Chapitre 29 – La Braise et le Soufflet


Sur l'Île de Braise:

Zuko se laissait lentement dériver sur l'onde calme de la mer qui lui faisait un lit où il pouvait reposer son dos malmené par l'angoisse des derniers jours. Il devait cligner des yeux pour supporter les rayons éblouissants que le soleil matinal dardait sur la surface satinée d'un bleu profond. Il paraissait extraordinaire à Zuko qu'une telle beauté existât encore dans le monde quand tout son univers semblait sombrer dans les ténèbres.

Ses pensées ne le laissaient pas tranquille, tantôt s'invitant de façon aléatoire par fulgurances dans son esprit torturé, tantôt se déroulant chronologiquement, l'obligeant à se repasser une nouvelle fois le fil des événements.

Il n'arrivait toujours pas à croire à ce qui s'était passé six jours auparavant. Il ne pouvait concevoir un monde où il n'était plus l'ami d'Aang, de Sokka, de Katara et de Suki.

Tout ce qui lui restait de son passé était la jeune femme encore endormie dans la maison sur la falaise, des mètres au-dessus de lui. Celle qu'il avait fuie toute sa vie était maintenant son trésor le plus inestimable. La perdre l'anéantirait. Il l'avait douloureusement expérimenté après son accident, quand elle avait passé quinze jours terribles entre la vie et la mort.

Ils avaient passé la première nuit ensemble, hébétés par le souvenir de ce qui venait de se produire sur la plage. Azula s'était blottie contre lui, le dos contre la poitrine de Zuko, les épaules secouées de tremblements nerveux. Ils ne s'étaient pas dit un mot. Zuko avait seulement passé un bras autour de sa taille et ils s'étaient endormis l'un après l'autre, comme cela, en silence, unis dans l'angoisse et le chagrin. Zuko l'avait regardée dormir avant de sombrer lui-même dans un sommeil sans rêve. Et tandis qu'il la tenait contre lui, il avait compris qu'il n'aurait pas agi autrement si c'était à refaire. Il ferait tout ce qu'il faudrait pour la protéger, pour la garder jalousement près de lui.

Seule cette certitude rendait supportable la culpabilité qui le rongeait depuis cinq jours, chaque fois qu'il pensait au plan qu'ils avaient commencé à élaborer. Celui que lui avait soufflé Azula quand, suffisamment remis de leurs émotions pour échanger plus que quelques bribes de paroles, ils s'étaient retrouvés dans la cour intérieure de la maison.

Vingt-quatre heures plus tôt, Aang et les autres étaient partis sur le dos d'Appa, obligeant Zuko et Azula à attendre ici le bateau qui devait venir les chercher dix jours plus tard. Ils avaient passé la journée comme ils avaient passé la nuit, stupéfaits, muets et, en ce qui concernait Zuko, dévasté par l'angoisse et un chagrin plus grand que lui.

C'est Azula qui avait finalement brisé le silence en venant le retrouver. Zuko était alors assis sur les marches qui longeaient la maison, perdu dans ses pensées. Elle était arrivée derrière lui et avait effleuré ses cheveux de la main puis s'était assise près de lui, en silence.

Ils étaient restés ainsi côte à côte, laissant un silence de l'épaisseur d'une montagne grandir entre eux. Soudain, Zuko avait trouvé son corps trop étroit pour contenir les émotions qui le submergeaient depuis le départ de ses amis, la veille. Il avait éclaté en sanglots brusquement, sans préambule.

Le rapprochant d'elle, Azula l'avait serré entre ses bras blancs, la tête de son frère pressée contre sa poitrine.

« Chut… mon Amour…chut, ce n'est rien. Je suis là. Tu m'as, moi.»

Zuko s'agrippa à la bouée qu'elle lui offrait. C'était si étrange que ce soit elle qui le réconforte, et si doux et naturel à la fois. Il n'avait même pas eu honte de ses larmes. Plus que jamais il ressentit qu'elle était sa sœur, que personne ne le connaissait mieux qu'elle, qu'il pouvait s'abandonner sans rougir dans ses bras.

Quand Zuko se fut finalement calmé, elle essuya son visage avec sa main et embrassa ses joues plusieurs fois, comme pour avaler ce qui restait de larmes. Au bout d'un moment, Zuko la repoussa doucement pour reprendre sa respiration. Acceptant la main qu'Azula lui tendait, ils restèrent côte à côte le temps qu'il reprenne ses esprits.

Assis sur les marches ils avaient discuté longuement sous les étoiles, se souvint Zuko.

« Laisse-moi t'aider », l'avait-elle supplié en s'agenouillant devant lui, les deux mains sur ses genoux. « Laisse-moi t'aider à redonner toute sa puissance et sa suprématie à notre nation. »

Elle promit de tout arranger, de lui retourner le pouvoir qu'il avait stupidement et naïvement cédé aux vieux débris du Conseil des Sages. Elle lui assura qu'elle ne le forcerait pas à faire quoi que ce fût qui pût entrer en contradiction avec ses principes.

« Ai-je versé une goutte de sang à Ba Sing Se ? rappela-t-elle en levant ses beaux yeux vers lui, voyant qu'il n'était pas convaincu.

Non... admit-il à contrecœur.

Zuko n'aimait pas ces méthodes. Il était un homme d'action. La ruse était davantage l'affaire d'Azula.

« Justement Zuko. » Elle s'était relevée pour se rasseoir à côté de lui, lui prenant la main. « Toi et moi sommes complémentaires. Les deux tranchants d'une épée, les deux faces d'un aimant. Le jour et la nuit. Nous formons un tout. La seule façon de gagner, c'est…

« ...ensemble. » compléta-t-il, se remémorant ces paroles funestes qui l'avaient déjà mené à sa perte une fois.

Il avait eu l'impression d'être de retour dans les catacombes de Ba Sing Se. Sauf que la lune qui crevait la couche de nuages au-dessus d'eux brillait d'un éclat argenté bien différent de la lueur froide et verte émanant des cristaux sous le lac Lao Gai. Lentement, il avait senti son esprit glisser vers Azula et ses promesses ensorceleuses.

« Avec ton cœur et mon esprit, nous reprendrons ce qui nous appartient. Il n'y a plus que toi et moi Zuko. Les autres nous ont tous abominablement trahis ou sont en train de le faire. Tôt ou tard ils nous abandonneront tous. Sans l'Avatar, nous perdons la moitié de nos soutiens et notre crédibilité : les Tribus de l'Eau lui sont acquises. Ainsi que l'Ordre du Lotus Blanc. Même les Sages du Feu : tu sais que le Grand Sage est son ami. Quant au Royaume de la Terre… La seule chose qui retenait ces lâches de nous déclarer la guerre, c'était la présence de l'Avatar. Il était la clé de ton pouvoir.

Je suis fichu sans lui… gémit-il en se pinçant l'arête du nez, comme pour dissiper une violente migraine.

Non, tu ne l'es pas ! affirma-t-elle avec ferveur. Il suffit de trouver une autre clé ! Et je sais comment t'aider. J'ai bien réfléchi. »

Il l'observa avec curiosité. Une lueur sauvage dansait dans les yeux d'Azula. Une lueur qu'il avait déjà vue en d'autres circonstances. C'était comme une flamme vive logeant dans un puits de ténèbres. Et ce n'était pas rassurant.

« La clé, c'est toi Zuko. La clé, c'est de ne plus t'appuyer sur les autres, ni de te cacher derrière plus fort que toi. Tu dois redevenir fort pour protéger notre Nation. Comme l'a fait notre aïeul quand l'Avatar Roku l'a trahi.

L'Avatar Roku aussi était notre arrière-grand-père, lui rappela Zuko. Et sans lui, Sozin est devenu un tyran et le plus grand génocidaire de l'Histoire.

