Tout d'abord, j'aimerais dédier ce chapitre à roseblack31. Je sais que ce n'est pas grand-chose, mais j'espère que ça aidera pendant un bref instant à supporter l'épreuve que tu vis en ce moment. Courage!

Ensuite, j'aimerais seulement vous avertir que ce chapitre est plutôt technique dans le sens qu'il comporte beaucoup d'explications et pas beaucoup d'action. Je me rattraperai dans le prochain ;)Oh, et pardonnez le titre pourri, j'étais à court d'imagination… Bonne lecture !

Chapitre 6

Un simple manque de communication

Le corps encore engourdi de sensations, Elizabeth soupira d'aise. Allongée sur le côté, la chaleur de son mari tout contre son dos, elle ne pouvait s'empêcher de sourire, la tête légère. Le feu rougeoyait dans l'âtre, diffusant une douce lumière dans la chambre. Un des bras de Darcy reposait sous son cou et l'autre, l'enserrant dans un étau ferme, entourait sa taille.

-'Je crois que maintenant serait le temps d'avoir notre conversation.' dit son époux après un moment, s'étirant un peu. 'Veuillez pardonner mon comportement ces derniers temps, Lizzie, j'aurais dû vous faire part de mes problèmes bien avant. Je suis très peu accoutumé à les partager, ayant été maître de Pemberley depuis si longtemps. Même lorsque mon père était vivant, j'ai vite appris à me débrouiller seul. La maladie l'a affecté pendant un long moment avant de l'emporter.'

Elizabeth serra doucement sa main pour le soutenir, regrettant ne jamais avoir rencontré son beau-père. Elle avait été si absorbée par son sentiment d'infériorité face à Lady Anne qu'elle n'avait jamais pris le temps de réfléchir à ce quel genre d'homme était Mr Darcy Senior. Charitable et bon avaient été les mots de Mrs Reynold et elle ne doutait pas qu'ils étaient vrais. Son mari ne s'était jamais ouvert sur ses parents et bien que sa curiosité fût forte, Lizzie n'aborda pas le sujet. Ils avaient tant à parler déjà, cette conversation devra attendre.

-'Je ne peux vous blâmer d'avoir agi de la sorte, Will. Maintenant que je repense à toutes ces semaines à Pemberley, je vois à quel point je n'ai pas été moi-même. Je n'ai pas su me montrer digne de vous, il est tout à fait normal que vous n'ayez pas eu le réflexe de vous confier à moi…'

-'Je crains être responsable, une fois de plus, de ce phénomène. Si j'avais pris le temps de vous enseigner les rudiments de la maison, vous n'auriez pas porté ce masque de solitude pendant tout ce temps. Mes affaires ont tellement hantés mes pensées que j'en ai complètement oublié tout le reste, incluant ma propre femme.'

Lizzie se tourna sur elle-même pour lui faire face. Les yeux de son mari reflétaient une culpabilité qu'il ne méritait pas. 'Non, ce n'est point de votre faute, Will. J'ai essayé de remplir des chaussures qui ne m'allaient pas. J'ai cru tout d'abord que suivre les traces de votre mère m'accorderait l'approbation de nos domestiques. Cependant, je ne suis pas Lady Anne Darcy et ne pourrai jamais l'être. Je ne peux aspirer qu'à donner le meilleur de moi-même.'

Darcy fronça les sourcils. 'Est-ce vraiment ce qui vous obsédait?'

-'Oui, aussi enfantin cela puisse paraître.'

-'Lizzie, il y a quelque chose que vous devez savoir.' Commença-t-il sérieusement. 'Pemberley avait une valeur inestimable aux yeux de mon père. Comme son père avant lui, il chérissait cette demeure comme le plus grand trésor qu'un homme puisse posséder. Il m'a transmis cette affection et il n'y a meilleur endroit que Pemberley à mes yeux.'

Il se tut pendant un moment, jouant distraitement avec une boucle de ses cheveux, puis poursuivit, hésitant. 'Lorsque mon père a marié ma mère, leur union était des plus avantageuses pour les deux partis. Je ne pourrais affirmer que mes parents s'aimaient profondément, mais je crois qu'une grande affection et une profonde complicité les unissaient. Leur respect l'un pour l'autre ainsi que leur sens du devoir ont menés cette maison efficacement, mais malgré toute l'attention que ma mère portait à Pemberley et ses habitants, je sais qu'elle n'était pas heureuse ici. Elle ne me l'a jamais dit directement, bien sûr, mais je pouvais sentir qu'elle souhaitait retourner à la ville. Pemberley n'est pas ce qu'il y a de plus, disons…urbain.'

Elizabeth se remémora les mots qu'elle avait lus plus tôt, dans le journal de sa belle-mère. Elle avait donc visé juste en pensant que Lady Anne ne ressentait que solitude dans cette immense demeure. 'Cela n'empêche pas que son rôle ici était apprécié de tous les domestiques. J'ai fait tant d'erreurs depuis mon arrivée que je ne pourrai jamais aspirer à une telle perfection.' Soupira-t-elle en faisant une légère moue.

