurait ni escapade nocturne, ni exutoire pendant ce séjour sur l'île de Braise. Et Azula semblait déterminée à tester ses limites.


La houle du large faisait cahoter le navire. La voile blanche étincelait à la lumière éblouissante du soleil et Zuko dut baisser les yeux pour ne pas être aveuglé par son éclat. Il y avait déjà plusieurs heures que l'on ne voyait plus la terre et ils n'atteindraient pas l'Île de Braise avant le coucher du soleil.

Zuko avait choisi ce simple bateau de plaisance pour faire le trajet. À son bord, ils seraient plus discrets que sur l'un des navires de la flotte royale. Et la priorité du Seigneur du Feu était précisément de ne pas attirer l'attention. L'autre option, s'envoler sur le dos d'Appa, avait été écartée par Azula qui ne voulait pas en entendre parler.

« Il n'est pas question que je monte sur ce monstre poilu, avait-elle affirmé d'un ton dégoûté devant Katara et Aang qui avaient tous deux froncé les sourcils. Je ne veux pas que mes affaires soient pleines de poils quand je les déballerai. Et je ne sais que trop bien à quel point cette bête perd son affreuse fourrure en vol !

Oh, rassure-toi, Azula. Nous ne sommes pas prêts de l'oublier, nous non plus ! » rétorqua Katara, les joues rouges de colère.

Un peu embarrassé, Zuko se rappela le récit que lui avait fait Aang de cette traque épuisante à travers le Royaume de la Terre, presque six ans auparavant et qui avait failli tuer d'épuisement le brave Appa et ceux qui voyageaient sur son dos.

Azula éclata d'un rire cristallin et répondit : « Je suis sûre que ce séjour va nous faire le plus grand bien ! Ce sera tellement agréable de nous raconter de vieux souvenirs au coin du feu, comme le font les roturiers !

Ainsi avait-il été décidé d'emprunter ce bateau de plaisance qu'utilisait Kadao lorsqu'il était en permission. L'équipage les déposerait et viendrait les reprendre deux semaines plus tard. Sokka et Suki les suivaient sur le dos d'Appa qui adaptait sa vitesse de vol à celle du bateau et on le voyait voler tranquillement au-dessus d'eux.

Ce choix ravissait Azula qui ne cessait d'aller et venir sur le pont, s'extasiant et s'amusant de l'aspect rudimentaire et pittoresque de ce vaisseau si indigne, selon elle, du génie de leur nation.

« C'est tellement romantique ! » roucoula-t-elle en s'accrochant à son bras alors qu'il regardait avec Katara un groupe de dauphins qui les suivaient en exécutant des sauts prodigieux

Zuko ne leva pas la tête. Il préférait ne pas voir Katara hausser les sourcils.

« Tu ne trouves pas Zuzu ? Toi et moi, sur un bateau aussi rudimentaire. Nous avons l'air de deux aventuriers en pleine errance ! Sans parler de ces habits tout droit sortis des contes que nous lisait Mère! dit-elle joyeusement en tournant gracieusement sur elle-même pour montrer la tenue qu'elle portait. Elle se composait d'un sarouel écarlate et d'un haut assorti sans manches qui se fermait dans son cou à l'aide d'un simple cordon de perles dorées. Son ventre éclatant apparaissait et quand Zuko était certain qu'elle ne regardait pas, il devinait le début de la cicatrice qu'elle arborait quand il l'avait observée entre les arbres. Il savait maintenant qu'il s'agissait d'une brûlure et il ne cessait de se demander comment elle lui était venue. Mais comment le faire sans révéler qu'il l'avait épiée pendant ce bain ?

Il n'allait pas être facile de résister à Azula pendant cette semaine de détente, privé de son exutoire. La honte qu'il éprouvait chaque fois qu'il pensait à ses nouvelles activités nocturnes s'engouffra à nouveau dans son esprit, sans y être invitée.

C'est toujours moins grave qu'essayer de baiser ta propre sœur, non ? se moqua la voix qui parlait avec les accents de Mai dans sa tête. Même si ça reste particulièrement sordide.

Zuko l'ignora, comme il le faisait depuis qu'il avait commencé à quitter le palais la nuit.

La présence de ses amis constituerait le meilleur garde-fou, mais Azula ne semblait pas s'en soucier autant que lui. Le reste de la journée et leur arrivée sur l'Île de Braise confirma ses craintes. Elle parvenait maintenant à se déplacer sans aide. Tout le monde au palais avait été stupéfait de la vitesse à laquelle elle s'était remise de cette chute qui aurait pu être mortelle. Cette liberté de mouvement la comblait de joie. Zuko ne l'avait jamais vue d'aussi bonne humeur.

Malheureusement, cette jovialité ne semblait pas partagée et mettait tout le monde mal à l'aise. Azula ne cessait de s'accrocher à son bras, de baiser sa joue et lançait à la cantonade des plaisanteries de mauvais goût qui n'amusaient personne.

Elle se permit même des sous-entendus douteux quand vint le moment de se répartir les chambres dans l'ancienne villa de leur famille, resplendissante de propreté après que Zuko eut ordonné qu'on la nettoyât de fond en comble en prévision de leur séjour.

« Prenez la chambre qui vous plaira. Vous êtes nos invités. Zuzu et moi nous contenterons de ce qui restera. Le divan du petit salon fera aussi bien l'affaire. Ou encore une paillasse étendue sur la plage, à la belle étoile. Cela nous est égal du moment que nous sommes tous les deux. Pas vrai, mon chéri ? »

Et elle s'accrocha au bras de Zuko, les yeux levés vers lui, un air d'adoration gravé sur ses traits.

L'expression franchement gênée qui apparut sur le visage de ses amis et la façon dont Zuko avait pâli la forcèrent à se justifier :

« Allons ! Si on ne peut même plus rire ! Notre oncle te dirait qu'il faut savoir rire de toutes les situations, même les plus graves. N'est-ce pas ce qu'il dirait ? Sokka, l'interpella-t-elle, alors qu'il se tenait en retrait, le visage plus dégoûté que tous les autres, je crois savoir que tu es le champion de l'humour dans ce groupe. Zuzu me dit toujours à quel point tu es désopilant. Ma plaisanterie n'était-elle donc pas hilarante ?

– Pas franchement, non, répliqua Sokka avec froideur. Bon, si vous le voulez bien, je vais chercher une chambre avec Suki. Le trajet en bateau l'a barbouillée », ajouta-t-il en lançant un regard accusateur à Azula, comme si elle était responsable de l'état de la jeune femme. « Elle a besoin de se reposer. »

Après cela un silence gêné s'installa et chacun décida de regagner sa chambre pour un temps de repos.

« Retrouvons-nous au coucher du soleil pour préparer le repas, proposa Katara.

– Préparer le repas ? Mais pourquoi faire ? s'étonna Azula.

Les autres s'échangèrent des regards embarrassés et Zuko sentit sa gorge se serrer.

– Eh bien...pour manger… » répondit lentement Katara, en relevant un sourcil.

