Chapitre 31 – Les Éminences Grises


Cela commençait à devenir difficile.

Encore un peu...Juste quelques jours. Trois jours et ce sera fini, se persuadait-elle pour se rassurer.

Azula savait bien qu'il faudrait plus que trois jours pour retrouver une réelle stabilité mentale, même après avoir repris son traitement. Mais c'était au moins une perspective.

C'était resté supportable pendant le séjour sur l'Île de Braise car elle avait eu l'intelligence de se sevrer petit à petit. Mais maintenant…

Azula était furieuse après les Sages, après son oncle, et après Zuko aussi. Ces délais mettaient en péril tous ses plans.

« Ils ne peuvent pas te recevoir avant la fin de la semaine », lui répétait-il.

Comment cela, ils ne pouvaient pas lui accorder une audience plus tôt ? Et depuis quand était-ce à la princesse de quémander ? Ils auraient dû être à sa disposition. Si son imbécile de frère ne leur avait pas cédé un tel pouvoir, aujourd'hui ces vieux décatis ramperaient devant elle.

Les périodes de lucidité s'amenuisaient chaque jour. Azula devait rester enfermée dans sa chambre la moitié du temps, là où elle ne pouvait faire de mal à personne. Cela ne la protégeait pas d'elle-même,ni des pensées intrusives cependant. Souvent Zuko devait rester avec elle pour la contenir. Elle n'admettait que lui auprès d'elle pendant ses crises.

Bien qu'il l'eût mortellement blessée en la rejetant une fois de plus, elle savait que même au plus profond de sa folie, elle ne pourrait jamais vraiment lui faire de mal. Et lui seul était un maître du feu assez compétent pour la maîtriser.

Zuko insistait déjà pour qu'elle reprenne le traitement que Taïma lui avait redonné en urgence. Il n'avait pas été facile de convaincre la guérisseuse de laisser Azula assurer elle-même sa médication.

« Si vous n'appliquez pas le bon dosage, princesse, cela ne fera pas effet correctement ! cria-t-elle un jour derrière la porte qu'une Azula en pleine crise gardait résolument close pour tout le monde sauf pour le Seigneur du Feu.

– Laissez-moi ! hurlait-elle d'une voix hystérique. Je ne veux voir personne !

Quand elle avait les idées assez claires pour y songer, Azula se demandait si Taïma et Ty Lee avaient deviné ses intentions. Son amie avait fini par voir que quelque chose n'allait pas quand Azula s'était mise à parler à des ombres en sa présence. Azula savait qu'elle l'espionnait et elle devait ruser pour faire croire qu'elle prenait scrupuleusement son médicament.

Elle n'aurait pas dû commencer à répondre aux voix. Mais c'était plus fort qu'elle ! Ces intrus qui logeaient dans son esprit malade ne cessaient de la harceler, de lui parler, de se moquer de sa misère et de rire de l'humiliation que Zuko lui avait infligée sur l'Île de Braise.

Mère ne manquait jamais une occasion de la blâmer pour son comportement.

« Si tu ne t'étais pas comportée comme une catin avec ton frère, tu n'en serais pas là aujourd'hui », aimait-elle à répéter.

Comme si Azula ne le savait pas ! Elle était peut-être folle, folle à lier même, mais elle n'était pas stupide. Elle savait que le rejet de Zuko avait précipité sa plongée dans la folie. Malgré tout, elle ne pouvait pas se résoudre à renoncer à lui, et plus elle songeait à ce qu'il lui avait dit, plus elle se sentait dévorée par les désirs.

Se savoir privé d'une chose ne fait que renforcer le désir que l'on en a, lui disait souvent son père. Il est essentiel que nos sujets ignorent les droits dont nous les avons déchus pour la grandeur de notre nation. N'oublie jamais cette leçon, Azula, ou tu auras une révolte sur les bras.

À l'époque, Azula était loin d'imaginer que cette leçon s'appliquerait à elle de cette manière. Zuko éprouvait-il la même chose ? Ne la désirait-il que parce qu'il ne pouvait pas l'avoir ? Ou bien l'aimait-il au moins un peu ?

Son frère semblait désemparé et parfois, elle s'en voulait de lui infliger tant de peine.

« Le médicament ne fera pas effet immédiatement ! tenta-t-il de la convaincre une fois. Les Sages ne sauront rien si tu le reprends maintenant. Ils verront bien que tu n'es pas toi-même. N'importe qui s'en rendrait compte ! »

Il lui hurlait presque dessus, alors qu'elle marchait de long en large dans sa chambre, haletant, saisie de sanglots incontrôlables, les mains plaquées sur les oreilles dans une tentative désespérée de réduire au silence ses hôtes fantasmagoriques, incapable de s'asseoir malgré les exhortations de Zuko à se calmer.

Père avait refait son apparition. Il n'était venu qu'une fois mais Azula ne pouvait pas oublier sa terreur quand elle avait senti son matelas s'affaisser une nuit, pour découvrir son visage anguleux à la lueur de ses flammes bleues. Elle avait poussé un hurlement épouvanté et il avait fallu toute la patience de Zuko qui dormait non loin d'elle sur son divan, pour la calmer. Cela n'avait pas vraiment aidé puisque Azula avait cru se débattre contre Ozai pendant que Zuko la maintenait contre son matelas. D'après lui, ses côtes portaient encore la marque de ce combat épique sous la forme d'un énorme bleu. Il essayait d'en rire pour la rassurer mais Azula ne voyait pas ce qu'il y avait de drôle.

Mai venait parfois lui rendre visite également. Elle attendait tapie dans les recoins les plus obscurs de sa chambre, qu'elle perde définitivement la raison. Azula apercevait parfois le reflet d'une lame tranchante dans sa main ou jurait avoir aperçu un éclair près de sa poche où elle devait ranger le poison qui avait failli la tuer une fois.

Cela ne pouvait plus durer. Elle ne pouvait pas se permettre de s'affaiblir plus encore. Il fallait qu'elle reste forte et lucide. Sinon tous ces sacrifices et ces efforts auraient été vains.

Le monde était de moins en moins tangible. Les gens réels lui paraissaient flous tandis que les contours de ceux qui n'étaient auparavant que des ombres fugitives se précisaient, prenaient corps. Ursa brillait presque de réalité dans cet univers nébuleux où les meubles et les murs eux-mêmes n'avaient plus aucune consistance. Azula éprouvait plus que jamais le besoin absurde de toucher les objets et les surfaces pour en éprouver la matérialité. Elle touchait sans arrêt Zuko quand il se trouvait dans les parages. Lui seul était en mesure de la rassurer et elle ne se sentait pleinement en sécurité que quand elle était dans ses bras. Sa présence était tout ce qui la reliait au monde réel.

Mais depuis quelques jours, même ce répit lui était refusé. Plus d'une fois au cours des dernières heures, croyant enlacer Zuko, elle s'était retrouvée seule au milieu de la pièce, en train d'embrasser un oreiller, quand ce n'était pas tout simplement elle-même.

Une fois, elle s'éveilla dans des draps constellés de taches écarlates. À côté d'elle, un couteau reposait sur le lit froid et vide, comme une invitation à s'en servir. Elle aurait juré avoir vu des mains grises et couvertes de croûtes brunes le pousser vers elle.

Terrorisée, Azula avait bondi du lit et avait couru comme une folle à travers tout le palais, vêtue de son seul kimono, appelant à l'aide, cherchant son frère.

On l'avait retrouvée dans les cuisines et c'était la cuisinière en chef, une femme sèche et sans âge qui l'avait recueillie, qui lui avait offert une tasse de thé fumante et avait fait venir Oncle Iroh pour prendre soin d'elle. Quand les servantes s'étaient rendues dans la chambre pour changer les draps, elles n'avaient pas trouvé une goutte de sang.

Le pire étaient les absences. Parfois Azula oubliait ce qu'elle avait fait pendant des heures entières.

Ce symptôme était assez nouveau. Elle ne se souvenait pas d'avoir vécu des expériences aussi perturbantes auparavant. Ou peut-être dans ses premières semaines à l'asile.

Cela avait commencé sur l'Île de Braise. La première fois, c'était quand la paysanne qui maîtrisait l'eau et son idiot de frère l'avaient trouvée sur la plage.

La seconde fois, c'était le matin de leur départ. La veille, elle s'était violemment disputée avec Zuko. Il l'avait rejetée une fois de plus après l'avoir caressée comme si elle était sa maîtresse. Cela elle s'en rappelait ! Il avait prononcé le mot, le vilain mot qu'elle refusait d'entendre et avait énoncé des inanités au sujet d'un mariage politique avec quelque putain de la Nation du Feu.

Azula ne parvenait pas à oublier la sensation de ses mains brûlantes qui s'étaient égarées sous la soie de son kimono, qui avaient caressé ses seins. Le long frisson de terreur mêlé de délice qui avait parcouru tout son corps quand elle avait senti ses doigts effleurer l'intérieur de ses cuisses. À un moment donné, elle avait eu peur. Zuko était devenu trop entreprenant et il avait fallu l'arrêter.

Elle regrettait amèrement sa couardise, car la seconde qui avait suivi, Zuko s'était mis à éprouver des regrets. Ces stupides remords qui l'agitaient chaque fois qu'il se laissait aller avec elle. Pourtant, elle avait bien vu son désir, l'avait senti, même. Comment pouvait-il encore avoir le culot de mentir ? Il l'avait presque suppliée quand elle s'était refusée à lui, ne voulait pas la laisser partir. Il l'avait pratiquement forcée à reprendre ses caresses.

Finalement, Azula commençait à se demander si elle n'avait pas imaginé tout cela. Par précaution, elle avait décidé de mettre un frein à sa petite conquête pour le cœur de son frère. Au moins le temps de régler certains problèmes.