-'Ma mère avait certes un don pour diriger Pemberley selon les règles. Cependant, elle conservait une certaine distance, même froideur, envers tous ceux qui ne relevaient pas de son rang. Cet orgueil que vous avez tant détesté en moi lors de nos premières rencontres est le résultat de mon éducation en sa compagnie. Elle m'a toujours enseigné à respecter les rangs sociaux et à me souvenir de ma valeur en tant qu'homme.'

-'Oh, ça, je me rappelle très bien. Il y a un temps où vous me trouviez tolérable, mais pas assez jolie pour vous tenter. Comment auriez-vous pu trouver une petite bourgeoise de votre goût alors que vous étiez le Darcy?'

Le visage de son mari se décomposa. 'Vous avez entendu cela?'

Elizabeth éclata de rire devant son expression mortifiée et enferma son visage au creux de sa main. 'Ne vous inquiétez pas, je ne vous en tiens plus rancune. Je dois avouer que cela n'a pas toujours été le cas, mais j'ai appris à découvrir un tout autre homme sous cet orgueil et cela a considérablement apaisé mes sentiments négatifs envers vous. Qui aurait cru que sous ces airs prétentieux se cachait un homme généreux et tendre?'

Darcy eut un léger sourire. 'Il faut remercier mon père pour cela. Après la mort de ma mère, il s'est chargé de mon éducation et m'a appris qu'être maître de Pemberley était beaucoup plus que faire des apparitions dans les bals ou paraître à son meilleur dans les assemblées. Certes, ce sont des obligations, mais ce n'est pas le plus important. Je me souviendrai toujours de ses mots : Fitzwilliam, m'a-t-il dit, un homme ne se mesure pas au nombre de richesse qu'il porte sur le corps ou à la grosseur de sa propriété, mais bien par son intérêt et sa bonté envers les gens dont il est responsable.'

-'Votre père était un homme sage.' Commenta doucement la jeune femme.

-'Il était très généreux, mais malheureusement très peu doué pour les réunions publiques.' Répliqua-t-il avec un petit rire. 'Je dois avoir hérité de son malaise en société, préférant la réclusion de Pemberley. Je n'ai pas votre charme en présence de compagnie.'

-'Vous me flattez, Will, mais je crains que mon tempérament ne s'accorde point à la vie mondaine.'

-'Votre vivacité a toujours été une qualité que j'admire, vous le savez bien.'

-'Je crois que cette vivacité ne soit guère appréciée dans la sphère sociale à laquelle j'appartiens à présent.'

-'Lizzie, ne prenez pas mal ce que je vais vous dire.' L'avertit-il. 'En vous épousant, j'étais parfaitement conscient que votre venue à Pemberley serait le sujet de beaucoup de désapprobation. Je ne peux leur en vouloir; moi-même, aussi honteux cela puisse-t-il être, j'ai tout d'abord cru que vous n'étiez pas de la trempe de la haute société. Pourtant, en apprenant à vous connaître et en découvrant votre force et votre cœur, je me suis vite senti inférieur à vous. J'ai réalisé que tout ce que je croyais faire une grande dame était superficiel. Votre intelligence, votre chaleur, votre dévotion pour les gens que vous aimez font de vous une des plus grandes dames de ce pays.'

-'Vous oubliez mon caractère impulsif et un peu trop franc.'

-'Une personne ne peut avoir que des qualités.' Répondit-il en lui embrassant le bout de son nez. 'Mes convictions se sont effondrées au fur et à mesure que je suis tombé amoureux de vous. Vous êtes comme un soleil, une source de chaleur qui irradie et touche tout ce qui l'entoure. Vous êtes ce qu'il y a de mieux pour Pemberley. Vous avez dit vous comparez à ma mère; ne le faites point. Ma mère a su tenir cette maison avec rigueur, mais vous saurez l'ensoleiller par votre personnalité et votre affection. Je l'ai remarqué l'été passé, lors de votre visite; vos yeux brillaient, votre visage était vibrant de joie. J'avais l'impression que l'énergie de Pemberley irradiait en vous et je crois que c'est à ce moment que j'ai compris à quel point vous étiez parfaite pour moi et pour cette maisonnée. Et, Lizzie, ne doutez jamais de mon admiration pour vous. J'ai honte de ce que j'ai pu dire sur vous cette soirée-là, où vous avez entendu mes commentaires désobligeants…J'ai depuis longtemps changé d'avis et vous considère comme la plus belle femme que je connaisse.'

Son regard si sérieux l'aurait fait éclater de rire à nouveau, mais Elizabeth se retint, consciente de l'importance que cette déclaration avait aux yeux de son époux. 'Merci, Will.' Dit-elle simplement, déposant un baiser sur ses lèvres.

Après un moment de silence, Darcy poursuivit, l'air soudainement sombre: 'Cependant, les vieilles habitudes disparaissent difficilement et j'ai bien peur que votre intégration ne requiert beaucoup de patience. Envers moi et envers cette maisonnée. Mais surtout envers moi, j'en ai bien peur. La pression est un facteur qui joue beaucoup sur mon humeur, j'ai du mal à la gérer correctement.'

Elizabeth se leva sur son coude, à l'écoute. Elle ressentait une telle chaleur en son cœur maintenant! De savoir que son mariage n'était pas voué à l'échec et que les temps sombres qu'ils venaient de vivre n'étaient qu'un manque de communication la rassurait énormément. 'Que se passe-t-il, Fitzwilliam? Je vous prie, racontez moi. Ainsi, je serai apte à vous aider et, surtout, à vous comprendre.'