Et Azula éclata de rire. Tous la regardèrent, médusés et elle finit par s'en rendre compte.

« Quoi ? Ce n'était pas une plaisanterie, demanda-t-elle en se tournant vers son frère. Vous n'espérez tout de même pas que je m'abaisse à faire la cuisine. Il y a des domestiques pour cela.

– J'ai demandé au personnel qui est venu faire le ménage de quitter les lieux avant notre arrivée. Nous tenons à être aussi discrets que possible et nous nous occuperons nous-mêmes de préparer nos repas et d'entretenir la maison jusqu'à notre départ », expliqua Zuko.

Azula les regarda tous, interdite, la bouche entrouverte. Son expression aurait presque pu paraître comique à Zuko s'il n'avait craint une réaction disproportionnée. Enfin Azula sembla retrouver l'usage de la parole :

« C'est une plaisanterie ? Si tu penses que je vais aider à laver la salade et à mettre la table comme une vulgaire paysanne, tu t'es lourdement trompé, Zuzu ! Qu'est-ce qui t'a pris de renvoyer le personnel ? Qui va s'occuper de laver notre linge et de ranger nos chambres, de faire notre lit, de prendre soin de mes cheveux ?

– Nous nous en occuperons nous-même, Azula, risqua Suki, visiblement aussi inquiète que Zuko à l'idée de contrarier la princesse. Et pour tes cheveux, ne t'inquiète pas, je suis une assez bonne coiffeuse.

– Je te demande pardon ? Est-ce que tu m'as parlé ? demanda Azula, positivement effarée en clignant des yeux plusieurs fois avec un mépris évident. Je ne suis pas sûre d'avoir bien compris...

– Cela suffit ! » intervint Zuko.

Et attrapant sa sœur par le poignet, il se saisit de leurs sacs et l'entraîna derrière lui, jusqu'à un corridor menant aux chambres du rez-de-chaussée. Il l'ignora quand il l'entendit protester et qu'elle poussa un gémissement douloureux. La fracture fraîchement réparée de son bassin ne permettait pas encore à Azula de marcher à vive allure ou de monter des escaliers sans souffrir.

Il décida de ne pas lui prêter attention malgré la culpabilité qui lui serrait la gorge et poussa la porte de la chambre somptueuse qu'il avait fait préparer pour sa sœur, juste en face de la sienne. Là, Zuko aida Azula à porter et à déballer ses affaires, en silence.

« Il faut que tu cesses de te comporter comme ça devant mes amis, dit-il finalement, le dos tourné à Azula, tandis qu'il étalait des draps de soie sur le grand lit.

– Quoi ? Comment cela ? Qu'est-ce que j'ai fait de mal ? se défendit-elle.

– Tes plaisanteries ne sont pas drôles et mettent tout le monde mal à l'aise, grommela-t-il. Et tes petits caprices de princesse trop gâtée exaspèrent tout le monde ! Nous ne sommes plus au palais et ici, je veux que tu traites mes amis comme tes égaux. Comporte-toi normalement, c'est tout, et fais des efforts pour participer aux tâches communes. Tu veux qu'ils t'apprécient ? Commence par les traiter avec plus de respect ! Et je veux que tu cesses de faire des allusions déplacées : je ne suis pas ton petit-ami, mais ton frère et c'est ainsi que tu dois me traiter ! C'est tout ce que je te demande ! »

Azula ne répondit pas. Zuko se tourna vers elle. Elle se tenait là, debout au milieu de la pièce, se triturant les mains d'un air gêné, des larmes coulaient le long de ses joues. Ce spectacle donna à Zuko l'impression que quelque esprit malfaisant avait aspiré ses entrailles et toute sa colère le quitta en un instant.

Depuis son accident, Azula était extrêmement sensible et pleurait souvent pour un oui ou pour un non. Chaque fois cela faisait fondre le cœur de Zuko et il accédait à toutes ses demandes.

« Pardonne-moi Zuzu. Je ne voulais pas te mettre mal à l'aise. C'est juste… je tiens réellement à me faire pardonner auprès de tes amis. Je voudrais vraiment qu'ils m'apprécient mais je… je n'ai pas l'habitude de vivre avec des gens… normaux.

– Je sais, Azula, dit-il en s'adoucissant. Ce n'est pas si grave. Excuse-moi d'avoir été si rude avec toi. Je veux que mes amis t'aiment et te voient comme moi je te vois. »

En parlant, il s'était approché d'elle et avait passé un bras autour de sa taille. Il replaça une mèche de cheveux qui s'était échappée de son chignon et prit la main d'Azula qui pendait sur le côté dans la sienne pour la porter à ses lèvres.

« Les gens normaux, comme tu dis, préfèrent éviter les plaisanteries sur les sujets délicats. Je comprends que tu aies voulu dédramatiser la situation mais il est encore trop tôt pour cela.

– Je- je comprends, répondit-elle doucement. C'est juste que… j'étais si heureuse à l'idée de ces vacances avec toi. »

Zuko lui sourit gentiment et embrassa à nouveau le dos de sa main.

« Moi aussi je suis heureux d'être ici avec toi. Nous allons passer de belles vacances et nous rentrerons reposés chez nous. Mes amis vont apprendre à te connaître et tout ira mieux. J'en suis certain. »

Azula lui adressa un beau sourire qui semblait dépourvu de tout artifice pour une fois. Il la serra contre lui quelques instants et la relâcha très vite afin d'éviter toute méprise.

«Repose-toi, lui ordonna-t-il. Je m'occupe de tout.

– D'accord, répondit-elle en étouffant un bâillement et en se dirigeant vers son lit où elle se pelotonna en boule.

Zuko la regarda et sentit une vague d'affection l'envahir. Et pour une fois, il n'eut pas honte de ce sentiment, car c'était une tendresse toute pure et innocente qui n'avait rien à voir avec les désirs contre-nature qui l'avaient agité au cours des dernières semaines.

Zuko était content. Ses excursions nocturnes, bien que mortifiantes chaque fois qu'il y repensait, avaient l'effet escompté. Il pouvait regarder Azula sans s'attarder sur ses formes tentatrices et penser à elle sans se demander ce que cela ferait de glisser sa main entre ses jambes d'albâtre.

Il rangea les derniers vêtements dans la grande armoire en noyer. Quand il se retourna, Azula s'était déjà endormie et il quitta la chambre précautionneusement, soucieux de ne pas la réveiller.

Lorsqu'il rejoignit ses amis pour préparer le dîner ce soir-là, il excusa Azula en leur annonçant que le voyage l'avait épuisée et qu'elle se reposait. Les autres échangèrent des regards éloquents mais eurent la sagesse de se taire.

La mâchoire serrée, les sourcils froncés, Zuko se tourna vers la cuve et commença à laver les légumes.

La cohabitation promettait d'être difficile. L'image d'un funambule en équilibre précaire sur son fil traversa furtivement son esprit. Tout comme l'artiste de cirque doit veiller à garder son équilibre pour éviter une chute mortelle, il lui faudrait maintenir la fragile entente entre la princesse capricieuse et ses amis déjà hostiles à sa présence. Si au moins Ty Lee avait été là, elle aurait pu jouer les intermédiaires à la perfection. Sa joie, sa cordialité et son naturel optimisme aurait pu apaiser les tensions.