Elle ne conservait aucun souvenir des heures qui avaient suivi leur dispute sur l'Île de Braise. Azula se rappelait seulement avoir fui sa chambre et s'être réfugiée dans les appartements de sa mère. Puérile attitude qui la poussait toujours à chercher le réconfort de cette abandonneuse d'enfants, chaque fois qu'elle était bouleversée ou malheureuse. Tout en sachant très bien comment elle serait reçue.

Après cela, c'était le néant. Azula ignorait tout de ce qu'elle avait fait cette nuit-là. Elle s'était réveillée brusquement, frigorifiée et avait ouvert les yeux sur une vision terrifiante.

Partout autour d'elle, de l'eau. Une eau grise et grondante qui l'environnait de toutes parts, qui l'immergeait jusqu'à la gorge. À l'horizon, un soleil rose incandescent s'élevait, comme pour échapper aux flots furieux. Des vagues qui s'enchaînaient en cascade ne cessaient de la frapper dans un bruit de tonnerre, lui faisant perdre son équilibre, l'entraînant vers le rivage qu'elle essayait désespérément d'atteindre. Mais aussitôt, une nouvelle lame l'attirait plus loin vers le large et une eau salée s'engouffrait par sa bouche. Elle s'était mise à paniquer et à agiter les bras dans tous les sens, pauvre oiseau blessé, pour maintenir la tête hors de l'eau, comme elle avait vu les petits chiens le faire, enfant. Quand elle y parvenait , l'air iodé autour d'elle lui paraissait tout aussi irrespirable. Azula suffoquait.

C'était Zuko qui l'avait tirée de cet enfer. Azula était sur le point de capituler contre la mer déchaînée quand deux bras puissants s'étaient refermés autour de sa taille. Terrorisée tout d'abord, convaincue d'avoir été capturée par quelque monstre marin muni de tentacules, Azula s'était débattue. Mais la voix de son frère s'était soudain élevée, couvrant le vacarme de la mer.

« Oh mon dieu ! Azula ! Mais qu'est-ce que tu fais ici ? »

Elle se souvenait vaguement qu'il l'avait tirée des flots furieux. Sur le sable, hébétée, elle l'avait laissé lui hurler dessus comme un forcené. Azula tremblait de tous ses membres dans son kimono trempé – celui qu'elle avait choisi la veille dans l'espoir de lui plaire.

Zuko l'avait ramenée à la maison, la portant presque sur tout le chemin qui remontait en pente raide. Dans le hall d'entrée, il lui avait fait retirer son kimono avant de l'envelopper dans une couverture. Il l'avait ensuite assise de force sur le divan et était resté près d'elle, lui frictionnant les épaules, la harcelant de questions jusqu'à ce que les couleurs réapparaissent sur ses joues livides.

« Je n'en sais rien ! se défendit-elle piteusement quand elle eut retrouvé l'usage de a parole. Arrête de me demander ! Je ne sais pas ce que je faisais là ! Je me suis réveillée et j'étais au milieu de la mer ! C'est tout ! Arrête de me demander ! »

Azula avait dû se lever, se diriger vers la plage et marcher droit vers les flots agités. Avait-elle voulu mourir ? Avait-elle obéi à une nouvelle injonction farfelue des voix ? Elle n'en avait pas la moindre idée et à vrai dire, ces errances hasardeuses la terrifiaient autant que son frère.

Si elle était capable de se mettre en danger dans ces moments de délire, qui sait ce qu'elle pouvait faire aux autres ? Et si elle attaquait à nouveau Ty Lee ? Ou Taïma ?

Le délire allait et venait comme le reflux infatigable des vagues qui avaient failli l'engloutir. Certains jours, elle se sentait parfaitement bien, pleine d'énergie, déterminée à mettre son intelligence au service de son frère. Le lendemain, elle s'éveillait dans le brouillard, à peine capable de distinguer les visages de ceux qui l'entouraient.

Aujourd'hui était un mauvais jour. Depuis le matin, la fièvre était montée peu à peu et les ombres effrayantes se précisaient et se détachaient de plus en plus nettement dans les lueurs mourantes du jour. Depuis plusieurs minutes, alors que Ty Lee bavardait à côté d'elle, son esprit s'était mis à glisser dangereusement. Elle l'avait interrompue avec brusquerie et lui avait ordonné d'aller chercher Taïma.

Une fois n'était pas coutume. Zuko ne pouvait pas s'occuper d'elle : il était retenu avec ses ministres et Oncle Iroh par un interminable conseil de défense qui, encore une fois, n'aboutirait à rien. Seule la guérisseuse pouvait l'aider maintenant. Elle pourrait lui administrer un calmant ou utiliser l'une de ses techniques d'hypnose dont elle avait le secret.

La princesse n'aimait pas beaucoup y avoir recours. Plus d'une fois au cours de ces séances qu'elle lui imposait à l'asile, Azula lui avait confié des choses qu'elle aurait voulu garder pour elle. Se rendre aussi vulnérable au beau milieu d'une rechute lui paraissait dangereux, surtout avec le spectre de Père qui rôdait dans les parages.

Taïma poserait inévitablement ses fameuses questions qui avaient le don de jeter Azula dans la tourmente. Elle voulait toujours parler de choses interdites, comme la cicatrice en forme de main qui ornait sa hanche, ou encore l'interroger sur les paroles dénuées de sens qu'elle laissait parfois échapper pendant ses crises.

« Je n'en sais rien ! Comment voulez-vous que je le sache ? la tançait-elle habituellement quand elle lui posait des questions. Je suis cinglée, non ! Pourquoi tenez-vous absolument à donner du sens aux paroles d'une folle ? »

Manifestement, Zuko avait parlé avec Taïma. La dernière fois, elle n'avait cessé de la questionner sur des propos extravagants qu'elle aurait tenus en sa présence. Azula n'en avait pas le moindre souvenir et commençait à perdre patience.

Cela aussi était une autre bonne raison de reprendre au plus vite sa médication. Taïma semblait avoir deviné du passé d'Azula beaucoup plus de choses qu'elle ne l'aurait dû. Et ce qu'apprendrait Taïma arriverait invariablement aux oreilles de Zuko. Et cela, c'était inacceptable ! Zuko ne devait pas connaître son secret. Il la blâmerait pour cela, comme le faisait Mère. Il la traiterait de traînée, lui hurlerait dessus, la traînerait dans la boue et la punirait pour avoir couvert leur famille de déshonneur. Sans parler de ce que ferait Père s'il l'apprenait...

« Je ne comprends pas pourquoi nous n'avons toujours pas constaté d'amélioration », se plaignit Taïma, une demi-heure plus tard après avoir demandé à une Azula un peu plus calme de s'allonger sur le divan. Le calmant qu'elle lui avait injecté commençait à faire effet. Elle faisait maintenant courir ses longs doigts agiles au-dessus de la tête d'Azula, un petit tourbillon d'eau brillante tournoyant juste au-dessus de son front.

« Cela fait plus d'une semaine, les choses auraient dû rentrer dans l'ordre. Êtes-vous sûre que vous prenez bien votre traitement, princesse ?

– Zuko s'en assure tous les matins, répondit-elle, très lasse, s'efforçant d'ignorer le spectre de sa mère qui secouait la tête de droite à gauche en signe de réprobation. Et vous, êtes-vous sûre qu'il n'a pas encore été trafiqué ? » l'accusa-t-elle une nouvelle fois pour la faire taire.

Quand ses problèmes lui laissaient le loisir de penser aux autres, Azula s'en voulait un peu de causer tant de soucis à Taïma. Cette dernière paraissait bouleversée. D'après Ty Lee, elle passait ses nuits à vérifier les ingrédients entrant dans la composition de son traitement, à les peser, réajuster le dosage. Les cernes violacés sous ses yeux outremer témoignaient de son dévouement.

« Je suis certaine que les choses vont s'arranger très bientôt !» assura Ty Lee qui assistait à la scène, les yeux brillants, accroupie derrière elle, les coudes appuyés sur l'accoudoir où Azula avait posé sa tête. «Le traitement a toujours mis un peu de temps à agir non ? La dernière fois, tu étais inconsciente. Quand tu t'es réveillée, le médicament avait eu le temps de faire effet. N'est-ce pas ? »

Elle se tourna vers Taïma, les yeux pleins d'espoir.

« C'est bien possible », répondit la guérisseuse, évasive.

Azula renversa la tête pour regarder le visage de son amie qui semblait flotter au-dessus d'elle. Elle lui adressa un faible sourire et tendit sa main tremblante pour la poser sur sa joue humide.

« Ça va aller, Ty. Ne t'inquiète pas. », la rassura-t-elle.

Ty Lee recouvrit sa main avec la sienne et répondit à son sourire.

Cela non plus elle ne le supportait plus. Elle ne voulait plus faire souffrir ceux qu'elle aimait. Ty Lee était restée, même après qu'elle eut raconté ces mensonges sur sa relation avec Zuko. Elle avait bien paru un peu dégoûtée, mais elle n'avait pas fui. Du reste Azula se demandait si Ty Lee ne l'avait pas démasquée. Elle n'accueillait plus qu'avec un sourire triste les provocations d'Azula et les récits de plus en plus scabreux mais aussi de plus en plus extravagants qu'elle lui faisait de ses prétendues rencontres secrètes avec Zuko dans les pièces dérobées du palais. Deux jours plus tôt, Azula s'était humiliée avec ses propres mensonges. Elle venait de lui faire le récit de sa nuit torride avec Zuko quand Ty Lee lui rappela, un peu gênée, qu'elles avaient passé cette soirée ensemble et que Zuko avait passé la nuit en pourparlers avec ses ministres. Ils n'avaient donc pas pu se voir.

