Chapitre 27 – Les faces identiques de deux aimants
Les jours suivant leur arrivée sur l'Île de Braise s'écoulèrent sans heurt. C'était du moins ce que pensait Zuko. Azula semblait avoir compris la leçon et se comportait aussi normalement qu'on pouvait l'espérer. C'est à dire qu'elle se montrait courtoise et polie tout en laissant parfois échapper un commentaire acerbe ou moqueur. Mais il suffisait que Zuko lui adresse un froncement de sourcil ou qu'il presse sa main dans la sienne sous la table pour qu'elle se reprenne et présente ses excuses.
Sa petite sœur faisait de réels efforts pour s'intéresser à eux et s'intégrer au groupe. Zuko pensa même que ses amis pourraient commencer à l'apprécier.
C'était sans compter bien sûr sur Sokka qui ne cessait de lui lancer des regards noirs et refusait qu'elle s'approche à moins de quelques mètres de lui et de Suki qu'il couvait tant que la jeune guerrière en soufflait parfois d'exaspération.
Zuko remarqua une fois ou deux les regards furtifs qu'Azula lançait vers le ventre arrondi de Suki lorsqu'ils étaient à la plage. Elle ressentait probablement du remords d'avoir voulu faire du mal à son bébé et Zuko y voyait un signe encourageant.
Toph se montrait plutôt indifférente. Elle et Azula avaient peu d'interaction et Zuko ne pouvait pas s'en étonner. Rien ni personne dans l'univers ne s'opposait autant que ces deux filles. Alors qu' Azula n'était que grâce, finesse et raffinement, Toph incarnait la robustesse, l'honnêteté et l'amour des choses simples. Pourtant, assez étrangement, elle était, de tout ses amis, celle chez laquelle Zuko percevait le moins d'hostilité. Et il se rappela avec une vague d'affection comment Toph était venue le trouver, cette nuit-là, lorsqu'il avait supplié Aang et ses amis de l'accepter dans leur groupe. Toph était la première à avoir cru en lui. Voyait-elle aussi le bon en Azula ? Cette idée lui donnait de l'espoir.
Aang et Katara faisaient de réels efforts pour se montrer aimables avec Azula et ce, même quand elle se montrait désagréable ou que son tempérament hautain et capricieux se révélait dans toute sa splendeur.
Le soir où Katara et Sokka décidèrent de leur préparer leur fameuse recette de salade de poulpe, Azula surjoua tant le dégoût que Zuko dut la rappeler à l'ordre à haute voix et l'attirer dans une autre pièce pour la réprimander vertement. Mais Katara, loin de s'indigner, proposa de préparer autre chose à la princesse qui accepta avec dédain.
Zuko leur était profondément reconnaissant. Il n'ignorait pas que c'était difficile pour eux aussi.
Malgré ces tensions, Zuko trouvait qu'ils passaient un agréable séjour. Il parvenait parfois à oublier la guerre, Lu Fang, Mai et la criminalité grimpante qui rongeait la capitale comme un fléau depuis plusieurs semaines.
Un autre jour, ils se rendirent tous au théâtre pour assister à une nouvelle adaptation de L'Amour chez les Dragons interprétée par la Troupe de l'Île de Braise. La pièce était confondante de nullité et ils passèrent tous un agréable moment à commenter le jeu horrible des comédiens.
Sur le chemin du retour, Azula raconta à tout le monde comment, petits, elle et lui aimaient rejouer sur la plage la scène où les deux protagonistes se livraient un combat mortel.
« L'Esprit de l'Eau... demanda Aang en souriant. N'est-ce pas son masque que tu portais quand tu m'as sorti du Temple des Sages ? »
Zuko n'eut pas le temps de répondre.
– Vraiment ? s'étonna Azula, très intéressée. Lui qui se plaignait toujours de ne pas pouvoir jouer le rôle de l'Empereur Dragon. Oh ! Zuzu ! s'écria-t-elle en s'accrochant une nouvelle fois à son bras. Tu voulais laisser le meilleur rôle à ta petite sœur, c'est ça ? Même loin de moi, tu ne m'avais pas oubliée !
– Non, ce n'est pas ça ! répondit-il, terriblement gêné, en se dégageant de sa prise. Je ne sais pas, je n'ai pas envie d'en parler ! rougit-il.
Azula sourit malicieusement et, s'adressant à tout le groupe :
« De toute façon, si Zuzu et moi devions rejouer une scène aujourd'hui, je crois que je choisirais plutôt la suivante. » Elle fit suivre cette réplique d'un battement de cils parfaitement exaspérant qui ne lui ressemblait en rien.
Zuko aurait voulu supplier Toph d'ouvrir une brèche dans le sol pour qu'il puisse s'y engouffrer à tout jamais. Les autres devaient partager son sentiment. La scène qui succédait à l'affrontement final était celle de la déclaration d'amour et du baiser entre le Dragon Empereur et sa bien-aimée.
Après plusieurs jours de ce petit manège, Zuko avait fini par se convaincre qu'Azula surjouait le rôle de la petite sœur en adoration. Il n'était que trop évident qu'elle s'amusait à ses dépens. Il l'avait vue se mordre les lèvres une fois ou deux après une sortie de ce genre, comme pour s'empêcher de rire. Il n'avait aucune idée des motivations qui la poussaient à agir de la sorte. D'ailleurs, cela ne l'intriguait plus vraiment : il était à bout de patience. Ce petit jeu devait cesser, maintenant !
« Azula, souffla-t-il en s'approchant d'elle et en lui empoignant le bras un peu trop vigoureusement. Tu ne peux pas dire des choses comme ça ! Nous en avons déjà parlé !
– Quoi ! se défendit-elle d'un ton faussement candide. C'est une très belle scène. Le texte est de toute beauté, c'est de la pure poésie ! Et je te laisserai volontiers le rôle de l'Empereur Dragon cette fois !»