Alors qu'il se saisissait d'un couteau pour éplucher ses légumes, Zuko se demanda comment regagner la confiance de ses amis tout en préservant Azula. Ces vacances ne s'annonçaient pas de tout repos et il essaya de ne pas penser à la voix satisfaite de son oncle qui, dans son esprit, agitait un index réprobateur dans sa direction en disant : « Je te l'avais bien dit ! »

Si je réussis cette mission et que je reviens en un seul morceau de ce séjour, ramener la paix et l'équilibre dans la Nation du Feu ne sera plus qu'une formalité ! songea-t-il amèrement.


Ty Lee regardait autour d'elle avec un mélange de gêne et d'appréhension. Si elle avait prévu que la mission que lui avait confiée Azula la mènerait dans un endroit de ce genre, elle aurait poliment refusé et aurait suggéré à la princesse de trouver un autre moyen.

Elle poussa un profond soupir. Elle aussi aurait aimé aller sur l'île de Braise pour se détendre avec les autres. Mais Azula avait été formelle. Si Ty Lee venait, cela compliquerait les choses et il serait plus difficile pour Azula de créer des liens avec l'équipe de l'Avatar. Finalement Ty Lee lui avait donné raison et quand Azula s'était mise à lui parler sur le ton de la confidence pour lui confier une mission qu'elle seule pouvait remplir, Ty Lee avait senti son cœur se gonfler d'orgueil.

La jeune fille n'avait pas oublié la promesse qu'elle s'était faite en escaladant la haute tour de la prison. Elle aiderait Azula à goûter au bonheur auquel elle aspirait tant, et ce même si ce n'était pas du goût de Ty Lee ou que cela l'obligeait à accepter l'inacceptable.

À force de voir son amie interagir avec Zuko, Ty Lee avait fini par se dire qu'ils feraient vraiment un beau couple s'il n'y avait eu ce minuscule détail qui rendait leur histoire aussi dégoûtante et inconcevable !

Ty Lee s'efforçait de ne pas trop manifester sa répulsion quand Azula lui parlait de Zuko avec des yeux rêveurs ou quand elle lui décrivait les moments délicieux qu'elle avait passés avec lui dans le spa. Elle se demandait même si Azula n'en rajoutait pas un peu pour la mettre mal à l'aise ou pour tester sa loyauté.

Ty Lee était certaine cependant que si plusieurs limites avaient été franchies, Azula et Zuko n'avaient pas encore commis l'irréparable. Et elle s'accrochait à l'espoir de plus en plus ténu qu'ils en resteraient là, que leur relation n'irait pas plus loin que ce jeu malsain de séduction et cette affection un peu trop intense pour n'être que fraternelle.

Si les ennemis de Zuko avaient besoin de preuves supplémentaires de l'amoralité des membres de la famille royale, c'est exactement dans ce genre d'endroit qu'ils auraient dû mener leur recherche, songea Ty Lee en regardant à quelques mètres deux jeunes femmes pulpeuses installées de part et d'autre d'un garde qui venait de finir son service et qui caressait leurs hanches nues sans vergogne.

Elle avait craint ce qu'elle découvrirait en suivant Zuko dans les rues de la Capitale à cette heure tardive, la veille de leur départ pour l'île de Braise. Mais si elle avait su que cette enquête la conduirait dans l'un des bordels les plus mal famés de la ville…

Qu'allait dire Azula ?

Une atmosphère faussement feutrée régnait dans la pièce où des couples s'embrassaient langoureusement et se caressaient sans honte aux yeux de tous sur des canapés recouverts de couvertures à la propreté douteuse, le tout au son grinçant de shamisen mal accordés. Des femmes nues au corps ornés de bijoux de mauvaise qualité passaient entre les tables en bois vermoulu, un plateau à la main et proposaient aux clients un verre ou une gâterie qu'elles lui offraient directement, sans prendre le temps de l'emmener dans l'une des chambres miteuses que desservaient les étages. On entendait parfois, à travers les portes closes, des cris de femme qui exagéraient leur plaisir pour satisfaire la virilité des clients. Ty Lee était au bord de la nausée.

La grande femme à forte poitrine, au visage si couvert de maquillage qu'on peinait à deviner ses véritables traits se dirigea vers le comptoir où l'attendait Ty Lee, un grand sourire peint en rouge étalé sur sa figure un peu bouffie.

« Alors, ma jolie, qu'est-ce qu'on peut pour vous ? C'est pas ben courant de voir des femmes traîner par ici, mais chez moi, y en a pour tous les goûts et vot' secret reste bien gardé. Vous avez pas à vous en faire pour ça !

– Oh non, non ! Je ne viens pas pour ça ! répondit-elle avec un sourire qu'elle essaya de rendre aimable. À vrai dire, je cherche du travail, et je me suis laissé dire que vous cherchiez des filles par ici.

– Du travail ? Une jolie fille comme vous qui cause bien, ça devrait bosser dans des endroits mieux famés, non ? Vous m'avez pas l'air du quartier, je m'trompe ?

– Non, en effet, répondit Ty Lee en baissant les yeux sur le comptoir crasseux. Je viens d'une riche famille de bourgeois du centre-ville. Mon père m'a chassée car j'ai eu un amant et je suis tombée enceinte. Mais mon amoureux m'a quittée en apprenant la nouvelle… Mon père n'a plus voulu entendre parler de moi après cela et… vous comprenez…. Mon pauvre bébé. Il n'a que moi.

– Et où qu'il est vot' bébé maint'nant ?

– Une amie le garde pour moi. C'est elle qui m'a parlé de cet endroit. Elle m'a dit que vous recherchiez des hôtesses, dit-elle en jetant un œil à une serveuse qui passait devant elle en balançant outrageusement les hanches.

– Ma pauv' petite. Z'êtes bien sûre de vouloir faire ça ? J'vous préviens, ça va vous changer de la dentelle et de la soie !

– Je suis prête à tout pour sauver mon enfant, affirma Ty Lee avec détermination.

– L'a quel âge ton p'tiot ?

– Un an et demi.

– Tu l'allaites encore?

– Non. Il y a des mois que je n'ai plus de quoi le nourrir. C'est pour cela que je viens ici.

– Non, j'demande parce qu'il y a des messieurs à qui ça peut déplaire. Y en a d'autres qu'aiment bien. Ici y en a pour tous les goûts. Qu'est-ce que t'es prête à faire pour avoir ce boulot ?

– Tout, je ferai tout ! Je vous en prie ! J'ai vraiment besoin de ce travail. »

La femme braqua sur Ty Lee un regard soupçonneux à moitié dissimulé sous des faux-cils et une épaisse couche de maquillage verdâtre.

– Tu peux commencer quand ?

– Tout de suite s'il le faut ! Oh, merci Madame !

