Chapitre 33 – Deux Rois et un Assassin
Un vent chaud balayait les crêtes escarpées du volcan, charriant des nuages de poussière jaune. Des feuilles mortes tournoyaient parfois, arrachées aux quelques arbres au tronc desséché qui étaient parvenus à pousser ça et là malgré le sol aride que les coulées de lave et les explosions successives avaient rendu stérile.
L'Avatar attendait là, debout, le dos bien droit, le cœur débordant d'inquiétude. Il avait passé la dernière heure à méditer pour libérer ses chakras de toutes les émotions négatives qui le rongeaient depuis le matin.
Zuko viendrait. Il en était certain. Si Lu Fang s'était arrangé pour couper toute communication entre Ba Sing Se et la Nation du Feu, il ne pouvait rien contre un maître de l'Air expérimenté. Du moins était-ce ce qu'Aang aimait à penser. Il y avait sans doute plus fiable messager que Momo. Mais ce n'étaient pas les lémuriens que les espions de Lu Fang guettaient quand ils scrutaient le ciel, et Momo, tout comme Appa, semblait apprécier Zuko. Le brave lémurien était revenu auprès d'Aang sans son message et on pouvait espérer qu'il s'était acquitté de sa mission. Il voltigeait maintenant autour d'Aang, insouciant, gobant les papillons aux ailes brunes qui s'aventuraient sur ces terres hostiles.
Aang savait que tout comme lui, Zuko aimait venir contempler la Caldera depuis ses hauteurs. Au moins, si Momo avait égaré le message, il était toujours possible de le rencontrer ici. Tous deux étaient si souvent venus parler en ces lieux, loin des oreilles indiscrètes. Ils devisaient de tout : de politique, de maîtrise des éléments, de leurs voyages passés. Des filles aussi…
Ah ! Comme ces conversations futiles manquaient à Aang ! Mais la femme qui faisait maintenant tourner la tête du Seigneur du Feu n'aurait pas inspiré d'aussi plaisantes discussions, se dit-il en soupirant.
Il fallait que Zuko vienne. C'était le seul moyen d'éviter une guerre presque imminente Serait-il redevenu raisonnable? Ou bien Azula avait-elle eu le temps d'empoisonner son esprit et d'assombrir son cœur si aisément corruptible ?
Aang pensa à Sokka qu'il avait laissé dans le village d'Haru avec la petite Hou-Tin. Aang aimait beaucoup les enfants et il lui tardait d'en avoir. Ils en parlaient quelquefois avec Katara. Mais il fallait bien reconnaître que la fille de Kuei avait de quoi freiner les ardeurs ! Il était bien content d'être débarrassé d'elle et il pensa avec un sourire coupable au pauvre Sokka, contraint de partager avec la petite peste une cabine du navire qui les emportait vers le Temple de l'Air austral où les attendaient Katara et Suki.
Kuei attendait avec Appa, caché dans une grotte sur le versant ouest du volcan. Le pauvre homme avait l'air si abattu. Il avait fait de son mieux pour conserver un air serein tant qu'ils voyageaient avec la petite mais depuis qu'ils s'étaient séparés, Aang peinait à lui extorquer plus de quelques phrases par jour. Il fallait espérer qu'il se montre plus bavard face à Zuko.
Justement, en se penchant, Aang aperçut un point rouge qui avançait vers le sommet et progressait à un bon rythme. Son cœur tambourina dans sa poitrine.
Allons, calme-toi. C'est ton meilleur ami. Malgré tout ce qui s'est passé, vous allez bien trouver le moyen de vous pardonner, non ?
Aang était soulagé de voir que Zuko était seul. Mais il songea que si Azula ne l'accompagnait pas, ce n''était sans doute pas par choix mais plutôt à cause de ses blessures qui l'empêchaient encore de marcher longtemps.
Zuko atteignit le sommet dix minutes plus tard et quand ils se trouvèrent face à face, gardant une distance d'au moins trois mètres entre eux, Aang sentit ses entrailles se liquéfier. Les yeux dorés qui le toisaient n'étaient pas ceux d'un ami.
Momo se mit à voleter joyeusement autour de Zuko qui resta indifférent aux démonstrations d'affection du lémurien.
« J'ai eu ton message, dit simplement Zuko avec froideur. Que veux-tu ? Je croyais que nous n'avions plus rien à nous dire.
– À moi, peut-être pas, rétorqua Aang sur un ton solennel qui ne lui ressemblait pas. Mais j'ai emmené avec moi quelqu'un qui voudrait te parler. Si tu acceptes bien sûr. »
Zuko ne répondit pas immédiatement. Il regardait autour de lui avec méfiance, comme si le mystérieux compagnon allait soudain surgir de derrière un rocher et crier « Surprise ! ». Quand il eut l'air certain qu'ils étaient seuls, il leva un sourcil interrogateur en direction d'Aang.
« La dernière fois que nous nous sommes vus, je t'ai demandé de trouver un moyen de ramener la paix dans notre monde. J'ai ramené la personne qu'il nous faut. Si tu acceptes de l'écouter, je t'emmènerai à lui et je nous considérerai quittes pour ce qui s'est passé sur l'île de Braise. »
Zuko resta silencieux, ses sourcils froncés exprimant une intense réflexion. Ses mains se serrèrent en poings et Aang était certain que, comme lui, il repensait aux détails se cette effroyable scène sur la plage. Quelque part, tout au fond de lui, Zuko devait regretter qu'ils en soient arrivés là. L'amitié entre Zuko et Sokka semblait brisée. Devait-il en être de même pour tout le groupe ?
Aang attendit, le cœur battant toujours plus vite, sentant son pouls palpiter dans la région de sa pomme d'Adam. Même Momo semblait avoir saisi la gravité de la scène et s'était arrêté de voler. Il vint se poser sur l'épaule d'Aang et attendit lui aussi, ses énormes yeux globuleux fixés sur le Seigneur du Feu.
Zuko regarda autour de lui, comme s'il espérait du soutien et finalement, il hocha une fois la tête.
Aang se sentit un peu plus léger et offrit à Zuko un sourire qui resta sans réponse.
Je suppose qu'il faudra s'en contenter.
Il fit signe à Zuko de le suivre et ils commencèrent à descendre vers le versant ouest du volcan en prenant bien garde de ne pas marcher côte à côte.
Si quelqu'un – quelque imprudent qui ne tiendrait pas à la vie par exemple – avait demandé à Buntaro pourquoi il avait choisi ce métier, il aurait été bien en peine de répondre. Qu'est-ce qui peut pousser le fils d'un honnête marchand de soie plutôt instruit des colonies à épouser la carrière d'assassin ?
Buntaro aurait sans doute répondu à l'inconscient que c'était un concours de circonstances, le hasard des rencontres. Comme sa rencontre avec ces bandits du Royaume de la Terre qui avaient envahi le village où il vivait avec sa mère dans les colonies, à l'époque où son père faisait des affaires en ville. Cet homme au visage balafré et aux yeux couleur de vase qui avait violé et torturé sa mère sous ses yeux. Buntaro pensait que c'était ce jour-là qu'était née sa haine du monde et des hommes.
Il avait fallu dix ans, et qu'il rencontre l'amour de sa vie pour qu'il reprenne espoir et oublie le désir de vengeance qui noircissait son âme. Elle avait su transformer sa haine et la rendre constructive. Buntaro allait devenir militaire, protéger les colonies et ainsi empêcher que d'autres enfants souffrent comme lui.
Puis il y avait eu ces pirates qui avaient mis un terme à ses ambitions militaires et à ses rêves. Une nouvelle part de lui était morte ce jour-là. Ils avaient tué le jeune homme optimiste qui rêvait de servir sa patrie en matant les rebelles dans les colonies. Quand les bandits avaient mis le feu à son navire, tuant tout l'équipage, son meilleur ami et sa jeune fiancée, Buntaro avait juré vengeance. Il avait mémorisé chaque détail du visage de la brute qui avait égorgé sa jolie amie sous ses yeux, ainsi que le regard cruel du Capitaine qui riait à gorge déployée pendant que ses hommes vidaient les cales du navires et capturaient les femmes pour leur plaisir personnel. La sienne n'avait pas eu la chance d'être sélectionnée pour cette vie de misère. Parfois, il semblait à Buntaro que c'était mieux ainsi.
L'île à moitié sauvage sur laquelle son radeau de fortune l'avait conduit l'avait placé sur la route d'un groupe d'archers Yuyan qui s'entraînaient ici dans le plus grand secret. Ils l'avaient recueilli et lui avaient tout appris. Buntaro avaient certaines dispositions pour le tir à l'arc. Jeune homme énergique, minutieux et maître du feu compétent, il était rapidement devenu l'un des meilleurs.
Lorsque le prince Ozai était venu en personne, dissimulé sous une cape qui cachait son visage, faire appel au service de ces guerriers légendaires, Buntaro avait déjà achevé sa formation et avait été choisi pour accompagner le fils du Seigneur du Feu.
Sur le long chemin qui les ramenait vers l'île du Croissant, Buntaro, d'abord distant, avait eu l'occasion de parler avec le jeune prince et il avait été captivé par son discours.