Toph éclata de rire et cela détendit un peu l'atmosphère mais les cœurs n'étaient plus trop à la fête après cela et Zuko refusa de parler à sa sœur jusqu'à ce qu'ils soient rentrés.
Le soir, après le dîner, ils se réunirent tous sur la plage autour d'un feu de camp que Zuko s'occupa d'allumer et d'entretenir. Déridé par la bouteille de vin qu'il avait presque vidée à lui tout seul, Sokka se mit à chanter des chansons paillardes de sa tribu. Suki et Katara semblèrent mortifiées mais Aang et Toph éclatèrent de rire. Zuko lui-même finit par esquisser un sourire et, oubliant qu'il était fâché contre elle, il se tourna vers sa sœur dont le visage restait de marbre.
Elle n'essayait même pas de dissimuler l'exaspération et le mépris que le jeune guerrier lui inspiraient et se mit à bâiller ostensiblement quand Aang prit la parole pour réciter un poème du gourou Laghima, un moine de l'Air qui, disait-on, avait acquis le don de voler sans l'aide d'un bison ni de son bâton.
« Un maître du feu digne de ce nom peut utiliser sa maîtrise pour faire exactement la même chose, murmura-t-elle pour Zuko mais assez fort pour que tout le monde l'entende. Et aucun de nos poètes n'a jamais ressenti le besoin d'écrire des vers à ce sujet.
– Je n'ai jamais eu cette capacité, lui rappela Zuko, piqué au vif. Et je ne me considère pas comme un maître indigne de ce nom !
– Oh toi c'est différent Zuzu, minauda-t-elle sans plus se soucier de parler à voix basse. Tout le monde sait que tu es un élève lent. Mais si j'en crois Ty Lee, tu as des talents cachés qui ne demandent qu'à être dévoilés. Quand le moment sera venu, je serai ravie de t'apprendre.» Elle accompagna cette phrase énigmatique d'un sourire plein de malice et Zuko vit les flammes se refléter dans ses yeux mordorés.
Zuko ne voyait pas du tout de quoi elle voulait parler ou plutôt, il craignait de le savoir. Ainsi elle savait ce qui s'était passé dans les sous-sols du palais. Elle n'aurait quand même pas l'audace de plaisanter sur quelque chose d'aussi grave ? Pas devant ses amis qui ne les avaient toujours pas pardonnés ? Son agacement contre elle monta d'un cran.
Aang avait cessé de parler et tous les regards étaient braqués sur eux. Il préféra se taire pour éviter une dispute et ravala la réplique qui lui brûlait les lèvres. Comment pouvait-elle encore remettre en doute la supériorité de sa maîtrise quand elle n'était même plus capable de faire partir un feu comme celui autour duquel ils étaient assis ce soir-là ?
« Excuse-nous Aang. Reprends ton histoire, je t'en prie. Azula va être gentille et cesser d'insulter ta culture !»
Aang sourit et ses yeux se plissèrent jusqu'à se fermer complètement.
« Non, non, ça va, sourit-il. Je comprends que ce ne soit pas passionnant pour tout le monde ! J'avais fini de toute façon. Maintenant qu'on a écouté la chanson de Sokka et mon poème, peut-être pourriez-vous tous les deux nous raconter une légende ou un mythe de la Nation du Feu ?
– Faut-il que cela soit aussi barbant que ce que tu viens de nous réciter ?
– Azula ! s'écria Zuko en lui attrapant le poignet. Cesse d'être grossière !
– C'est une vraie question ! Je connais des centaines de poèmes. Père m'obligeait à en apprendre par cœur pour faire travailler ma mémoire. Mais ce sont de vieux textes très mystérieux. Vous n'y comprendriez rien, vous autres. Si vous voulez une histoire typique de notre nation et adaptée à votre niveau, Zuko peut vous raconter Le Conte du Soleil et de la Lune.
– Pourquoi moi ? s'écria-t-il.
– Parce que ta princesse te le demande, grand frère. Allez, ne sois pas timide. Tes amis attendent.
– Allez Zuko ! l'encouragea Aang, bientôt imité par les autres qui répétèrent ses paroles en écho, la voix enivrée de Sokka dominant toutes les autres.
– D'accord, d'accord ! Bien ! Mais je raconte très mal les histoires, vous serez prévenu ! »
Essayant de se rappeler les premiers mots du conte que leur racontait leur mère quand ils étaient petits, Zuko commença. Le récit dura longtemps et au bout d'un moment, une douce sérénité enveloppa le petit groupe. La berceuse des vagues tout près accompagnait les paroles de Zuko qui racontait son histoire, assis sur le sable, le regard fixé sur le feu qui jetait des reflets rougeoyants dans ses iris dorés. Vers la fin de son récit, alors que Zuko racontait comment l'esprit de la Lune s'était couvert de flammes pour plaire au Soleil, il sentit Azula se rapprocher de lui.
Un silence agréable tomba sur la petite crique où ils étaient réunis. Le regard maintenant levé vers les étoiles, adossé contre un gros rocher, Zuko pensait à sa mère. Où était-elle désormais ? Pensait-elle encore à lui ? Qu'aurait-elle pensé de son actuelle relation avec Azula ?
Le silence se prolongea, seulement interrompu par la caresse des vagues sur le sable fin.
Au bout d'un moment, les couples se réunirent. Assis sur le sable, devant le feu qui diffusait des braises crépitantes vers le ciel indigo, Aang ouvrit les bras pour y accueillir Katara, qui se s'adossa contre sa poitrine, et la serra contre lui. Sokka et Suki les imitèrent.
Azula les avait regardé faire avec l'intérêt du disciple qui observe les mouvements de son maître. Elle se pressa contre Zuko et prit sa main qu'elle fit passer par dessus son épaule, s'invitant dans ses bras. Elle s'abandonna contre lui, comme Katara et Suki venaient de le faire avec leur fiancé respectif et posa sa main sur la poitrine de Zuko qu'elle se mit à effleurer doucement. Il n'osa pas la repousser mais il sentait les regards des autres braqués sur eux et ne pouvait qu'imaginer leur malaise.