Je ne dis pas que nous devons suivre son exemple. L'erreur de Sozin a été de vouloir régner sur le monde. Nous n'avons pas de telles prétentions. Tout ce que je désire, Zuko, c'est protéger ton trône, notre Nation. Nous sommes suffisamment riches, nous sommes toujours la nation la plus prospère et la plus avancée technologiquement. Le temps de l'impérialisme est révolu. Nous devons imposer le respect et l'envie aux autres nations. Pour cela, nous devons nous réapproprier ce qui est à nous. »

Ces paroles ne plaisaient pas à Zuko, mais Azula avait raison. Il avait trop longtemps laissé son cœur s'attendrir, avait voulu forcer sa nation à épouser une idéologie qui n'était pas la sienne, à adopter des valeurs pour lesquelles elle n'était pas prête, à jouer dans le monde un rôle qui n'était pas le sien. La politique passive et bienveillante de l'Avatar n'avait pas empêché les Fils d'Agni. Ni les ambitions insensées du Royaume de la Terre. Une fois libéré du joug de la Nation du Feu, le peuple de la Terre semblait avoir redécouvert le désir de domination et la soif de pouvoir qui lui avaient manqué pour se rebeller.

« Penses-tu vraiment que Lu Fang et Kuei se contenteront de m'avoir ? Qu'ils rentreront gentiment chez eux lorsque vous m'aurez livrée à eux ? Ce n'est qu'un début, Zuko. Ils voudront plus, toujours plus et ils te draineront jusqu'à ce que tu sois exsangue !

Je n'ai jamais envisagé une seconde de te donner à eux, s'était-il exclamé avec ferveur en serrant sa petite main dans la sienne.

Je sais, Zuzu, je sais. »

Ils s'étaient tus après cela, se rappela Zuko qui flottait toujours sur le dos, enveloppés dans le doux silence marin. Ils étaient restés l'un près de l'autre, tous deux captivés par leurs mains entrecroisées dont la pâleur ressortait à la lueur de la lune au-dessus d'eux, éclairant la cour pavée. Zuko se souvint s'être entraîné ici avec Aang lorsqu'ils étaient venus se cacher dans sa maison de famille. Il lui semblait qu'un siècle s'était écoulé depuis.

« Quel est ton plan ? »

Alors, avec un sourire rusé, Azula s'était penchée vers lui et avait murmuré à son oreille. Zuko avait eu toutes les peines du monde à se concentrer sur ses paroles à cause de son souffle brûlant et de la sensation de ses seins qu'elle appuyait contre son bras. Ce que lui avait dit Azula lui avait paru insensé, mais elle le supplia tant de lui faire confiance qu'il avait fini par céder et tous deux étaient rentrés dans la maison pour rédiger la lettre à Oncle Iroh.

Puis ils s'étaient couchés, se rappela Zuko. Chacun dans sa chambre. Zuko avait un peu hésité sur le seuil de celle d'Azula et il avait cru voir sa propre indécision peinte dans les yeux de sa sœur. Mais le risque était trop grand. Alors il l'avait seulement embrassée sur le front et avait bien vite regagné la pièce où il dormait, fuyant pour ne pas voir la déception envahir les yeux adorés.

D'un mouvement brusque, Zuko se retourna sur le ventre et se mit à nager furieusement, frappant l'eau au-dessous de lui. Des perles d'eau que le soleil irisait s'élevèrent au-dessus de la surface cristalline de la mer et retombèrent en pluie d'argent dans ses cils et ses cheveux noirs.

Alors qu'il essayait vainement de s'endormir cette nuit-là, il l'avait entendue parler et ruminer toute seule de l'autre côté du couloir qui séparait leurs chambres. Parfois des éclats de voix venaient rompre le silence. Glacé d'effroi, il était resté figé dans son lit, à la fois curieux et épouvanté à l'idée d'entendre ce qu'elle disait et à qui elle parlait. Il était resté éveillé jusqu'aux heures pâles précédant l'aube.

Finalement, il s'était levé et comme tout était silencieux, était discrètement allé voir ce que faisait sa sœur. Par l'interstice de la porte entrouverte, il vit la silhouette d'Azula, allongée sur le ventre, un voile de cheveux répandu sur son oreiller. Une bouteille à moitié vide reposait sur le matelas à portée de sa main. Son dos s'élevait et s'abaissait paisiblement au rythme de sa respiration.

Tout le jour, Zuko avait tenté de se rassurer en se persuadant que c'était peut-être l'alcool qui avait causé le délire de la nuit dernière. Mais les jours suivants le démentirent. Azula montrait des signes d'instabilité mentale.

Zuko avait remarqué depuis peu qu'elle manquait souvent l'aube. Alors que lui-même s'éveillait toujours aux premières lueurs matinales, Azula ne le rejoignait généralement pas avant dix heures et semblait fatiguée. Des cernes s'étalaient sous ses yeux et Zuko la surprit plusieurs fois étouffer un bâillement alors qu'il lui parlait.

Il craignait qu'elle ne passe toutes ses nuits à boire et à parler à des ombres.

Il n'y avait pas de pire moment pour une rechute. Ils étaient seuls dans cette maison, sur cette île, sans doute coincés ici plusieurs jours avant que n'arrive l'aéronef commandé par Azula auprès d'Iroh. Azula était encore diminuée par son accident et Zuko savait qu'il n'aurait aucune peine à la contrôler si elle devenait violente. Cependant, c'était une maigre consolation.

Étrangement, le pouvoir d'Azula semblait gagner chaque jour en vigueur, comme si ses flammes brûlantes se nourrissaient de son énergie vitale et de sa raison. Zuko se rappelait vaguement ce que le docteur Huan-Li avait essayé de lui expliquer sur le rôle des humeurs et le dérèglement que leur déséquilibre pouvait occasionner chez un sujet malade. C'est bien ce qui semblait se produire chez Azula. Plus elle glissait vers la folie, plus son feu se renforçait paradoxalement. En elle, la maîtrise du feu cohabitait avec la folie.

Ce matin là encore, elle avait dormi au-delà du lever du soleil. Il en avait profité pour descendre sur la plage et s'immerger dans la mer encore assoupie. L'eau lui avait paru glacée, pénétrant sa peau comme mille petites lames acérées. Depuis il s'était habitué à la température et aurait voulu rester ici tout le jour, mais il était temps de rentrer. Azula allait sans doute se réveiller et s'inquiéter de sa disparition. À contrecœur, il décida de regagner le rivage.


Vingt minutes plus tard, Zuko finissait l'ascension du chemin escarpé menant de la petite crique à la maison. Comme il s'y était attendu, Azula était là, sur le porche, ses yeux fauves luisants de reproches, faisant claquer sa langue pour manifester son impatience.

« Où étais-tu ? l'accusa-t-elle immédiatement. Elle paraissait de mauvaise humeur et un peu agitée.

– Je…

– Peu importe ! J'ai bien réfléchi. Nous devons repenser notre version des événements.

– De quoi parles-tu ? »

Azula agita devant lui un papier replié sur lequel on devinait des inscriptions.

« J'ai reçu ça ce matin. Une lettre de notre oncle. Il a bien reçu la nôtre et m'informe que Kadao viendra nous chercher demain à bord d'un aéronef.

– Ah, très bien, dit Zuko d'une voix hésitante, ne sachant pas trop s'il devait s'en réjouir ou non.

– Non ce n'est pas très bien, pauvre idiot ! » s'emporta-t-elle, indifférente à la réaction de Zuko qui fronça les sourcils. Il n'y aavait décidément qu'elle pour oser l'insulter frontalement de cette manière. Zuko ne savait pas si c'était rafraîchissant ou juste irritant. « Je pensais avoir quelques jours encore pour peaufiner notre stratégie ! J'ai été volontairement évasive dans la lettre que j'ai écrite à notre oncle, justement pour nous laisser le temps de fignoler notre histoire.

– Azula, commença-t-il, soudain las. Je ne vois vraiment pas ce qu'on peut ajouter. Et plus j'y pense, plus je me dis qu'on devrait dire la vérité à notre oncle. Il pourrait aider. »

Azula ouvrit de grands yeux stupéfaits, la bouche entrouverte, comme s'il l'avait frappée.

– Non on ne peut pas ! On ne peut pas se permettre de dire ce qui s'est vraiment passée ! », dit-elle ralentissant le débit de sa voix, comme si elle s'adressait à un enfant particulièrement obtus. « Il sera de leur côté, c'est certain. Nous n'avons pas besoin de mentir beaucoup. Il faut juste enjoliver un peu l'histoire de manière à te faire paraître plus héroïque et à ce qu'ils paraissent coupables. Il est essentiel que tu aies le bon rôle. Ainsi, quand il parlera avec les Sages...