Ty Lee venait de lui rendre sa main quand la porte s'ouvrit en grand, faisant sursauter les trois femmes. Azula tendit le cou pour voir entrer Zuko, vêtu de sa robe d'apparat, la couronne à cinq flammes fièrement dressée sur sa tête, l'air aussi renfrogné que d'habitude. Il s'immobilisa en voyant sa sœur allongée sur le divan, entourée de Taïma, agenouillée devant elle et de Ty Lee. Son visage se décomposa et ses yeux en amandes parurent s'affaisser et fondre en une pluie d'or liquide.

« La princesse ne se sentait pas très bien, expliqua Taïma. Je lui ai administré un calmant. Avant de se coucher, je voudrais qu'elle avale cette pilule : cela devrait l'aider à dormir toute la nuit d'un sommeil sans rêve.»

Mais Zuko ne l'écoutait déjà plus. Il se précipitait vers le centre de la pièce et se penchait au-dessus du dossier du divan. Il avança une main timide vers le visage d'Azula, la posa un moment sur son front puis suivit la ligne de sa mâchoire du dos de l'index.

« Dis-moi…

– Pas maintenant, souffla-t-elle très bas pour que personne d'autre n'entende.

– Ty Lee, Taïma, laissez-nous s'il-vous-plaît », ordonna Zuko.

Son amie et la guérisseuse échangèrent un regard un peu inquiet.

Il ne va pas me toucher, vous pouvez partir ! eut-elle envie de leur hurler.

« Vous pourrez revenir juste après, leur assura Zuko qui semblait avoir perçu leur hésitation lui aussi. Mais j'ai à parler à ma sœur.

– Bien, Seigneur du Feu », répondit Taïma en se relevant.

Les deux femmes sortirent promptement sans se retourner.

Dès qu'ils furent seuls, Zuko s'agenouilla devant elle et passa à l'offensive :

« Je veux que tu reprennes ton traitement. Arrêtons cette comédie, maintenant.

– C'est nécessaire Zuzu, lui rappela-t-elle d'une voix faible.

– Je ne supporte pas de te voir souffrir comme ça, gémit-il en baissant les yeux vers le sol. Et tout cela pour des résultats plus qu'incertains.

– Incertains ? N'est-ce pas toi qui me disais avant-hier que notre Oncle avait su convaincre le grand Sage de différer mon procès pour Kojiro ? S'il ne m'avait pas vue dans cet état, il y a fort à parier qu'il n'aurait pas levé le petit doigt pour moi.

– Bien sûr que si. Tu es sa nièce. Il veut ton bien, tout comme moi.

– Si tu y tiens, répliqua-t-elle, trop épuisée pour se battre contre cet optimisme qui frôlait la stupidité.

– Justement, répondit Zuko, un peu plus enthousiaste. Je suis venu te voir pour ça. » Et prenant sa main dans les siennes : « J'ai réussi à convaincre le Conseil des Sages d'avancer ton audience. Même s'ils n'ont pas reçu de réponse d'Aang. J'ai dû leur promettre que tu serais sédatée et ligotée… C'était leur condition. Ces imbéciles étaient terrifiés à l'idée que tu réduises leur stupide temple en cendres.

– Ils ont tort, répondit-elle le plus sérieusement du monde. Le Temple est un monument historique, un témoignage de la grandeur de notre nation que je tiens à préserver. À leur place je m'inquiéterais davantage pour leur barbe traînante. Un parfait combustible pour un bon départ de feu ! »

Zuko lui sourit et se pencha sur elle pour déposer un baiser sur sa tempe. L'idiot semblait vraiment content de lui. Quatre jours pour convaincre une bande de vieux dégénérés alors qu'un ordre aurait suffi ! Quelle piètre image il donnait de lui…

Depuis qu'il lui avait avoué l'existence de cette stupide réforme, Azula ne pouvait que contempler, consternée, l'étendue du carnage. Zuko était vraiment bridé et terrifié par l'avis des Sages. Leur pouvoir de décision semblait presque supérieur au sien. Azula lui avait demandé plusieurs fois de lui apporter les textes dans l'espoir d'y débusquer une faille mais Zuko éludait. Elle était certaine qu'il craignait de les lui donner. À coup sûr, c'était pire que ce qu'il avait bien voulu lui avouer.

Azula avait donc dû demander à sa fidèle Ty Lee d'aller fureter dans les archives du palais. Confuse d'avoir échoué dans sa mission de filature avec Zuko, Ty Lee s'était empressée de lui rapporter le précieux document. C'était tout simplement effarant :

Article 1 – Le Seigneur du Feu ne peut faire le choix de déclarer la guerre à une autre nation sans l'avis unanime du Conseil des Sages et de l'Avatar.

Article 2 – Le Seigneur du Feu ne peut émettre une loi compromettant la liberté individuelle des citoyens de sa Nation, comme le droit de se déplacer, de manifester, de se regrouper, le droit de croyance, sans l'avis éclairé et unanime du Conseil des Sages.

Article 3 – Le Seigneur du Feu s'engage à ne pas interférer dans les affaires de la Justice. Le pouvoir de condamner et d'acquitter un criminel appartient à un tribunal populaire présidé par un Grand Juge désigné par le Conseil des Sages.

Cependant, le Seigneur du Feu bénéficie du pouvoir d'amnistie et peut gracier un criminel condamné à mort ou à la prison à perpétuité, après avoir consulté le Conseil qui lui remettra un avis éclairé.

Article 4 – Le Seigneur du Feu se doit, en toute circonstance, d'adopter un comportement conforme aux valeurs de la Nation stipulées dans la Charte n°143, adoptée à la date du 25 septembre de l'an 101 AG, et à faire preuve d'une force morale exemplaire.

Tout comportement déviant pourra faire l'objet d'une intervention du Conseil des Sages qui, d'un avis unanime et avec le concours de l'Avatar, peut décider de la destitution provisoire ou définitive du Seigneur du Feu régnant.

Le Seigneur du Feu et les membres de la famille royale sont soumis aux mêmes lois que leurs sujets en matière de criminalité. Il en va de même pour les membres du Conseil des Sages.

Azula s'était arrêtée de respirer en parcourant ces lignes dont elle avait ignoré l'existence tout ce temps. Elle aurait pu le savoir beaucoup plus tôt si elle n'avait pas passé les derniers mois à s'abjurer. Tout ce temps perdu à tempérer les ardeurs de Zuko ou à œuvrer dans son sens ! À l'aider à mettre en place son stupide projet de République des Nations… Tout cela dans l'espoir qu'il ne la voie plus comme une ennemie, qu'il la remarque enfin et qu'il l'aime un peu.

Aujourd'hui, Zuzu avait honte de cette décision, et de sa propre faiblesse qu'il avait orchestrée. Terrifié à l'idée de devenir une seconde mouture de leur mégalomane de père, il avait tout fait pour réduire son champ d'action. Aujourd'hui, Zuko récoltait ce qu'il avait semé, et comme toujours, c'était à elle de réparer ses erreurs. Voilà ce qui se produit quand on met des idéalistes et des gens sans ambition sur le trône ! Azula n'aurait jamais commis une telle erreur.

« Plus sérieusement, Zuzu, il faut que l'on discute de ce que tu feras si après m'avoir vue, les Sages refusent d'annuler le procès. Ou s'ils te demandent de te débarrasser de moi.

– Ils ne le feront pas. Ils n'oseront pas.

– Tu as mis quatre jours à obtenir une audience alors que tu es le Seigneur du Feu et qu'ils te doivent une obéissance absolue ! Tu ne vois pas qu'ils se rient de toi ? Ils ne reculeront devant rien pour t'humilier.

– Je ne leur ai accordé ce délai que pour qu'ils croient en ma bonne foi ! se défendit-il, piqué dans son orgueil. N'est-ce pas toi qui m'as demandé de me mettre en retrait ?

– Tu as manqué de subtilité, Zuzu, comme toujours. Je t'ai conseillé de rester en retrait, pas de ramper devant eux comme un chiot blessé. Si tu leur laisses croire qu'ils ont un tel pouvoir sur toi, alors ils auront tôt fait de te dépouiller de toute ton autorité. Tu aurais dû t'appuyer sur notre oncle. Il est plus convaincant que toi ! »

Zuko décida visiblement d'ignorer l'insulte.

« Notre oncle se méfie, grogna-t-il. Je l'ai vu dans ses yeux. Je suis certain qu'il en sait plus sur nos intentions que nous le pensons.

– Rassure-toi, répondit-elle avec une note d'amertume dans la voix. Après la petite scène à laquelle il a assisté dans les cuisines, je suis sûre qu'il est convaincu que j'ai perdu la tête…

– Alors ça devrait suffire. Reprends ton traitement, dès ce soir, l'implora-t-il soudain en serrant ses mains dans les siennes. Ce que nous voulons pour le moment, c'est que les Sages rayent Aang de la Constitution et renoncent à ton procès, non ? Tu n'as pas besoin de te torturer pour cela ! S'ils me voient soutenir une folle, je perdrai encore plus de crédit auprès d'eux.

– Zuzu…

– Je n'en peux plus, Azula ! explosa-t-il, des larmes dans les yeux. Je ne veux pas te perdre. Si cela continue, un drame va se produire ! Je ne veux pas retrouver ton corps échoué sur la plage un matin, ou brisé sur le sol s'il te prend la fantaisie de sauter du haut du donjon pendant une de tes crises !

– Zuko ! » dit-elle en tendant le bras vers lui.

Il s'approcha, referma ses bras autour de ses épaules et pressa son front contre le sien. Azula dut lutter contre la vague d'émotions qui la submergeait. Ils restèrent ainsi, un moment. Elle rompit finalement le silence mais pas leur étreinte.