-'Je ne sais pas…' hésita Darcy. 'Ce n'est pas de coutume d'alourdir la conscience de sa femme avec ce genre de choses.'

-'Je ne suis pas une femme « de coutume ». Comprenez qu'il est plus pénible pour moi de vous voir ainsi que d'être dans l'ignorance.'

Après un moment, il se résigna à lui raconter les détails de ses transactions et les problèmes qu'il rencontrait. Ayant instauré ce projet il y a déjà plus d'un an, Darcy avait mis sur pied une compagnie de transport de marchandises par voies maritimes, les navires ayant fait leur premier voyage il y a un peu plus de deux mois, avant la venue de l'hiver. Deux destinations étaient prévues; la moitié de la flotte devait se rendre en France et l'autre en Espagne. Les marchandises étaient de nature multiple, majoritairement du charbon et du coton filé, compagnies dans lesquelles Mr Darcy Senior avait mis beaucoup d'énergie en son temps et qui, avec l'économie allant toujours bon train, valait une petite fortune. La flotte, composée d'une demi-douzaine de bateau, avait été construite sur Queen's Island près de Belfast par la compagnie Harland & Wolff. De bonne qualité, ces navires de marchandises irlandais avaient fait la route jusqu'à Liverpool tout d'abord, où le coton provenant de Lancashire y avait été chargé, puis par Bristol où le charbon des mines aux abords de Cornouailles avait été embarqué à son tour. Quoi que rentable, ces voyages n'étaient rien comparés aux plans que Darcy et ses associés avaient quant à l'avenir de cette flotte; pour l'instant, de courts voyages étaient de mises afin de tester la navigabilité des navires, mais la prochaine année allait voir un important trafic sur la mer Atlantique. En effet, les Caraïbes étaient une destination de choix pour le commerce du sucre, du rhum et de plusieurs autres produits exotique très en demande en Europe. Ainsi, la rareté des denrées allait non seulement satisfaire un vaste public, mais aussi rapporter une considérable fortune.

-'Est-ce si grave?' s'inquiéta Elizabeth en voyant la mine de son époux.

-'Trois navires représentent une importante somme d'argent, Lizzie, non seulement par la valeur des navires eux-mêmes, mais surtout par la marchandise qu'ils contenaient. Nous nous efforçons tous de remplir les caveaux de bons produits manufacturés en des termes équitables pour les travailleurs et peu de gens peuvent se vanter de faire de même malheureusement. L'utilisation de femmes et d'enfants en bas âge dans les usines pour un maigre salaire n'est pas rare. Être honnête ne rapporte pas beaucoup en notre époque.'

-'Donc si les navires sont perdus, que se passera-t-il?'

-'Hélas, je crains que la survie de mes entreprises en dépendent. J'ai déjà investi une grande somme dans tout ceci, je ne pourrai pas les garder à flots si les profits provenant des marchandises sont perdus. Ces revenus allaient nous assurer une stabilité financière dès le premier voyage, couvrant en grande partie les frais encourus jusqu'à maintenant. Sans cela, les coûts sont énormes, même pour un homme comme moi. J'ai pris un risque en agissant ainsi, en étant convaincu que rien n'irait de travers et que les navires rentreraient à bon port sans dommages.'

-'Que pensez-vous qu'il soit arrivé?'

-'Je ne sais pas.' Avoua Darcy, un brin d'agacement dans sa voix. 'Il y a la possibilité des pirates, bien sûr, mais la distance n'était pas si grande entre Bristol et les ports de France et d'Espagne, et je ne suis pas convaincu qu'un tel évènement se soit produit. Les navires semblent avoir disparus.'

-'Vous croyez qu'il y a eu une mutinerie?'

L'expression de son mari se rembrunit encore plus. 'Même si je souhaite de tout mon être que ce soit faux, j'ai bien peur que cette explication soit la plus plausible. Je croyais avoir engagé des hommes de confiance afin de veiller sur la marchandise et j'ai honte de m'être trompé sur leur compte.'

Darcy soupira, s'allongeant sur le dos, les mains derrière la tête. 'Ce n'est pas ce qui me tracasse le plus, Lizzie. Tellement de gens dépendent de moi! Des familles entières reposent sur le salaire que mes entreprises offrent, comment puis-je dormir alors que je serai peut-être celui qui les mènera à leur tombe? C'est sans parler des conséquences que mes actions auront pour vous… Je n'aurai pas la conscience tranquille tant et aussi longtemps que tout ne sera pas réglé.'

Elizabeth soupira, réalisant avec tristesse quel poids cela devait être pour lui. 'Pemberley est une grande propriété; nous sommes encore très loin de la pauvreté, navires ou non. Certainement cela change quelque chose pour vos entreprises?'

Darcy secoua la tête. 'Ce n'est pas aussi simple. Même si Pemberley à elle seule me rapporte ma fortune annuelle, beaucoup de cet argent est déjà investi. Advenait que je perde ces entreprises, j'aurais tout de même à payer une forte somme en dédommagements, sans parler de l'engagement que j'ai pris envers Harland & Wolff. Il faut repayer les navires, surtout, perdus ou non.'