– Comment peux-tu être assez naïve pour penser qu'ils nous croiront ? Ils ne nous font plus confiance depuis des lustres !

– C'est là que j'entre en scène. Je suis une cause perdue à leurs yeux, non ? Il suffit qu'ils croient à ma rechute, que tu as seulement voulu me protéger. Il faut que l'on revoie les détails de l'histoire, que tu puisses leur décrire précisément ce qui s'est passé sur cette plage. »

Faire croire à une violente rechute. Tel était le plan imaginé par Azula pour préparer le terrain avant leur retour. Zuko n'aimait pas cette idée, aussi brillante par sa simplicité que dangereuse. Rejeter la responsabilité sur sa sœur dont tout le monde se méfiait déjà au palais lui paraissait un pari risqué. Mais Azula lui assurait que c'était la seule solution.

« Le tout quand on raconte un mensonge, c'est d'y croire soi-même, lui répétait-elle inlassablement.

Zuko pouvait voir qu'Azula était dans son élément. Elle n'éprouvait strictement aucun scrupule à mentir au monde entier. Passé le choc de la confrontation avec l'Avatar, elle avait si vite regagné sa confiance en elle que c'en était déroutant. Et cela transparaissait dans son habileté à manier les flammes. Elle s'entraînait désormais tous les jours, jusqu'à épuisement sur les pavés de la cour où ils s'étaient retrouvés l'autre soir, avec la lune pour confidente et témoin de leur stratagèmes.

Zuko avait dû l'obliger à se reposer la veille quand elle l'avait rejoint dans le salon, livide et chancelante. Elle s'était presque effondrée sur le divan et il l'avait réprimandée.

« Tu dois te ménager ! Tu n'es pas encore remise de tes blessures ! Je t'interdis de t'entraîner plus de trente minutes sans faire de pause !

S'il-te-plaît Zuzu, tais-toi ! Tu me donnes mal à la tête », avait-elle seulement répondu en s'allongeant contre le dossier, grimaçant à cause des douleurs musculaires qu'elle venait de s'imposer.

Zuko était furieux de la façon dont elle négligeait et mettait en danger sa santé.

Sa colère empira quelques heures plus tard, au crépuscule, quand il découvrit jusqu'où Azula était prête à aller pour rendre ses mensonges convaincants.

Azula était partie se doucher. La trouvant un peu pâle, Zuko avait insisté pour rester dans sa chambre et qu'elle ne verrouillât pas la porte de sa salle de bain. Il voulait pouvoir intervenir si elle faisait un malaise. Cela était arrivé au palais d'après Ty Lee et Taïma.

Pour patienter, Zuko s'était servi un peu de vin d'une bouteille que Sokka avait dénichée dans la cave et qui était restée abandonnée là depuis son départ. Il en était déjà au milieu de son troisième verre et la tête lui tournait un peu. Il soupira d'exaspération. Qu'est-ce qui pouvait prendre tant de temps à Azula ? Il entendait ses allées et venues dans la salle de bain, l'eau qu'elle faisait couler de la pompe et le son des flacons qu'elle extirpait des placards.

Zuko était assis dans un fauteuil, son verre à la main, et promenait un regard absent sur les tapisseries pâlies qui ornaient les murs de la chambre. Il essayait de ne pas penser à leurs ébats ratés de l'autre nuit, au corps d'Azula qui se mouvait lentement, puis de plus en plus vite contre lui. Les lumières du soir qui filtraient par la fenêtre laissée ouverte commençaient juste à jeter leur reflet sur le sol qu'elles balayaient lentement. Attirés par un miroitement, les yeux de Zuko tombèrent sur le sac qui contenait les affaires personnelles d'Azula. Il poussa un juron furieux. C'était sans aucun doute encore une de ces petites bouteilles d'alcool de riz qu'Azula avait cachée là. Il fallait décidément qu'il règle ce problème une bonne fois pour toutes. Il était de notoriété publique que la princesse avait un fâcheux penchant pour les boissons alcoolisées. Comment espérait-elle être crédible auprès de leur oncle et des Sages du Feu si elle était saoule la moitié du temps ?

Bien décidé à la lui confisquer, il s'accroupit devant le sac et en sortit rapidement un minuscule flacon vide. Il le reconnut comme l'un de ceux dans lesquels Taïma versait son traitement. L'étiquette était là pour en attester. Zuko se demanda vaguement pourquoi sa sœur conservait un flacon vide dans son sac et allait le reposer quand il entendit le tintement caractéristique de plusieurs objets de verre qui s'entrechoquaient. Pris d'une angoisse inexplicable, il faillit éventrer le sac en l'ouvrant plus grand. Il en sortit une poche en toile de jute qui contenait une vingtaine de flacons vides et étiquetés, identiques à celui qu'il avait découvert juste avant.

Il les compta et en dénombra vingt-trois. Bien plus que ce qu'elle avait dû consommer depuis leur arrivée sur l'île de Braise. Normalement, un flacon contenait une dose suffisante pour deux jours. Ils étaient là depuis moins de deux semaines. Zuko se rappela qu'en accord avec Taïma, ils avaient emporté des rations de secours. Rien ne pouvait expliquer qu'elle eût consommé plus d'une dizaine de fioles en tout.

Il n'était pas revenu de son effarement quand Azula entra dans la chambre, une serviette enroulée autour de la poitrine, visiblement étonnée de le trouver ici, agenouillé devant son sac grand ouvert.

Zuko était si contrarié qu'il n'éprouva aucune gêne à être surpris en train de fouiller dans les affaires de sa sœur.

« Peut-on savoir ce que tu fais ? demanda-t-elle, les yeux brillants, les joues roses.

Zuko se releva si vite qu'il sentit sa tête lui tourner un peu et s'avança vers sa sœur.

– Tu comptes m'expliquer ça ? siffla-t-il en plantant devant son nez un petit flacon vide. Nous avons amené une dose suffisante pour tenir toutes les vacances et même plus, et je trouve toute la réserve vide ! Qu'as-tu fait de ton traitement ?

– Je l'ai jeté, répondit-elle calmement en finissant de sécher ses cheveux à l'aide d'une serviette plus petite et de sa maîtrise.

Puis elle se dirigea lentement vers son paravent en balançant un peu les hanches.

« Sers-toi donc un nouveau verre, Zuzu, celui-ci est presque vide, » lança-t-elle au passage.

– Tu as fait quoi ? rugit-il en se ruant vers le panneau de papier qu'il repoussa violemment sur le côté.

Heureusement, Azula avait toujours la serviette enroulée autour de sa taille. Il lui attrapa le poignet sans ménagement et la tira vers lui.

– Tu es folle ou quoi ?

– Exactement, sourit-elle en libérant son bras de la poigne de Zuko. Et c'est aussi ce qu'ils penseront tous quand nous rentrerons. Ainsi, je porterai tout le blâme de ce qui est arrivé avec l'Avatar, et toi, tu seras le glorieux héros qui a voulu protéger sa pauvre petite sœur malade et irresponsable de ses actes.»

Une bouffée de l'huile parfumée dont elle avait enduit son corps monta jusqu'à ses narines et il se sentit étourdi, mais aussi un peu plus calme.

« Avais-tu vraiment besoin de te priver de traitement pour cela ? Tu ne peux pas tout simplement jouer la comédie ? Je croyais que tu excellais dans ce domaine !

– Zuko, répondit-elle patiemment en relevant le paravent qu'elle redressa et replaça entre eux, sur le sol. Je me rappelle à peine ce que j'ai fait ou dit pendant une crise. Mais vous autres savez à quoi cela peut ressembler. Toi mieux que personne. C'est nécessaire si je veux être convaincante. »

Zuko repoussa à nouveau le paravent pour lui faire face et reprit son bras.