Seule, un peu en retrait, Toph s'était appuyée contre des rochers qu'elle avait creusés à l'aide de sa maîtrise pour qu'ils s'adaptent à la forme de son dos, totalement indifférente à l'étalage d'affection qui se déroulait à quelques mètres d'elle.
Zuko se sentit pris au piège. Il aurait bien voulu repousser Azula mais comment faire sans lui faire de la peine ? Et en même temps, il lui paraissait si évident qu'elle agissait ainsi à dessein.
Encore une fois, il se demanda si Azula n'avait pas soufflé cette idée de séjour entre amis pour marquer son territoire en faisant comprendre aux autres que Zuko était à elle.
Ou bien peut-être cherchait-elle à le tester pour le forcer à choisir un camp ?
Un peu plus loin, Sokka et Suki commencèrent à s'embrasser et Zuko comprit qu'il lui fallait agir avant qu'il ne prenne à Azula la fantaisie de les imiter. Il se releva et obligea sa sœur à s'écarter de lui. Il évita de la regarder pour ne pas voir le dépit dans ses yeux et annonça :
« Il est bien tard. Je crois que je vais aller me coucher. »
Aang bâilla et répondit qu'il avait raison et que lui et Katara allaient bientôt en faire autant. Sokka et Suki ne les écoutaient pas, trop occupés à s'embrasser pour faire attention à eux.
Assise à quelques mètres d'eux, Azula les regardait avec un drôle d'air qui pouvait aussi bien exprimer le dégoût que l'envie. Et même, Zuko en était certain, un peu de curiosité, comme si elle espérait s'instruire.
L'idée parut bizarre à Zuko. Azula avait dû embrasser une quantité de garçons. Comment pouvait-il en être autrement avec un physique comme le sien ? La sensation familière de jalousie monta en lui, causant l'habituelle explosion de sentiments conflictuels, et il se planta devant sa sœur pour lui tendre la main. Elle l'accepta et Zuko l'aida à se relever.
« Je te raccompagne dans ta chambre, lui indiqua-t-il. Bonne nuit tout le monde », lança-t-il à la cantonade.
Ils remontèrent le long du sentier qui menait à la maison de vacances. À la moitié du chemin, Azula commença à montrer des signes de faiblesse. Quand elle trébucha pour la seconde fois, Zuko lui proposa de la porter sur son dos.
Il la vit clairement rougir à la clarté de la lune. Azula ne se comportait pas du tout de la même manière quand elle était seule avec lui. Les allusions déplacées laissaient place à des regards gênés et furtifs, à des demi-sourires mal assurés. Malgré sa gêne évidente, elle accepta son offre et s'accrocha à ses épaules.
Azula ne pesait pas très lourd. Pourtant, quand ils atteignirent enfin le sommet de la falaise et entrèrent dans la maison déserte, il transpirait abondamment.
Il la porta jusqu'à la porte de sa chambre au rez-de-chaussée. Pressentant les risques, il accepta néanmoins son offre d'entrer avec elle dans la pièce.
Voyant les perles de transpiration sur le front de son frère, Azula se dirigea vers sa petite salle d'eau attenante à la chambre à coucher et revint avec une serviette dont elle tamponna le visage et la poitrine de Zuko.
« Le Seigneur du Feu qui se prend pour un baudet ? Décidément, j'aurais tout vu ! plaisanta-t-elle, brisant le silence tendu qui s'était installé pendant qu'elle essuyait le cou de son frère.
Quand elle eut fini, elle posa la serviette sur un guéridon à côté d'eux et planta ses yeux dans les siens. Il crut être revenu trois mois en arrière, lors de cette soirée où tout avait commencé. Les signes semblaient se multiplier. La nuit, la serviette qui gisait sur le côté, la bouche écarlate d'Azula ourlées dans un sourire coquin.
Pars, pauvre imbécile. Sors de cette chambre, maintenant !
Mais ses jambes ne voulurent pas lui obéir.
«Je suis désolée de t'avoir mis mal à l'aise devant tes amis ce soir, dit Azula en prenant un ton très différent, beaucoup plus sérieux Je ne me suis pas rendu compte que c'était inapproprié. Parfois, tu sais… hésita-t-elle, j'ai du mal à saisir ce que les autres attendent de moi.»
Elle leva vers lui deux beaux yeux pleins d'une candeur étrange pour elle, tordant ses mains dans un air de parfaite contrition et Zuko sentit ses entrailles se nouer.
Azula prit sans doute son silence pour un encouragement. Il la laissa se rapprocher lentement de lui et enrouler ses bras ornés de bracelets d'or autour de son cou. Il s'interdit intérieurement de passer les siens autour de la taille fine de sa sœur et attendit de voir, le cœur battant, quel serait son prochain mouvement. Il éprouvait la désagréable impression d'être au milieu d'un combat, cerné par un adversaire aussi dangereux qu'imprévisible.
« Tu es si bon pour moi, Zuko, roucoula-t-elle en enfouissant son nez dans le creux de son épaule. Malgré tous les troubles que je t'ai causés, tu t'occupes toujours si bien de moi.
– C'est normal, bredouilla-t-il en tapotant maladroitement son dos, c'est mon rôle. Je veux juste que tu ailles bien.»
Azula fit courir ses doigts le long de la cicatrice sur la joue de Zuko, prit sa main dans la sienne et la guida doucement sur sa hanche. C'était la première fois qu'elle se montrait si entreprenante depuis le début de leur séjour. Ils se turent encore et Zuko luttait futilement contre son cœur qui trahissait sa vive émotion. Blottie contre lui, Azula devait sentir chaque battement.
« Je crois que tes amis ne m'aiment pas beaucoup, dit-elle finalement, rompant le silence.
– Ce n'est pas ça, mentit-il. C'est juste que ces choses-là peuvent prendre du temps. Katara ne m'a pas accepté tout de suite quand je les ai rejoints. Il a fallu que je fasse mes preuves auprès d'elle pour qu'elle m'accorde sa confiance. Ce sera peut-être pareil pour toi.