-'Ne le sont-ils pas?'

-'Seulement en partie, bien sûr. Même si notre situation est très favorable, Lizzie, n'oublie pas que notre richesse a ses limites. Je ne suis pas un aristocrate, bien que je fréquente leur cercle. Je ne suis qu'un membre de la gentry, certes fortuné, mais pas royalement attitré non plus.'

-'Je croyais qu'en vous associant avec tous ces messieurs le prix serait couvert…' répondit Elizabeth, un peu penaude devant sa naïveté. Maintenant qu'elle y pensait, il était vrai que malgré l'avantageuse position de Darcy dans la société, il était loin d'être l'homme le plus riche de l'Angleterre et ne disposait donc pas d'argent à volonté. Pourtant, dix mille livres par an semblait une telle fortune!

-'Nous avons tous investit à différent degré. J'ai fourni une bonne partie du montant, Bingley me secondant, et nos quatre autres associés ont partagé le reste. Nous divisons les parts selon le pourcentage de participation et fournissons de nos entreprises les marchandises nécessaires à remplir les caveaux.'

-'Qu'arrivera-t-il si les usines doivent être fermées?'

-'Non seulement je n'aurai plus les ressources pour remplir les trois navires restants et ainsi espérer pouvoir regagner ce que j'ai perdu, mais j'aurai une dette énorme envers la compagnie navale et une très mauvaise réputation auprès de mes présents associés. Eux-mêmes ont pris un risque acceptant de développer leurs exploitations et ne disposant pas de moyens comme les miens, cela affectera grandement leur situation. Une solution serait de me départir de Pemberley afin de rembourser tous les investissements que j'ai faits, pour garder mes usines à flots et dédommager mes associés. Ainsi, j'ai la conscience tranquille, mais me résoudre à vendre Pemberley me brise le cœur.'

Il poussa un long soupir et Elizabeth se blottit contre son torse, appuyant sa tête sur son épaule. Puis, après un moment de silence, Darcy murmura : 'Je sais que mon attachement pour Pemberley semble superficiel, Lizzie, mais comprenez mon tourment. Mon père y accordait une grande affection, comme son père avant lui, tirant de cette propriété une fierté d'une force incomparable à tout autre accomplissement. J'aurai l'impression de souiller leur souvenir si je n'arrive pas à régler toute cette histoire.'

Lizzie lui prit le visage entre ses mains, plongeant son regard dans le sien. 'Votre attachement n'a rien de superficiel, Will, et je comprends très bien les raisons qui vous pousse à agir de la sorte. Maintenant que je suis informée de vos tracas, je serais incapable de vous en vouloir de passer autant de temps à travailler. Et croyez-moi lorsque je vous dis que vous ne devez pas vous inquiétez pour nous; peu importe le sort que le destin nous réserve, je ne ferai aucun caprice. Tant et aussi longtemps que je suis avec vous, je ne regretterai rien. Ni Pemberley, ni les richesses, ni les connections. Je comprends votre attachement. J'avoue même en être parfois jalouse, mais je ne peux pas vous reprocher de vouloir honorer la mémoire de votre famille. Cette propriété est un paradis terrestre et je ferai tout ce que je peux pour que vous n'ayez pas à vous en défaire.'

Darcy ferma les yeux, expirant bruyamment. Sa voix était rauque lorsqu'il lui dit : 'Je ne vous mérite pas. Vous méritez une vie de rêve, un homme présent à vos côtés, un homme qui vous comblera de cadeaux et d'attentions, de poèmes et de sourires. Je ne peux vous offrir qu'une place à mes côtés, dans mes bras, lorsque la nuit est tombée. Et je me sens horrible de vous traiter de la sorte.'

-'Ne parlez pas ainsi, ces remords sont inutiles et ne font qu'ajouter du poids au fardeau déjà si difficile à porter.'

-'Vous-même avez cru que je vous utilisais, Lizzie. Ces mots me hantent depuis, inlassablement présent en mon esprit. Je n'arrive pas à m'exprimer correctement, mes humeurs prenant le dessus sur ce que mon cœur ressent réellement. Lorsque vous m'avez accusé de vous traiter en femme de bas rang, et vous ne pouvez savoir à quel point j'ai honte d'avoir répondu comme je l'ai fait, mon corps tout entier souffrait de vous savoir ainsi bouleversée, de savoir que j'échouais complètement dans le rôle d'époux. J'aurais dû être plus patient, plus ouvert, mais mon obstination à ne rien dévoiler m'emprisonnait dans un tourbillon d'énergies négatives, me transmettant une soif de retrouver cette stabilité dans laquelle j'ai l'habitude de vivre. Je crains m'être une fois de plus fourvoyé dans mes capacités; j'échoue en tant qu'homme d'affaires, mais pire que tout, j'échoue en tant que mari.'

Lizzie le fit taire aussitôt. 'Ne dites pas des choses pareilles, c'est complètement faux. Vous n'êtes pas le seul coupable dans notre dispute, j'en prends responsabilité aussi. Maintenant que c'est réglé, arrêtons de nous morfondre sur ce que nous aurions dû faire ou ne pas faire, et recommençons depuis le début.'