« La politique trop laxiste de mon père a permis à la vermine de pulluler sur nos terres. Azulon fut un grand Seigneur du Feu en son temps, mais c'est maintenant un vieillard aigri et il décline. Il a transmis sa mollesse à mon frère aîné. Avec lui, la Nation du Feu est promise à la déliquescence. J'ai d'autres ambitions pour notre grand pays. »
Buntaro l'avait écouté attentivement et s'était reconnu dans son discours. Il avait fini par blâmer le Seigneur du Feu Azulon pour ce qui était arrivé à ses amis. Il avait raconté son histoire à Ozai et ce dernier lui avait assuré :
« Quand je serai sur le trône, je ne permettrai plus que de telles tragédies se produisent. Je constituerai une flotte armée si puissante que plus un pirate n'arpentera les mers de ce monde. Tout ce dont j'ai besoin, c'est du soutien de jeunes guerriers aussi prometteurs que toi, Buntaro. Tu es le genre de personne que je recherche.»
Et Ozai avait tenu parole. Au fil du temps, ce qui pouvait s'apparenter à une amitié était née entre le prince et ce fils de marchand sans nom. Ozai lui avait donné l'opportunité de se venger partiellement. Le premier homme que Buntaro tua à mains nues fut la brute qui avait ouvert la gorge de sa fiancée. Répandre le sang n'avait pas effrayé Buntaro.
Ce fut à lui qu'Ozai donna l'opportunité d'achever le Seigneur du Feu Azulon pour abréger ses souffrances quand le poison versé dans son thé eut atteint ses organes internes, causant des brûlures insupportables et irrémédiable.
Après cela, il était devenu le serviteur dévoué du nouveau Seigneur du Feu. Il était là, dans la foule, quand Ozai avait défié son propre fils pour un Agni Kai. Buntaro n'avait même pas frémi en entendant les hurlements du jeune garçon qui se tortillait sur le sol, ni les sanglots de sa sœur qui s'était jetée sur lui après le départ de leur père et qui hurlait : « Zuko ! Zuzu ! Réponds-moi ! »
Buntaro se rappelait avoir pensé que s'il avait eu un fils, il n'aurait pas agi différemment. Les enfants doivent apprendre le respect. C'était le rôle d'un père d'empêcher son fils de faire fausse route. La rébellion conduit à la délinquance, la délinquance, au banditisme et au vice. Et c'était ce qui s'était passé. Le Seigneur du Feu Zuko n'était qu'un moins que rien, une parodie de roi. Il avait vendu l'âme de la Nation du Feu et l'avait offerte aux bouseux du Royaume de la Terre et aux paysans des terres gelées du Nord et du Sud.
Maintenant, il se vautrait dans le stupre avec sa propre sœur qu'il avait corrompue elle aussi, disait-on.
C'était en tout cas ce que croyait Buntaro jusqu'à ce soir.
Parfois, juste avant de dormir, il arrivait que Buntaro s'interroge. Mais il mettait bien vite de côté ses scrupules inutiles. Le métier d'assassin n'était en rien comparable à celui de bandit. Buntaro était convaincu que la cause qu'il servait était noble.
Depuis la chute du Roi Phénix, Buntaro n'avait pas eu beaucoup de travail. Ses compagnons s'étaient dispersés. Certains avaient été attrapés et faits prisonniers, d'autres avaient fui. D'autres encore avaient réussi à éviter les procès et menaient maintenant une vie de traîtres. Ils dormaient dans des draps de soie quand Buntaro avait vu sa fortune s'amenuiser. Il avait finalement repris le commerce de son père qu'il n'avait pas vu depuis des années et qui n'approuvait pas ses choix de vie. Père était mort peu de temps après, emporté par un mal mystérieux et Buntaro avait hérité de son commerce qui périclitait déjà depuis des années. Le faste du règne d'Ozai avait laissé la place à une politique d'austérité imposée par Zuko à son peuple qui, selon lui, devait payer pour ses crimes de guerre.
Buntaro avait repris espoir quand les Fils d'Agni avaient commencé à sortir de la clandestinité. Mais les fanatiques religieux n'intéressaient guère Buntaro. Il n'aimait ni leur idéologie, ni leurs méthodes de brutes. Buntaro était un homme méthodique. Il aimait le travail propre et bien fait. À ses yeux, les Fils d'Agni étaient au mieux des amateurs, au pire des bouchers.
Tuer au nom d'un dieu imaginaire n'avait aucun sens à ses yeux. Agni n'avait rien fait pour empêcher le massacre des siens. Père lui demandait toujours d'aimer et de respecter Agni. Mais à quoi cela avait-il servi ?
Mieux valait servir un homme fait de chair et d'os.
Après la défaite d'Ozai, Buntaro avait travaillé à son propre compte, sélectionnant soigneusement ses clients. Il les choisissait riches et n'acceptait que des causes qu'il jugeait honorables ou utiles. Mais il y avait toujours, au fond de lui, l'espoir de voir renaître le phénix de ses cendres.
Ainsi, quand la fille entra dans sa boutique vêtue d'une longue cape de satin pourpre et d'une capuche qui dissimulait ses yeux et qu'elle lui donna le mot de passe, l'intérêt de Buntaro fut éveillé. Depuis cinq ans, personne n'avait jamais prononcé les mots secrets qui permettaient de s'offrir les précieux services du meilleur assassin de la Capitale.
La jeune femme fit plusieurs fois le tour de la boutique, caressant du bout de ses longs doigts aux ongles pointus les étoffes, comme pour en éprouver la douceur, les promenant sur le comptoirs, à la recherche d'un grain de poussière oublié. Mais elle pouvait toujours chercher : dans sa vie comme dans son travail, Buntaro aimait que les choses soient propres.
« J'ai un travail pour vous, avait dit tranquillement son invitée inattendue en promenant son regard dans la boutique. Une mission spéciale que je ne peux confier qu'à un véritable professionnel, un fidèle parmi les fidèles. Ai-je frappé à la bonne porte ? »
Sa voix était de la soie. Elle parlait avec un mélange troublant de douceur et d'assurance que Buntaro se souvenait avoir déjà entendu auparavant. Aussi ne fut-il pas surpris quand elle retira enfin sa capuche et dévoila un beau visage rehaussé de pommettes bien dessinées, une peau d'ivoire, des cheveux d'ébène épais et brillants et des yeux d'ambre au regard profond.
La jeune princesse de la Nation du Feu était telle qu'il se la rappelait. La dernière fois, elle avait quatorze ou quinze ans et c'était déjà une jeune fille troublante à la beauté envoûtante et au silence observateur désarmant. Aujourd'hui, sans doute âgée d'une vingtaine d'années, elle paraissait plus belle et plus terrible encore.
Buntaro ne l'avait jamais vue sans son père qu'elle accompagnait partout. Il s'était attendu à la voir venir beaucoup plus tôt. On la disait d'une loyauté exemplaire. Pourtant, il lui avait fallu cinq ans pour franchir la porte du serviteur le plus dévoué du Roi Phénix.
« Vous êtes en retard, fit-il remarquer.
– J'ai eu quelques empêchements, il est vrai, concéda la princesse en jouant avec la clé de la lampe qui se trouvait sur le comptoir. Mais me voilà. »
Elle ouvrit le globe en verre poli et pointa un doigt vers la mèche. Une lueur bleutée mystérieuse enveloppa la pièce et Buntaro attendit, fasciné malgré lui.
On disait qu'elle avait perdu la raison, qu'elle avait passé des années dans un asile de fous. On la disait prisonnière de l'actuel Seigneur du Feu. On la disait sa maîtresse. Les soutiens d'Ozai qui avaient voulu voir en elle la digne héritière de leur roi s'étaient depuis longtemps dispersés aux quatre vents. Il n'était plus personne pour croire en la loyauté ou même en la valeur de cette petite peste aux yeux de diablesse.
Comme si elle avait deviné ses pensées, elle poursuivit :
« Je sais ce que l'on dit de moi. Tout le monde pense que je mange dans la main de Zuko, que j'ai trahi mon père. Je ne suis pas venue vous convaincre du contraire. J'ai fait ce qu'il fallait pour survivre. »
Elle parlait d'un ton assuré, sans rougir, ne cherchait pas à l'amadouer.
« Depuis que mon cher frère m'a libérée de la prison où il m'avait mise, j'ai passé mon temps à réfléchir. J'ai tout préparé depuis des mois. Mais je devais attendre que le contexte soit favorable. Il a fallu gagner la confiance de Zuko, s'assurer de son affection. Vous n'imaginez pas ce que j'ai dû faire, à quel point j'ai dû m'avilir pour obtenir une entrevue privée avec mon propre père. »
Buntaro l'écoutait attentivement. Tout, de sa manière de parler à la façon dont elle se déplaçait, lui rappelait si irrésistiblement Ozai qu'il sentit son cœur s'épanouir.
«Ma fille Azula est d'une loyauté sans faille, disait-il. J'ai une confiance absolue en elle. Jamais elle ne me trahirait. Elle donnerait sa vie pour moi, tout comme toi Buntaro. Je veux que tu lui voues le même respect qu'à moi. Il se peut que je l'envoie un jour vers toi. Je veux que tu l'écoutes et que tu te plies à chacune de ses exigences. »
C'était quelques semaines avant l'éclipse. Buntaro s'en rappelait parfaitement. Il se rappelait comme si c'était hier ce jour où Ozai et sa fille étaient entrés dans sa boutique, elle vêtue d'une armure noire, les cheveux ramenés en chignon comme les guerriers d'autrefois.
Il avait été surpris par la tranquille froideur qui émanait de la princesse, par son regard scrutateur et par le ton posé qu'elle utilisait pour lui parler à lui, un assassin qui avait deux fois son âge, avec une assurance telle qu'on ne pouvait douter un instant de la valeur de son lignage.