– Tu sais ce que je crois ? dit Azula qui n'avait pas l'air de l'avoir écouté. Je crois qu'en vérité, elle et son idiot de frère sont jaloux de notre relation. Tu as vu comme ils se chamaillent tout le temps ? On dirait des enfants, c'est pathétique ! Ils doivent tellement nous envier ! Toi et moi, nous nous entendons si bien malgré nos anciens différends, tu ne trouves pas ?
– Ne parle pas de Sokka de cette façon, l'avertit-il sans relever l'évidente provocation.
« Est-ce que tu as vu comment il embrassait sa pays- sa fiancée tout à l'heure ? »
Zuko se demanda s'il s'agissait d'un piège et l'impression fugace qui avait traversé son esprit quelques minutes plus tôt le saisit à nouveau. C'était exactement comme livrer un combat contre un adversaire dont on ne pouvait anticiper les coups. Zuko croyait bien connaître sa petite sœur, mais elle s'arrangeait toujours pour le déstabiliser et le mettre à terre. Il ignorait encore ce qu'il allait répondre quand elle poursuivit :
« Je ne comprends décidément pas ce qu'il lui trouve. Certes cette fille n'est pas laide et elle ne manque certainement pas de courage, mais elle est tellement banale ! Enfin, je suppose que la banalité appelle la banalité. De même que la puissance recherche la puissance. Si j'étais un homme, je pense que mon choix se porterait davantage sur Katara. Au moins, sa maîtrise fait d'elle une partenaire intéressante. Mais elle est déjà avec l'Avatar…
Zuko se renfrogna et répliqua froidement :
« Ils sont frère et sœur. Il paraît que c'est un obstacle pour certains. Enfin, si cela a le moindre sens pour toi ...»
Azula rit un peu et approcha son visage tout près du sien. Elle posa son index sur la lèvre inférieure de Zuko dont la gorge s'assécha instantanément.
« Chut… Pas de sarcasme, Zuzu. Cela ne sied guère aux rois. Laisse ça à ta petite sœur barjo.» Elle entortilla autour de son doigt une mèche de cheveux de Zuko. « Je la comprends un peu, poursuivit-elle d'une voix caressante.
« Katara, clarifia-t-elle en réponse à son haussement de sourcil interrogateur. Tout le monde n'a pas la chance d'avoir un frère aussi puissant et aussi attirant que le mien. »
La tension monta d'un cran dans la pièce et Zuko retint son souffle. Il se demandait ce qu'il devrait faire si Azula se montrait plus entreprenante. Il savait que la situation pouvait lui échapper à tout moment et c'est ce qu'il tenait absolument à éviter. Mais une partie de lui était curieuse de voir jusqu'où Azula irait. S'il pouvait au moins lever un peu le voile sur ses intentions...
Mais surtout, il craignait de la blesser à nouveau en la repoussant trop rudement. Sous les avant-bras d'Azula, des marques fines, blanches ou violacées, étaient là pour lui rappeler le prix de sa négligence.
À son grand soulagement, Azula le relâcha et s'éloigna pour s'asseoir sur le grand lit. Là, elle ôta ses chaussures plates et se massa le bas du dos en étirant son buste, une grimace de douleur apparaissant sur son visage. Le mouvement fit ressortir sa poitrine et Zuko détourna le regard.
« Est-ce que tu as mal ? s'inquiéta-t-il.
– La journée a été longue », soupira-t-elle en commençant à dénouer la tresse qui pendait sur son épaule. Zuko imaginait-il seulement le ton séducteur qu'il percevait dans sa voix ? Fasciné, Zuko la regarda faire. À la fin, elle passa négligemment ses doigts dans ses cheveux pour leur redonner forme. Ils ondulaient un peu à cause de la tresse qui les avait retenus toute la journée. Comme toujours quand elle les lâchait, une mèche rebelle se plaça d'elle-même devant son front.
« Nous avons beaucoup marché, se plaignit Azula. Toutes ces soirées à bavarder et écouter les histoires sans intérêt de ces paysans m'épuisent. J'aimerais me coucher mais mes pieds et mon dos me font terriblement souffrir. Je crois que je vais passer une nuit épouvantable.»
Elle accentua le ton plaintif de sa voix et recula un peu dans le lit pour s'adosser contre ses oreillers.
« Si seulement il y avait quelqu'un dans cette pièce qui sache prodiguer des massages de qualité. Mais je crois qu'il n'y a qu'une princesse et son baudet. », sourit-elle en ralentissant le débit de ses paroles, une lueur prédatrice illuminant son regard fauve.
Elle laissa passer un silence et ajouta : «Mais ce baudet est peut-être intéressé par une nouvelle chevauchée? Je ne dirais pas non... »
Est-ce qu'elle venait juste de dire ?… Quel culot! s'indigna Zuko qui eut soudain envie de décamper. Le petit jeu d'Azula ne l'amusait plus et il la soupçonnait de se moquer de lui à ses dépens. Eh bien, il ne lui faciliterait pas la tâche !
« Si tu as mal, je peux demander à Katara de venir te voir. Elle saura te soulager. »
Azula parut mécontente et prit un air blessé :
« Tu es trop cruel, Zuko. Tu ne comprends donc rien ? Ce dont j'ai besoin maintenant, ce n'est pas d'une fille qui me méprise et ne me soigne que par obligation. C'est mon grand frère que je veux, quelqu'un qui tienne au moins un tout petit peu à moi. J'ai été gravement blessée, cela ne te fait donc rien de me voir souffrir ? »
La culpabilité l'étreignit aussitôt. Azula savait toujours comment obtenir de lui les réactions qu'elle désirait. Et chaque fois, il tombait la tête la première dans son piège.
« Que vont penser les autres s'ils me voient sortir de ta chambre alors que nous sommes censés être couchés depuis une heure ? essaya-t-il.