Darcy eut un petit sourire. 'Depuis le début?' Sous les couvertures sa main avait remonté la chemise de nuit de sa femme et Lizzie pouffa de rire. Les yeux de Darcy, déjà brillants de désir, s'éclairèrent encore plus lorsqu'il se joignit à son rire, révélant enfin ce sourire qu'elle avait vu si rarement dans les dernières semaines.

(-*-)

Lorsque tous les invités furent partis et que le calme s'installa enfin à Pemberley, Lizzie fut heureuse d'avoir du temps pour être seule à seule avec Jane. Réalisant à quel point sa sœur lui avait manquée, elle passait le plus clair de son temps en sa compagnie, partageant ses après-midi entre le petit salon, la bibliothèque et la salle de dessin. Bingley et Darcy passaient leur journée en privé et n'apparaissaient que pour les repas, mais aucune des deux femmes ne s'en plaignait, conscientes de l'importance de la situation. Elizabeth n'était pas retournée dans la chambre bleue et n'avait pas relu le journal d'Anne Darcy depuis la veille de Noël, chassant ces détails de son esprit pour profiter du maximum de temps avec sa famille. Maintenant plus confiante dans les sentiments que lui portait son mari, et rassurée dans le fait qu'il la croyait sincèrement capable de gérer Pemberley, il lui semblait déjà plus facile de diriger la maisonnée sans trop trébucher.

Elizabeth et sa sœur profitait du soleil matinal pour accomplir quelques travaux de broderies dans le petit salon lorsque Jane, qui ne portait pas son sourire habituel depuis le début de la journée, se décida enfin à se confier.

-'Lizzie, je dois absolument te parler de quelque chose.' Dit-elle sombrement. 'Concernant Lydia.'

Aussitôt alerte, la jeune femme se pencha vers Jane, qui avait baissé la voix. 'Que se passe-t-il? Qu'a-t-elle encore fait?'

-'Il n'y a rien de certain, bien sûr, mais ma visite il y a quelques semaines me fait craindre que son bonheur soit à risque. Mr Wickham a déjà presque dilapidé l'argent que Mr Darcy lui a versé et tu sais que la dote de Père ne suffit pas à les financer. Je ne sais pas comment ils pourront vivre, surtout avec un enfant dans quelques mois, s'ils continuent à dépenser sans compter.'

-'Lydia n'a jamais eu le sens de l'économie.' Commenta Elizabeth d'un ton de reproche.

-'Oh, ne soit pas si dure envers elle, Lizzie, elle est encore si jeune…Elle vient tout juste d'avoir seize ans et déjà elle est mariée et en famille! C'est si tôt…'

-'Si elle avait su se comporter comme une dame plutôt que de se jeter dans les bras du premier homme lui faisant la cour, elle ne se retrouverait pas dans cette situation. Si elle avait attendu quelques années avant de se marier…' Elizabeth soupira. Elle blâmait sa sœur injustement pour beaucoup de chose; Lydia était encore seulement une enfant et Wickham était le responsable de ce mariage précoce. Après tout, son beau-frère avait tenté de faire de même avec Georgiana et pourtant la jeune fille était réputée pour son comportement exemplaire. 'Je crains que ce ne soit trop demander de Lydia, d'être raisonnable et, surtout, patiente. Espérons que l'enfant à venir saura lui donner un peu de raison.'

Jane hocha lentement la tête. 'Je l'espère aussi.'

-'Avait-elle l'air…heureuse…de la venue de cette enfant?'

Sa sœur garda son regard sur le travail de broderie qu'elle effectuait lorsqu'elle répondit : 'Oui, très heureuse. Seulement…'

-'Seulement quoi, Jane?'

Celle-ci soupira, profondément troublée. 'Lydia est convaincue que la venue de son enfant ramènera Mr Wickham à ses côtés. Elle m'a dit, alors que nous discutions en privé, qu'elle était persuadée que son époux ne pourrait plus rien lui reprocher et qu'il reviendrait auprès d'elle. Il sort tous les soirs, bois et joue beaucoup. Elle ne le voit presque plus et, pardonne-moi la franchise de mes mots, je crains qu'il ne fréquente le quartier des filles de joie.'

Lizzie se sentit désolée pour sa plus jeune sœur, si naïve et malchanceuse en amour. Malgré les erreurs qu'elle ait pu commettre, ruinant presque la réputation de son entière famille, Elizabeth ne pouvait se résoudre à en vouloir à Lydia. Elle était du même sang après tout, ayant grandi avec elle sous le même toit. Elle lui avait appris à broder et Jane à peindre. Toutes les cinq avaient fait d'innombrables pique-nique ensemble et des milliers de promenades. Lizzie ne pouvait faire disparaître ce pincement en son cœur lorsqu'elle pensait à sa cadette dont la vie dégringolait lentement.

-'Lydia le sait-elle?' demanda-t-elle avec une certaine hésitation.

Jane haussa les épaules. 'Je serais plus heureuse qu'elle ne le sache pas, pour lui éviter la douleur d'une telle nouvelle. Je crois cependant qu'elle le sait, mais se refuse à le croire. Elle semblait si convaincue que tout s'arrangera pour le mieux avec la venue du bébé. Elle est persuadée que c'est un garçon.'