« Zuko, je veux que tu penses à ce que tu veux vraiment au fond de toi. »

Zuko mit un long moment à répondre. Il resserra ses bras autour d'elle.

« Je veux retrouver mon pouvoir…

– Oui, c'est bien, expira-t-elle en plantant ses yeux de lionne dans les siens. Quoi d'autre ?

– Je veux que tu guérisses.

– Quoi d'autre ? le pressa-t-elle en remuant légèrement sur son divan.

– Je veux me débarrasser de ces vieux débris qui te menacent. Je veux que toutes les charges soient abandonnées contre toi.

– Et quand ce sera fait ?

– Je veux écraser Lu Fang. Je veux détruire les Fils d'Agni. »

Azula sentait son cœur enfler dans sa poitrine à mesure qu'il parlait. Le ton belliqueux, la détermination féroce qui illuminait son regard doré la transportaient et l'excitaient. Un désir partit du bas de son ventre et irradia dans tout son corps. Elle aurait voulu qu'il la prenne maintenant, tout de suite, sur ce divan. Les yeux brillants, elle porta la main vers le visage de son frère.

– C'est bien, Zuko, répéta-t-elle en caressant sa joue ravagée. Et ensuite ?

– Je frapperai de trahison quiconque se dressera contre nous, quiconque te menacera.

Azula ferma les yeux, la bouche entrouverte et laissa échapper un soupir. Les mots tombaient sur elle, plus doux et plus enivrants que les plus brûlantes et les plus sensuelles des caresses. Elle se rappela comment la main de Zuko s'était aventurée entre ses cuisses la dernière nuit sur l'Île de Braise. La manière dont il avait effleuré ce qu'elle avait de plus intime... Elle se contracta un peu pour lutter contre une violente décharge de désir jamais expérimentée auparavant, et se mordit la lèvre inférieure.

– Encore Zuko, haleta-t-elle, grisée par ces paroles. Dis-moi ce qui se passera après.

Zuko sembla un peu décontenancé, mais pris au piège dans ses bras, il n'osa pas interrompre l'instant.

– J'écraserai le Royaume de la Terre. Je les remettrai à leur place. J'anéantirai les rebelles qui ont déstabilisé les colonies et je déclarerai la guerre à ce traître de Kuei s'il trouve à y redire !

– Et moi Zuko ? souffla-t-elle encore en le rapprochant si près d'elle qu'il aurait pu l'embrasser.

Et son frère bien aimé lui donna enfin ce qu'elle voulait :

– Quand tout sera fini, tu t'assiéras à ma droite sur le trône, comme ma principale conseillère. Et nous régnerons ensemble. Comme frère et sœur. »

Un long frisson parcourut tout le corps d'Azula et il lui fallut toute la force de sa volonté pour refréner le petit cri d'extase qui menaçait de franchir ses lèvres. Finalement, le corps tremblant encore, elle rouvrit les yeux pour les plonger dans ceux, désemparés, de son frère qui ne semblait pas avoir compris la tempête qui venait de se produire dans le corps et dans la tête d'Azula. Il paraissait un peu effrayé et très embarrassé.

Pour ne pas avoir à rougir de sa propre attitude, Azula libéra son frère et se rassit. Malgré ses membres cotonneux, elle se sentait bien et lucide pour la première fois depuis des jours. Elle se tourna vers son frère, toujours agenouillé devant elle.

« Est-ce vraiment ce que tu veux ? »

Zuko parut hésiter un peu. Il regarda ailleurs, cherchant un secours qui ne viendrait jamais. Finalement, comprenant qu'il ne pouvait pas échapper à son regard scrutateur, il marmonna :

« Oui… C'est ce que je veux.

Le sourire d'Azula s'élargit.

– Alors, tu vas m'écouter attentivement. »


Zuko passa une main dans sa nuque pour détendre sa peau meurtrie. Azula s'était agrippée si fort à son cou, alors qu'il lui disait son souhait de la voir régner à ses côtés, qu'il avait été momentanément incapable de respirer.

« Après-demain, dit-elle après avoir arrangé les plis de sa robe, les Sages auront la preuve que j'ai perdu la tête. Si tout se passe comme je l'espère, ils n'auront pas d'autre choix que d'abandonner les charges contre moi. Ils craignent trop ta réaction pour me condamner ! Mais ils chercheront sans doute à m'évincer. Quand ils te le demanderont, tu accepteras de me retirer définitivement mon titre de Princesse Héritière, de manière irréversible. C'est essentiel qu'ils se sentent écoutés. Ils suggéreront ma mise sous tutelle et tu approuveras.

– Mais si je fais cela… jamais tu ne seras…

– Tu n'as pas compris Zuzu ? Cela ne m'intéresse pas d'être Seigneur du Feu. Ce que je veux, c'est ce que tu as dit : je veux régner à tes côtés, pas à ta place. »

Azula changea encore de position, posant ses pieds sur le sol puis elle se leva, esquissant quelques pas pour contourner le divan. Elle appuya ses mains contre le dossier et fixa ses yeux sur Zuko dont les confidences semblaient l'avoir ragaillardie. Elle avait l'air mieux, presque normale.

Zuko essaya de ne pas penser à son étrange comportement alors qu'il lui énonçait un à un tous ses projets pour l'avenir.

La façon dont le corps d'Azula s'était tendu puis cambré dans ses bras, dont son souffle s'était raccourci, sa bouche entrouverte… Zuko avait déjà observé pareille réaction chez d'autres femmes et de multiples fois avec Mai. Et ce n'était pas par la qualité de sa conversation qu'il avait obtenu tel accueil. Il ne l'avait même pas touchée et pourtant… Il ne put empêcher ses joues de s'empourprer à la pensée du long spasme qui avait secoué le corps de sa sœur à la fin, quand il lui avait avoué son désir de la voir régner à ses côtés. Il regrettait déjà ses paroles. Il n'avait dit que ce qu'Azula voulait entendre.

Une partie de lui, pourtant, devait bien le désirer un peu. Zuko était fatigué du pouvoir, des responsabilités qui accablaient ses jeunes épaules. Partager un peu de ce fardeau avec quelqu'un qu'il connaissait si bien, qui savait ce qu'étaient les devoirs d'un monarque, était parfois tentant. Et pourquoi pas après tout ? Quand elle serait enfin soignée, qu'est-ce qui empêcherait Azula de diriger le pays avec lui ?

Il prit une inspiration et demanda : « Comment penses-tu y arriver ? Les Sages n'accepteront jamais.

– C'est la deuxième partie du plan, dit-elle. Une fois que tu auras regagné leur confiance, nous jetterons le discrédit sur eux. Nous laisserons croire au peuple que ce sont eux qui dirigent véritablement la Nation du Feu et qu'ils sont les seuls responsables du chaos actuel. Ce qui n'est pas entiièrement faux...»

Elle l'avait rejoint. Elle parlait avec enthousiasme en décrivant des cercles autour de Zuko qui se sentait comme un rongeur pris au piège par quelque rapace particulièrement vorace. Il chercha une faille à son plan :

« Mais les Fils d'Agni…

– Justement ! Ils sont une aubaine pour nous. Ces fanatiques rêvent d'un pouvoir fort et prônent la pureté de notre race dont, laisse-moi le dire, tu es un magnifique spécimen.

Elle marqua une pause après cela et se mordilla la lèvre, comme devant un dessert particulièrement appétissant. La mimique fut si fugitive qu'il crut l'avoir imaginée. Mais cela ne fit rien contre l'excitation que cela avait fait monter en lui.

« Ils préfèrent un roi amoral mais puissant plutôt qu'un fantoche manipulé par de vieux décatis, trop couards pour s'opposer à Kuei.»

Se reprenant, il rétorqua :

– Ces cinglés saccagent notre image depuis des semaines pour conduire le peuple à la révolution ! Ils croient que nous sommes amants, nous accusent de toutes sortes d'horreurs ! Ils nous détestent au moins autant que les colons. Ils en font même l'élément principal de leur propagande.

– Voyons Zuko, tu sais bien qu'ils valorisent beaucoup trop le sang royal pour t'évincer complètement. Le peuple sort d'un siècle de propagande et d'endoctrinement. Ils sont conditionnés pour adorer le Seigneur du Feu légitime, quel qu'il soit ! Et les Fils d'Agni le savent bien. Nous sommes l'incarnation d'Agni, notre sang est sacré. C'est écrit dans leur stupide bouquin ! dit-elle en désignant d'un geste négligeant sur sa table de chevet un petit livre usé à la couverture de cuir rouge.

« Comment as-tu eu ça ? s'étrangla-t-il en se dirigeant vers la table pour prendre l'ouvrage entre ses doigts avec le même dégoût que s'il avait tenu dans ses mains une créature particulièrement répugnante.

– Peu importe ! le coupa Azula en lui arrachant le livre des mains. Ce qui compte, c'est que je l'ai lu attentivement. Et c'était très instructif ! D'après ce que j'ai pu lire, ils se contrediraient en t'écartant du trône. C'est ma tête qu'ils veulent, pas la tienne. Lorsque tu m'auras officiellement écartée du pouvoir, ils ne pourront plus se servir de ces arguments contre toi.

– Comment peux-tu en être certaine ?

– Ce ne sont que des présomptions. Mais jusqu'ici, t'ai-je donné une raison de douter de moi ? »

Zuko préféra ne pas répondre. Il botta en touche.

« Supposons qu'ils n'en aient qu'après toi et qu'ils se contentent de ton éviction du pouvoir : cela ne fera pas taire les rumeurs à notre sujet, » grogna-t-il amèrement.