– Que le plus grand monarque du monde sait prendre soin des siens. Un souverain bon pour sa famille est un souverain bon pour son peuple. On ne t'a jamais appris cela, Zuzu ? »
Avec un sourire, elle tapota la place à côté d'elle sur le lit.
« Allons, grand frère, ne sois pas timide. Je te promets d'être une petite sœur modèle. Tu devrais voir ta tête, s'esclaffa-t-elle. On dirait que tu as peur que je te morde.
– Je n'ai pas peur que tu me mordes, répondit-il laconiquement.
Et pour le prouver, il s'assit sur le bord du lit en veillant bien à s'asseoir assez loin pour dissiper tout malentendu.
Un sourire exaspérant de satisfaction étira ses lèvres rubis et elle étendit sa jambe pour la poser sur les genoux de Zuko. Il prit son pied nu entre ses mains et commença à le pétrir sans la regarder.
« Oh, Zuzu ! dit-elle après un moment en fermant les yeux et en soupirant d'aise. Tu as vraiment des doigts de fée. Je commence déjà à me sentir mieux. » Et elle lui tendit son autre pied en l'agitant un peu pour attirer l'attention de son frère.
Il le prit entre ses mains, comme l'autre et Azula crut bon d'ajouter : « Je ne comprends pas que Mai soit partie. Avec de tels dons, je ne doute pas que tu saches comment satisfaire une femme ! »
Zuko se figea et un frisson glacé remonta le long de sa colonne vertébrale.
– C'est- c'est très inapproprié, Azula…
– Vraiment ? feignit-elle de s'étonner sans même prendre la peine d'ouvrir les yeux. Si tu le dis… C'est toi l'expert ! Mais ne sois pas si prude, Zuzu ! Je plaisantais. C'est trop facile de te faire enrager!
– C'est juste pour me faire enrager que tu joues à ce petit jeu ?
– Tu préférerais que ce soit pour une autre raison ? » demanda-t-elle d'un ton séducteur en levant un sourcil, un sourire rusé relevant un coin de sa bouche.
La colère commençait à envahir Zuko. Il la sentait poindre dans sa poitrine et gagner peu à peu tout l'espace. Il se força au calme et prit une profonde inspiration.
– Je préférerais que nous nous taisions si tu veux bien…
– Très bien, » dit-elle d'une voix soudain beaucoup moins chaleureuse.
Le silence s'installa et loin d'atténuer l'embarras que ressentait Zuko, il ne faisait que l'augmenter. Il risqua un regard vers le visage de sa sœur. Elle avait fermé les yeux à nouveau. Elle avait rassemblé la majorité de ses cheveux sur un côté et ils retombaient comme une cascade d'onyx sur son épaule dénudée. Sa poitrine se soulevait doucement et le regard de Zuko s'attarda un peu sur la douce courbe de ses seins dont la pointe insolente affleurait sous le tissu léger qu'elle portait. Azula ouvrit les yeux au même moment et il détourna vivement le regard, rougissant comme un enfant pris la main dans le sac.
Un homme a le droit de regarder. Un homme a le droit de regarder…
La petite litanie, si souvent répétée, tourna dans sa tête, encore et encore, tel un mantra. Sans se rendre compte de ce qu'il faisait, il se mit à pétrir frénétiquement la plante du pied d'Azula.
« Zuko, tu me fais mal ! s'exclama-t-elle au bout de quelques instants.
– Oh ! Excuse-moi ! » Et il lâcha aussitôt son pied, les joues plus rouges que jamais.
Mais Azula ne semblait pas lui en vouloir.
– C'est mon tour maintenant, Zuko.
Le ton ne souffrait aucune contestation et Zuko ne bougea pas quand Azula se redressa en grimaçant. Son bassin la faisait toujours souffrir dès qu'elle changeait de position mais elle ne s'en plaignait que rarement.
« Après tous ces efforts pour me porter jusqu'ici, tu dois être tout noué. »
Elle se plaça à genoux derrière lui, comme elle l'avait fait le soir où il était venu la rejoindre pour lui parler de Kojiro. Sa gorge se serra à ce souvenir.
Quand les mains d'Azula se posèrent sur ses épaules et se mirent à le masser, elles lui parurent froides comme une eau glacée.
L'une d'elle quitta rapidement ses épaules pour se perdre dans le col échancré de sa tunique et Zuko retint son souffle.
« Tu devrais retirer ça, murmura-t-elle à son oreille.
Et avant qu'il ait pu protester ou simplement réagir, elle fit passer la tunique par-dessus sa tête. Hébété, pétrifié, il n'opposa pas de résistance.
« Azula…, essaya-t-il.
Elle abandonna son dos pour lui faire face, l'enjamba et s'assit à califourchon sur ses cuisses.
– Je veux simplement être une bonne petite sœur pour toi Zuko », susurra-t-elle à travers ses lèvres qu'elle pressait dans son cou. Des petites décharges partirent de son crâne et parcoururent tout son corps en quelques secondes.
« Après tout ce que tu as traversé récemment, tu dois être tellement nerveux. Laisse-moi t'aider à te détendre. »
Les paroles empoisonnées transpercèrent Zuko et se répandirent dans tout son corps comme le venin d'un cobra. Azula écarta ses genoux et se coula sur lui.
Il devint dur tout de suite entre ses jambes entrouvertes et il l'entendit pousser un soupir de contentement. Elle s'agrippa à son cou, picorant sa joue de baisers fiévreux et renversa la tête en arrière.
« Oh, Zuko ! » gémit-elle en allant et venant doucement contre lui. Puis de plus en plus vite.
Zuko ne pouvait empêcher son corps de répondre à ses assauts.
Il leva vaguement les bras, prêt à la repousser mais au lieu d'atteindre son épaule, l'une de ses mains se posa sur sa poitrine et dans sa panique, comme il essayait de la retirer, il tira involontairement sur le tissu qui cachait ses seins.