-'Oh, pauvre Lydia…poser ses espoirs sur son enfant alors que le problème ne se réglera pas de cette manière, c'est tout simplement insupportable.'

-'Je n'arrive plus à dormir confortablement depuis, Lizzie, je ne sais pas ce que je peux faire! J'ai peur des conséquences que pourrait lui apporter le manque de changement dans sa vie lorsque le bébé sera au monde.'

-'Mr Wickham ne changera pas de comportement pour son enfant.'

-'Je le souhaite ardemment, peu importe l'improbabilité. Après tout, les gens peuvent parfois nous surprendre. Espérons que la présence de sa descendance saura agrandir le cœur de Mr Wickham et atténuer la naïveté de Lydia.'

-'Ma très chère Jane, je crains que nous ne puissions pas agir en sa faveur pour le moment. Ils ne sont pas sans ressources pour l'instant, avec l'argent que William leur verse chaque mois.'

Jane approuva en soupirant, posant tissu, aiguille et fils sur la petite table à côté d'elle. 'Tu as raison. Nous avons encore le temps de l'aider si la situation nous y force.'

Lizzie déposa son travail à son tour, suivant le regard de sa sœur qui regardait par la fenêtre. 'Qu'y a-t-il, Jane? Quelque chose d'autre te tracasse?'

Sa sœur eut un mince sourire. 'Non, pas du tout. Je ne faisais que songer à quel point le Derbyshire est magnifique. Pemberley est une merveille.'

Elizabeth en ressentit une pointe de fierté, observant elle aussi les jardins enneigés, mais c'est un long soupir qui traversa ses lèvres en songeant à la captivité que l'hiver offrait. 'J'ai si hâte de pouvoir sortir!' se plaignit-elle en se levant pour dégourdir ses jambes. 'Il fait encore si froid qu'une promenade est impossible. Les couloirs de la maison n'offre pas la liberté du grand air et je crains que cet enfermement ne me pèse sur le moral.'

Jane eut un sourire compatissant. 'Tu as toujours été ainsi, à vouloir te promener partout! Ne désespère pas, Lizzie, bientôt le printemps cognera à ta porte et tu auras tout le loisir de sortir.'

Les journées passèrent trop vite et bientôt Jane et Mr Bingley furent sur leur départ. Ils étaient attendus chez Mr Bingley Senior et sa femme et Elizabeth regarda partir sa sœur avec regret. Les deux semaines qu'elle avait passé en sa compagnie avait été rassurante, tout comme si elle retrouvait enfin sa vraie personnalité. De plus, elle avait eu la possibilité de se confier à Jane, de soulager son cœur lourds de doutes et questionnements. Comment allait-elle supporter d'être cloîtrée ainsi sans personne à qui parler? Pour couronner sa solitude, Darcy lui annonça un soir qu'il devait partir pour le Lancashire le jour suivant afin de régler un problème d'émeute et qu'il passerait ensuite par Londres afin d'assister à d'importantes réunions avec ses associés. Lizzie accueillit la nouvelle avec le plus de calme possible, essayant de dissimuler sa peine et son besoin de sa présence à ses côtés.

-'Combien de temps serez-vous parti?' demanda-t-elle d'une voix qui se voulait neutre, mais qui ne dupa point son mari.

-'Un mois, deux tout au plus. Je sais que c'est une longue absence, Lizzie, mais je n'ai pas le choix.'

-'Je sais.'

Dans les bras l'un de l'autre, soutenus par d'épais oreillers, Elizabeth aurait voulu rester ainsi pour le reste de sa vie. Darcy caressait doucement ses longs cheveux, les deux biens au chaud sous les couvertures. 'J'espère seulement que la température sera plus clémente.' Murmura Lizzie en entendant les vents rugir contre les fenêtres. 'Je n'aimerais pas savoir que vous voyagez en pleine tempête.'

-'Les routes sont difficiles, mais faisables. Ne vous inquiétez pas, je saurai être prudent.'

Elle enfouit son visage contre son torse, humant l'odeur masculine de son corps afin de ne pas l'oublier pendant son absence. Son être tout entier redoutait les journées qu'elle passerait seule à Pemberley. Toujours aussi peu démonstratif en public, Lizzie devait se contenter des nuits pour faire le plein de son amour, pour le toucher et l'aimer ouvertement. 'Reviens vite, Will.' Souffla-t-elle sur sa peau, serrant son étreinte.

-'Le plus vite possible, je te le promets.'

(-*-)

Elizabeth regarda le fiacre emportant son mari loin d'elle avec un mélange de tristesse et d'abattement. Maintenant seule dans la grande maison, elle allait devoir supporter les longues nuits sans la chaleur de son mari pour la réconforter. Heureusement, la température s'était réchauffée un peu et c'est avec un souci de moins qu'Elizabeth se déroba de la fenêtre derrière laquelle elle s'était postée pour regarder Darcy s'éloigner de Pemberley. S'entourant de ses bras, elle jeta un coup d'œil autour d'elle, observant les riches décorations du petit salon. Tout semblait si vide…

Les jours passèrent dans un silence presqu'absolu. Le temps étant toujours clément, Lizzie se risqua même à faire quelques promenades d'une dizaine de minutes à l'extérieur pour se donner un peu de courage et, surtout, pour remplir ses poumons d'air frais. Comme la nature lui manquait! Elle pouvait déjà s'imaginer parcourant les jardins et les bois de Pemberley au printemps alors que les arbres sont en fleurs; les oiseaux qui chantent, la brise fraîche lui caressant le visage, ses pieds foulant la terre à un pas rapide, zigzaguant dans la campagne et entre les arbres afin d'explorer tout ce que la propriété renfermait comme secrets.