Il se peut que je l'envoie un jour vers toi.
Et si ce jour était enfin arrivé ?
« Il est vrai que je me suis égarée. J'ai renoncé à mon père quand j'ai compris qu'il n'avait plus aucune chance de reprendre le trône. J'ai fait tout ce que j'ai pu pour remettre mon frère dans le droit chemin, pour faire de lui le digne fils d'Ozai. Zuzu est un homme influençable et, je l'admets, j'ai eu la prétention de croire que je pourrais le changer. Mais j'ai échoué. Quand mon frère a compris ce que je faisais, sa femme et lui ont comploté contre moi : ils ont essayé de m'anéantir. Ils m'ont accusée d'avoir essayé de le séduire, jetée en prison, privée de soins, me livrant à la folie. Ils ont même attenté à ma vie. Il m'a finalement dépouillée de la couronne qu'il m'avait pourtant rendue, un an auparavant. Zuko m'a tout pris. Maintenant que je ne suis plus une menace, il a le champ libre pour mener notre nation à sa perte. »
Buntaro ne la lâchait pas des yeux. Tout était vraiment parfaitement maîtrisé : la colère froide qui perçait dans sa voix, les larmes qu'elle retenait à la bordure de ses paupières.
– Pourquoi vous garde-t-il au palais ? demanda-t-il, désireux d'en savoir plus.
– Zuko a besoin de moi pour renvoyer l'image d'un monarque attentif. Un souverain qui prend soin de sa famille prend soin de ses sujets. De plus, cela lui permet de garder un œil sur moi et de prouver à son peuple qu'il est supérieur à moi. Dans l'esprit de beaucoup de monde, je reste sa rivale et son ennemie. Il préfère me garder ici dans une prison dorée, plutôt que de m'envoyer au loin et de prendre le risque de me voir rallier des opposants. J'ai dû déployer des trésors d'ingéniosité pour venir vous retrouver ce soir. »
Buntaro se tut. La princesse dut deviner sa méfiance :
« Il serait présomptueux de ma part de vous demander de croire en ma bonne foi sans preuve. C'est pourquoi je vous ai apporté ceci.»
La jeune femme fouilla un instant dans la poche de sa cape et posa sur le comptoir une enveloppe jaunie par le temps, encore scellée.
« Qu'est-ce que c'est ? demanda Buntaro, piqué malgré lui.
Buntaro n'était pas un homme curieux de nature. Mais quelque chose dans cette fille, quelque chose qu'il n'avait perçu jusque là que chez Ozai, l'intriguait profondément.
« Ouvrez, ordonna-t-elle simplement.
Buntaro obéit et descella l'enveloppe. Elle contenait un simple morceau de parchemin. Dessus, seulement quelques inscriptions : un nom et une adresse.
« Qui est-ce ? La personne que je dois…
– Le nom et l'adresse de l'homme qui a tué votre mère, l'arrêta Azula. Mon père la gardait précieusement en sa possession dans une cachette connue de lui seul. C'est ainsi qu'il s'était acheté votre loyauté, je me trompe ? »
Elle ne se trompait pas. Buntaro prit un moment pour digérer l'émotion que le morceau de parchemin venait de faire naître en lui.
Azula poursuivit d'une voix tranquille, comme si elle ne venait pas de lui fournir une information qui bouleversait sa vie : « Vous n'avez pas été sans remarquer, j'en suis sûre, que depuis quelques mois, la nation connaît une période de décadence inédite depuis cent cinquante ans au moins. Vous savez que Zuko a concédé la moitié de son pouvoir à des vieillards prétentieux, trop couards pour s'opposer aux ennemis qui se pressent à nos portes et créent un climat permanent d'insécurité. Pendant qu'il se cache dans le palais, espérant que la tempête passe, des hommes comme l'assassin de votre mère agissent à leur guise. Voyez-vous, de tels combats ne sont pas dignes de l'attention de mon frère. »
Buntaro contemplait le parchemin, incrédule, le tenant fermement entre ses doigts, se concentrant pour mémoriser chaque signe afin de ne jamais oublier le nom qui était inscrit dessus. Il se rappelait parfaitement cette conversation, le jour où Ozai lui avait promis qu'il lui donnerait l'opportunité de venger sa mère.
« Mais avant cela, avait-il dit, je veux que tu me prouves ta loyauté de façon répétée. Quand j'estimerai que tu m'as bien rendu service, tu seras libéré de ton serment et tu pourras venger les tiens. »
Indifférente à la tempête qui se déroulait dans l'esprit du tueur à gages, Azula parlait toujours :
– Je vous propose de mettre un terme à cette déchéance et de m'aider à redonner toute sa force et toute sa grandeur à notre nation. Je vous propose de m'aider à faire régner l'ordre et la sécurité à nouveau, comme au temps de mon père. Le Roi Phénix compte sur votre loyauté. Il m'a parlé de vous lors de ma dernière visite. Il vous a toujours tenu en très haute estime et vous êtes l'un des seuls en qui il croit encore. C'est pourquoi il m'a indiqué où trouver cette précieuse enveloppe. Il a besoin de vous, Buntaro. J'ai besoin de vous. »
Buntaro ne pouvait faire autrement qu'être flatté malgré lui de ces marques d'attention de la part d'un homme que l'on disait réduit à néant mais qui aurait pour toujours, dans son cœur, le visage du souverain idéal.
Azula jeta soudain une bourse d'or sur le comptoir. Elle était lourde à en juger par le bruit que firent les pièces en s'abattant sur le plateau en métal.
« Dites-moi, Buntaro, jusqu'où êtes-vous prêt à aller pour exprimer votre loyauté ? »
Buntaro s'avança vers le comptoir et saisit la bourse dont il défit le nœud. Les pièces tombèrent en tintant contre la surface dure du comptoir. La lueur bleue de sa lampe leur donnait une teinte verdâtre, proche du vieux bronze. Buntaro saisit une pièce et la fit tourner adroitement entre ses doigts. Il y avait bien longtemps qu'il n'avait pas vu autant d'argent. Il leva les yeux vers la princesse qui attendait, ses lèvres vermeilles figées dans un mystérieux sourire.
« Le Roi-Phénix sait pouvoir compter sur ma loyauté sans faille. Ordonnez, Princesse, et j'exécuterai. Je serai votre épée. »
Le sourire d'Azula s'élargit.
« J'espère que vous n'avez pas trop peur de vous salir les mains. Ce que je vais vous demander aurait de quoi refroidir l'ardeur d'hommes moins scrupuleux que vous.
– Ne vous inquiétez pas pour mes mains, Princesse. Je suis votre homme.
– Parfait, alors cet or est à vous.
Buntaro souleva la bourse et la soupesa.
« C'est beaucoup d'or, commenta-t-il. Un gros gibier ?
– Assez gros pour vous faire prendre de gros risques si vous êtes pris. Mais je sais pouvoir compter sur votre discrétion. »
La princesse contourna alors le comptoir et se déplaça en chantonnant dans la boutique. Il ne put s'empêcher de remarquer qu'elle était affligée d'un léger boitement, comme si une blessure récente entravait ses déplacements. Il repensa aux rumeurs qui parlaient d'un attentat récent et à ce qu'elle avait dit au sujet de son frère et de la Dame du Feu complotant contre elle.
Azula passait à nouveau la main entre les étoffes comme si elle en appréciait la qualité Finalement, elle sortit un pan de tissu d'un rouge profond, une de ses plus belles pièces, et le tira vers elle.
« Je prendrai cela. Je suppose qu'il y a bien assez dans cette bourse pour un petit supplément. »
Elle se dirigea une nouvelle fois vers le comptoir et déposa une deuxième enveloppe.
« Le nom de notre gibier, précisa-t-elle. Tout est inscrit là-dedans. Vous le brûlerez dès l'instant où vous aurez lu et retenu les instructions. Nous nous reverrons bientôt. »
Puis sans lui laisser le temps de répondre, elle remit sa capuche et s'engouffra par la porte qui se referma dans un claquement sec, laissant Buntaro seul avec ses pensées.
Quand il eut remis de l'ordre dans ses pensées, il ouvrit l'enveloppe.
De tous les hauts lieux du peuple des Nomades de l'Air, le temple austral était le préféré de Katara. Aang lui avait si bien raconté les rires, les jeux, les cérémonies, le vol paisible des bisons volants autour de l'édifice, qu'il lui semblait parfois avoir vécu avec lui cette époque révolue. Katara se surprenait souvent à éprouver la nostalgie d'une époque qu'elle n'avait pas connue.
Certes elle se rappelait parfaitement le triste état dans lequel elle avait découvert ce temple la première fois, plus de six ans auparavant, accompagnée d'Aang et de Sokka. Comme tout avait changé ! Les mauvaises herbes avaient laissé la place à de splendides lys blancs, à des ribambelles d'œillets des glaciers et de gentianes pourpres. Les fresques murales presque effacées avaient retrouvé leurs couleurs d'antan grâce au travail méticuleux des nones et des moines qui peuplaient maintenant le temple.
Ce qui était autrefois un tombeau à ciel ouvert était maintenant un lieu plein de vie, de rires et de sérénité. Les Acolytes de l'Air à qui Aang enseignait sa culture débordaient d'enthousiasme et de bonne volonté et la vie ici était fort agréable. Les espoirs d'Aang de voir renaître des Fils de l'Air parmi les Acolytes ne s'étaient pas encore concrétisés. Pourtant, il restait persuadé que la charge mystique des lieux et la détermination de ses disciples serait récompensée par les Esprits et que naîtrait un jour ici le premier maître de l'Air depuis plus d'un siècle. Ses prières n'avaient pas encore été entendues mais il s'accrochait à cette idée. En attendant cette renaissance miraculeuse, Aang et ses Acolytes passaient leur temps libre à restaurer le temple, à l'entretenir et à apprendre la culture et les traditions du peuple le plus pacifique du monde, anéanti par l'ambition dévorante d'un seul homme.