« Veux-tu que je le retire ? lui demanda-t-elle dans un souffle brûlant en plantant ses yeux obscurcis par le désir dans les siens. Je peux si tu veux, cela ne me dérange pas du tout.»
Oh oui il voulait qu'elle le retire ! Il le lui aurait arraché avec les dents !
Tout son être lui hurlait d'arrêter. Aussi fut-il furieux contre lui-même quand il s'entendit répondre à voix basse un simple « Oui. »
Les joues d'Azula rosirent adorablement et Zuko attendit le cœur battant tandis qu'elle agrippait l'ourlet de son haut pour le retirer.
Quand elle fut torse nu devant lui, il s'arrêtèrent de bouger et Zuko, les yeux baissés sur cette poitrine charmante qui hantait ses rêves, fut momentanément incapable de parler.
C'était vraiment en train d'arriver. Azula allait s'offrir à lui. Et il avait bien l'intention d'accepter ce présent. Tant pis pour la morale, tant pis pour la nation et le qu'en dira-t-on. On y repenserait le lendemain. Pour le moment, il y avait une fille magnifique et terriblement désirable sur ses genoux, qui attendait, le cœur battant que ses mains la caressent et lui donnent du plaisir.
« Zuko ? » Il entendit son murmure, distant et incertain et leva à nouveau les yeux vers son visage. Il lut l'inquiétude dans ses yeux, la peur, peut-être, de le décevoir. Zuko s'en étonna. Azula avait toujours semblé plutôt confiante en ses atouts physiques. Ses yeux de chatte étaient grand ouverts, guettant sa réaction. Zuko pouvait voir la petite pulsation dans sa gorge. Azula était aussi nerveuse que lui et il eut un instant d'hésitation.
« Tu ne me trouves pas jolie ? chuchota-t-elle, brisant le silence qui devenait assourdissant.
Lentement, trop ému pour parler, il porta une main tremblante sur son sein et l'effleura doucement, laissant son pouce jouer avec l'extrémité. Azula inspira brusquement.
– Tu es magnifique, » déclara-t-il finalement la gorge sèche.
Azula émit un petit rire nerveux qui ressemblait à du soulagement. Elle se pencha vers son frère et leurs lèvres se joignirent, les entraînant dans un baiser sans fin. Elle recommença à bouger au-dessus de lui et Zuko laissa échapper un grognement de satisfaction. La chaleur causée par le frottement des tissus qui recouvraient encore la partie inférieure de leur corps était enivrante.
Autour d'eux, la lueur des torches enflammées accrochées sur les murs redoubla d'intensité l'espace d'une seconde.
Tant pis, se répéta-t-il. C'était trop bon. Sa sœur n'était plus malade, elle était sobre et savait ce qu'elle voulait. Il fit descendre ses mains sur la taille d'Azula et la maintint fermement contre lui pour mieux presser contre elle la preuve de son désir et pour sentir ses seins s'écraser contre son torse. Elle poussa une plainte étranglée et enfonça compulsivement ses ongles dans la chair de ses épaules.
Comme la première fois qu'il l'avait touchée, il s'étonna de l'aisance avec laquelle leurs corps se découvraient et s'adaptaient l'un à l'autre. Toutes les fois où il s'était autorisé à imaginer cette scène, dans les brumes d'un demi-sommeil, à l'heure où le rêve et la réalité se mélangeaient, où les idées enfouies au cours de la journée refaisaient surface, il était convaincu que la sensation serait étrange, que leurs corps ne sauraient pas s'accorder, qu'ils se repousseraient comme les faces identiques de deux aimants.
Pourtant, les gestes lui venaient aussi naturellement que si c'était Mai qu'il tenait dans ses bras et bientôt, il s'autorisa à passer ses mains dans la soie de ses cheveux noirs, dans le bas de son dos, sur ses seins et se surprit à apprécier le goût nouveau de ces lèvres rubis dont s'étaient échappés tant de sarcasmes et de paroles blessantes durant toute leur vie. Il paraissait merveilleux que tant de venin ait pu jaillir de lèvres si douces et si sucrées.
Azula rompit le baiser et sa voix s'éleva dans la chambre, haletante, pleine d'empressement.
« Aime-moi, mon frère. S'il-te-plaît, j'ai besoin que tu m'aimes !
– Je t'aime, répondit-il sans réfléchir, comme engourdi par toutes ces sensations affolantes.
– Non ! Ce n'est pas assez ! Prouve-le-moi! » exigea-t-elle en se pressant encore plus contre lui et en meurtrissant ses épaules avec ses ongles pointus.
Jamais il n'avait eu à ce point envie d'elle et il sentit quelque chose se casser en lui, comme un mur qui s'effondre. Rendu fou par le désir qu'il avait d'elle, il se renversa en arrière sur le lit, emportant Azula dans son élan, qui poussa un petit cri de surprise. Il la fit rouler sur le dos et se plaça au-dessus d'elle, plongeant sa tête dans son cou et plaquant ses paumes contre sa poitrine qui se soulevait rapidement au rythme de son excitation. Tout le corps d'Azula se raidit sous l'effet du plaisir et elle poussa un petit cri qu'il essaya d'étouffer en posant une main sur sa bouche.
« Chut, Azula ! »
Si quelqu'un les entendait...
Puis il se passa une chose inconcevable. Azula mordit dans sa main pour le forcer à la libérer. Zuko poussa un cri de protestation et baissa les yeux sur sa sœur ses pupilles brillaient d'une lueur étrange, un peu effrayante, un mélange subtil de rage, de terreur et de désir confondus.
« Tais-toi petite traînée ! Tu veux que tout le monde t'entende ? »
Les mots, dénués de tout sens, s'étaient échappés des lèvres entrouvertes de sa sœur, pleins d'une fureur sauvage.
Zuko s'interrompit d'un coup. Il se figea au-dessus d'elle et son ardeur se refroidit aussitôt. La culpabilité et le remords reprirent leur place dans ses entrailles et il réalisa soudain qu'il faisait nuit noire et que la pièce était très sombre, seulement éclairée par la lueur blafarde de la lune qui jetait ses rayons sur les draps, colorant la peau d'Azula d'une teinte bleuâtre un peu fantomatique. Les torches autour d'eux s'étaient brutalement éteintes.