– Ici, tout l'monde m'appelle Patronne. J'te préviens. Y passe pas qu'du beau monde par ici. Tu risques de déchanter un peu, ma belle. » Et avant que Ty Lee ait pu répondre, elle appela d'une voix puissante qui couvrit les rires et les bruits des conversations dans la salle commune : « Hachiko ! Cours ici ! Y a une nouvelle ! »

La dénommée Hachiko accourut et Ty Lee sursauta légèrement en découvrant ses traits.

C'était une belle fille aux longs cheveux noirs, épais et soyeux dont la beauté délicate contrastait avec la grossièreté de la tenancière et la saleté des lieux. Deux longues mèches encadraient son visage à la mâchoire légèrement anguleuse qui s'achevaient sur de pommettes saillantes. Le visage restait doux et était illuminé par deux yeux en amande d'un or pur, surmontés de sourcils arqués et bien dessinés. La jeune femme, contrairement à ses collègues, portait une tenue légère qui camouflait ses seins et ses parties intimes.

« Oui, Patronne ? demanda-t-elle d'une voix timide.

Hachiko ne devait pas être beaucoup plus âgée que Ty Lee. Un profond sentiment de malaise étreignait la jeune acrobate alors qu'elle découvrait d'autres points communs avec Azula. La ressemblance était frappante. Si l'on excluait les yeux qui étaient plus clairs que ceux de la Princesse, on aurait pu les prendre pour des jumelles. Ty Lee se demanda en réprimant un soupir dans quelle histoire sordide elle venait encore de mettre les pieds.

« Hachiko est notre meilleure fille, expliqua la tenancière en posant les deux mains sur le comptoir. Elle va tout t'montrer et t'expliquer. Les trois premiers soirs, on laisse nos filles prendre leurs marques. D'abord tu serviras les clients dans la salle. Pour les prestations supplémentaires, ça attendra la s'maine prochaine : ton salaire dépendra des demandes des clients. Hachiko va te montrer la maison. Elle a eu des problèmes avec la garde y a pas longtemps. Elle va t'expliquer comment t'en tirer si tu t'fais arrêter.

– Tu viens ? Lui demanda Hachiko avec un sourire, que j'te montre la maison ! »

L'illusion se brisa un peu quand elle ouvrit la bouche. Entendre parler Azula avec un accent populaire aurait pu paraître comique en d'autres circonstances. Ty Lee avait l'impression d'assister à une mauvaise pièce des Acteurs de l'Île de Braise. Elle suivit malgré tout la jeune fille en se faufilant à travers les étables, utilisant ses talents de contorsionniste pour éviter les mains baladeuses et les regards lubriques des clients qui les regardaient passer en riant. Elle remarqua qu'Hachiko possédait un talent certain pour accueillir avec un sourire digne les démonstrations d'affection de ces dépravés. Son sourire était plus doux que celui d'Azula. Elle était peut-être légèrement plus grande aussi.

Tout en marchant Ty Lee s'accrochait au moindre détail qui différenciait Azula de son improbable sosie.

Ty Lee s'était d'abord demandée pourquoi Zuko avait pris la peine de venir aussi loin pour trouver ce qu'il aurait pu avoir en mieux dans la Caldera et dans des conditions bien moins misérables. La réponse était maintenant sous ses yeux, se mouvait gracieusement entre les tables et s'appelait Hachiko.

D'une oreille distraite, elle écouta les explications d'Hachiko qui lui détaillait le fonctionnement et les règles de la maison close. La visite fut rapide. Bien que peuplé, l'endroit était minuscule. Il n'y avait pas plus de quatre chambres individuelles où les femmes recevaient les clients.

Hachiko profita que l'une d'elle fût inoccupée pour la montrer à Ty Lee qui acquiesça vaguement.

« Normalement cette chambre devrait être occupée par Ayame. Mais après c'qui lui est arrivé, la pauvre…

– Quoi donc ? L'interrogea Ty Lee que la curiosité sortit de son engourdissement.

– Bah t'es pas au courant ? On parle que d'ça dans l'quartier. C'est aussi à cause de ça que j'me suis fait serrer. Les gardes arrêtent pas de traîner par ici depuis qu'c'est arrivé.

– Je ne suis pas installée dans le quartier depuis très longtemps, expliqua Ty Lee avec un sourire qui, elle l'espérait, engagerait Hachiko à continuer.

– La pauvre Ayame sortait du bordel au chant du coq quand soudain, elle a disparu ! Pouf ! Comme ça ! »

Elle mima la disparition en claquant des doigts.

– On l'a r'trouvée trois jours plus tard dans un tas d'ordures à deux pâtés de maison, poursuivit-elle. Elle était dans un triste état. C'est les Fils d'Agni qu'ont fait l'coup. On l'a compris à cause du symbole qu'était tatoué sur sa poitrine et sur son front. Depuis les filles ont toutes peur de sortir. La Patronne nous a promis une escorte mais pour l'instant, y a toujours rien. Alors certains clients plus gentils que d'autres acceptent de rester jusqu'au matin pour nous raccompagner. La Patronne leur fait une ristourne. »

Ty Lee avait complètement oublié Zuko pendant qu'elle écoutait le récit de la jeune femme.

« Et toi, tu n'as pas peur ?

– Moi ? J'aime pas trop ça, mais j'ai pas à m'inquiéter. Ces tarés n'attaquent que les filles qui viennent des colonies. Moi je corresponds au « type » comme on dit. »

Ty Lee se rappela alors ce que lui avait dit Hikaru sur les fameux critères de sélection raciale décrétés par les Fils d'Agni le jour où ils les avaient vus sur cette scène. Juste après qu'ils eurent perdu Azula et Kojiro dans la foule.

« Ayame était arrivée depuis à peine deux mois », continua Hachiko qui ne semblait pas avoir remarqué la façon dont le visage de Ty Lee s'était soudain assombri. « Mais comme elle travaillait bien, la Patronne lui avait laissé cette chambre. Personne veut y travailler. Certaines filles disent qu'elle est maudite, maintenant ! rit-elle. Mais moi je crois pas à ces choses-là ! »

Hachiko prit soudain Ty Lee par le bras et la força à se tourner vers elle.

« D'ailleurs, tu viendrais pas aussi des colonies, toi ? On peut pas dire que t'aies vraiment le « type ». J'dis pas ça pour te vexer ou te faire peur, mais c'est p'têtre pas prudent pour toi de traîner par ici. »

Cette fois, Ty Lee n'eut pas besoin de se forcer pour lui sourire.

« Oh, je ne m'inquiète pas pour ça. Je suis née à la Caldera. Et j'ai deux trois rudiments de combat. Je saurai me défendre !

– Si tu l'dis, répondit Hachiko en haussant les épaules. Mais j't'aurai prévenue. »

Ty Lee en profita pour changer légèrement de sujet : « Tu as dit que tu avais eu des ennuis avec la garde. Tu peux m'en dire plus ?