Deux ans auparavant, ils avaient découvert le premier troupeau de bisons volants depuis cent ans. Katara se souvenait encore de son émotion, et de celle d'Aang quand, sur l'île de la Tribu Bhanti, dans la Nation du Feu, ils avaient rencontré les derniers spécimens de cette espèce céleste, élevés à l'abri des regards par une jeune fille à peine plus âgée qu'eux qui prenait soin d'eux comme de ses propres enfants.
C'est tout naturellement qu'elle leur avait raconté comment ces animaux, capturés pendant le Génocide des nomades de l'Air, avaient été confiés à ses ancêtres, de modestes bouviers. Le Seigneur du feu Sozin en personne était venu chez ses aïeux, suivi de quatre porteurs tenant chacun une cage dans leurs bras. À l'intérieur de chaque boîte, tremblait un bébé bison, seuls rescapés du massacre. Deux mâles et deux femelles.
Elle raconta comment Sozin avait ordonné à son aïeul d'élever ces bêtes afin de les dresser pour le combat. Le bouvier n'avait eu d'autre choix.
Mais quand il s'était avéré que ces animaux étaient moins belliqueux que des agneaux, Sozin s'était mis dans une colère noire et avait ordonné que le bouvier se débarrasse de ces bêtes inutiles.
Le cœur brisé à l'idée d'abattre son troupeau maintenant composé d'une dizaine d'individus, le bouvier s'en était retourné chez lui. Il avait tout raconté à sa femme et à sa fille. Ce fut la petite qui eut l'idée de monter sur le dos de son bison préféré. Pour la première fois depuis qu'il les élevait, le bouvier assista à l'envol de ces énormes animaux. Sans prendre le temps de réfléchir, lui et sa femme étaient montés chacun sur un jeune bison et ils étaient partis, suivis du reste du troupeau. Ils avaient atterri sur l'île de la Tribu Bhanti, une terre oubliée et méprisée du reste de sa nation. Les habitants les avaient accueillis, et ils vivaient ici depuis lors, avait raconté la jeune fille à Aang et Katara, fascinés et émus aux larmes.
Depuis, la race avait prospéré et on élevait des bisons ici depuis trois générations, dans le plus grand secret. C'est avec joie qu'elle avait confié à Aang quelques petits, à la condition qu'ils ne fussent pas séparés de leur mère avant d'être sevrés. Aang avait ainsi pu repeupler les temples de l'Air et les nones et les moines en prenaient grand soin.
Au temple de l'air austral, on voyait maintenant des dizaines de bisons au pelage immaculé voler paresseusement tout autour des quartiers d'habitation, jouant avec les jeunes acolytes, s'allongeant sur le dos pour recevoir des caresses.
Katara sourit en regardant une femelle et ses trois petits décoller devant elle et tournoyer un instant dans les airs avant de se diriger vers les cimes enneigées des pics vertigineux qui disparaissaient dans les nuages.
Mais son sourire s'élargit plus encore quand le bison qu'elle avait tant espéré voir apparut enfin, surgi de nulle part, comme s'il avait été enfanté par le soleil lui-même dont le disque éblouissant brillait au-dessus d'elle, dardant des rayons sans chaleur.
L'automne avait largement commencé dans cette partie du monde. Les arbres alentours s'étaient revêtus de couleurs chatoyantes, d'ocre, de vermeil et de brun qui ravissaient les habitants des lieux. Les températures commençaient à baisser. Après la fournaise de cet été sans fin dans la Nation du Feu, Katara avait été soulagée de retrouver un climat plus clément.
Appa entamait sa descente, traçant une spirale de plus en plus réduite dans l'éther et il se posa doucement, soulevant un nuage de feuilles mortes. Un grand sourire aux lèvres et les yeux pétillants de joie, Aang adressa un signe à Katara et il aida son passager à descendre du dos du bison avant de rejoindre sa fiancée qu'il étreignit tendrement.
« Vous avez fait bon voyage ? s'enquit-elle, bien que ce ne fut pas la question qu'elle brûlait de lui poser.
– Parfait. Aucun incident à déplorer. Je suis tellement heureux d'être là. Comment va Suki ?
– Bien, répondit Katara avec un sourire. Elle se repose. Je crois que son ventre a doublé de volume depuis la dernière fois que tu l'as vue. Et tu sais quoi ? dit-elle, les yeux brillants d'excitation. Je crois que cet enfant sera un maître de l'eau ! Le premier maître de l'eau du Sud depuis ma naissance !
– C'est vrai ? Répondit Aang, émerveillé. Comment peux-tu le savoir ?
– J'ai senti quelque chose en essayant d'entendre le cœur du bébé l'autre jour. Quelque chose que je n'avais jamais perçu avant en examinant une patiente enceinte. Je suis certaine que c'était son chi, et que c'était celui d'un maître de l'eau !
– Merveilleux ! s'exclama son fiancé en la serrant dans ses bras et en l'embrassant. Je suis si heureux ! »
Katara lui fut reconnaissante de son enthousiasme. D'autres que Aang auraient eu du mal à dissimuler leur amertume. Mais le fait que son propre peuple fût anéanti depuis des décennies ne l'empêchait pas de se réjouir qu'un autre renaquît de ses cendres.
De toute façon, au fond d'elle, Katara en était sûre. Elle mettrait un jour au monde le premier enfant de l'Air depuis plus de cent ans. Et elle savait que même s'il n'osait en parler, Aang entretenait le même espoir.
« Où est Hou-Tin ? dit une voix timide derrière eux.
Katara sursauta légèrement. Tout à sa joie de retrouver Aang, elle avait complètement oublié son compagnon.
Kuei semblait épuisé par le voyage. Ses mains tremblaient un peu et Katara devina que sa mission diplomatique n'avait pas été de tout repos.
« Elle va très bien, le rassura-t-elle. Elle est avec Sokka et Suki en train de regarder les bébés bisons. Elle est en pleine forme, je peux vous l'assurer !
– Vous m'en voyez ravi ! se réjouit-il, un sourire illuminant son long visage. Des bébés bisons dites-vous ? Comme ce doit être fascinant ! Puis-je...?
– Bien sûr ! L'invita Katara en lui touchant l'épaule. Peïma va vous onduire auprès d'eux. »
Une jeune acolyte au visage amène se dirigeait justement vers eux pour saluer Aang et prendre soin d'Appa qui sortit sa grosse langue pour lui témoigner son affection. Peïma l'évita de justesse avec un grand rire et ce fut Kuei qui reçut le cadeau du bison. Cela ne sembla pas l'offenser, au contraire. Il semblait aussi heureux que si on lui avait annoncé que la paix était miraculeusement revenue sur le monde.
Il suivit docilement Peïma. Katara les regarda s'éloigner, l'ombre gigantesque d'Appa qui planait à quelques mètres au-dessus d'eux, leur faisait de l'ombre, comme un énorme nuage de pluie.
Enfin seule avec Aang, elle se tourna vers lui pour un baiser un peu moins sage que le précédent.
« Tout s'est bien passé ici ? murmura Aang en plongeant son regard dans le sien.
– Très bien. Mais assez parlé. Je te raconterai tout plus tard. J'ai une mission pour toi et ça ne peut plus attendre !»
Avec un grand sourire, Aang se laissa entraîner jusqu'à la grande tour où se situaient les quartiers d'habitation et la chambre qu'il partageait avec Katara.
Une heure plus tard, sa mission accomplie, heureux et content de lui, Aang, un bras passé derrière la tête et l'autre tenant Katara contre sa poitrine nue, reprenait doucement son souffle.
« Alors ? demanda-t-il avec un sourire à Katara dont les yeux saphir brillaient de bonheur. Comment Sokka s'en est-il sorti avec le petit démon ?
– Je crois qu'il a perdu au moins cinq kilos ! Il a des cernes épouvantables et il est venu me réveiller l'autre nuit. Il avait un sac sur le dos et il m'a tendu une lettre en me suppliant d'expliquer à Suki qu'il ne pouvait pas rester. Il ne se sentait plus capable d'élever un enfant ! »
Aang fronça les sourcils, un peu décontenancé. Katara ne cessait de sourire pourtant.
« Bien sûr il a repris ses esprits quand je l'ai aspergé d'eau pour le raisonner. Il a admis que c'était une idée stupide et il est tout de suite retourné auprès de Suki pour s'excuser. La pauvre n'a rien compris et je devais me mordre les joues quand elle m'en a parlé le lendemain ! Je crois que Sokka panique un peu maintenant que la naissance approche ! Mais je le comprends : la petite de Kuei lui en a fait voir. Si tu la voyais ! Elle est horrible avec tout le monde et elle arrache les poils des bébés bisons ! L'autre jour, Sokka s'est pris un coup de queue d'une mère car il a dû s'interposer entre elle et Hou-Tin. Et après cela, la petite peste lui a tiré la langue ! Sokka a encore un œil au beurre noir ! Il aime à dire que c'est assorti à la couleur de ses yeux, ajouta Katara en secouant la tête pour montrer sa consternation. Mais c'est plutôt vilain si tu veux mon avis !