« Tu n'as pas besoin de faire ce sacrifice. Je dirais la vérité. Je leur dirai que j'ai attaqué Sokka et Aang »

– Non, tu ne feras rien ! dit-elle sèchement. Arrête de jouer les chevaliers au grand cœur et écoute-moi ! C'est toi le Seigneur du Feu : ton image doit rester intacte ! Ils doivent continuer de croire en toi. Laisse-moi prendre les coups pour toi, Zuzu. Je serai protégée par l'excuse de ma maladie. Nous expliquerons à notre oncle que le traitement était mal dosé. Une fois rentrés chez nous, Taïma m'en refera et tout rentrera dans l'ordre ! »

Alors qu'il dardait sur elle un regard furieux, Azula se dirigea vers la table où reposait la bouteille et le verre abandonnés par Zuko, le remplit et le tendit à son frère. La serviette dont elle avait entouré son corps épousait parfaitement ses courbes tentatrices et il eut toutes les peines du monde à se concentrer sur autre chose.

Il s'empara malgré lui du verre qu'elle lui tendait et avala une lampée de vin qui lui monta vite à la tête.

– Depuis combien de temps ? demanda-t-il en se renfrognant.

– J'ai cessé de le prendre quelques jours avant notre arrivée ici. J'avais emporté quelques réserves au cas où les choses deviendraient hors de contrôle », ajouta-t-elle précipitamment en voyant la consternation naître sur le visage de son frère. « J'en prenais parfois quand les voix devenaient trop envahissantes ou qu'elles me disaient de faire des choses à tes amis. Mais je me suis débarrassée des dernières doses après le départ de l'Avatar. Ne t'inquiète pas, Zuzu. J'ai posé beaucoup de questions à Taïma au sujet de ce genre de médication. Je me suis sevrée petit à petit, pour que ce ne soit pas comme la dernière fois. De plus, j'ai gardé une fiole et j'en prends un petit peu chaque matin. Cela m'aide à rester lucide la plus grande partie de la journée.»

Mais alors… Ces avances qu'elle lui avait faites… Cette séance de massage dans le spa, cette nuit dans cette même chambre… Chaque fois qu'elle avait essayé de le séduire… Ces scènes s'étaient toujours déroulées la nuit, au plus éloigné de la prise de son médicament. Elle n'était donc pas vraiment elle-même?

En y réfléchissant bien, Zuko réalisa que chaque fois que les choses avaient dérapé, Azula était soit ivre, soit en pleine crise. Était-il donc le seul à blâmer pour ce qui était arrivé ?

Une vive émotion s'empara de Zuko et il ignorait ce que c'était.

Il n'en revenait pas. Consterné, il laissa ses bras retomber mollement le long de son corps. Azula profita qu'il ait baissé la garde pour enrouler les siens autour de son cou et entortiller une mèche de ses cheveux autour de son doigt.

– Un jour tu comprendras que je suis prête à tout pour toi. Tu es le Seigneur du Feu et mon frère adoré. Tes amis nous empêchaient d'accomplir notre devoir, Zuko. Ils te bridaient. Ils t'ont retenu quand tu aurais dû marcher sur les cendres du Royaume de la Terre.»

Azula le lâcha, replaça une nouvelle fois le paravent et planta ses yeux dans les siens pour bien lui faire comprendre qu'il devait la laisser s'habiller maintenant. Ses yeux dorés s'agrandirent d'horreur en réalisant le sens caché derrière ces paroles.

« Alors tu as fait tout cela dans ce but ? Ces vacances… c'était un plan pour les éloigner de moi ? Tu avais tout prévu ?

L'odieux sentiment de trahison, l'impression d'avoir été manipulé, la colère déferlèrent sur lui tout à la fois. Pour se calmer, il avala une nouvelle gorgée du vin. Un goût âcre tapissait maintenant son palais.

« Oh Zuzu ! répondit-elle derrière le paravent. Tu vas me faire rougir ! Je sais que je suis réputée pour mes qualités de stratège mais même moi ne pouvais pas prévoir ce qui arriverait. Bien sûr c'est une possibilité qui m'avait effleurée. Mais j'espérais vraiment que ce séjour vous permettrait de resserrer vos liens.

– Tu savais parfaitement que les choses tourneraient mal, l'accusa-t-il, et tu as laissé les choses s'envenimer ! Si tu avais vraiment voulu que ce séjour se passe bien, tu aurais pris ton traitement correctement !

– Vois plutôt cela comme un test. J'avais de sérieux doutes sur la loyauté de tes amis. Ces vacances étaient un moyen de les mettre à l'épreuve. Les événements ont prouvé que j'avais vu juste, n'est-ce pas ?

– Katara t'a sauvé la vie...

– Katara a fait ce qu'il fallait pour survivre. Comme nous tous. Elle ne l'a pas fait de bonne grâce, crois-moi. Je suis absolument certaine que si cela aurait arrangé tout le monde que je ne survive pas à cette chute.

– Ne dis pas cela ! » protesta-t-il avec véhémence, incapable de considérer cette possibilité.

L'alcool commençait à lui monter à la tête et il décida de reposer son verre.

Azula réapparut de derrière le panneau de papier au même instant. Elle avait enroulé une partie de ses cheveux encore légèrement humides dans un demi-chignon, les autres retombant sur ses épaules. Elle avait remplacé la serviette par un kimono de soie noir orné de motifs complexes verts et argentés où s'entremêlaient fleurs et dragons. Le tissu tombait à mi-cuisse et dévoilait deux jambes lisses à la blancheur stupéfiante. Le col échancré brodé de liserés d'or laissait deviner la ligne de ses seins, comme une invitation. Zuko eut momentanément le souffle coupé en la voyant apparaître. Comment faisait-elle pour toujours le surprendre ainsi ?

C'était étrange de la voir vêtue d'autres couleurs que le rouge et l'or traditionnels mais le changement était pour le moins agréable.

Bien sûr, elle devina son trouble. La lueur prédatrice qui flamba dans ses pupilles le lui révélait aussi sûrement que si elle l'avait fait remarquer à voix haute.

Elle passa juste devant lui pour se diriger vers le miroir situé derrière Zuko et laissa dans son sillage une bouffée de jasmin qui acheva de le bouleverser.

Il la regarda se mirer dans la glace et replacer ses cheveux. Combien de fois encore allait-elle lui jouer cette scène ? Et combien de fois encore serait-il assez stupide pour y succomber ?

Tais-toi, petite traînée ! Tu veux que tout le monde t'entende ?

La phrase insensée qu'elle avait laissé échapper juste avant qu'ils ne se laissent submerger par le désir revenait fréquemment frapper sa mémoire, invitée importune à laquelle Zuko devait continuellement fermer la porte.

Au cours des dernières nuits, Zuko n'avait cessé de se demander pourquoi. Qu'est-ce qui avait bien pu pousser Azula à prononcer des mots aussi dénués de sens ? Est-ce que cela avait un rapport avec ce qui s'était passé avec Kojiro ?

Maintenant qu'elle confessait avoir orchestré sa rechute, il aurait dû être soulagé. Au moins savait-il qu'elle reprendrait ses esprits une fois qu'elle serait à nouveau correctement soignée. Mais c'était loin d'être le cas et son sentiment de malaise alla croissant alors qu'elle jetait un petit regard furtif vers le reflet de Zuko dans la glace.

Il remit le problème à plus tard. Il était trop saoul pour réfléchir à des problèmes insolubles. Des choses plus urgentes requéraient son attention immédiatement. Comme le petit grain de beauté qu'il venait de remarquer sur le côté de son cou alors qu'elle soulevait ses cheveux pour assurer son chignon. Le petit point noir qui se détachait sur la peau crémeuse lui fit un effet incroyable. Absurdement, il pensa à la lueur clignotante des phares que l'on aperçoit à l'horizon quand on voyage en mer la nuit. Comme le marin qui navigue depuis des semaines est irrésistiblement attiré par ces lumières, promesses de la terre tant rêvée, pareillement Zuko devait se retenir pour ne pas y avancer la main. Le grain de beauté semblait lui faire signe et Zuko se rendit compte trop tard qu'il avait avancé de quelques pas. Il se trouvait maintenant juste derrière Azula, assez près pour la toucher.