– Bah y a pas grand-chose à dire, répondit Hachiko en haussant les épaules. En fait i' sont venus m'interroger après qu'un gars a lancé des rumeurs. Pas un mauvais bougre, mais un peu sot et bavard avec ça. Je lui ai fait quelques passes et un jour qu'il était ivre, il a été crier sur les toits qu'il avait couché avec la princesse Azula. Paraîtrait-il que j'lui r'ssemble ! T'y crois, toi ? Moi j'sais pas, j'l'ai jamais vue qu'en portrait. Mais les gardes qui m'ont convoquée ont dit que je lui ressemblais vraiment et ils m'ont vite libérée après ça en me demandant de me faire discrète. T'en parle pas, hein ?» demanda-t-elle précipitamment en se tournant une nouvelle fois vers Ty Lee.

– Ne t'inquiète pas pour cela. Entre filles, on doit s'entraider, pas vrai ! J'ai un petit garçon, tu sais, je ne veux pas faire de vagues !

– D'accord, je préfère ça, répondit Hachiko, visiblement soulagée. Bref, la fin de l'histoire, c'est qu'ils m'ont laissée tranquille. Mais le gars, on l'a jamais revu. Il venait au moins une ou deux fois par semaine avant. Même sa femme sait pas où il est passé apparemment. Paraît qu'y a une nouvelle loi qui interdit de dire des saletés sur le Seigneur du Feu et sa sœur en public. Ça s'est toujours passé comme ça. Y a toujours eu des clients un peu tordus qui d'mandaient à des filles de jouer des rôles. Apparemment ça se f'sait beaucoup du temps où la femme de l'ancien Seigneur du Feu était au palais. C'était une belle femme à c'qui paraît. Et là on dirait bien que sa fille l'a remplacée. Elle est p'têtre cinglée et tout, mais y en a que ça excite. Et avec toutes ces rumeurs et ces histoires d'inceste, ça rajoute un peu de sel, j'imagine ! Le client dont j'te parle a mal choisi son moment. S'il avait pas été assez sot pour l'ouvrir, il serait sans doute là ce soir à me demander ses trucs de tordus ! Pauv'type, va !

– Et…, commença Ty Lee en se demandant comment poser sa question sans que son intérêt paraisse suspect. Cela t'arrive souvent que des clients te prennent pour Azu… pour la princesse ?

– Pas très souvent. Tu sais, par ici, y a pas beaucoup d'monde qu'a déjà vu la princesse en vrai. Lui c'est pas pareil. C'était un soldat de l'ancien Seigneur du Feu. Il avait connu la princesse personnellement alors en me voyant, il s'est imaginé des trucs. Il buvait comme un trou ! C'est possible qu'il ait vraiment cru que j'étais elle !

– Et donc il est le seul qui…

– Bah y a pas longtemps, y a ce drôle de type qu'a commencé à venir. Il veut pas donner son nom et il porte toujours sa capuche et un drôle de masque bleu quand il vient. Il le garde tout l'temps jusqu'à ce qu'on éteigne la lumière. Je pense qu'il porte une vilaine balafre qu'il veut pas qu'on voie ou un truc comme ça. Je l'ai senti en l'embrassant. On en a plein des types comme lui qui viennent ici parce qu'aucune bonne femme ne veut d'eux. C'est dommage parce qu'à part ça, il est bien fait !»

Ty Lee ouvrit de grands yeux.

« Et personne ne s'est inquiété de voir un type aussi bizarre apparaître, après toutes ces histoires de meurtre et d'enlèvements ?

– Au début la Patronne était pas trop d'accord. Mais il lui a donné un gros sac d'or et elle a dit qu'on devait faire ce qu'il demandait. Je devais juste la prévenir si ça devenait trop bizarre. Je suis sa meilleure fille qu'elle dit. Elle veut pas que j'sois trop abîmée, répondit-elle avec une trace d'orgueil qui fit naître chez Ty Lee une grande tristesse pour elle.

– Est-ce qu'il demande à voir d'autres filles ? »

Voyant qu'Hachiko fronçait les sourcils – Agni ! Ce qu'elle ressemblait à Azula quand elle faisait cela – elle s'empressa d'ajouter :

« Excuse-moi de poser toutes ces questions ! C'est que je débute et j'avoue que… je suis un peu inquiète à l'idée de ce qui m'attend. »

Hachiko parut satisfaite de sa réponse et, un peu plus confiante, elle poursuivit :

« Jusque là, il a demandé que moi. Au début j'ai eu un peu peur à cause de son masque bizarre mais finalement, il est gentil. Il me laisse toujours une pièce en plus et il m'a autorisée à garder le kimono, le rouge à lèvre et le parfum qu'il a apportés avec lui la première fois. Et c'est de la qualité, tu peux me croire ! Les filles ont été vertes de jalousie quand elles ont vu ça ! Mais elles savent qu'elles ont pas intérêt à me les piquer parce que si le client revient et que ça a disparu, il sera pas content. Et comme il paie bien, la Patronne veut pas le contrarier. On sait jamais quand il va venir mais s'il arrive, elle change mon emploi du temps pour lui. »

Le cœur de Ty Lee battait un peu trop vite et elle craignait presque qu'Hachiko puisse l'entendre.

« Et… tu dis qu'il te demande de jouer le rôle de la princesse ?

– Il dit son nom parfois pendant l'amour. Il me fait porter les objets que j't'ai dit et après il sort une couronne qu'il me demande de mettre sur ma tête. La couronne il la garde à chaque fois. Je m'demande des fois si c'est pas une vraie tant il y fait gaffe ! »

Ty Lee se sentait au bord de la nausée. Elle n'était pas certaine de vouloir en savoir plus. D'ailleurs, il n'était pas question de dire un mot de cette sordide affaire à Azula. Lui révéler que le garçon qu'elle aimait passait ses nuits dans un bordel miteux de la capitale serait suffisamment difficile comme cela. Elle réfléchissait déjà à l'opportunité de mentir à son amie quand Hachiko, que ces confidences rendait volubile, reprit la parole :

« C'est un peu bizarre en fait mais pas bien méchant. En général il veut qu'on commence dans la salle de bain. Là je dois l'embrasser dans le cou et descendre petit à petit, tu vois. Le seul truc qui me dérange c'est quand j'arrive sur cette horrible cicatrice qu'il porte à la poitrine. Ces trucs-là, j'y peux rien, ça m'a toujours dégoûtée ! Ensuite, bah tu sais, hein ! J'vais pas t'faire un dessin ! Quand j'lui ai fait son affaire, on passe au lit. Il me demande d'éteindre la lumière et il retire son masque. Après c'est plutôt du classique. Il est plutôt doux et respectueux et c'est même agréable souvent. Sa seule exigence, c'est que j'parle pas trop.

– Ah oui ? demanda vaguement Ty Lee pour continuer de feindre un peu d'intérêt alors qu'elle ne rêvait que d'une chose : quitter cet endroit au plus vite. Et peut-être le palais et cette nation gouvernée par un couple de dégénérés aux fantasmes tordues.

– Des fois il me fait même un peu de peine. Il a une voix si triste. »

Ty Lee baissa les yeux vers le sol, incapable de répondre à cause de la boule qui semblait grandir dans sa gorge.