Aang éclata de rire en imaginant la scène.
« Sokka fera un excellent père, dit-il. Lui et Suki seront formidables.
– Oui, je n'en doute pas, répondit Katara avec douceur. Mais je piaffe déjà d'impatience à l'idée de voir mon neveu ou ma nièce l'asperger de neige et d'eau glacée chaque fois qu'il ou elle ne voudra pas obéir ! »
Ils rirent tous les deux et Aang ramena Katara plus près de lui. Il sentit avec un frisson délicieux le corps nu de sa fiancée se presser contre lui sous la couverture et se rendit compte qu'il n'était pas encore rassasié d'elle.
« Ce qui est certain, c'est qu'il fera un meilleur père que Kuei. Je ne vois pas Sokka promettre la main de sa fille à son ennemi même pour éviter un conflit dévastateur, soupira Aang.
– Quoi ? Qu'est-ce que tu racontes ? » s'écria Katara en se rasseyant brusquement, rattrapant les couvertures juste à temps avant qu'elles ne tombent au sol.
Aang ferma les paupières, comme pour chasser une profonde lassitude, prit une grande inspiration et raconta tout.
Il lui parla de la rencontre entre Kuei et Zuko dans la grotte du volcan, de leur longue discussion, des cris et des lamentations du roi après avoir entendu sa proposition. Puis comment, deux jours plus tard, dans la salle du Conseil, devant tous les ministres de Zuko rassemblés et en présence de Shyu le grand sage, Kuei avait finalement accepté l'accord et signé la demande de fiançailles, la mort dans l'âme.
Katara semblait indignée :
« Comment peut-il ? Il est beaucoup plus âgé qu'elle ! Comment Kuei peut-il accepter… et comment Zuko ose-t-il... Je sais qu'il n'a plus toute sa tête, mais quand même !
– Je ne crois pas que l'idée l'enchante lui non plus. Apparemment, il s'est plié à la volonté des Sages, expliqua Aang. Zuko a promis à Kuei que Hou-Tin resterait avec son père jusqu'à ses dix-huit ans, et alors seulement elle rencontrerait Zuko.
– Cela paraît raisonnable, concéda Katara. Zuko sera encore assez jeune pour avoir des enfants. Mais quand même, fit-elle en esquissant une moue dégoûtée. Après cette histoire avec Azula, je pensais au moins qu'il… D'ailleurs, maintenant que j'y pense, j'imagine qu'elle ne doit pas avoir apprécié cette décision ! Comment a-t-elle réagi ?
– Je l'ai à peine vue mais apparemment plutôt bien. Si tu veux mon avis, elle ne se sent pas menacée. Elle n'est pas stupide et elle sait que Zuko ne pourra jamais l'épouser, elle. Elle doit préférer un mariage arrangé qu'un autre mariage d'amour qui lui fera inévitablement de l'ombre. »
– Elle se contentera sûrement d'être sa maîtresse du moment qu'elle peut continuer de le manipuler, gronda Katara.
Un silence gêné s'installa entre eux. Aang supposait qu'imaginer Zuko et Azula ensemble dans un lit, comme ils le faisaient en ce moment, lui donnait toujours la nausée.
– Je ne serais pas loin de penser, reprit lentement Aang, qu'elle ait quelque chose à voir avec cette idée. Je ne vois pas Zuko demander la main d'une autre femme sans consulter Azula. Il a beaucoup trop peur d'elle.
– Cela ressemble en effet au genre de coups tordus qu'elle pourrait imaginer. Et Kuei a accepté ? Sans condition ?
– Les Sages ont réussi à le convaincre. Et Zuko lui a promis que ce mariage serait purement politique. Qu'il ne contraindrait Hou-Tin à rien une fois qu'ils auraient eu leur premier enfant. Il a assuré qu'elle serait libre de faire ce qu'elle voulait, et même de retourner vivre à Ba-Sing-Se dès l'instant qu'elle lui aurait laissé un héritier et resterait officiellement son épouse. »
Katara ouvrit de grands yeux incrédules.
« Et Kuei pense que c'est une vie satisfaisante ? Faire un enfant et n'avoir le choix qu'entre rester avec lui et un mari qu'elle n'a pas choisi, ou l'abandonner pour rentrer vivre chez elle ?
– Ce sont des rois, répondit Aang en haussant les épaules. Les alliances politiques font partie de leurs traditions. Je ne pense pas que Kuei ait jamais envisagé un mariage d'amour pour sa fille. Alors quand il a vu dans ces fiançailles la possibilité d'empêcher une guerre et de s'allier à Zuko, il a accepté. D'ailleurs, Zuko a précisé que si le mariage ne donnait pas d'héritier, le Conseil des Sages élira un nouveau Seigneur du Feu.
– Je n'arrive pas à me faire à l'idée, dit Katara. Ont-ils pris d'autres décisions ? »
Aang lui détailla l'accord passé entre les deux souverains. Il lui expliqua que Kuei avait promis l'ouverture de couloirs humanitaires pour permettre l'évacuation des derniers colons qui se cachaient dans le Royaume de la Terre. Ils seraient accueillis dans la métropole de la Nation du Feu. Les anciennes colonies deviendraient la propriété de Hou-Tin lors de leur mariage.
« Mais alors, en quelque sorte, les colonies resteront sous le contrôle de Zuko ?
– On peut dire ça comme ça, soupira Aang. Mais Kuei préfère tout à la guerre. Que pouvais-je dire ? La priorité est bien de protéger les victimes des violences et de stabiliser les colonies.
– Et Lu Fang dans tout ça ? »
Kuei avait annoncé publiquement la trahison de Lu Fang. L'ancien ministre de la guerre était considéré dans le Royaume de la Terre comme un traître et un criminel. Sa tête était mise à prix.
« On s'attend à des représailles de sa part dans les semaines à venir. Il a réussi à détourner la moitié de l'armée de Kuei et il contrôle le Dai-Li. Mais l'autre moitié reste fidèle au Roi de la Terre et les soldats de Zuko ont ordre de collaborer avec eux. Zuko et Kuei ont envoyé des missives aux tribus de l'Eau du Nord. Nous verrons bien ce qu'ils répondront. »
Katara prit un moment pour réfléchir puis parla à nouveau :
« Et les Fils d'Agni ? Comment vont-il réagir à l'annonce du mariage ? Ils ne vont pas apprécier que le Seigneur du Feu épouse une fille qui ne soit pas du pays, non ? Avec leur idioties au sujet de la race pure, tu ne crains pas qu'ils tentent quelque chose ?
– J'ai essayé d'en parler à Zuko, mais il n'a rien voulu entendre. Il affirme que les Fils d'Agni ne sont pas la priorité. Selon lui, leurs actions restent à la marge et la priorité est d'endiguer la menace Lu Fang. D'après lui, les fanatiques ne sont pas assez organisés ni assez armés pour constituer une réelle menace.
– Mais ils retournent le peuple contre Zuko. Il n'a pas peur d'une révolution ?
– Les Sages ont réécrit la Constitution, expliqua Aang d'un air sombre. Ils m'en ont rayé et ils ont redonné à Zuko plus de liberté pour museler la parole de ses opposants. Ils ont créé des lois encadrant la liberté d'expression. Dans la Nation du Feu, plus personne n'a le droit, sous peine d'emprisonnement, de dire ou d'écrire quelque chose portant atteinte à la dignité royale.
– Et Zuko accepte ça ? s'exclama Katara, sidérée. Lui qui a toujours dit qu'il ne voulait pas devenir un tyran comme son père !
– Zuko dit qu'en toute circonstance, il s'en remet maintenant à la sagesse du Conseil des Anciens. Je n'ai pas réussi à parler seul à seul avec lui. Dès que les accords ont été signés, Kuei et moi avons reçu l'ordre de quitter le territoire.
– Il n'a pas le droit de te chasser comme ça ! Tu es l'Avatar !
– Si. Il en a le droit. C'est sa Nation. Je serai toujours là pour veiller à l'équilibre du monde mais tant que Zuko ne fait rien allant contre la sécurité de son peuple ou des autres peuples, je n'ai rien à dire. Après tout, il faut bien reconnaître qu'il fait des efforts. Il a renoncé au pouvoir absolu. La Nation du Feu est maintenant une monarchie constitutionnelle. C'est bien la preuve qu'il ne veut pas devenir un dictateur, non ?
– Je ne sais pas, maugréa Katara. Toute cette histoire ne me dit rien de bon. C'est comme s'il se cachait derrière les Sages pour mener une politique autoritaire sans l'avouer.
– Tu as peut-être raison, dit Aang avec un soupir. Je te promets de surveiller ça de près. Zuko n'en a pas fini avec moi. Mais pour le moment je n'ai plus envie de penser à cela ! »
Katara ne put retenir un sourire quand Aang la renversa sur le dos et commença à piqueter son cou de petits baisers brûlants.
Quand il descendit vers ses seins et y enfouit le visage, elle ferma les yeux pour se forcer à ne plus penser à Zuko, à Azula, à Kuei et à toutes ces sordides histoires de politique.
Quand enfin Aang s'enfonça une nouvelle fois en elle, elle inspira profondément et ne pensa à rien d'autre qu'à son fiancé, aux pics enneigés qui semblaient les protéger dehors, et aux bisons au pelage immaculé qui fendaient le ciel de leur vol gracieux.