Sa sœur avait dû lire dans ses pensées car elle saisit ses deux mains dans les siennes et le força à enrouler ses bras autour de sa taille fine. Zuko accepta l'invitation et les laissa reposer sur son ventre. Une vapeur de jasmin envahit ses narines et il se surprit, en lançant un regard à leurs reflets enlacés, à aimer ce qu'il voyait.

Pourquoi donc le spectacle de sa sœur entourée de ses bras paraissait-il si juste et si naturel ? Pourquoi est-ce que cela ne le dégoûtait pas ?

Dans la glace, il vit Azula renverser la tête vers l'arrière et exposer sa gorge, comme pour l'inciter à y planter ses dents. Une vision aussi saugrenue que fugace traversa son esprit embrumé : l'image qui le terrifiait tant dans le bestiaire que lui et Azula lisaient en cachette petits . Ce livre que Maman leur avait défendu de regarder mais qu'Azula était allée voler dans la bibliothèque, en catimini pour le feuilleter avec son frère sous les draps. Il se rappela comment éclairés par les petites flammes oranges qui jaillissant de leur paume ouverte, lui et Azula étouffaient des exclamations effrayées pleines d'une terreur délicieuse. Zuko était fasciné par la page qui décrivait ces êtres venus de contrées lointaines qui se délectaient du sang des jeunes vierges. On racontait que, une fois mordues, elles devenaient à leur tour de démoniaques succubes, insatiables, corrompues par le mal et par le vice.

La corruption. Voilà comment on pouvait appeler l'effet qu'avait Azula sur lui. C'était comme une lèpre rampante qui s'insinuait dans son esprit et nécrosait peu à peu ce qui lui restait de raison, de jugement et de sens moral.

Ses mains ceinturaient sa taille et se rejoignaient sur son ventre. Il aurait été si simple de dénouer la ceinture en soie dorée qui maintenait son kimono fermé.

Dans la glace, Azula souriait. Elle plaça doucement l'une de ses mains impeccablement manucurée sur le dos de celle de Zuko et y traça des cercles avec son pouce.

« Zuzu… susurra-t-elle. Je sais que cela te peine d'avoir perdu tes amis. Mais c'était un mal nécessaire. Ta vue était brouillée par des nuages qui t'empêchaient de voir ton véritable destin. Maintenant, tu vois. »

Zuko ne disait rien, incapable de prononcer un mot, trop occupé par la ligne qui creusait un sillon étroit entre ses seins. Son cerveau alcoolisé se perdait dans cette vallée de l'oubli.

« Veux-tu que je le retire ? Cela ne me dérange pas du tout. » avait-elle proposé la dernière délicieuse proposition !L'autoriserait-elle cette fois encore à...

– Que vois-tu, Zuzu ? l'interpella-t-elle, le tirant de sa rêverie.

Sa gorge était très sèche et c'est avec une voix râpeuse qu'il répondit :

– Toi… »

Azula eut un frisson et se pencha en arrière pour le sentir davantage dans son dos. Zuko recula son bassin de quelques centimètres pour lui cacher la protubérance qui déformait son pantalon.

– Et aimes-tu ce que tu vois ? expira-t-elle en se rapprochant de lui, indifférente à sa piètre tentative d'évasion.

– Oui, confessa-t-il dans un souffle tremblant. Et, pour ne plus être forcé de faire face à son visage rongé par la honte, il le dissimula dans la nuque de sa sœur. Ses lèvres atterrirent exactement sur le grain de beauté qu'il avait repéré tout à l'heure, juste là où la peau est si fine. Tout le corps d'Azula frémit dans un spasme de plaisir que seule la satisfaction d'un désir trop longtemps contenu peut apporter et elle laissa échapper un gémissement.

Voilà. Azula était son horizon, son unique perspective, son phare dans la nuit. Et il n'aurait échangé cette vue contre aucune autre.

Ses mains se mirent toutes seules à caresser le ventre d'Azula et à jouer avec la ceinture.

Azula se saisit de la main qui était la plus proche et avec une lenteur d'une sensualité insupportable, la guida sous l'un des pans de son kimono, juste sur son sein. Zuko la serra plus intensément contre lui. Il se fichait maintenant qu'elle sente son excitation. Il le souhaitait même. Il n'y avait plus rien à perdre, n'est-ce pas ?

L'aéronef viendrait les chercher demain peut-être. Ce qui s'était passé sur l'île de Braise resterait sur l'Île de Braise. Sa lointaine promesse qu'il s'était faite la dernière fois s'estompait dans les méandres de son esprit embrumé. Azula était son doux enfer et, seuls sur cette île,alors que le jour finissait, il pensa qu'il n'y avait rien de mal à s'y laisser sombrer. De même qu'il n'y avait pas grand mal à pétrir sous ses doigts le sein qu'elle lui avait offert. Son autre main se fraya un chemin le long de ses hanches et s'aventura un peu vers l'intérieur de ses cuisses qu'elles effleurèrent, relevant un pan de tissu soyeux.

« Zuzu... » soupira-t-elle sur un ton presque suppliant.

Le corps d'Azula tremblait dans ses bras et il se demanda si c'était l'impatience ou l'appréhension qui causait cette réaction. Zuko observa son reflet dans la glace et il se demanda si d'autres mains l'avaient déjà caressée ainsi. L'idée faisait naître en lui une fureur irrationnelle et une excitation incontrôlable. Il approcha sa main.

À ce moment précis, celle d'Azula s'agrippa à son entrejambe et il eut un hoquet de surprise.

Azula se tourna pour lui faire face, obligeant Zuko à retirer ses mains. Il grogna de frustration et les plaça sur ses reins pour la presser contre lui. Azula le poussa alors, le forçant à reculer et quand ses genoux heurtèrent l'accoudoir du fauteuil, il s'y assit.

Son souffle mourut dans sa gorge quand Azula, enroula un bras autour de son cou et glissa son autre main dans son pantalon sans vergogne.

Aussitôt, elle commença à le caresser de haut en bas. Dans son empressement, elle fut d'abord un peu maladroite :

« Tu- Tu serres trop… haleta-t-il.

– Pardon. », murmura-t-elle contre lui. Alors elle desserra son étreinte et reprit son va-et-vient, d'abord lentement, puis de plus en plus vite, ajustant ses mouvements aux réactions de Zuko. Très vite son souffle s'accéléra considérablement et des exhalaisons rauques traversaient ses lèvres entrouvertes, couvrant le silence épais qui s'était abattu sur le monde.

«Azula…» souffla-t-il d'un ton suppliant. "C'est mal! C'est tellement ma!"

– Chut » le fit-elle taire en se rapprochant de lui. Son corps était si près du sien qu'il sentait toutes ses formes pressées contre lui.

Zuko ferma les yeux et il contenait son excitation au prix d'un effort surhumain. Désireux de lui retourner ses faveurs, il laissa sa main redescendre le long du ventre d'Azula et la glissa sous son kimono. Elle eut un frisson et le relâcha.

« Cela suffira pour aujourd'hui, je crois, » murmura-t-elle en arrêtant doucement le poignet de Zuko. Elle déposa ensuite un rapide baiser sur ses lèvres.

Quoi ? Comment ? Elle n'avait pas vraiment dit…

Il ouvrit les yeux et sonda les siens pour essayer d'y débusquer quelque espièglerie. Il n'était pas question qu'il la laisse se moquer de lui de cette manière ! Comme il était incapable de déchiffrer son regard, il la ramena vivement vers lui et recommença à l'embrasser dans le cou furieusement, agrippant de force sa main qu'il guida à nouveau vers son entrejambe.

Azula émit une petite plainte qui se transforma en un rire cristallin parfaitement exaspérant.

Elle retira sa main et donna une petite tape sur le dos de celle de Zuko et minauda :

« Vous êtes trop gourmand, mon Seigneur. »

Et elle s'éloigna, juste comme ça, le laissant seul, parfaitement idiot, encore pantelant du plaisir qu'elle lui avait donné, le pantalon dénoué, la preuve accablante de son désir brandie vers elle. Elle se dirigea vers son lit, s'y assit et croisa les jambes, révélant au passage des cuisses d'une blancheur affolante.

Zuko n'en revenait pas.