Les derniers mois l'avaient bien prouvé. Comment une si petite étincelle avait-elle pu virer en un incendie aussi dévastateur? Et puis, s'il était tout à fait honnête, il fallait reconnaître qu'il y avait une grande part de vérité derrière ces rumeurs.

Le souvenir de la main d'Azula glissée dans son pantalon, du mouvement étourdissant de va-et-vient qu'elle lui avait imprimée, frappa sa mémoire. Les images de leurs ébats lui revenaient sans cesse au pire moment, sans qu'il les ait invitées.

Si Zuko voulait être crédible, il devait s'en donner les moyens. Et tout d'abord, cesser de penser à ces choses.

« Peu importent les rumeurs ! argua-t-elle. Elles sont la rançon du pouvoir. Et puis elles s'estomperont peu à peu, tu verras. Le peuple oublie vite et se lasse même des pires scandales, et ce sera de l'histoire ancienne dès que tu auras annoncé publiquement tes fiançailles. »

Zuko sursauta :

« Mes fiançailles ?

– N'est-ce pas toi l'autre jour qui disais que tu devais assurer la lignée ? Certes, je n'ai pas beaucoup apprécié au début mais j'ai bien réfléchi depuis, et c'est toi qui as raison. Il est évident maintenant que Mai ne reviendra pas. Tu es libre de défaire le mariage en la frappant de trahison. Une multitude de possibilités s'ouvrent à toi.

– Et qui devrais-je épouser, d'après toi ? l'interrogea-t-il en laissant échapper un reniflement de mépris. Une maîtresse du feu issue de race pure et d'une puissante famille ?

– C'est ce que les Fils d'Agni et le peuple attendent de toi, sans aucun doute.

– Et je suppose que tu as un nom à me suggérer? ricana-t-il avec amertume.

– J'en ai un à vrai dire. »

– Azula, si c'est ce que je crois, je t'ai déjà expliqué que c'était interdit par la loi, et même moi je ne peux rien y faire ! Même si je le voulais, on ne peut pas se...

– En fait, je pensais à la fille de Kuei. »

Zuko s'écarta d'un bond, un air dégoûté apparut sur son visage.

« Azula ! Tu n'y penses pas ! Elle n'a pas quatre ans !

– Je vois », minauda Azula en prenant une voix innocente, un doigt posé sur sa lèvre, comme si elle reconsidérait la question. Puis elle rejeta lentement une mèche de cheveux derrière son oreille, exposant sa gorge blanche. Elle s'avança vers lui en se déhanchant légèrement.

« Si épouser ta petite sœur te semble une meilleure option, je n'y vois pas d'inconvénient. Tu sais, j'espère, que je serais plus que ravie de...

– C'est une enfant ! protesta-t-il en reculant pour mettre de la distance entre eux. Tu as vraiment perdu la tête.

– Je ne te demande pas de la mettre dans ton lit, maintenant, gros balourd ! s'écria-t-elle en abandonnant ses simagrées, au grand soulagement de Zuko. C'est un mariage arrangé. Vous serez fiancés jusqu'à ce qu'elle ait l'âge de t'épouser. Tu n'as même pas besoin de la rencontrer avant votre mariage.

– Elle est son unique héritière. Pourquoi voudrait-il s'en débarrasser ?

– Kuei est encore jeune. Il aura probablement des fils pour lui succéder. De leur côté, les Sages seront ravis de cette occasion inespérée d'éviter une guerre. Ils mouillent leur toge depuis que tu as exprimé le désir de marcher sur le Royaume de la Terre ! Le départ et le silence de l'Avatar les rendent encore plus fébrile ! Donnons-leur une raison de se réjouir !

– Mais je croyais que tu voulais qu'on déclare la guerre au Royaume de la Terre ! s'emporta Zuko, à la fois irrité et confus. Les machinations sans queue ni tête d'Azula commençaient à l'épuiser.

– Nous n'avons pas besoin de le faire tout de suite. La patience est la clé du succès, Zuzu ! Si nous partons en guerre maintenant, affaibli comme tu l'es, nous n'avons aucune chance de gagner. Tu as perdu le soutien de l'Avatar, les Sages se méfient de nous, ainsi qu'une partie de l'Armée. Si tu veux mon avis, je ne crois pas que ces huit militaires aient simplement été enlevés ! Et je ne te parle pas des Fils d'Agni qui sont en train de laver le cerveau de notre peuple à grand coup de propagande raciste !

– Mais que fais-tu de Lu Fang et de ses menaces ? Tu me demandes de laisser impuni ce qu'il t'a fait ? Tu as bien vu les lettres, non ? Je te les ai montrées !

– Il y a longtemps que Kuei a perdu le contrôle de son Ministre des Armées. Lu Fang agit seul, j'en suis certaine ! Il utilise le nom du Roi de la Terre, cette parodie de souverain, pour détourner ton attention et légitimer ses actions auprès de son peuple.

– Je n'y crois pas, répondit Zuko, le bras croisés sur la poitrine. Si vraiment Kuei voulait éviter la guerre, il répondrait à nos sollicitations !

– À moins que quelqu'un intercepte toutes nos demandes…

– Plus de dix hérauts ont été envoyés à Ba Sing Se pour transmettre le message. Oncle Iroh a même fait appel aux membres du Lotus Blanc pour s'assurer que la proposition de pacte de non-agression arrive personnellement entre les mains de Kuei. Il l'a forcément reçue !

– Ne sous-estime pas nos ennemis, Zuko, l'avertit Azula en coulant sur lui un regard flamboyant qui fit chavirer son cœur. Et ne fais pas non plus l'erreur encore plus grave de surestimer ceux que tu penses être tes alliés. Tu as vu le résultat avec l'Avatar, n'est-ce pas ?

– Même si ce que tu dis es vrai, maugréa-t-il, qui te dit que Kuei acceptera une telle alliance ? Et comment lui transmettrons-nous la demande de fiançailles ? »

Le mot tapissait son palais d'un goût infect. L'idée d'épouser une si jeune fille… Bien sûr, elle serait presque femme quand il l'accueillerait enfin dans son lit, mais tout de même.

L'inceste te paraît une option plus raisonnable ? trancha la voix de la raison dans sa tête, répétant les mots d'Azula. Il la chassa rapidement de son esprit.

– Il ne refusera pas, affirma Azula. Il ne peut pas espérer meilleure alliance. En unissant nos deux nations, Kuei a tout à gagner : l'assurance d'une paix durable, des échanges commerciaux et militaires fructueux… Une fois fiancé à la sale gosse, tu auras tout le temps de redonner à notre armée la puissance qui était la sienne, peut-être même de grossir ses rangs de quelques maîtres de la terre. Et cela aura aussi l'avantage de forcer Lu Fang à sortir de la clandestinité et à avouer qu'il a fait sédition.»

Zuko n'aimait pas ce plan. Il avait le sentiment désagréable qu'Azula oubliait quelque chose d'essentiel, mais lui même était bien en peine de dire de quoi il s'agissait. Le plan paraissait brillant, mais il demeurait tant d'inconnues. Peut-on vraiment anticiper à ce point les réactions de ses ennemis ? Azula avait brillé dans ce domaine par le passé, alors qu'elle n'était encore qu'une toute jeune fille.

Mais aujourd'hui, elle était une jeune femme usée et abîmée par cinq ans d'épreuves et de maladie. À l'heure où ils parlaient, elle était au milieu d'une rechute, incapable de rester lucide plus de quelques heures consécutives. Le docteur Tanaka, à l'asile, lui avait bien expliqué que la maladie dont souffrait Azula pouvait entraîner des tendances mégalomanes, en plus d'un délire paranoïaque. Était-elle au beau milieu d'une crise en ce moment-même? Penserait-elle encore ainsi si elle était saine d'esprit? Comment être sûr qu'ils n'étaient pas en train de précipiter leur propre chute ?

Quoi qu'il en soit, il y avait encore une chose qui le troublait dans ce plan :

– Et que fais-tu des Fils d'Agni ? Ils ont répandu leurs idées nauséabondes dans tout le pays. Si le peuple apprend que je vais épouser une fille du Royaume de la Terre, il y aura une émeute!

– Ne t'inquiète pas. Le moment venu, nous trouverons un moyen de rediriger cette colère à notre avantage », souffla Azula, les yeux pétillants d'excitation.

Zuko ouvrit de larges yeux. Enfin, il comprenait ce que voulait Azula. En faisant croire au peuple que les Sages avaient arrangé ce mariage politique, non seulement ils apaiseraient les tensions avec le Royaume de la Terre mais les Fils d'Agni changeraient peut-être de cible. Azula avait l'intention d'utiliser les Sages comme boucliers entre eux et les Fils d'Agni. C'était brillant.

Zuko était impressionné. Ce n'était pas pour rien que tous ses ennemis réclamaient la tête de la princesse. Ils savaient ce qu'ils risquaient en la laissant s'asseoir sur le Trône ou contrôler son frère.

Contrairement à elle, Zuko représentait la voie médiane. Ses ennemis y verraient leur intérêt et essaieraient de placer leurs pions, pensant avoir affaire à un souverain impulsif et influençable. Personne ne se méfierait. Quand enfin les ambitions des uns et des autres se heurteraient, Zuko et Azula n'auraient plus qu'à contempler le carnage et à reprendre ce qui leur appartenait.


Le Roi de la Terre était assis au milieu des marches menant à son trône, les épaules voûtées comme un général vaincu devant un champ de ruines. Ses petites lunettes rondes lui glissaient du nez tandis qu'il contemplait le sol dans une attitude de contrition et il les replaçait continuellement pour mieux les laisser retomber dans la seconde qui suivait.