« Est-ce que ça va durer encore longtemps ? Je commence à avoir des crampes ! » grommela Zuko, mécontent, en laissant mourir la flamme qui dansait depuis ce qui lui semblait des heures dans sa paume. Il serra et desserra le poing plusieurs fois pour délasser sa main. Il porta l'autre à son poignet pour le masser, le visage crispé dans une grimace douloureuse.
Ce type a vraiment besoin d'un modèle vivant pour dessiner une vulgaire flamme dans une main ? se demanda Zuko. Quand on est le peintre officiel de la famille royale et que l'on a peint des quantités de portraits du Seigneur du Feu, on devrait être capable de représenter ce genre de détails les yeux fermés, non ?
Assise dans le fauteuil à quelques mètres, Azula soupira ostensiblement, reposa son livre, leva les yeux vers lui et répondit avant que le peintre n'ait pu le faire :
« Ne sois pas un bébé ! Ce serait déjà fini depuis longtemps si tu n'avais pas fait tant d'histoires au sujet des vêtements que je t'ai fait préparer !
– Il fait une chaleur épouvantable là-dessous ! Tu n'as pas idée ! Et ça gratte ! Je me sens ridicule. Comment Père et Grand-Père faisaient-il pour porter un tel attirail tous les jours ? »
Alléger les tenues officielles avait été une des premières décisions de Zuko. Le tailleur royal avait eu tant de travail au cours des premiers mois pour rendre les vêtements de Zuko à la fois plus décontractés, plus aérés et adaptés à toutes les situations, qu'il était depuis l'heureux propriétaire de deux magnifiques boutiques de luxe en plein centre de la Caldera. Désireux d'imiter le style à la fois élégant et épuré du nouveau Seigneur du Feu, les courtisans se pressaient dans ses magasins pour s'arracher ses créations.
« C'est la tenue de cérémonie officielle du Seigneur du Feu. Tous nos ancêtres l'ont revêtue pour l'occasion. Tu ne peux pas figurer aux côtés de nos aïeux dans la grande galerie de portraits dans tes vêtements de roturier ! Il faut que tu la portes.
Zuko manqua s'étrangler :
– Mes vêtements de roturier ? Sais-tu combien m'a coûté la tunique que tu m'as forcé à enlever ? Elle est brodée de fils d'or le plus pur et taillée dans de la soie qui provient de l'autre bout du monde ! Tout comme la robe que tu portes aujourd'hui et que je t'ai offerte ! Je ne me rappelle pas que tu aies trouvé matière à t'en plaindre quand tu l'as reçue ! »
Azula rejeta sa longue chevelure en arrière et haussa le menton, un sourire insupportable de satisfaction étirait ses lèvres rubis.
« Je ne suis pas le Seigneur du Feu. D'ailleurs, je ne suis même plus la princesse. Je n'ai pas besoin que l'on me voie dans ma tenue d'apparat. Je ne suis que la sœur du roi. De plus, je n'ai pas besoin de vêtements somptueux pour être jolie. Père disait toujours que j'avais ce que l'on appelle une élégance naturelle et un port princier. Malgré ton joli minois, tu n'as pas hérité du même don. Et cette cicatrice n'arrange rien, même si moi je l'aime bien. Alors cesse de te plaindre et laisse le peintre faire son travail. Tu me remercieras quand tu verras le résultat.»
Pâle d'indignation, les mots lui manquant pour rétorquer quelque chose de désagréable à sa sœur, Zuko tourna les yeux vers le peintre qui attendait devant sa toile, l'air très gêné, le pinceau à la main, sa palette de couleurs calée dans le creux de son coude.
« Votre Majesté, risqua-t-il d'une voix timide, souhaitez-vous prendre un peu de repos ? Nous pourrions reprendre plus tard. »
Zuko allait accepter mais Azula ne lui en laissa pas le temps :
« Non, restez ici. Je vous ai payé grassement pour ce travail et j'entends qu'il soit réalisé en temps et en heure.
– Azula répliqua Zuko, profondément agacé, tu ne penses pas que nous avons des choses plus urgentes à faire que…
– Non ! Tu repousses ce projet depuis plus d'un an déjà ! Tu n'avais que dix-sept ans sur ton dernier portrait officiel, et sans vouloir t'offenser, tu as l'air d'un adolescent grognon, maigrichon et maladroit ! C'est le portrait qui sera affiché dans toutes les administrations et dans toutes les écoles du pays. Si tu veux être respecté, tu dois renvoyer l'image d'un homme fort et intimidant. Vous n'êtes pas d'accord, mon cher ? »
Pris au dépourvu, le peintre faillit lâcher son pinceau et répondit d'une voix hésitante :
« Oui. Oui bien sûr, votre Altesse.
– Vous trouvez que j'ai l'air d'un adolescent maigrichon et grognon sur mon ancien portrait ? gronda Zuko en lançant au peintre un regard mauvais.
Il était prodigieusement irrité et aurait aimé être n'importe où ailleurs que dans cette pièce surchauffée. Terroriser le peintre avait au moins le mérite de le distraire.
« Non… non, bien sûr, ce n'est pas ce que je veux dire ! se pressa de répondre l'artiste. Votre portrait est très...très impressionnant et très… royal… Seulement, la Princesse a raison de dire que vous paraîtriez plus intimidant maintenant que vous êtes un peu plus...mûr.
– Mûr ? Êtes-vous en train de dire que j'ai l'air vieux, c'est ça ? Insolent !
– Non, non, votre Majesté ! Ce n'est pas ce que j'ai voulu dire. Pardonnez ma maladresse ! Vous êtes très jeune ! Très très jeune et très impressionnant ! »
Sur son fauteuil, Azula se trémoussa un peu et se redressa. Ses yeux pétillaient de malice et elle se pencha en avant, un grand sourire aux lèvres, comme si elle craignait de perdre une miette du spectacle. Elle avait l'air de beaucoup s'amuser. Et malgré l'exaspération qu'elle lui inspirait, Zuko se surprit à se sentir un peu plus léger et de bonne humeur à l'idée de la faire rire. Mais le petit jeu avait assez duré et il commençait à prendre en pitié pauvre homme qui tremblait de tous ses membres. Il pensa à ce que dirait Oncle Iroh et se sentit un peu minable.
« J'aime mieux ça, dit-il en se radoucissant. Maintenant laissez-nous. Allez vous reposer. Nous reprendrons la séance dans une demi-heure. Tu auras ton tableau dans les temps », ajouta-t-il en se tournant vers Azula qui lui répondit par un sourire complice.
Le peintre ne se fit pas prier. Il posa son pinceau et sa palette sur le chevalet et déguerpit rapidement.
Dès qu'il fut parti, Azula, d'un geste de la main, fit disparaître les flammes qui dansaient sur le gigantesque brasier devant lequel le peintre avait demandé à Zuko de poser. Le feu qui formait un rideau ardent rendait l'atmosphère de la pièce presque irrespirable.
« Quelle autorité, dit-elle ensuite en se levant et en marchant lentement vers lui. Quelle stature ! Si la même aura émane de ton portrait, tes ennemis déposeront immédiatement les armes, cela ne fait aucun doute !
– Cela n'a pas l'air de t'effrayer, toi, répliqua-t-il en se débattant contre l'épais manteau d'un rouge profond qui recouvrait ses épaules. »
Azula s'était approchée de lui. Elle l'aida à retirer son manteau, ses épaulières et sa veste et il put enfin respirer, vêtu d'une simple tunique à manches courtes et de ses pantalons bouffants. Azula jeta négligemment les somptueux vêtements sur le sol et posa délicatement sa main sur le bras de Zuko qu'elle caressa, s'attardant un peu sur ses muscles saillants.
« Pour moi c'est différent. J'ai un faible pour les hommes forts et virils. Te rappelles-tu Chan ? Et ce garçon le soir de ton anniversaire ? Voilà le genre d'homme qui éveille mon intérêt. »
Zuko crispa la mâchoire et se mordit la langue pour ne rien laisser voir de la vague de jalousie qui lui étreignait la gorge. C'était stupide, si stupide. Il se haïssait de ne pas être capable de rester indifférent à ses provocations puériles.
« Maintenant que tu vas te marier, je dois penser à mon avenir. Tu ne crois pas ? Comme je ne suis plus vraiment une princesse, cela ouvre la porte à nombre de prétendants qui étaient d'un rang trop bas avant que l'on ne me retire mon titre. Ty Lee m'affirme qu'il y a de très beaux garçons célibataires parmi les jeunes recrues de la Garde Impériale...
– Arrête de dire n'importe quoi ! grogna-t-il entre ses dents serrées. Nous savons tous les deux que tu n'as pas plus envie de te marier que moi. »
Azula gloussa.
« Je le pensais aussi mais j'ai peur après tout le temps passé ensemble, de m'être trop habituée à toi et de me sentir seule quand tu t'enfermeras avec ta femme dans ta chambre le soir.
– Cela n'arrivera pas avant des années, lui rappela-t-il.
Est-ce que tu es stupide ? se tança-t-il. Tu pourrais tout aussi bien lui proposer de devenir ta maîtresse dès maintenant en attendant le mariage !
« Alors laisse-moi profiter encore un peu de mon frère tant que je l'ai pour moi toute seule, roucoula-t-elle en réduisant la distance entre eux. Ces jaloux ne comprennent pas la force du lien qui existe entre un frère et sa petite sœur. »
Comme un serpent enroule ses anneaux autour de sa proie, Azula passa ses bras autour de la taille de Zuko qui la reçut dans les siens et elle posa sa tête contre son torse.
« Tu transpires, fit-elle remarquer après quelques secondes en fronçant les narines.