« À quoi est-ce que tu joues ? demanda-t-il, furieux, en se relevant.

– Je ne joue pas, Zuzu. Je t'évite simplement de faire une erreur que tu regretteras lourdement. Tu as trop bu, je crois. Et tu es désespéré. Probablement en manque d'affection aussi d'après ce que je viens de voir, plaisanta-t-elle, les yeux pétillant de malice. Demain, tu seras rongé par le remords. Laisse-moi t'épargner cette peine.»

Là-dessus, il ne pouvait pas la contredire. Mais pour l'instant, demain était encore loin dans sa tête. Il était sexuellement frustré et ne voulait pas la laisser gagner. Il sentit un monstre furieux gronder dans sa poitrine. Un cracheur de feu à en juger par la chaleur qui irradiait de son torse.

« Je suis adulte, je suis parfaitement capable d'assumer mes actes.

– Non tu ne l'es pas, rétorqua-t-elle d'un ton amusé. Tu n'es qu'un petit garçon borné, furieux, capricieux et frustré qui aimerait calmer ses nerfs de la plus douce des façons.

– Ne me cherche pas, Azula ! » l'avertit-il en brandissant un index vers elle d'un air qu'il espérait menaçant. Puis il réalisa à quel point il devait paraître grotesque avec son doigt pointé vers elle dans la même direction que…

Ses joues le brûlèrent férocement. Il reboucla sa ceinture et se leva.

Azula sembla prendre pitié de lui. Elle abandonna le lit avec une grâce toute féline et marcha vers lui. Quand elle fut assez près, elle se leva sur la pointe des pieds, enroula ses bras autour de son cou et pressa ses lèvres contre celles de Zuko. L'étreignant contre lui, il répondit immédiatement à ses baisers. La bête à l'intérieur de sa poitrine ronronnait à présent, momentanément apaisée. Zuko sentait bien qu'il avait définitivement perdu le contrôle et il ne savait pas qui ou quoi blâmer pour cela. Il passa une main avide sous son kimono, cherchant quelque chose sur quoi se refermer.

« Sois sage, Zuzu ! le gronda-t-elle doucement en le forçant à retirer sa main.

– S'il-te-plaît, Azula… J'en ai besoin, la supplia-t-il entre deux baisers.

– Je sais, mon Amour ! répondit-elle dans un soupir, avec un sourire flatté, sans cesser de répondre à ses baisers voraces. Mais… je dois... » Elle semblait éprouver des difficultés à parler. Peut-être à cause des lèvres gourmandes et des doigts impatients de Zuko qui essayaient maintenant de dénouer sa ceinture. Elle frappa à nouveau sa main. Il la retira et la replaça dans le creux de ses reins. « Je dois être sûre avant…

– Sûre de quoi ? grogna-t-il, glapissant d'impatience.

–.Que tu me veux. Je dois être sûre que tu es sincère.

– Je le suis, rétorqua-t-il aussitôt en capturant encore une fois ses lèvres dans les siennes. Et, n'écoutant que son désir, il refit glisser sa main plus bas pour effleurer l'intérieur de ses cuisses.

– Zuko, je t'en prie, arrête ! »

Il la relâcha et eut soudain honte de lui. La voix d'Azula était différente, chargée d'angoisse. Tout comme l'étaient ses yeux à cet instant.

« Pardonne-moi, Azula, balbutia-t-il en rappelant ses mains désobéissantes qu'il ramena sur ses tempes. Je crois que je suis un peu… je ne me sens pas très bien. »

Pris de vertiges, il recula en titubant vers le fauteuil et manqua s'effondrer en se rasseyant lourdement sur l'accoudoir. Le monde tangua autour de lui et il craignit un moment de s'évanouir. N'y avait-il vraiment que du vin dans cette bouteille ?

Un peu hésitante, Azula se rapprocha doucement de lui. Debout devant son frère, elle prit sa main et l'invita à la déposer sur sa hanche.

« Je t'aime, Zuko. Et j'en ai envie autant que toi. Mais ce serait une erreur de céder maintenant.

– Pourquoi ? Nous n'avons rien à perdre... Il se sentit soudain gagné par le remords et le découragement. Il n'arrivait pas à croire qu'il fût l'auteur de ces paroles.

– Nous ne pouvons pas nous laisser dominer par nos pulsions, pas maintenant. Nous devons garder la tête froide et ne pas nous laisser distraire. Et d'abord, regagner la confiance de notre peuple, le convaincre de notre légitimité. Quand nous aurons repris le pouvoir, alors je te jure que je serai à toi corps et âme. Tu pourras faire de moi tout ce qui te plaira.

– Azula… »

Azula se blottit contre lui et Zuko ne put faire autrement que l'accueillir dans ses bras.

Puis reculant légèrement, elle passa une main sur sa joue ruinée par la cicatrice et plongea des yeux brûlant d'une ferveur inquiétante dans les siens. Il comprit qu'elle était partie une fois de plus. Un feu lointain dansait dans ses pupilles si dilatées qu'on ne voyait plus l'ambre de ses iris.

– Je promets de rester pure pour le Seigneur du Feu. »

D'où cela sortait-il encore ?

Puis elle se pencha sur lui et l'embrassa fiévreusement. C'était comme dans un rêve. Le son des baisers qu'elle pressait contre sa bouche semblait résonner dans la maison vide, révélant leur présence et leur faute au monde entier. Et Zuko, suffoqué, submergé par ces sensations affolantes, n'y comprenant plus rien, ferma les yeux un instant.

Il était trop stupéfait parce qu'elle venait de dire pour réagir. Ainsi c'était là son plan ? Reprendre le pouvoir, le persuader de l'épouser, peut-être ? de faire d'elle sa Dame du Feu ? Tout cela pour le trône ? Zuko se sentait sali, trahi. Malgré sa colère et sa déception, il entreprit de la raisonner.

« Azula, tu as conscience que c'est impossible… Je ne sais pas à quoi tu penses, mais... On ne peut pas être ensemble. C'est… je suis ton frère. C'est un crime. Personne ne doit savoir ce qui s'est passé ici, nous sommes bien d'accord là-dessus ?

– Quand tu seras de nouveau investi de tous les pouvoirs, tu briseras ce tabou, assura-t-elle d'une voix enthousiaste. Nous serons libre de nous aimer au grand jour, mon frère. Tu le veux bien ? N'est-ce pas que tu m'aimes bien, mon chéri ?»

Zuko avait l'impression que quelque sorcier maléfique l'avait changé en statue de sel. Il était incapable de bouger, de parler, à peine de respirer. Comme il ne disait rien, elle reporta son attention sur les lèvres de Zuko qu'elle mordilla gentiment dans l'attente d'une réponse.

Elle semblait avoir oublié que quelques minutes plus tôt, elle s'était refusée à lui. Sa main entamait sa descente vers l'entrejambe de son frère. Mais alors qu'Azula s'enhardissait, sa propre excitation s'était évanouie. Zuko trouva qu'il faisait très froid tout à coup. Et les lèvres rubis qui l'avaient tant transporté tout à l'heure n'avaient plus la même saveur. Azula dut sentir son manque d'enthousiasme sous sa main.

« Je peux le faire avec ma bouche si tu préfères, » offrit-elle d'un souffle brûlant dans le creux de son oreille. Tu veux ?

Pris de dégoût, il la repoussa violemment. Elle perdit un peu l'équilibre mais parvint à se rattraper à temps.

« Non.

– Comment non ? répondit-elle, les yeux flamboyants d'une colère insondable. Sa poitrine se soulevait dangereusement et l'air autour d'eux fut parcouru de petites décharges électriques.

– Non, c'est tout. Je ne veux pas. On ne peut pas. C'est mal.

– Ce n'est mal que parce qu'une loi absurde et arbitraire nous l'interdit ! insista-t-elle en essayant de se rapprocher de lui. Tu es le Seigneur du Feu. Tu déferas cette loi.