Azula, le souffle court, le regardait, ses yeux agrandis par l'horreur. Se rendait-elle compte de ce qu'elle venait de dire ?
« Qu-Quoi ? bégaya-t-il, incapable d'ajouter un mot de plus, en la sondant du regard.
Les pupilles d'Azula ne cessaient d'aller de droite à gauche, comme si elle cherchait à éviter son regard ou à se convaincre que tout cela n'était pas réel. Elle semblait mortifiée.
« Pardon… je-. Ce n'est pas ce que je… Oh, non, non, non, non !
Et elle remua sous lui pour se dégager. Il se releva pour la laisser partir et la regarda, à genoux sur le lit, se saisir de son haut, le revêtir avec des doigts tremblants. Interdit, il la laissa reculer vers le mur où elle se prit la tête dans les mains et commença à se balancer d'avant en arrière en marmonnant des mots qu'il ne comprenait pas.
Il s'approcha à quatre pattes vers elle et entendit alors le contenu de ses paroles :
« Rester pure, tu dois rester pure ! ...Des choses dégoûtantes avec ton frère… Est-ce que tu l'as laissé te faire des choses dégoûtantes ? As-tu déjà saigné ?»
Le cœur de Zuko s'arrêta de battre et il pâlit. Il aurait voulu la serrer contre lui mais craignit de lui faire peur. Elle ne paraissait même plus le voir, elle était partie dans un monde d'ombres et de terreur où les grands frères aimants n'existaient plus.
« Azula ? cria-t-il en s'asseyant contre la tête de lit à côté, d'elle. Qu'est-ce qui se passe ? Est-ce que je t'ai fait mal ? Parle-moi s'il-te-plaît ! »
Zuko ne savait pas pourquoi mais il était terrifié. Sans raison, il pensa à un gigantesque soleil noir tracé mille fois au fusain sur des parchemins éparpillés. Puis l'image se dissipa aussitôt, comme dissimulée par d'immenses nuages menaçants.
« Tu ne devras jamais en parler ! Tu ne dois jamais en parler ! Ou je te tue ! Ne le dis à personne ! Ne le dis à personne !» Et elle se mit à scander ces mêmes paroles, élevant un peu plus la voix à chaque fois, jusqu'à crier d'une voix stridente.
– Je ne dirai rien, Azula ! » promit-il en hurlant lui aussi, incapable de se contenir, des larmes naissant à la bordure de ses paupières. « Calme-toi, s'il-te-plaît ! »
Qu'est-ce que j'ai fait, Agni, qu'est-ce que j'ai fait ? Je l'ai cassée ! Je l'ai détraquée !
Zuko tremblait de tout son corps. À côté de lui, Azula continuait de se balancer d'avant en arrière, de plus en plus violemment et sa tête heurta la tête de lit, une fois, deux fois et elle commença à hurler : c'étaient des hurlements de louve blessée et Zuko ne se souvint pas avoir jamais entendu un son plus déchirant. Il se jeta sur elle et la saisit par la taille pour l'empêcher de se faire mal. La panique d'Azula sembla redoubler et il eut toutes les peines du monde à la contenir.
La porte de la chambre s'ouvrit en grand et Aang apparut, suivi de Katara et de Toph.
Les trois jeunes gens se figèrent en découvrant Zuko, torse nu, à moitié allongé sur sa sœur qui se débattait comme une forcenée.
« Qu'est-ce qui se passe ici ? cria le jeune maître de l'Air.
– Zuko ! Mais qu'est-ce que tu fais ? » C'était la voix stridente de Katara et Zuko se crut revenu cinq ans en arrière quand il s'était mis à secouer une Azula en pleine crise sur son petit lit à l'asile.
– Aidez-moi au lieu de rester plantés là ! Elle rechute ! »
Des flammes orange échappaient régulièrement des mains d'Azula qu'elle jetait hasardeusement devant elle dans le vide. Heureusement, pas assez puissantes pour qu'un vrai feu se déclare.
Aang vint aider Zuko à immobiliser Azula.
Ses deux bras retenus contre le lit, par Zuko d'un côté et Aang de l'autre, elle capitula et poussa de longs sanglots, comme le jour de l'Agni Kai.
« S'il-vous-plaît ! Ne me faites plus mal ! » supplia-t-elle d'une toute petite voix.
Azula avait déjà perdu toute combativité et Katara put s'avancer vers elle, prudemment.
Elle fit jaillir de l'outre en cuir qu'elle portait en bandoulière sur le côté, une eau limpide, légèrement brillante qu'elle dirigea dans un doux sifflement vers la tête d'Azula. L'eau sembla pénétrer son crâne et Azula se calma très vite.
Sa respiration redevint rapidement normale et elle fixa des yeux vitreux sur le plafond
« Zula ? tenta Zuko, penché au-dessus d'elle. Qu'est-ce que tu lui as fait ? demanda-t-il à Katara, un peu inquiet.
– Ne t'inquiète pas, c'est une technique de relaxation. Cela ne lui fait pas mal et il n'y aura pas de conséquences.
– Pourquoi… Pourquoi n'as-tu jamais fait ça avant ? Quand elle…
– Il faut que le sujet soit calme pour procéder. C'est dangereux de manipuler l'eau dans le cerveau de quelqu'un, expliqua Katara, patiemment. Il est possible qu'elle ne garde aucun souvenir de ce qui s'est passé dans les dernières heures, c'est tout.
– Tu… tu effaces ses souvenirs ?
– Pas exactement. C'est un peu comme si je les enrobais de flou pour les rendre plus supportables. C'est une technique d'hypnose que m'a apprise Taïma. Pour elle, ce sera un peu comme les bribes d'un rêve quand elle se réveillera.