– La faute à qui ? C'est une vraie fournaise ici. Le feu à l'arrière-plan, les flammes dans la main, le costume importable… Tout ce décorum est ridicule et appartient à une époque révolue. Je ne comprends pas que tu ne t'en rendes pas compte.
– Je le sais, gros malin, dit Azula en enfouissant son nez dans le creux de son épaule. Mais si nous voulons nous assurer le soutien des franges les plus réactionnaires de notre population, il faut jouer le jeu. L'apparence est extrêmement importante pour eux. Ils ont été bercés par ces images et c'est ainsi qu'ils ont besoin de te voir.
– Ce ne sont que des symboles…
– Le peuple aime les symboles, Zuzu. Ils rassurent et rassemblent les gens. Notre nation est plus divisée que jamais. Tu dois être le lien entre les différentes sensibilités qui la composent.
– Tu dois avoir raison, comme toujours, soupira Zuko.
Un silence confortable s'installa. Et alors qu'il la tenait contre lui, il sentit toute sa frustration fondre et quitter son corps. Leurs visages étaient tout près l'un de l'autre et il eut soudain très envie de l'embrasser. Azula se blottit encore plus contre lui et ses seins s'écrasèrent contre son torse. Il réalisa à quel point la soie dont était fait sa robe était fine, presque vaporeuse. À peine plus qu'un voile qui le séparait du paradis. Zuko retint son souffle. La tension était à son comble.
Zuko pensa à Hachiko. Il avait prévu de la retrouver ce soir.
Une dernière fois, se promit-il.
Ce n'était pas la première fois qu'il se faisait cette promesse. Mais il le fallait bien pour évacuer toute cette tension, tous ces désirs qui l'assaillaient. Il lui faudrait trouver une excuse. Si Azula se glissait dans son lit cette nuit, comme elle avait pris l'habitude de le faire, et qu'elle le découvrait vide…
Peut-être aurait-il le temps juste après le dîner, quand Azula se rendrait avec Ty Lee au spa. Il prétexterait une promenade solitaire sur les flancs de la montagne. Azula détestait « marcher pour rien », comme elle disait, et avec ses douleurs, elle n'insisterait pas pour l'accompagner. Il serait rentré pour le coucher et Azula n'en saurait rien. Débarrassé de sa frustration, il pourrait l'accueillir entre ses couvertures, en tout bien tout honneur.
Au même instant, Azula s'écarta un peu de lui et lui prit la main. Elle le guida jusqu'au fauteuil où elle le fit asseoir et elle s'agenouilla à ses pieds, les deux mains jointes sur les genoux de Zuko et y posa le menton. Zuko avança la main pour passer une mèche de cheveux derrière ses oreilles et Azula ferma un instant les yeux pour savourer la caresse. Après un moment, elle dit doucement :
« Je sais combien tu détestes tout ce cérémonial, mais c'est important Zuzu. Et ça l'est aussi pour nous deux. Tu as besoin de retrouver ta confiance en toi. Quant à moi, je n'ai plus rien, je suis privée de ma couronne, de ma réputation, de ma dignité. Tout ce que je veux, c'est aider mon frère bien aimé à redevenir un souverain craint et respecté. Fais-le pour moi, mon chéri, fais-le pour nous. À travers toi, j'aurais l'impression de retrouver un peu de ma grandeur et surtout l'honneur qu'on m'a volé. L'honneur qu'il m'a volé.»
Les entrailles de Zuko se liquéfièrent. À la mention de Kojiro, la colère bouillonna en lui. Il pinça doucement le menton d'Azula entre ses doigts et l'obligea à lever la tête vers lui. Son cœur chavira. Des larmes perlaient au bout de ses longs cils et ses lèvres tremblaient. Il la tira vers lui et la fit asseoir sur ses genoux. Là, il la serra contre lui. Azula se laissa faire, comme une enfant dans les bras de sa mère.
Azula n'avait que lui au monde. Et cette pensée l'attristait autant qu'elle l'emplissait d'un orgueil certain. La manière dont elle avait réagi en recevant le médaillon avait incité Zuko à faire preuve de plus de tact avec sa sœur. Et elle paraissait apprécier ses efforts. Leur dispute s'était depuis dissipée et oubliée dans une tendresse que Zuko tentait de garder fraternelle et dans les serments enflammés qu'il lui faisait presque chaque soir.
Il lui rendrait tout ce qu'ils lui avaient pris. Et il lui rendrait au centuple. Elle régnerait à ses côtés et les mécontents n'auraient qu'à se taire s'ils ne voulaient pas subir un châtiment à la hauteur de leur insolence. Il eut soudain envie de faire quelque chose pour elle, et il avait déjà son idée :
« Fais revenir le peintre, dit-il d'un ton plein d'assurance.
Azula leva les yeux vers lui et Zuko eut un frisson quand le bout de son nez effleura son menton.
– Tu es prêt à montrer à ces rustres incultes toute l'étendue de ta puissance ? demanda-t-elle avec un sourire, en passant ses bras en collier autour du cou de Zuko.
Comme il se sentait important quand ils se tenaient comme ça ! La plus belle femme de la nation, assise sur ses genoux ! Elle lui était interdite, c'est vrai. Était-ce une raison pour la laisser à d'autres ? Il lui avait fait la promesse et il entendait bien la tenir.
– Mieux, répondit-il. Je t'ai fait une promesse et je la tiendrai. Je veux leur montrer l'étendue de notre puissance.
– Je ne comprends pas, hésita Azula, les sourcils froncés. Tu ne songes pas à me faire poser à tes côtés ? C'est trop tôt ! Je doute que ce soit bien interprété. Aucun Seigneur du feu n'a jamais posé dans la galerie au côté de quelqu'un, pas même au côté de son épouse. » Elle rougit un peu en disant cela.
– Non, bien sûr, je poserai seul. Je suis l'unique Seigneur du Feu. Mais tu parlais de symboles ? Eh bien quand il faudra rallumer le brasier, je veux que ce soit toi qui t'en charges. Les flammes sur mon portrait ne seront pas orange. Elles seront bleues. »
Diverses émotions défilèrent dans les yeux d'ambre de sa sœur. Le doute, la joie, la peur, la fierté. Il ne trouva pas de raison valable de se soustraire quand elle se pressa tout contre lui et appuya fiévreusement ses lèvres contre les siennes.
Cela ne dura qu'un instant. Elle le relâcha presque aussitôt, avant qu'il ait eu le temps de commencer à répondre. Il n'était pas remis de son émotion qu'elle s'était déjà levée. Quand il la regarda, il vit que les joues d'Azula étaient très rouges et ses mains tremblaient un peu.
« Pardonne-moi, murmura-t-elle doucement en baissant les yeux. Je ne sais pas ce qui m'a pris. Je sais que tu ne ressens pas la même chose... »
– Ce n'est rien, ça va, répondit-il sur le même ton, désireux de ne pas raviver les braises de leur désastreuse dispute. C'était un accident. »
Un baiser, ce n'est qu'un baiser. Ça ne veut rien les frères et sœurs font ça.
Mais Azula n'osait toujours pas le regarder. Il voyait bien qu'elle était mortifiée. Comme elle commençait à enfoncer ses ongles dans la chair de sa main, il décida d'intervenir et se leva à son tour.
« Faisons revenir ce trouillard de peintre, souffla-t-il en prenant doucement sa main dans la sienne pour la porter à ses lèvres. Je te promets de faire des efforts pour être le Seigneur du Feu fier et autoritaire que tu veux que je sois. »
Azula lui sourit timidement et se laissa entraîner dans une nouvelle étreinte que Zuko essaya de rendre aussi fraternelle que possible. Finalement, elle s'échappa de ses bras et se dirigea vers la porte d'entrée.
Elle se retourna une dernière fois avant de disparaître. Le sourire qui illuminait son visage emplit Zuko d'un tourbillon de sentiments contradictoires. Il sentit qu'il venait de franchir une nouvelle barrière. Le moment approchait où il ne serait plus possible de faire demi-tour.
Et encore une fois, il considéra à quel point il était grisant de laisser Azula le prendre par la main et l'entraîner avec elle sur cette pente vertigineuse.
Azula ne se rendit pas immédiatement compte que quelque chose était en train de se passer. Elle s'éveilla lentement, le cœur battant dans la gorge, avec cette impression étrange d'avoir été tirée du sommeil par une intervention extérieure, mais sans pouvoir s'en rappeler.
Il lui fallut encore plus de temps pour se figurer à qui appartenaient les voix qui chuchotaient non loin du lit dont les rideaux étaient tirés. Elle ne se rappelait pas les avoir fermés avant de se coucher avec Zuko. Ce devait être lui qui parlait avec quelqu'un de l'autre côté. Son cœur se contracta et elle se sentit soudain beaucoup plus éveillée. On ne devait pas les voir ! Bien qu'il ne se passât rien de charnel entre eux, Azula supposait que les gens ne seraient pas vraiment disposés à le croire et par les temps qui couraient, mieux valait éviter de faire courir le bruit que le Seigneur du Feu et l'ex-princesse passaient la moitié de leurs nuits ensemble.
C'était sûrement Zuko qui avait précipitamment fermé les rideaux de son lit pour dissimuler Azula à la vue de son visiteur inattendu. Comment avait-elle pu ne pas entendre ? Elle maudit intérieurement Taïma et ses médicaments qui la plongeaient dans de véritables états de torpeur dans les heures consécutives à leur prise. Parfois, pour plaisanter, elle disait à Ty Lee qu'elle aurait pu continuer de dormir si la grande foreuse dont elles s'étaient servies pour abattre les impénétrables remparts de Ba Sing Se avait soudain transpercé le mur de sa chambre.