Sur son trône abandonné, une petite fille de trois ou quatre ans s'amusait à en escalader le dossier pour toucher d'une petite main avide les dorures en relief qui ornaient le mur couleur olive. Les cris de frustration qu'elle poussait troublaient visiblement la tranquillité de l'ours Bosco qui se redressa sur ses pattes arrière pour assurer l'équilibre précaire de la petite, inconsciente du danger.

Debout devant les marches où se tenait un Kuei en plein désarroi, se dressaient l'Avatar, superbe dans sa tunique dorée, son bâton à la main, ainsi que son ami Sokka, toujours vêtu de ses habits aux couleurs de sa tribu.

Tous deux considéraient le souverain avec un mélange d'exaspération et de pitié en échangeant parfois un regard entendu.

« Depuis quand ? » demanda Aang, voyant bien que rien de ce qu'il dirait ne pourrait effacer la honte qui tirait les traits délicats du jeune roi.

La petite fille sur le trône poussa un cri strident qui éveilla à peine l'attention du roi. L'ours s'était rué vers l'enfant qui venait de chuter pour la recueillir dans sa grosse patte velue avec un grognement qui ressemblait à une réprimande. Hou Tin tira sur les poils de son museau et la bête la relâcha. La petite princesse glissa vers le siège dont elle sauta et se mit à descendre l'escalier à cloche-pied sous le regard indifférent de son père visiblement épuisé.

– Cela fait déjà des semaines que je n'ai plus de nouvelles. Lu Fang a quitté la capitale à la fin du printemps. J'ai continué de recevoir ses faucons jusqu'à la mi-juillet puis, plus rien.

– Vous prétendez que vous ne saviez pas ? le brusqua Sokka. Vous ne saviez pas pour le foutoir qu'il a causé dans les colonies ? C'est pourtant bien vous qui avez donné à vos troupes l'ordre de quitter ces terres, non ?

– Si...si, c'est bien moi », avoua piteusement le jeune homme malingre en ramassant le chapeau que sa fille venait de lui arracher et de jeter à ses pieds en gloussant de rire, avant de descendre l'escalier pour se cacher derrière l'un des quatre énormes piliers de marbre qui encadraient le trône majestueux.

« À l'époque, je n'imaginais pas une seconde que la situation dégénérerait à ce point, admit le roi. Lorsque les premiers attentats contre les colons ont eu lieu, j'ai voulu faire marche arrière. Puis il y a eu l'équipage de ce navire près de Yu Dao dont on a retrouvé les membres égorgés… J'ai aussitôt convoqué Lu Fang, mais il ne m'a jamais répondu.

– Vous certifiez donc que vous n'êtes pas l'auteur des lettres que recevait Zuko chaque matin encore jusqu'à la fin du mois d'août ? l'interrogea Aang qui fronçait les sourcils d'un air inquiet.

– Je vous le promets ! répéta le roi visiblement lassé de cette accusation. Je vous le jure ! Au contraire : je ne suis pas un fou ! Je connais le tempérament du Seigneur du Feu et je ne prendrais jamais le risque d'un conflit ouvert avec lui, pas après cent ans d'une guerre qui a fragilisé mon peuple.

– Même pas pour Azula ? demanda Sokka, sceptique, que l'agacement rendait un peu brutal chaque fois qu'il prenait la parole.

– Surtout pas pour elle ! Je sais quelle influence elle a sur son frère. Je ne prendrai pas le risque de la contrarier sachant de quoi elle est capable et ce qu'il est prêt à faire pour elle. »

Aang décida de mettre les pieds dans le plat :

« Vous niez donc complètement avoir une implication dans l'accident de la princesse ? »

Kuei releva la tête en remontant vivement sur son nez les petites lunettes que sa fille, de retour près de lui, venait de lui arracher. Prenant l'enfant sur ses genoux, il lança un regard suppliant à Aang.

« Puisque je vous dis que jusqu'à votre arrivée ce matin, j'ignorais tout de ce funeste accident ! Je n'ai reçu de la Caldera que deux lettres depuis deux mois et je vous les ai déjà montrées ! »

Aang baissa les yeux vers les deux parchemins que Sokka tenait dans la main. Sur le premier, daté du mois de juillet, on reconnaissait la signature de Zuko qui enjoignait Kuei de prendre ses responsabilités et de renvoyer des troupes de toute urgence pour calmer la situation devenue catastrophique dans les colonies. Sur le second, où figurait une date plus récente, une main que faisait trembler la fureur annonçait l'envoi de la flotte aérienne de Zuko vers Yu Dao et d'autres provinces pour nettoyer les colonies de la racaille qui les saccageait.

« Est-ce Zuko qui vous a écrit ces deux lettres ? Demanda Sokka, sceptique, en les dépliant pour les comparer. On ne dirait pas la même écriture.

– Elles sont signées de son nom, répondit simplement Kuei en haussant les épaules.

– Et cela vous suffit ? s'étonna Aang.

– Je ne sais pas quoi faire, Aang ! » se lamenta misérablement Kuei en évitant la main de la petite princesse qui ricanait malicieusement en essayant de lui griffer le nez. « Oh, ma colombe, s'il-te-plaît, laisse papa parler avec les grands ! » lui dit-il d'une voix sucrée.

Ceci ne changea rien à la détermination de l'enfant qui s'attaqua plutôt à sa longue tresse et s'amusa à tirer dessus en faisant des bruits grossiers. « J'ai réuni un conseil de défense aussitôt que j'ai reçu cette lettre et j'ai envoyé quatre hérauts vers la Caldera pour porter ma supplique à Zuko, mais je n'ai reçu aucune réponse ! Et des rapports m'ont annoncé que des dirigeables de la Nation du feu avaient commencé à survoler la zone de Yu Dao récemment !

– Oui, dit lentement Aang, nous étions là quand Zuko a ordonné leur départ. Il a envoyé de nouvelles troupes pour essayer de pacifier les régions concernées par les violences. Mais il n'a pas parlé d'attaquer…

– Oh par tous les dieux ! Comment Lu Fang a-t-il pu me trahir ainsi ?

Kuei plongea la tête dans ses mains, parachevant ainsi le ton pathétique de sa voix qui se brisa.

Cette fois, c'en était trop pour Sokka :

« Je n'arrive pas à y croire ! Vous êtes un faible, et un incompétent doublé d'un lâche ! s'écria-t-il, ses joues cuivrées s'empourprant sous le coup de la colère. Vous êtes incapable de voir quoi que ce soit quand un de vos conseillers vous trahit juste sous vos yeux ! D'abord Long Feng et le Dai Li ! Maintenant ce bâtard de Lu Fang ! Ce fils de chien vous a volé la moitié de votre armée juste sous vos yeux et vous n'avez rien dit ? Pourquoi ne pas nous avoir appelés plus tôt ? Et pourquoi ne pas avoir écrit à Zuko aussitôt plutôt que de laisser les choses s'envenimer et virer en une guerre qui semble maintenant inévitable ?»

La honte fit trembler la mâchoire du souverain qui plongea le visage dans le cou de sa petite fille. Celle-ci s'écarta de lui et le repoussa d'un air dégoûté et après une tape sur le nez de son père, elle parvint à s'extraire de ses bras. Elle lui tira la langue avant de décamper sous le regard médusé de Sokka. La petite scène semblait ironiquement rejouer tous les reproches dont le jeune guerrier venait de l'accabler.

« J'avais trop honte d'admettre auprès de mon peuple que je venais une fois de plus d'être berné et que j'avais perdu le contrôle de mon Ministre des Armées. Maintenant, c'est lui qui fait la loi dans le Royaume de la Terre et je ne sais pas comment protéger les miens d'une guerre !

– Que disent vos ministres ? s'enquit Aang. Ceux qui sont restés ?

– Ils m'ont conseillé de faire profil bas. Si le peuple apprend ce qui se passe, je deviendrai la risée du royaume et ils feront la révolution.

– Alors qu'attendez-vous pour frapper Lu Fang de trahison et pour le faire rechercher ? s'exclama Aang. Si vous tenez à rester crédible, montrez que vous ne tolérez pas son comportement !

– L'ennui, énonça lentement Kuei en regardant sa fille tirer sur les oreilles de Bosco qui grogna d'agacement, c'est qu'il a maintenant trop de soutiens. Une grande partie de l'armée lui est désormais acquise. Je ne peux pas envoyer mes dernières troupes sécuriser les colonies. Je dois protéger Ba Sing Se d'une éventuelle attaque du Seigneur du Feu. »

Aang se tut et échangea un nouveau regard avec Sokka. Bien qu'il doutât de l'existence d'un tel projet, il s'était passé trop de choses récemment avec Zuko. Il ne paraissait pas absurde que ce dernier envisage désormais une guerre. Le jeune Avatar ne pouvait qu'imaginer quelles paroles enrobées de miel la princesse de la Nation du Feu devait susurrer à son frère sur les oreillers de soie du palais.

Aang et Sokka avaient en effet croisé quelques dirigeables en survolant la région de Yu Dao sur le dos d'Appa, mais rien de l'arsenal annoncé dans la dernière lettre. Ce pouvait tout aussi bien être une nouvelle ruse de Lu Fang. Iroh était encore à la Caldera et Aang était certain qu'il ne laisserait pas son neveu commander une telle attaque sans réagir.

Parfois, Aang regrettait sa promesse faite à Zuko de ne pas révéler à quiconque ce qui s'était passé sur l'Île de Braise. Sûrement, Azula tenterait de tirer profit de la situation.

Katara l'avait mis en garde pourtant, et lui avait répété ses craintes juste avant qu'il ne la quitte au Temple de l'Air austral pour se diriger vers Ba Sing Se avec Sokka.

C'est là, parmi les acolytes de l'air, que Suki passerait la fin de sa grossesse. Les événements sur l'Île de Braise l'avait profondément affectée et Katara avait ordonné qu'elle se repose jusqu'à la naissance du bébé. Aang regrettait vivement que sa fiancée n'ait pu l'accompagner à Ba Sing Se, mais la situation était trop urgente. On ne pouvait attendre.