Jane lui écrivait régulièrement, racontant ses journées dans sa belle-famille et son retour à Netherfield, où le reste de la famille Bennett visitait aussi souvent que possible. Lizzie était quelque peu soulagée de savoir Pemberley à une si grande distance Longbourn; non pas qu'elle n'appréciait pas la compagnie de ses parents ou du reste de ses sœurs, mais sa patience était courte envers le caractère excessivement nerveux de sa mère. Tous lui manquaient tout de même et Elizabeth se promis de les inviter au début de l'été, lorsqu'elle serait de retour de la Saison. Charlotte lui écrivait aussi pour lui parler de son fils, Oliver, qui était né au milieu du mois de décembre. Lorsqu'elle n'était pas à son secrétaire pour entretenir sa correspondance, Lizzie passait son temps à parcourir les pièces de Pemberley et s'enquérir auprès des domestiques. Elle s'efforça à retenir tous les noms des habitants de la maisonnée et si tout d'abord cette pratique en surprit plus d'un, une atmosphère plus respectueuse s'installa peu à peu.

Une nuit, environ une semaine après le départ de Darcy, Elizabeth n'arrivait à dormir et décida de descendre à la cuisine pour boire une tasse de thé. Ne souhaitant pas réveiller sa suivante pour cette raison, elle enfila un peignoir et se rendit à pas feutré dans le quartier des domestiques. Il n'était pas très tard et elle entendit de grands éclats de rire provenant du fond du couloir. Après quelques minutes à suivre les bruits, elle aboutit devant une porte banale dont la base laissait filtrer de la lumière et dessinait de multiples ombres. La mélodie d'un violon et les tapements de pieds lui fit deviner qu'une danse avait été organisée par le personnel et plutôt que de s'en offenser, Lizzie sentit ses pieds battre au rythme de la musique. Quelle excellente idée d'organiser une fête en une soirée aussi froide!

Sans plus réfléchir, elle cogna à la porte. Lorsqu'on lui ouvrit, le visage souriant du domestique se décomposa et tout mouvement cessa dans la pièce, les corps s'immobilisant dans leur position de danse. Quelques secondes s'écoulèrent avant que tous les participants s'alignent et lissent leurs habits, les yeux se croisant d'un air inquiet. Une femme, qu'Elizabeth avait déjà vu s'occuper des tentures, s'avança et fit la révérence.

-'Madame. Veuillez nous pardonner notre entrain, nous sommes samedi soir et nous pensions que la musique était suffisamment basse pour ne pas vous importuner.'

Lizzie eut un sourire. 'Il n'y a aucun mal à ce que vous vous amusiez, Mrs Jill, je trouvais justement cette musique des plus délicieuses. Qui en est l'auteur?'

Un malaise s'installa alors que de nouveaux les domestiques échangèrent des regards incertains. Puis, sortant de derrière deux grands hommes, un jeune garçon d'une vingtaine d'années s'avança. 'C'est moi.' Dit-il d'une voix grave et confiante.

Elizabeth inclina légèrement la tête, geste auquel il répondit avec politesse. 'Vous jouez magnifiquement bien, Mr…?'

-'O'Shee, Madame. Patrick O'Shee.'

-'Mr O'Shee, vous avez la chance de savoir jouer d'un instrument que j'affectionne particulièrement. Êtes-vous le fils d'un de mes domestiques?'

-'Non, Madame, je suis de Lampton. Je travaille comme homme à tout faire là-bas et on m'a invité à distraire ces bons gens.'

Il avait l'accent d'un paysan irlandais et Elizabeth s'amusa de la sonorité des mots. Voyant que tous attendaient qu'elle les gronde et les renvoie se coucher aussitôt, elle l'incita plutôt à poursuivre en lui demandant : 'Puis-je vous entendre jouer?'

Quelques instants suffirent pour que le jeune homme réponde d'un chaleureux sourire. 'Bien sûr, Mrs Darcy.' Il porta l'instrument sous son menton et l'archet s'activa contre les cordes. La mélodie qu'il interpréta n'était pas faites pour la danse, néanmoins Lizzie trouva dans les lamentations un baume pour son cœur solitaire et c'est avec délice qu'elle accueillit la chaleur de se retrouver en bonne compagnie. Le silence dans la pièce lui fit oublier la présence de ses domestiques et elle se contenta d'écouter les sons parfois aigues parfois graves que produisait le violon. Lorsqu'il eut fini, Elizabeth applaudit chaudement et fut joint par quelques autres. 'Magnifique, comme je le disais.' S'exclama-t-elle chaleureusement, puis, voyant que le malaise était toujours présent, demanda : 'Puis-je utiliser la cuisine pour une tasse de thé?'

-'Tout de suite, Madame.' Quelqu'un s'empressa de répondre, disparaissant par une porte au fond de la pièce.