Elle était un peu plus éveillée maintenant et elle reconnut les rideaux du baldaquin de Zuko. Elle se rappelait s'être introduite dans sa chambre dans la nuit. Avec un soupir exaspéré mais sans protester, Zuko lui avait ouvert son lit et ils s'étaient endormis, blottis l'un contre l'autre, en silence, le bras de Zuko passé par-dessus sa taille.
En veillant à faire le moins de bruit possible, Azula parvint à s'extraire de ses draps et avança à quatre pattes vers le pied du lit pour mieux entendre.
« ...c'est horrible, Sire. Du sang partout... »
Une boule se forma dans la gorge d'Azula. Il était arrivé quelque chose de grave. C'était la voix de Maître Shyu. Et s'il était arrivé malheur à Ty Lee, ou Taïma ? À moins que… Non ? Aussi vite ?
La voix blanchie par l'horreur de Zuko s'éleva, à peine plus haute qu'un murmure :
« En avez-vous informé les autres Sages ? »
Alors c'était bien cela ! Buntaro avait agi ! Quelle efficacité ! Azula sentit un mélange de d'excitation et de terreur la saisir. Et quelque chose aussi qui devait être une once culpabilité. Mais on ne pouvait pas s'embarrasser de scrupules. La fin justifie les moyens, se raisonna-t-elle. Comment Zuko allait-il réagir ?
« Ce sont eux qui m'ont alerté, Sire. Je leur ai dit de se mettre à l'abri dans le Temple et les ai placés sous bonne escorte. J'ai envoyé quatre domestiques nettoyer le carnage.
– Et qu'avez-vous fait du corps ? chuchota Zuko.
– Nous l'avons déposé dans la crypte en attendant vos instructions.
– Bien. Laissons-le là-bas pour la nuit. Je viendrai vous trouver dès l'aube pour vous dire quoi faire. Redoublez le nombre d'hommes pour patrouiller autour du Temple et du palais. Et faites surveiller toutes les issues. Je veux un garde posté dans chaque couloir, devant chaque porte, chaque fenêtre. »
Contre toute attente, Zuzu semblait garder son sang froid. Azula eut un sourire et son cœur se gonfla de fierté.
– Bien, Sire. Voulez-vous que je fasse chercher votre sœur pour la mettre en sécurité ? Si les auteurs du crime sont bien ceux que nous croyons, elle est probablement en danger.
– Inutile, Shin, je vais m'en occuper moi-même. Allez réveiller vos hommes ! »
Azula tira un petit pan du rideau et risqua un regard. Zuko lui tournait le dos et elle put voir Shin, pâle comme la mort malgré les torches enflammées qui jetaient des ombres sur son visage creusé par l'inquiétude. On eût dit la face d'un cadavre. Buntaro avait dû faire du bon travail.
Finalement Shin s'en retourna et Azula se glissa très vite dans ses draps avant que Zuko ne tire les rideaux de son baldaquin pour la rejoindre. Elle s'allongea sur le côté et fit semblant de dormir. Zuko posa doucement une main sur son épaule pour la réveiller, elle prit une voix ensommeillée pour lui répondre :
« Zuko ? Que se passe-t-il ? Quelle heure est-il ?
– Il est très tard, ou très tôt, je ne sais pas, dit-il. Il s'est passé quelque chose.
– Quoi donc ? Parle ! Tu me fais peur ! Tu es blanc comme un linge, on dirait que tu as vu un fantôme ! Est-ce que tu es malade ?
– Non, je vais parfaitement bien. C'est maître Shyu, le Grand Sage. On l'a retrouvé assassiné dans sa baignoire. »
Azula se redressa et ouvrit grand les yeux, laissant tomber légèrement sa mâchoire pour traduire sa consternation.
« Quoi ? Mais comment ça, assassiné ? Qui a fait cela ?
– Les Fils d'Agni sûrement. Cela ressemble à leur mode opératoire. Shin dit que leur symbole était marqué au fer rouge sur son front. Et il avait… il avait…
– Quoi ? Parle-moi Zuko, le brusqua-t-elle en prenant son bras dans lequel elle enfonça ses ongles pointus.
– C'est horrible. Tu n'as pas besoin de connaître les détails.
– J'ai grandi avec Père, Zuko. J'ai été sur des champs de bataille. Je l'ai vu faire torturer des hommes de mes propres yeux. Je n'ai pas besoin que tu ménages ma sensibilité. »
Zuko refusait de la regarder dans les yeux. Azula pouvait voir qu'il était au bord des larmes et elle pouvait presque distinguer la boule qui se formait dans sa gorge quand il parla :
« Sa poitrine était ouverte, dit-il à contrecœur. Quelqu'un a pris son cœur. Quel genre de monstre ferait cela ? Qui pourrait avoir de telles idées ? »
Azula tressaillit en entendant le mot maudit et pendant quelques instants, la tête lui tourna un peu, ses certitudes fondirent sur elle et elle se sentit très vulnérable.
Zuko s'affaissa contre la tête de lit, saisit son visage entre ses mains, enfonçant ses doigts dans ses orbites et se frotta les tempes avec ses pouces, comme pour dissiper une migraine fulgurante.
« C'est notre faute ! gémit-il. Nous avons attisé la colère contre les Sages et maintenant, voilà le résultat ! Cela ne devait pas aller aussi loin ! Ce n'était pas prévu !
– Oh, Agni ! s'exclama Azula, feignant la même affliction. Zuzu, je suis désolée. Je ne pensais pas que... C'est horrible !»
Zuko retira soudain ses mains de son visage et plongea ses yeux dorés dans les siens. Azula se retint de respirer quelques secondes tandis qu'il sondait son regard. L'instant était décisif. Si elle ne le convainquait pas maintenant qu'elle n'avait rien à voir dans cet attentat, il la soupçonnerait et il ne voudrait plus d'elle.
Monstre…
Il fallait être plus subtile.
« D'un autre côté, commença-t-elle en se rapprochant de son frère, veillant bien à ce que sa poitrine entre en contact avec son bras. Cela nous arrange. Cet incident est fâcheux mais il pourrait résoudre nos problèmes plus vite que nous le pensons... »
Zuko ouvrit la bouche, puis la referma, ouvrant de grands yeux stupéfaits.
« Comment peux-tu dire cela ? Un homme innocent vient de mourir ! Shyu était notre meilleur soutien parmi les Sages. C'est lui qui a convaincu les autres de renoncer aux charges contre toi. Sans lui tu serais en prison à l'heure qu'il est. Ou pire ! »
Azula fut soulagée de voir que malgré son indignation, la voix et les yeux de Zuko étaient dépourvus de la suspicion qu'elle avait cru y discerner juste avant. Elle ne le convaincrait pas en jouant la petite princesse épouvantée. Il serait plus disposé à la croire si elle restait le monstre de cynisme et de pragmatisme qu'il connaissait.
Monstre…
Qu'est-ce qui ne va pas chez cette enfant ?
« Je sais, Zuzu, et j'aurais aimé que ce soit quelqu'un d'autre. Comme cet idiot qui a fait ces immondes allusions pendant mon audience. Mais maintenant que les Sages savent que les Fils d'Agni les ont pris pour cible, ils vont te supplier de reprendre le pouvoir que tu leur as concédé !
– Je n'ai vraiment pas envie d'y penser maintenant ! s'écria-t-il.
Mais Azula pouvait voir à la façon dont il respirait que cet argument l'avait un peu apaisé. Elle décida qu'elle pouvait tenter une approche et elle enroula sa main autour de son cou pour le rapprocher d'elle.
« Viens, mon Amour, murmura-t-elle en l'attirant contre sa poitrine. Laisse Shin gérer la situation. Il l'a bien en main. Nous nous en préoccuperons demain. Tu dois dormir. »
Elle sentit Zuko se détendre contre elle. Elle se mit à lui caresser les cheveux et sourit quand sa voix étouffée marmonna :
« Arrête de m'appeler comme ça.
– Eh quoi ? Puisque je t'aime ! Il n'y a rien de mal à aimer son frère, non ? »
Zuko ne répondit pas mais il remua pour s'extraire de son étreinte.
« Où vas-tu ? Pourquoi ne restes-tu pas ? s'agaça-t-elle.
– J'ai dit à Shin que j'allais m'occuper de toi. Si les Fils d'Agni commencent à s'attaquer à nous, mieux vaut éviter de faire courir le bruit que tu passes la nuit dans mon lit, non ?
– Oh Zuko. Nous n'avons rien fait de mal, le taquina-t-elle.
Mais ce n'était pas le moment de jouer avec ses nerfs et elle jugea plus sage de lui épargner ses plaisanteries.
« Tu as raison bien sûr. Je vais emprunter le passage secret pour retourner dans mes appartements.
– Ce n'est pas sûr. Je t'accompagne et je reviendrai par la porte normale tout à l'heure. »
Un peu exaspérée par ces précautions inutiles, mais se souvenant que Zuko n'avait aucune idée de la vérité, elle accepta.
Ils se levèrent et prirent ensemble le passage secret, main dans la main. Sur le chemin ténébreux qui les ramenait à sa chambre, éclairés par la flamme vacillante que Zuko avait fait naître dans son autre main, Azula qui marchait derrière son frère se permit enfin un vrai sourire.
Tout se déroulait comme prévu.