La confession de Kuei confirmait leurs pires craintes. En tant qu'Avatar, Aang se devait d'agir.

« Votre Majesté, dès demain, vous ferez paraître des affiches dans tout le Royaume de la Terre pour révéler la duperie de Lu Fang. Vous exigerez son arrestation et offrirez une récompense à quiconque vous donnera des informations intéressantes sur sa localisation. »

Le jeune souverain acquiesça, essayant de donner à son visage fin un air plus courageux.

« Oui, répondit-il fermement, je vois maintenant que c'est ce que j'aurais dû faire dès le début. Et vous Aang, qu'allez-vous faire ?

Aang échangea un regard avec Sokka qui prit une grande inspiration et hocha la tête dans sa direction.

– Nous devons avertir Zuko de ce qui se passe au plus vite. Il faut que vous rédigiez tout de suite une lettre à son attention dans laquelle vous expliquerez tout ce qui s'est passé. Vous présenterez vos excuses, renoncerez définitivement à toute poursuite contre la Princesse Azula…

– Bien sûr, dit Kuei avec ferveur, cela va de soi !

– Azula est la braise qui risque de faire partir l'incendie, avertit Aang. Vous devez assurer Zuko de votre renoncement à lui nuire. Peut-être qu'elle ne mérite pas votre grâce, mais c'est la seule façon de préserver la paix.

– Je comprends, dit Kuei, qui semblait à nouveau confus.

– Quand vous aurez fait tout cela, nous partirons pour la Caldera, annonça Aang d'un ton péremptoire.

– Quand vous dites nous, vous voulez dire…

– Vous et moi, oui ! Vous n'êtes plus en sécurité ici. L'Ordre du Lotus Blanc s'occupera de protéger Ba Sing Se. Sokka emmènera votre fille loin d'ici. «

Aang et Kuei rentrèrent la tête dans leurs épaules quand le boomerang de Sokka heurta violemment le sol de marbre vert dans un grand fracas métallique.

– Pardon ? s'étrangla son ami en ramassant son arme d'un air fébrile. Que je reste avec ce m… cet adorable petit ange ? » se corrigea-t-il juste à temps en croisant le regard d'Aang.

Aang se tourna vers Kuei qui le regardait d'un air défait.

« Mais… où iront-ils ?

– Nous voyagerons d'abord ensemble sur Appa. C'est le moyen de transport le plus rapide et le plus sûr. Nous déposerons Sokka et votre fille dans un village sur la côte. Mon ami Haru les aidera. De là, ils prendront un bateau pour le Temple de l'Air austral. Ils seront à l'abri avec Katara et mes acolytes de l'air. »

Kuei ne paraissait pas convaincu. Il retira ses lunettes et les essuya avec un chiffon. Aang remarqua que ses doigts tremblaient un peu quand il les remit sur son nez.

« Vous pouvez avoir toute confiance en Sokka, assura-t-il. Il veillera à la sécurité de la princesse comme si sa vie en dépendait. Elle sera entre de bonnes mains, croyez-moi.»

Kuei semblait hésiter. Ce plan ne semblait pas lui plaire. À l'évidence, il tremblait pour sa fille, mais Aang était certain que la perspective de passer quelques semaines loin de ce petit diable était tout aussi séduisante. Il pouvait presque voir dans ses yeux bridés le combat intérieur qui se livrait dans la tête du jeune roi.

« Que ferai-je une fois là-bas ? demanda-t-il lentement.

– Vous négocierez directement avec Zuko. Depuis le temps, une discussion en chair et en os s'impose ! Si tout va bien, il aura reçu notre lettre avant notre arrivée et sera prêt à vous accueillir. Vous lui direz tout ce que vous savez sur Lu Fang et lui proposerez votre aide pour protéger sa nation. En échange, vous lui demanderez de vous aider à protéger Ba Sing Se et à rétablir l'ordre dans les colonies.

– Mais s'il refuse…

– Ça suffit ! intervint soudain Sokka. Ce sont justement vos doutes et vos incertitudes qui vous ont poussé à rester passif quand votre plus proche conseiller préparait un coup d'état juste sous vos yeux! Pour la deuxième fois ! Réveillez-vous ! Il est temps d'agir comme un roi et de prendre vos responsabilités!

Kuei rougit furieusement et baissa les yeux vers le sol, l'air honteux.

« Oui, vous avez raison, mille fois raisons, confessa-t-il d'une petite voix. J'ai été faible, et couard…

– Sans blague, marmonna discrètement Sokka afin que seul Aang puisse l'entendre.

– Pensez-vous qu'il y ait une chance que Zuko accepte ? s'enquit le roi.

– Zuko est dans une situation délicate, environné d'ennemis. Il a besoin de tous les soutiens possibles et il faut lui tendre la main avant qu'il ne perde définitivement son sang-froid et ne déclare la guerre à votre royaume. De plus, il n'aura pas vraiment le choix puisque je lui demanderai en personne de renoncer à cette folie s'il y pense toujours.

Kuei sembla soudain soulagé comme un enfant à qui on annonce qu'il pourra finalement fêter son anniversaire. Il parut un peu plus joyeux et confiant et posa des yeux attendris sur sa fille qui sautait à cloche-pied sur l'immense sol soigneusement ciré et y faisait des glissades.

« Père, je m'ennuie, cria-t-elle soudain en interrompant ses jeux. Je veux aller me baigner maintenant !

– Je t'ai déjà dit que ce n'était pas possible maintenant, mon petit bouton d'or. Sois patiente, veux-tu, Papa a encore à parler avec l'Avatar et son ami.

– Celui-là est bizarre avec sa tête chauve et sa flèche bleue ! Je l'aime pas ! Et l'autre avec sa queue de cheval a l'air méchant ! Je veux pas rester avec lui !

– C'est une queue de loup ! répliqua Sokka, piqué au vif.

– Hou-Tin ! Veux-tu bien être polie avec mes invités ? la réprimanda son père du ton le moins autoritaire qu'Aang eût jamais entendu. « L'Avatar Aang et Sokka sont venus aider Papa à résoudre ses problèmes. S'il-te-plaît, va-t-en retrouver ta nounou mon petit trésor ! Elle va s'occuper de toi.

– Non, j'veux pas ! Je veux me baigner ! rugit la petite fille dont les vociférations se répercutèrent contre les piliers de marbre, obligeant les trois hommes à rentrer la tête dans les épaules.

– Très bien, très bien, ma chérie ! Papa va t'emmener te baigner ! promit-il en se ruant vers elle pour s'asseoir à genoux devant la fillette dont les yeux sombres brillaient de colère.

– Et je veux des bonbons ! exigea la petite en croisant les bras sur sa poitrine pour se donner un air plus autoritaire.

– Tout ce que tu voudras mon petit ours au miel ! promit Kuei avec un sourire lumineux, visiblement soulagé de voir la rage fondre dans les yeux de sa fille.

Témoin de cette scène loufoque, Aang espéra au plus profond de lui que Kuei se révélerait dans cette affaire meilleur diplomate que père de famille.

S'il traitait avec Zuko comme il traitait avec sa propre fille, tout insupportable fût-elle, le monde n'avait pas fini de se faire du souci.


Des situations angoissantes, Zuko en avait connu au cours de sa courte vie. Voir arriver son père sur l'arène de l'Agni Kai, à l'âge de treize ans, après qu'il l'eût stupidement défié devant ses ministres et généraux rassemblés attendre devant la salle du Trône que ce même homme, qui l'avait banni, lui ouvre à nouveau les bras, trois ans plus tard guetter la réaction d'Iroh quand il l'avait enfin retrouvé après son ignoble trahison…

Sans parler de l'enfer qu'il traversait à cause d'Azula depuis toutes ces années. Parfois, Zuko ne pouvait s'empêcher de lui en vouloir profondément pour toutes les souffrances qu'elle lui infligeait. Pourquoi ne pouvait-il simplement pas renoncer à elle, ainsi que tout le monde le lui avait conseillé ?

Oui, Zuko avait enduré maintes épreuves et connu des quantités de situations difficiles. Pourtant, cela n'allégeait en rien la nervosité qu'il ressentait maintenant, dans l'antichambre de la Salle du Conseil où les Sages délibéraient après un entretien de plus deux heures avec la Princesse.

Azula se tenait sur un siège près de lui, enchaînée et silencieuse. Deux gardes épiaient chacun de ses mouvements. Il lui aurait bien tenu la main si celles-ci n'avaient pas été retenues par de lourdes chaînes en métal noir. Zuko était encore surpris de la docilité dont elle avait fait preuve lorsqu'il lui avait annoncé la nécessité de recourir à cette précaution.

Sans cela, s'excusait-il alors qu'un garde en armure tordait son bras dans son dos pour l'enchaîner, les Sages n'acceptent pas de te voir.

Malgré la présence des gardes, Zuko l'observa. Son visage pâle n'exprimait en rien le tourment que ressentait Zuko en ce moment. Au contraire, Azula paraissait calme, presque sereine, comme si son destin était celé et qu'elle avait depuis si longtemps abandonné tout espoir, qu'elle ne craignait plus les mauvaises nouvelles.

C'était insupportable. De l'autre côté de cette lourde porte, les vieux imbéciles étaient là, à palabrer depuis des heures pour décider du destin de sa sœur. La scène qu'elle leur avait jouée avait fait grande impression. La créature échevelée et incohérente qui avait fait son entrée dans la Salle du Conseil plus de trois heures auparavant était aussi pathétique qu'effrayante.