– Non, dit-il avec fermeté en se relevant pour lui échapper. Nous allons rentrer demain et suivre ton plan, comme tu l'as dit. Nous n'avons pas le temps d'en préparer un autre. Mais après cela, je veux que les choses redeviennent normales entre nous. Je ne te forcerai à rien, mais de mon côté, je répudierai Mai et me chercherai une nouvelle épouse. Je dois assurer la continuité de la lignée. »

Le chagrin et la surprise qui apparurent sur le visage d'Azula furent comme un choc électrique. Elle n'eût pas réagit autrement s'il l'avait foudroyée.

– Je… je peux le faire, balbutia-t-elle d'une petite voix incertaine. Je te donnerai un enfant.

– Taïma a dit que tu ne pourrais pas en avoir. »

Zuko eut honte de brandir cette excuse quand ses arguments auraient dû être tout autre.

– On… on ne sait pas, balbutia Azula qui eut soudain l'air très misérable. Elle a dit que c'était une probabilité mais on ne peut pas être sûr ! Si on essaie, peut-être…

– Qu'est-ce qui te fait croire que je voudrais un enfant avec… toi ? Et d'ailleurs, personne ne voudra pour dirigeant un bâtard issu d'une telle union, Azula. Même si nous le légitimons. Et même si nous le cachons, ils découvriront notre secret. C'est une loi divine qui transcende celles des hommes. Nous ne pouvons pas imposer cela à notre peuple !»

Zuko se rendit compte trop tard qu'il avait utilisé le pluriel. Azula régnait déjà dans son esprit et cela transparaissait jusque dans sa grammaire. Mais sa sœur était bien trop confuse et trop bouleversée pour s'en rendre compte.

– Tu n'as pas envie de moi, c'est ça ? Lui reprocha-t-elle avec brusquerie en le poussant par les épaules. Il faillit être renversé en arrière sur le fauteuil mais se retint juste à temps. Je ne suis pas assez jolie ?

Il fut surpris par la puérilité de son accusation.

– Ça n'a rien à voir. Bien sûr que tu es jolie, je ne suis pas aveugle ! »

Cela aurait évité bien des problèmes si tu ne l'avais pas été, s'abstint-il d'ajouter.

Mais cela ne suffit pas à Azula. Elle recula de quelques pas, l'humiliation et le chagrin faisant trembler sa mâchoire.

Zuko ignorait ce qui le poussait à enfoncer un peu plus loin la lame dans son cœur déjà meurtri. Il suspectait qu'une partie de lui se délectât peut-être du pouvoir qu'il avait sur elle. Pourquoi serait-il le seul à être contrôlé ? Il avait un pouvoir sur elle comme elle en avait un sur lui et il était bien décidé à le lui montrer.

« J'ai bu trop de vin. Je suis perturbé. Et tu n'es pas toi-même. Le sevrage te fait perdre la tête. Nous ne devons plus laisser ce genre de chose se reproduire.

– Je ne comprends pas, balbutia-t-elle d'une toute petite voix.

– Qu'est-ce que tu ne comprends pas ?

– Je ne te comprends pas ! » Sa voix se brisa d'hystérie. « Parfois tu agis comme si tu voulais, et puis, dans la minute qui suit, tu me rejettes ! Comme si je n'étais rien pour toi !

– N'est-ce pas toi qui viens de me repousser il n'y a pas cinq minutes ? » s'exclama-t-il.

Que croyait-elle ? Que le fait qu'elle soit sa sœur l'immunisait miraculeusement contre ses charmes ? Elle l'excitait et le provoquait comme une catin pour se refuser dans la minute qui suivait. Il était un homme ! Il avait des besoins ! Qui resterait de marbre devant de telles avances ? Il s'apprêtait à exprimer ces idées à voix haute mais elle parla la première :

« Ce n'est pas pareil. Je te demande juste d'être patient. Mais je te veux ! Je veux être à toi ! Je t'aime vraiment !»

Un silence.

« Je ne comprends pas, répéta-t-elle. Tu avais envie, non ? Et puis tu m'as choisie ! Quand l'Avatar nous a attaqués, quand ce paysan, Sokka, m'a insultée… Tu m'as choisie, moi !

– Parce que tu es ma sœur ! rugit-il. Tu comptes pour moi. Et c'est vrai que tu me plais, mais cela ne veut pas dire que je sois amoureux de toi ou que- ou que je veuille t'épouser ! Je croyais que tu voulais juste t'amuser un peu tu ne peux pas vraiment vouloir… ça ?

– Mais tu m'as embrassée ! Tu m'as touchée, dit-elle d'une voix tremblante. Je ne comprends pas !

Zuko poussa une exclamation de rage. Il sonda la pièce du regard à la recherche d'objets à enflammer ou à détruire. Dans l'âtre, une flamme vive s'éleva puis explosa dans une puissante détonation. Zuko ne savait même plus s'il était furieux parce qu'elle faisait semblant de ne pas comprendre, ou parce qu'il s'était encore laissé dominer par ses pulsions, ou même parce qu'elle s'était refusée à lui tout à l'heure. Il choisir de se concentrer sur la première option. C'était plus sage et surtout plus facile de la blâmer, elle.

« Est-ce que tu arrives à imprimer ça dans ton petit esprit tordu, Azula ? C'est interdit par la loi : c'est un crime ! Vociféra-t-il en lui crachant une pluie de postillon au visage. C'est de l'inceste ! In-ceste ! »

Voilà. Finalement, le mot hideux avait été prononcé. Celui qui flottait en surface depuis des mois dans les sphères inconscientes de son esprit, celui que ni lui, ni Azula ne voulaient entendre. Ce mot immonde qui se dressait comme une barrière entre eux mais dont la sonorité sifflante sonnait comme la plus séduisante des promesses. Derrière ce mot, tout un monde de plaisirs et de découverte les attendait, les invitant à un mortel abandon.

Cela ne te dérangeait pas tout à l'heure quand elle avait la main dans ton pantalon...

Zuko chassa la pensée inopportune. Il était trop furieux pour penser à ses propres contradictions. Et puis, ce n'était pas la même chose, non, de se marier ou de passer un peu de bon temps avec sa sœur ? D'autres avaient bien dû faire cela avant eux, certainement.

Azula n'eût pas réagi différemment s'il l'avait frappée au visage. Elle s'était ratatinée. Ses lèvres laissèrent échapper un sanglot. Partagé entre le soulagement d'avoir su résister à son invitation mortelle et la culpabilité, il la regarda essuyer ses yeux réduits à deux billes noires auréolées d'un halo doré. C'était comme deux soleils noirs brillant dans un ciel dévasté. Enfin Azula se dirigea vers la porte.

Juste avant de sortir, elle se retourna :

« Trouillard ! » Le mot, enfantin avait jailli dans le silence, frappant Zuko au cœur plus sûrement que la lame d'un poignard. « Tu es un lâche et un hypocrite ! ». Elle crachait presque de dépit dans sa direction, les épaules courbées, les bras croisés autour de sa taille, comme pour se protéger d'un coup.

La porte se referma dans un claquement sec et il resta seul dans la pénombre. La nuit était tombée pendant ces minutes irréelles où ils s'étaient adonnés au crime. Il s'efforça d'ignorer le cri de bête blessée que poussa sa sœur, suivi des sanglots déchirants qui transpercèrent les ténèbres et se répercutèrent dans le hall où elle était venue se réfugier.

Zuko songea à la suivre puis renonça. Il n'irait pas la retrouver pour essayer de la consoler. Il n'était pas sûr de pouvoir résister une deuxième fois. C'était même impossible. Les larmes d'Azula avaient sur lui le même pouvoir que les yeux qui les enfantaient.

Zuko s'insultait intérieurement, se traitant de pervers, d'imbécile, vilipendait sa volonté inexistante. Incapable de se tenir à ses décisions dès lors qu'Azula exhibait un peu de chair. Il n'aurait pas dû céder à la tentation. Azula n'était pas elle-même, il le savait bien pourtant.

Zuko sortit prudemment, inquiet de ne plus entendre aucun bruit. Azula était désespérée, elle risquait de se blesser. Il arriva dans le hall désert. Il vit la pique à cheveux abandonnée sur l'une des premières marches de l'escalier et supposa qu'elle était montée. Il posa le pied sur la première marche, grimaçant au grincement causé par son poids qui s'appuyait sur le vieux bois vermoulu. Arrivé sur le palier, il l'entendit parler. Il n'eut qu'à suivre le son de sa voix.