– Ah oui ! Y a aussi une chose qui m'a un peu surprise au début ! Tu veux que j'te dise ?

– Dis toujours, répondit Ty Lee en haussant les épaules, certaine que quelle que soit cette révélation, ce ne pouvait pas être pire.

– Tu vas trouver ça drôle, mais à la fin, quand c'est presque fini, il veut que je l'appelle Zuzu ! ». Et elle s'esclaffa. « C'est drôle, non ?»


Azula soupira.

Dix jours, pensa-t-elle, encore dix jours à passer avec ces rustres sur cette stupide île de décadents.

Bien que Zuko préférât qu'ils aillent sur la petite crique privée située en contrebas de la prison – celle-là même où ils s'étaient réunis avec Mai et Ty Lee après le désastre de la fête de Chan –, le paysan au boomerang avait réussi à convaincre tout le monde de se rendre sur la plus grande plage où de nombreux vacanciers venaient se détendre, jouer à la balle au-dessus d'un filet et se baigner dans les eaux limpides et tumultueuses.

Toute la journée, il lui fallait supporter les pitreries de l'Avatar et de Katara qui surfaient sur les vagues sans l'aide des planches dont se munissaient les autres baigneurs. Ils faisaient sensation. On n'avait guère l'habitude de voir des maîtres de l'Eau sur l'Île de Braise.

L'Avatar avait eu le bon sens de couvrir sa tête d'un foulard qui dissimulait l'horrible flèche bleue ornant son crâne chauve et évitait d'utiliser les autres éléments. Mais le relatif anonymat que cela leur garantissait n'empêchait pas les attroupements de curieux qui venaient assister, hilares, à ses performances.

Au moins les gens ne se préoccupaient-ils pas de l'autre jeune homme important dont l'apparence menaçait tout autant de trahir leur identité.

Azula se tourna vers son frère qui regardait Aang et Katara depuis sa serviette, un sourire un peu figé aux lèvres. Ces deux idiots s'élevaient à cinq mètres au moins au-dessus des vagues à l'aide d'une tornade d'eau qu'ils avaient fait jaillir de l'océan. Katara levait vers l'Avatar des yeux dégoulinants d'amour et de niaiserie. C'était tout bonnement écœurant. Azula espéra de toutes ses forces que jamais une expression aussi mièvre n'apparaîtrait sur son propre visage.

Elle profita que son attention fût attirée ailleurs pour observer son frère. Elle se trouvait à sa droite, allongée sur le ventre, et avait donc pleine vue sur sa cicatrice qui donnait à son profil une allure farouche. Il était si beau, malgré tout. Peut-être même plus beau que s'il ne l'avait pas eue. Azula ne pouvait se rappeler à quoi il ressemblait avant, bien qu'elle l'eût connu pendant onze ans avec un visage intact.

Zuko avait renoncé à porter un chapeau pour dissimuler sa cicatrice. Après tout, dans leur Nation, nombreuses étaient les personnes qui, suite à un accident ou à une blessure de guerre, arboraient semblable blessure.

L'œil gauche de Zuko paraissait plus petit que l'autre au milieu des chairs calcinées, mais il n'en brillait pas moins d'un éclat doré presque solaire. Pour le plus grand plaisir d'Azula, Zuko avait retiré sa tunique et elle pouvait pleinement profiter de la vue plaisante que lui offraient le torse nu et les muscles saillants de Zuko.

Il n'avait pas la carrure impressionnante de Père, ni celle de l'Avatar. Zuko était légèrement plus petit, mais il avait l'allure fière et altière des rois et elle eut un tressaillement quand ses yeux tombèrent sur la cicatrice en forme d'étoile qui ornait sa poitrine. Elle se souvint comment elle l'avait embrassée, des semaines auparavant. Ainsi que du frisson qui l'avait saisie à l'idée de lui procurer un plaisir si intense. Elle aurait aimé être seule avec lui. Là, sur cette plage, elle aurait posé ses lèvres sur la vieille blessures et cette fois, Zuzu ne l'aurait pas repoussée.

Azula était perdue dans ses rêveries quand la voix de son frère vint l'en tirer.

« Tu n'as pas trop chaud ? demanda-t-il brusquement en jetant un œil à la peau blanche de ses épaules. Tu ne devrais pas t'exposer ainsi au soleil…

– Je suis un maître du feu, Zuzu. Je ne crains pas le soleil.

– Tout de même, je préférerais que tu te mettes à l'abri. Le soleil tape très fort à cette heure. Je ne veux pas que tu fasses une insolation.»

Et avant qu'elle ait pu protester, il se leva, alla chercher l'ombrelle repliée qu'il avait emmenée et l'ouvrit au-dessus d'Azula avant de la planter dans le sable à côté d'elle. Azula se roula sur le côté et s'assit pour mieux profiter de l'ombre.

« Voilà », dit Zuko, satisfait, avant de retrouver sa place à un mètre d'Azula.

Celle-ci ne put retenir un petit sourire attendri et tourna la tête pour qu'il ne la vît pas rougir.

Zuko était adorable. Il prenait soin d'elle, veillait à ce qu'elle se sente bien, vérifiait si elle mangeait assez et s'assurait qu'elle se sente intégrée au groupe. Cela adoucissait sa peine. C'était plus facile de supporter la compagnie des amis de son frère en le sachant à ses côtés, dévoué et plein de sollicitude pour elle.

Tout de même, Azula trouvait que la présence des autres ne leur laissait pas autant de moments d'intimité qu'elle aurait espérés.

Certes elle avait soufflé l'idée de ces vacances à Zuko, lui assurant que ce serait un moyen parfait de regagner leur confiance. Bien qu'elle ne l'aimât pas beaucoup, Azula savait que l'Avatar était le garde-fou qui maintenait le navire à flot. Sans Aang à son bord, l'empire de Zuko, fissuré de toutes parts, allait sombrer, inévitablement. Il prenait déjà l'eau. Et Azula entendait bien le réparer. Rien ni personne n'avait le droit de se dresser devant son frère, et s'il fallait pour cela s'infliger la compagnie de quelques paysans sous-éduqués pendant quelques jours, Azula pensait pouvoir s'en accommoder. Et son Zuzu semblait heureux de renouer avec ses amis.

Tout de même, quelques moments en tête à tête avec Zuko n'auraient rien gâché. Lui qui ne la laissait pas une seconde sans surveillance au palais, elle avait espéré qu'il comblerait l'absence de gardes et de Ty Lee durant ces vacances par sa propre présence vigilante.

La première nuit, elle avait attendu, le cœur battant, qu'il pousse la porte de sa chambre et vienne la retrouver. En vain. Il ne vint pas davantage les nuits suivantes.

Là, sous les draps, entre les quatre murs de sa chambre, elle et lui auraient pu s'aimer en secret. S'ils avaient pu cacher leur attirance à une centaine de garde et un nombre équivalent de domestiques au cours des derniers mois, ce n'étaient pas cinq nigauds qui allaient le découvrir.