La veille, Zuko avait passé de longues minutes à essayer d'étouffer ses cris alors qu'elle se débattait contre des démons qu'elle seule pouvait voir. Malgré ses suppliques, Azula avait farouchement refusé de n'absorber ne serait-ce qu'une goutte du traitement préparé par Taïma. Zuko avait même un moment considéré la possibilité de la forcer, mais il n'en avait pas eu le cœur.

Sa sœur n'avait pas dormi de la nuit et des cernes violacés soulignaient son regard un égaré. Elle avait fait une folle très convaincante pendant cet interrogatoire, parlant à des ombres, partant dans de grands éclats de rire hystériques pour s'effondrer dans la minute qui suivait. Azula l'avait ébloui par sa performance. Zuko n'aurait su dire quelle part de comédie elle avait jouée devant eux.

Lui-même s'était tenu dans la salle, seul sur un banc à l'écart des Sages et du Grand Juge qu'ils avaient désigné pour présider au potentiel procès d'Azula.

La jeune femme était parvenue à répondre à quelques questions. Elle avait tant fustigé l'Avatar, crachant sur son nom tout son répertoire de grossièretés que les Sages avaient dû croire sans peine à la version des faits qu'ils avaient exposée. Oui, dans un moment de folie, Azula s'était sauvagement attaquée à la fiancée de l'Avatar. Celui-ci, fou de rage, était entré en transe et avait failli les tuer, elle et Zuko. Le témoignage insensé d'Azula semblait corroborer le récit que Zuko leur avait fait quelques jours plus tôt.

Puis était venu le moment de questionner Azula sur ce qu'elle avait fait au fils du Commandant Tsuneo. Zuko en frémissait encore de colère. Les révélations que la princesse leur avait faites avaient été une découverte pour lui aussi.

« Ce fils de chien, ce violeur n'a eu que ce qu'il méritait ! cracha-t-elle quand Shyu, le Grand Sage, lui reprocha la barbarie de son geste.

Ce violeur ? avait répété l'Ancien,interloqué. Princesse, insinuez-vous que Kojiro…

Je n'insinue rien, vieux débris ! Regardez si vous ne me croyez pas ! Si l'un de vous, bande de traîtres, a le courage de venir jusqu'à moi. »

Là, elle avait parlé de la cicatrice en forme de main qui s'étendait sur sa hanche. L'un des vieux s'était déplacé pour soulever lui-même la tunique d'Azula du côté qu'elle avait indiqué.

Tous avaient été suffoqués.

« Vous affirmez que Kojiro est l'auteur de cette brûlure, Princesse ?

Je ne laisserais pas ce gâteux aux doigts veineux pleins d'arthrite me tripoter ainsi si c'était quelqu'un d'autre ! »

Les anciens avaient échangé de longs regards silencieux et l'un d'eux s'était penché pour chuchoter quelque chose à l'oreille de Shyu qui avait hoché la tête d'un air grave. Pendant ce temps, cloué à son siège, Zuko essayait de retrouver un rythme cardiaque normal.

« Princesse, reprit Shyu. Accusez-vous Kojiro, le Fils du Commandant Tsuneo, de vous avoir déshonorée sans votre consentement au cours de cette soirée ? »

Azula avait alors tourné les yeux vers Zuko. Le regard qu'elle avait jeté sur lui avait été fugace comme un éclair et Zuko avait retenu son souffle. Une colère indescriptible montait en lui, envahissait son cerveau et noircissait son cœur.

Maintenant qu'il la regardait, assis ici, dans l'antichambre où ils attendaient le verdict, Zuko se disait qu'il aurait dû le savoir. Qu'il l'avait toujours su en quelque sorte mais n'avait jamais pu admettre cette odieuse vérité.

Il n'aurait pas dû prendre ce qui t'appartient.

Tels avaient été les mots prononcés par Azula. Trop naïf, aveuglé par la jalousie que ces paroles avaient fait naître en lui, Zuko s'était borné à croire que sa sœur avait séduit Kojiro, que ce dernier avait sauté sur l'occasion, puis qu'Azula, regrettant d'avoir cédé à la tentation, avait voulu le faire taire.

Azula était la maîtresse du feu la plus puissante de sa génération, et une combattante hors-pair, y compris au corps-à-corps. Il imaginait mal un type quelconque capable de la soumettre à sa volonté. Lui-même peinait à en venir à bout lorsqu'ils s'entraînaient dans la cour.

Si vraiment Kojiro l'avait violée, elle ne se serait pas frottée contre Zuko, la minute suivante, quand ils s'étaient retrouvés dans sa chambre, non ? C'est pourtant bien ce qui s'était produit. Zuko n'oublierait jamais comment elle avait défait sa ceinture pour lui, comment elle avait renversé la tête en arrière quand il avait commencé à embrasser ses seins, comme elle lui avait paru lascive et offerte avant que Ty Lee ne les interrompe.

Certainement pas l'attitude d'une femme qui vient de subir un outrage.

Mais la cicatrice était là, preuve accablante qui avait tout changé. Seule une grande proximité physique pouvait expliquer une telle blessure. La Princesse avait donc agi en état de légitime défense ?

« Tout de même, s'était élevée une voix chevrotante à la gauche de Shyu. On ne brûle pas le visage d'un homme parce qu'il s'est montré un peu cavalier ! Sans vouloir offenser la Princesse, ici présente, ce jeune homme a simplement voulu passer un peu de bon temps avec elle, non ? Il aura un peu perdu le contrôle à un certain point. Voyons, nous avons tous été des jeunes hommes, messieurs ! Vous savez ce que c'est, quand une jeune femme vous dit non... »

Un long sifflement tendu avait retenti dans la salle suite à la prise de parole inopinée de ce vieil imbécile. Et Zuko estimait que c'était un miracle que son propre visage fût encore intact. L'impertinent ne devait la vie qu'à Shyu qui l'avait fait taire d'un geste de la main et avait lancé un regard inquiet au Seigneur du Feu qui venait de se pétrifier dans son fauteuil, une lumière meurtrière enflammant son regard asymétrique.

Quand ils étaient sortis de la salle, quinze minutes plus tard, Zuko avait dû résister à l'envie irrépressible de se jeter sur sa sœur, de la secouer sans ménagement et de lui hurler dessus : Pourquoi ne m'as-tu rien dit ? Pourquoi est-ce que tu ne m'en as pas parlé ?

Zuko avait beau essayer de se remémorer les longues conversations qu'ils avaient eues avant et après leur retour de l'Île de Braise. Jamais, même après qu'ils eurent appris que des poursuites judiciaires étaient engagées contre Azula, elle n'avait mentionné une telle agression. Et Zuko, craignant trop ce qu'elle avait à dire, s'était abstenu de lui poser des questions sur ce qui s'était vraiment passé ce soir-là. Il préféra se concentrer sur leur plan. Il fallait tenir, coûte que coûte, convaincre le Conseil de sa bonne foi.

Les minutes s'étiraient interminablement. Le tic-tac du mécanisme de sa montre à gousset occupait tout l'espace de l'antichambre. Azula commença à s'agiter. Zuko la vit jeter violemment la tête sur le côté et entendit sa respiration de plus en plus saccadée. Il reconnut les symptômes d'une crise imminente. Sa sœur était à nouveau la proie des voix qui parlaient dans sa tête. Parfois, quand il lui devenait impossible de les contenir, elle manifestait son impatience par des gestes brusques et incontrôlés.

N'écoutant que son cœur, choisissant d'ignorer les gardes qui les observaient du coin de l'œil, il s'approcha de la chaise où se tenait Azula, enchaînée. Il s'agenouilla devant elle et la prit par les épaules.

« Chhhhut… Azula… Ça va aller, j'en suis sûr... »

Azula tourna la tête dans sa direction mais se révéla incapable de fixer son regard fuyant sur lui.

– J'ai peur ! souffla-t-elle.

Zuko sut qu'elle ne jouait pas la comédie. Elle ne pouvait pas défaillir, pas maintenant, pas à quelques minutes du verdict.

« Ne t'inquiète pas, petite sœur, la rassura-t-il en la serrant contre lui, chuchotant dans creux de son oreille. Tu n'auras rien à dire. Nous allons nous en tenir au plan, et tout ira bien, tu verras. »

Zuko se demanda si, comme lui, elle pensait aux conséquences de son extraordinaire révélation. Pourraient-ils encore tirer profit de la montée en puissance des Fils d'Agni après avoir abattu leur protégé? Si ce bâtard au visage carbonisé et purulent s'était trouvé dans la salle au moment de l'aveu d'Azula, Zuko l'aurait étranglé de ses propres mains. Ou bien il l'aurait châtré pour lui apprendre à enfourner sa sale petite queue de traître entre les jambes de sa princesse.

« Quand tout sera fini, murmura-t-il encore, tu prendras ton traitement, puis je t'emmènerai sur la petite crique que tu aimes tant. Tu veux bien, Zula ? Cela te plairait, dis ? »

Suffoquant presque à cause de la violente panique qui l'assaillait, Azula hocha la tête vigoureusement, ses yeux mordorés levés vers lui, agrandis par la peur. De grosses larmes s'en échappaient et Zuko était certain que son cœur aurait pu s'y noyer.

Au même moment, la grande porte s'ouvrit et l'un des Sages apparut dans l'encadrement.

« Seigneur du Feu, Votre Altesse, nous avons terminé. Si vous voulez bien me suivre ? »

Zuko lâcha Azula et laissa un garde retirer les chaînes qui la retenaient à la chaise. Les mains toujours liées dans le dos, elle se releva péniblement. Zuko se précipita à son secours avant qu'elle ne s'effondre sur ses jambes flageolantes.

Il passa un bras protecteur autour de ses épaules, et ensemble, ils franchirent la porte de la Salle du Conseil.