– Donc elle ne s'en souviendra pas ? Pas vraiment ?
– Pas vraiment », répondit Katara en plaçant doucement un oreiller sous la tête amorphe d'Azula.
Zuko décida d'ignorer le ton soupçonneux de sa voix et évita de regarder Toph qui, il le savait, comptait silencieusement les battements de son cœur.
Elle ne se rappellera rien.
Zuko crut qu'il allait s'effondrer de soulagement. Il se renversa en arrière contre la tête de lit et enfouit son visage dans ses mains en prenant trois grandes inspirations.
« Zuko, que s'est-il passé ? demanda Aang.
– Je n'en sais rien. C'est confus. On parlait. On s'est disputés et… et d'un coup, elle s'est mise à délirer. Je n'ai rien compris. »
Azula s'apaisait à côté de lui et ses paupières commençaient à se fermer. Katara gardait une main posée à plat sur son front. On eût dit une mère prenant la température de son enfant. Mais Zuko savait qu'elle faisait encore appel à ses étranges pouvoirs de guérisseuse. Les deux autres avaient leur regard fixé sur lui, même Toph qui ne voyait rien.
Il prit soudain conscience qu'il était encore torse nu. Et si Azula avait laissé des traces de rouge à lèvres sur son cou et ses joues, là où elle l'avait embrassé ? Il se redressa à la recherche de sa tunique. En examinant le sol, son regard tomba distraitement sur la table de chevet. Un objet était là qui n'aurait pas dû y être. Une petite fiole en verre qui contenait un liquide couleur lilas qu'il connaissait bien.
« Son traitement…
– Quoi ? demandèrent les trois autres en même temps.
– La fiole est pleine ! Elle n'a pas pris son traitement ce matin ! Je comprends ! C'est pour ça qu'elle a fait cette crise !
– Après seulement un oubli ? interrogea Aang, sceptique. Tu ne crois pas que c'est un peu bizarre ? La dernière fois, cela a pris des jours avant qu'elle commence à avoir des symptômes. Non ? Qu'en penses-tu, ma chérie ? dit-il en se tournant vers Katara.
Celle-ci haussa les épaules.
« Je n'en sais rien… Cela ne fait pas très longtemps qu'elle est à nouveau sous traitement. Je suppose qu'un oubli peut avoir de graves conséquences. On va le lui donner tout de suite. Zuko, je crois qu'il vaut mieux que l'on écourte nos vacances et que l'on rentre à la Caldera.
– Tu as raison, admit-il tandis qu'il se relevait et ramassait sa tunique qu'il repassa rapidement au-dessus de sa tête avec l'espoir absurde que les autres ne remarqueraient rien. « Vous autres, vous pouvez rester ici et profiter des derniers jours avant que le bateau revienne vous chercher. Moi je vais rentrer demain avec Azula sur Appa. Si elle est malade, je ne veux pas qu'elle puisse vous faire de mal.
– Je vais vous accompagner, annonça Aang. On ne sait jamais.
– Pas question ! répondit Zuko, plus vivement qu'il ne l'aurait voulu. C'est ma sœur, c'est ma responsabilité. C'est à moi de m'occuper d'elle. Tout ira bien pour moi, ne vous en faites pas. »
Les autres ne discutèrent pas davantage et avec un pincement au cœur, Zuko comprit que cette décision les soulageait.
Quand Azula se fut endormie, Aang et Katara quittèrent la pièce, laissant Toph et Zuko veiller sur la princesse.
Aucun d'eux ne parlait. Il resta là, assis sur un simple tabouret, et contempla le visage strié de larmes de sa sœur. Cette nuit-là, Zuko prit une décision qui, peut-être, briserait leur cœur à tous les deux.
À partir de ce jour, il ne toucherait plus jamais Azula, cesserait même de la regarder, s'interdirait de penser à elle de manière inappropriée. Il résolut de redevenir ce qu'il n'avait jamais réussi à être : un frère pour elle. Rien de plus.
Cela irait. Elle oublierait. Mais lui le pourrait-il ? Lui se rappellerait ce qui s'était passé sur ce lit, et ce souvenir allait le ronger, encore et encore. Il le tuerait à petit feu. Peut-être pourrait-il demander à Katara de lui faire ce qu'elle venait de faire à Azula et lui procurer la satisfaction de l'oubli. Oui, ce serait bien…
Venues d'un autre temps, les dernières paroles de sa mère lui revinrent à la mémoire :
N'oublie jamais qui tu es. Tu dois rester fort et courageux.
Je suis le frère d'Azula. Rien de plus. Son frère. Azula est ma petite sœur. Je ne l'oublierai plus.
Et bien qu'aucune des deux autres personnes présentes dans la pièce ne pût le voir, il plongea son visage dans ses mains pour sécher les larmes qui lui montaient aux yeux.
Aang et Katara marchèrent en silence jusqu'à ce qu'ils arrivent dans le hall d'entrée entre le grand escalier qui menait au palier desservant les chambres des étages et la gigantesque porte en bois donnant sur l'extérieur.
Katara brisa le silence : « Quand Zuko a dit qu'il se disputait avec Azula au moment où elle a fait sa crise...
– Il mentait. Je sais, la coupa Aang. Sa tunique reposait sur le sol. Et il y avait des traces de rouge dans son cou et sur celui d'Azula», expliqua-t-il.
Ils se turent. Au-dehors, ils distinguèrent la voix goguenarde de Sokka qui chantait à nouveau l'une de ses chansons paillardes à tue-tête. Celle, beaucoup plus mesurée, de Suki le réprimandait doucement. Cette insouciance qui contrastait tant avec la peine, la douleur et l'angoisse de la scène qu'ils venaient de vivre atteignit le couple au cœur, comme un coup de poignard.
« Ne leur disons pas, murmura Aang. Ils ne comprendront pas... »
Katara tâtonna à la recherche de la main de son fiancé et la serra dans la sienne. Ils restèrent ainsi, en silence échangeant un long regard qui se passait de mots.