Azula avait trouvé refuge dans l'ancienne chambre de leur mère. La porte était entrouverte et il la vit assise sur le lit, un oreiller pressé contre sa poitrine, se balançant d'avant en arrière. Son visage était tourné vers la fenêtre par laquelle un rayon de lune entrait et éclairait un pan de la pièce.

« Je sais bien ce que tu penses ! Mais lui aussi en avait envie ! Si je suis une traînée, alors qu'est-ce que ça fait de lui ?

Le silence.

– Oh bien sûr ! Tu ne reprocherais jamais rien à ton fils chéri ? Il est tellement parfait, contrairement à ta cinglée de fille !

Encore une fois,il n'y eut que la réponse des ténèbres.

– Qu'est-ce que tu en sais ? s'écria Azula d'une voix suraigue, visiblement offensée. Comment peux-tu savoir si j'ai initié les choses avec lui aussi ? Tu n'étais pas là quand c'est arrivé ! Tu n'as jamais été là, parce que tu m'as abandonnée ! Ce ne serait pas arrivé si tu n'étais pas partie ! Il ne m'aurait pas regardée de cette façon ! » Ici, sa voix se brisa et elle sembla suffoquer sous les sanglots. « Va-t-en, parvint-elle enfin à souffler. Je ne veux plus t'écouter ! »

Et elle plaça ses mains de part et d'autre de son visage en poussant des grognements de rage. Terrifié par ce spectacle, Zuko se retira dans l'ombre, le cœur battant.

Mais de quoi donc pouvait-elle parler avec le spectre de leur mère ? Et surtout de qui ?

L'image d'un visage taillé au couteau, de yeux dorés comme un soleil couchant et de longs cheveux noirs et raides traversa fugitivement son esprit mais il la chassa aussitôt avec dégoût et n'y pensa plus.

Quoi qu'il fît, qu'il acceptât ses avances ou qu'il la repoussât, il finissait toujours par l'abîmer un peu plus. S'il voulait la protéger, il devait d'abord la protéger de lui. Mais il ne pouvait pas le faire ici. Pas tant qu'il était seul avec elle, soumis à toutes les tentations.

Mon Oncle, pensa-t-il, je vous en prie. Venez nous sortir de là !


Iroh les attendait dans l'immense hall d'entrée, devant le grand escalier de marbre qui menait aux étages supérieurs du palais. Partagé entre l'impatience de les voir arriver et l'appréhension, il ne cessait de jeter des coups d'oeil à la clepsydre sur le mur. Ils avaient du retard. Leur aéronef avait dû atterrir une demi-heure plus tôt.

Iroh entendit un bruit de course affolé juste derrière lui et se retourna à temps pour voir une Ty Lee essoufflée, les joues fort rouges et un peu échevelée, se précipiter dans sa direction.

« Désolée pour mon retard, Seigneur Iroh. Est-ce qu'ils sont rentrés ?

Iroh n'eut pas le temps de répondre : le son d'un palanquin que l'on pose au sol attira leur attention depuis la porte ouverte.

Kadao vint se placer devant la litière et ouvrit la porte. Le Seigneur du Feu en sortit, suivi de la Princesse à qui il tendit la main.

Comme ils approchaient, Iroh put distinguer l'expression renfrognée et préoccupée sur le visage de son neveu, et sa main refermée jalousement autour du poignet d'Azula qu'il n'avait pas lâché. L'humeur de la princesse n'aurait pu être plus différente. Un grand sourire – rouge lui aussi – illuminait le visage de sa nièce, aussi radieux et aussi mortel qu'un soleil d'été. Une satisfaction féroce, une joie malsaine irradiaient de sa personne. Une aura si puissante et si charismatique qu'on en oubliait le léger boitement qui l'affligeait encore. Peut-être était-ce la raison pour laquelle Zuko la tenait si fermement dans sa main.

Une drôle de réflexion lui vint: bien que ce fût Zuko qui tînt sa sœur, Iroh sentait au fond de lui, que le rapport de force s'était inversé et que c'était finalement elle qui soutenait son frère. Et elle jubilait de ce nouveau pouvoir.

Quoi qu'il se fût produit sur l'Île de Braise, cela avait aidé Azula à regagner une influence sur son frère. Les Sages n'allaient pas aimer cela. Iroh fixa le visage de sa nièce à l'affût du moindre signe traduisant sa folie. Elle clignait des yeux peut-être un peu plus souvent que nécessaire, et son sourire trop large, sa gaieté manifeste, contrastaient de manière inappropriée avec l'humeur générale qui était plutôt à l'inquiétude.

Iroh essaya de ne pas montrer son impatience tandis que son neveu et sa nièce franchissaient ensemble le seuil du grand hall.

« Où sont les autres ? » murmura Ty Lee en épousant la place du regard.

Iroh ne répondit pas. Il n'avait pas trouvé les mots pour lui dire. Rien dans la lettre d'Azula ne mentionnait Ty Lee. Il avait préféré garder le silence. Azula lui dirait bien ce qu'elle voudrait.

« Mon Oncle ! S'exclama joyeusement la princesse en marchant vers lui, les bras ouverts.

Elle s'approcha de lui et l'embrassa sur les deux joues, ce qui fit rougir Iroh de surprise. Jamais Azula ne lui avait témoigné un tel geste d'affection. D'où venait cette soudaine exubérance ? Encore un symptôme de sa folie ? À quel jeu tordu jouait-elle encore ?

« Heureux de te voir en bonne santé, ma chère nièce. »

Il lui tapota maladroitement le dos en lui retournant son sourire, mais ne put pas le forcer à atteindre ses yeux. Azula se tourna vers Ty Lee et avec une exclamation de joie qui semblait beaucoup plus sincère, lui tendit ses deux mains que la jeune femme prit avec un grand sourire dans les siennes. Iroh en profita pour regarder Zuko qui était loin d'afficher le même enthousiasme et observait les embrassades des deux filles d'un œil morne.

« Comment vas-tu, mon neveu ? risqua-t-il.

« Et vous, comment allez-vous, mon Oncle ? grogna-t-il en éludant la question. Est-ce que tout s'est bien passé ici ? »

Iroh jeta un regard gêné autour de lui. À sa gauche, Azula s'était figée et lui lançait un regard scrutateur, les mains de Ty Lee toujours dans les siennes. Elle remua imperceptiblement les lèvres et il comprit qu'elle pensait, comme lui, à la lettre secrète. Il entendit sa prière muette et pencha discrètement la tête dans sa direction. L'illusion s'évanouit aussitôt qu'elle parla :

« Si tu le permets Zuzu, j'aimerais aller dans les jardins avec Ty Lee. Nous avons tant de choses à nous dire !

– Bien sûr, répondit-il distraitement. Soyez prudentes, d'accord ?

– Comme toujours, mon Seigneur. »

Et elle laissa Ty Lee pour se diriger vers lui. Iroh rougit furieusement quand Azula entoura le cou de Zuko de ses bras, se leva sur la pointe des pieds, et déposa un baiser léger sur la commissure de ses lèvres. Zuko devint écarlate également mais s'abstint de tout commentaire.

« À plus tard, grand frère. »

Elle prit son amie par la main, et l'entraîna derrière elle. Elle disparut avec un dernier sourire rusé.

Iroh reporta son attention sur Zuko. Le pauvre garçon semblait épuisé et terriblement abattu. Il avait attendu dix jours. Il pouvait bien lui apporter un répit de quelques heures encore avant de laisser déferler sur lui une avalanche de mauvaises nouvelles et de l'interroger sur ce qui s'était passé avec Aang et les autres.

« Tu devrais aller te rafraîchir, dit-il en posant une main dans son dos pour le guider vers les appartements royaux. Et te changer. Je t'avoue que je suis content de pouvoir enfin me débarrasser de ce déguisement ! Non seulement, il y fait trop chaud, mais ces vêtements sont trop étroits pour accueillir mon royal estomac ! »

Zuko esquissa un sourire mais il se dissipa si vite qu'Iroh pensa l'avoir imaginé.