Il y avait bien la petite Beifong et son étrange habileté à détecter les mensonges. Mais celle-ci semblait plutôt indifférente à tout ce qui se passait entre elle et Zuko. Plus elle passait de temps avec eux, plus Azula se surprenait à l'apprécier. Ses sarcasmes lui rappelaient un peu Mai du temps où elle n'était pas une traîtresse de la pire espèce.

Bien sûr, la jeune fille restait une abominable rustre indigne de son rang, mais au moins sa cécité dispensait Azula des regards assassins que lui jetait régulièrement Sokka.

Azula comprit rapidement que son cas était désespéré. Si elle pouvait tirer quelque chose de ces paysans, ce n'était pas du côté de ce mufle qu'elle irait chercher. Qu'il retourne patauger dans la neige avec sa traînée de Kyosh ! À vrai dire, Azula était heureuse qu'ils l'évitent. Cela lui épargnait l'affligeant spectacle de leur bonheur. Le ventre de la fille qui s'arrondissait chaque jour un peu plus semblait insulter Azula, lui criant à chaque seconde ce qu'elle avait perdu, avant même de savoir qu'elle en rêvait.

Azula évitait généralement de songer à ce que lui avait annoncé Taïma quelques jours après son réveil. Et d'ailleurs, elle ne savait pas très bien qu'en penser. De toute façon, Zuko ne lui aurait jamais fait un bébé et elle était certaine de ne vouloir se donner à personne d'autre. Ce n'était donc pas si grave, n'est-ce pas ?

En outre, Azula n'avait jamais vraiment songé qu'elle pourrait un jour devenir une mère. Comment donner à un enfant l'amour qu'elle-même n'avait pas reçu ? Ces choses-là se transmettent, non ?

Alors pourquoi était-ce si douloureux de voir Suki caresser son ventre rond avec un sourire si serein ? Pourquoi le sien lui paraissait-il si vide tout à coup ?

Cesse de penser à ça, se réprimanda-t-elle.

Cette petite garce de Mai ! Au moins Azula pouvait-elle se consoler en pensant qu'elle non plus ne connaîtrait jamais ce bonheur que l'on disait être la bénédiction des femmes. Son ventre était aussi vide et desséché que son cœur flétri de jalousie et d'amertume.

Ce n'était pas une consolation suffisante. Tôt ou tard, Zuko aurait besoin d'un héritier, et il aurait vite fait de chercher une jolie maîtresse du feu aux hanches suffisamment larges et fécondes pour porter sa puissante lignée.

Nos enfants auraient été de vrais prodiges, pensa-t-elle avec regret en lançant un regard vers Zuko qui regardait toujours la mer, perdu dans ses pensées à ses côtés.

« À condition qu'ils ne naissent pas avec deux têtes ou un bras au milieu du dos… Ou bien imagine qu'ils soient fous comme toi. C'est plutôt une bénédiction que le poison t'ait rendu stérile. »

Azula grinça des dents mais ne tourna pas la tête pour répondre. Bien qu'encore quotidiennes, les apparitions d'Ursa se faisaient moins fréquentes et il lui était plus facile de l'ignorer quand elle était entourée d'autres personnes. Elle savait que bientôt, elle disparaîtrait tout à fait grâce au médicament. Azula essayait de se préparer à ce nouveau départ. Bien qu'elle l'épuisât par ses sarcasmes et ses reproches, elle s'était habituée à sa présence et craignait de se sentir perdue encore une fois quand elle partirait. Cette fois au moins, peut-être que Maman viendrait lui dire au revoir ?

En attendant, Azula faisait des efforts considérables pour fixer dans sa mémoire les traits bienveillants et doux du visage de sa mère. Au palais, elle avait exécuté un portrait qu'elle avait dissimulé dans un coffre qui fermait à clé. Le portrait exécuté des années auparavant par le peintre officiel de la famille royale et qu'elle avait caché sous son oreiller avait mystérieusement disparu. Et Azula n'avait pas osé demander à Zuko ce qu'il était devenu. Tout comme les lettres de Zuko qu'elle n'avait pu retrouver malgré des recherches frénétiques.

« Tu te rappelles la partie que nous avions jouée avec Mai et Ty Lee ? »

C'était son frère qui avait parlé et Azula sursauta légèrement. Zuko fixait une bande d'adolescents qui se livraient un match acharné de chaque côté d'un filet dressé entre eux sur le sable fin. La balle blanche s'élevait dans le ciel, éblouissante comme un météore et on entendait presque siffler quand l'un des jeunes l'envoyait d'un coup de pied vers le camp adverse.

« Bien sûr, répondit-elle, amusée. Nous les avions humiliés.

– Tu crois que nous pourrions encore le faire ? Ou bien sommes-nous devenus trop vieux ?

– Tu as vingt-deux ans Zuko, et franchement, tu n'as jamais été aussi… athlétique, dit-elle après une hésitation en rougissant un peu. Moi en revanche... »

– Je suis certain que tu retrouveras vite toutes tes capacités, répondit Zuko avec ferveur en posant sa main sur la sienne. Sois patiente. Je suis sûr que dans quelques semaines, tu feras à nouveau régner la terreur dans la cour d'entraînement et que tu me donneras du fil à retordre ! Tu es un prodige !

– Si tu le dis », marmonna Azula en faisant naître dans sa main une petite boule de feu, désespérément orange, qui tournoya un moment à la manière d'un petit soleil et s'évanouit dans l'air brûlant de cette chaude journée d'été. « Voilà tout ce qui reste du prodige pour le moment... »

Elle baissa les yeux vers le sable, un air misérable affiché sur son visage, et poussa un profond soupir. Peut-être Zuko la prendrait-il en pitié et viendrait-il la réconforter ?

Au lieu de cela, l'imbécile lâcha sa main et regarda ailleurs , l'air gêné, comme chaque fois qu'elle évoquait sa condition.

Si Zuzu était le plus attentionné des frères, il était loin de faire un amoureux satisfaisant.

Azula comprit, au bout de quelques jours sur l'Île de Braise, qu'il l'évitait. Du moins évitait-il tout contact rapproché avec elle. Elle avait beau passer des heures à choisir ses tenues le matin et se parer des plus beaux bijoux, il ne lui faisait pas un compliment.

Azula était certaine que ses amis avaient quelque chose à voir dans cette soudaine froideur. Dix jours avant leur départ, Zuko ne manquait jamais une occasion de la prendre dans ses bras et il l'effleurait au moindre prétexte. Elle l'avait senti sur le point de céder. Ces vacances auraient dû précipiter les choses. Quand elle avait remarqué qu'il disparaissait le soir, Azula s'était inquiétée. Avait-il rencontré quelqu'un ? Dans le doute, une action de sa part s'imposait !

Azula n'avait peut-être pas été tout à fait honnête avec Zuko en lui exposant les raisons pour lesquelles ces vacances étaient une bonne idée. Mais il n'y avait pas de mal à tirer profit de la situation après tout.

Azula pensa à Ty Lee, là-bas, à la Caldera. Elle se demanda si son enquête avançait. Elles avaient convenu toutes les deux qu'il était mieux qu'elle ne lui envoie pas de faucon. Cela aurait attiré l'attention inutilement.

Son amie avait-elle découvert quelque chose ? La distance de Zuko pendant ces vacances confirmait-elle les pires craintes d'Azula ? Elle n'était pas sûre de pouvoir garder son calme si elle apprenait que Zuko passait ses nuits dans les bras d'une autre quand elle-même faisait tout pour l'inviter dans les siens.

Sa frustration grandissait chaque jour. Rester coincée ici pendant presque quinze jours avec ces gens odieux, et ne même pas en tirer un baiser ?

Les voilà justement qui rappliquaient ! Cela ne faisait même pas une demi-heure qu'elle était tranquille avec son frère. Katara et l'Avatar réapparurent, le corps couvert de gouttelettes d'eau qui tombaient en ruisselant sur le sable et sur leurs serviettes, un grand sourire niais étalé sur leur visage stupide.

« Vous ne vous baignez pas ?

– Si, répliqua Azula, à l'instant où je vous parle, je suis en train de faire du rodéo au-dessus des flots avec un dauphin-baleine à cornes. Cela ne se voit pas ?

– Azula ! s'emporta immédiatement Zuko.

Cela aussi était terriblement frustrant. Zuzu était sans cesse en train de la reprendre ou de l'admonester.

Ces ingrats se vexaient pour un rien. Azula devait sans cesse se justifier ou expliquer qu'elle plaisantait. Quand Zuko ne l'humiliait pas tout simplement devant eux en lui ordonnant de présenter ses excuses. Azula s'exécutait, repensant à la nécessité de s'attirer leur sympathie. Mais comment rester aimable et courtoise quand ils énonçaient de telles sottises ou posaient des questions totalement idiotes et dénuées d'intérêt ?

Ils lui volaient déjà le temps qu'elle aurait pu passer seule avec Zuko. Il fallait en plus qu'ils lui imposent leur horripilante compagnie et des conversations aussi superficielles !

« Une simple plaisanterie, Zuko, ne t'agace pas. Je plaisantais, répéta-t-elle à l'adresse de l'Avatar en lui adressant son plus beau sourire. Je préfère rester sur le sable. Je n'aime pas beaucoup me baigner, ajouta-t-elle d'un ton qu'elle essaya de rendre aimable.

– Tu rates quelque chose ! s'exclama Aang, un grand sourire réjoui éclairant son visage encore enfantin. Je sais bien que le feu et l'eau ont du mal à cohabiter, mais je suis certain que cela t'aiderait à te détendre.

– Je pense qu'Azula veut dire qu'elle est fatiguée et préfère se reposer, intervint Zuko qui avait dû sentir l'agacement irradier du corps de sa petite sœur.

– Très bien », conclut Aang avec un petit sourire qui n'atteignit pas ses yeux gris.

Au grand plaisir d'Azula, il se tut et proposa à Katara d'aller chercher un sorbet. Ils en proposèrent à Zuko et Azula qui refusèrent et disparurent.

« Je veux que tu sois polie avec mes amis, commença Zuko en serrant les dents.

– Oui, oui, très bien, je sais ! Mais dis-leur de cesser de me forcer à partager leurs jeux puérils pour commencer ! Je n'aime pas me baigner.

– Quand nous étions petits, tu adorais cela, lui rappela-t-il.

– C'était avant Zuzu. C'est du passé. »

Oui, autrefois Azula aimait se baigner. Elle passait des heures dans le petit lac vert où les emmenait Mère quand il faisait trop chaud pour rester sur la plage. Elle aimait sauter dans les vagues avec Père qui la tenait par la main et la faisait sauter si haut, dès qu'une vague atteignait ses pieds, qu'elle avait l'impression de s'envoler vers les nuages. Elle hurlait de rire quand il l'entraînait avec lui dans les flots et que Mère leur criait de faire attention depuis le rivage.

Mais c'était avant. Avant que Père ne se mette à la regarder différemment. Avant qu'une terrible marque sur sa hanche ne lui permette plus de porter un maillot de bain ou des vêtements courts sans honte et sans peur des regards curieux.

Sur sa gauche, la main de Maman s'avança un peu et se posa sur la sienne, léger voile sans chaleur dont la sensation se dissipa aussitôt.

Ses yeux se mirent à piquer et cela n'avait rien à voir avec le sable qui parfois s'envolait par bourrasques autour d'eux, les obligeant à protéger leur visage de leur bras.

« J'ai envie de rentrer », murmura-t-elle misérablement.

Zuko tourna vers elle un regard inquiet. Il embrassa la plage du regard, comme pour s'assurer que personne ne les regardait et s'approcha d'Azula qu'il prit par l'épaule. Il embrassa légèrement ses cheveux retenus en chignon et la pressa un peu plus contre lui. Le cœur d'Azula se gonfla de bonheur.

– Laisse-moi le temps de prévenir les autres. Je vais te raccompagner », proposa gentiment Zuko.

Malgré la chaleur, Azula tressaillit.

Sur le chemin qui les ramenait à la maison de vacances, Azula glissa sa main dans celle de Zuko. À sa grande joie, il accepta de la prendre et ils rentrèrent en silence. Le chant des cigales dans les pins qui bordaient le chemin les accompagna tout du long. Le soleil se couchait à l'ouest et sa lumière orangée allongeait leurs ombres sur le sol. Dans le fossé qui bordait la route, des carpes koi nageaient paresseusement dans l'eau douce.

Peut-être Azula avait-elle eu tort de promettre à Zuko que passer du temps avec ses amis les aiderait à rétablir l'ordre et la paix dans leur nation. C'est ensemble, frère et sœur, qu'ils redonneraient à la Nation du Feu toute sa puissance et toute sa gloire d'antan. Les discours pétris de philanthropie de l'Avatar et de ses amis, chaque soir pendant le dîner, la persuadaient un peu plus de l'inanité de leurs projets utopistes.

Plus grave encore, leur présence ne faisait que les éloigner quand elle avait espéré se rapprocher de lui.

Peut-être était-il temps que Zuko fasse son choix.

Ils avancèrent un moment le long du petit sentier bordé de maisons en bois anciennes et abandonnées, et de fleurs au couleurs tapageuses. Ce fut seulement quand ils atteignirent la maison que camouflait une imposante dune de sable blanc, loin de l'Avatar et de ses amis, qu'Azula commença à se sentir mieux.


Dark Zuko est sur place. Que pensez-vous de son nouveau défouloir ? Que se passera-t-il quand Azula découvrira ce qu'il fait la nuit ? Comment va évoluer le séjour sur l'Île de Baise ? Faites-moi part de vos présomptions et de votre opinion sur ce chapitre !
Au chapitre 27, pour reprendre les mots de Zuko, les choses déraperont à nouveau un peu entre lui et Azula. Est-ce un teaser pour vous forcer à vous accrocher à l'histoire ? Absolument pas!