-'Vous pouvez poursuivre votre soirée.' Invita Lizzie à l'adresse de l'auditoire avant de suivre le même chemin.

La femme en charge du thé fut surprise de voir la jeune femme s'installer à la grande table de bois. Elle s'affaira à faire bouillir de l'eau et sortir une tasse de la grande armoire contenant la précieuse vaisselle en porcelaine de Chine. Lorsque l'eau fut prête, la servante mit le tout sur un plateau et Elizabeth s'interposa : 'Si cela ne vous dérange pas, je le prendrai ici. Vous pouvez retourner avec les autres, je vais me contenter d'écouter, ce n'est pas un problème.'

-'Je ne sais pas…je ne sais pas si…'

-'Ne vous inquiétez pas, je serai parfaitement capable de me débrouiller toute seule. Je sais faire du thé.'

Après un autre moment d'hésitation, elle céda et se retira par la porte où elles étaient entrées. Lizzie entendit les murmures de conversation, mais aucune musique. Avait-elle gâchée leur soirée? Alors qu'elle buvait le liquide brûlant, une petite tête se détacha au-dessus de la table de bois en face d'elle. Les longs cheveux de l'enfant était nattés, ses petits yeux engourdis de sommeil.

-'Que fais-tu encore debout, Sophie?' lui demanda Lizzie, un petit sourire aux lèvres, alors que l'enfant contournait le meuble pour se poster à côté d'elle. La fillette haussa des épaules, silencieuse, serrant un peu plus fort la poupée défraîchie qu'elle tenait dans ses bras.

-'C'est ta poupée?'

-'Oui, Madame.'

-'Je peux la voir?'

Le jouet était dans un pauvre état, cela allait sans dire. Les nombreux raccommodages avaient transformés la robe en un labyrinthe de coutures et un des bras était plus court que l'autre. Le visage délavé de la poupée lui faisait sérieusement peur et c'est avec pitié qu'elle la redonna à la petite. Sophie la remit aussitôt au creux de son coude, serrant la vieillerie contre son torse.

-'Tu veux du thé?' proposa-t-elle, heureuse d'avoir un peu de compagnie.

Elle secoua aussitôt la tête avec véhémence. Lizzie essaya de nouveau. 'Tu es sûre? Je me sens bien seule ici, ce serait bien de pouvoir discuter avec quelqu'un.'

Sophie hésita, mordant nerveusement sa lèvre inférieure. Elle prit finalement place près de Lizzie et fixa la tasse qu'elle lui servit sans la toucher. 'Qu'y a-t-il?' demanda finalement la jeune femme en voyant qu'elle ne bougeait pas.

-'Maman ne veut pas que je touche à ces tasses.' Répondit l'enfant d'une petite voix. 'Elle dit que je casse toujours tout.'

-'Et bien, moi je te le permets. Si tu as peur de la briser, tiens-la bien au-dessus de la table. Voilà, comme ça. Attention, c'est chaud.'

Sans savoir pourquoi, Lizzie s'était attachée à la fillette aussitôt qu'elle avait plongé son regard dans ses grands yeux verts. Elle était si mignonne, si délicate… Comment ne pas tomber sous le charme d'un visage si angélique?

-'Dis-moi, que fais-tu lorsque ta maman travaille?' demanda-t-elle au bout d'un moment, ajoutant un peu de lait au thé de l'enfant.

Sophie réfléchit un instant, les petits doigts crispées sur la tasse. 'J'aide…ou je joue avec Poppy.' Répondit-elle en pointant la forme asymétrique de sa poupée. 'Parfois maman me laisse aller jouer dehors.'

-'Et tu aimes Pemberley?'

Elle hocha vivement la tête et cette fois un sourire se dessina sur ses lèvres. 'Oh, oui. En été, je peux aller jouer dans le parc et avec les chiens. Oh, ne le dites pas à maman, elle ne veut pas que je m'approche des chiens.' Ajouta-elle rapidement, inquiète. 'Maman a peur des chiens, elle dit qu'ils mordent et sont méchants. Mais moi je n'ai pas peur. Ils sont gentils.'

Elizabeth eut un petit rire. 'Oui, je suis bien d'accord. Mais il faut tout de même faire très attention, Sophie, ne vas jamais voir les chiens toute seule, tu me le promets?'

La fillette approuva de la tête solennellement. Puis, baillant aux corneilles, Lizzie lui proposa de la border et en moins de quelques minutes, elle se retrouva dans l'une des pièces destinées à loger les domestiques. Sophie, qui avait son petit lit dans le coin de la pièce, près du feu, s'installa rapidement sous les couvertures, serrant toujours Poppy contre elle. Dehors, le vent raflait les branches dénudées et les faisait s'érafler contre la fenêtre. La petite avala avec difficulté, ses yeux dardant vers les bruits de grattement.

-'Vous croyez que c'est un loup?' murmura-t-elle très bas.

Lizzie se pencha un peu plus vers elle, s'agenouillant près de son lit. 'Tu crois? Non, je ne crois pas…Je pense plutôt que ce sont des fées.'

-'Des fées?'

-'Oui, les fées des neiges. Elles ne sont là que pendant l'hiver et dansent toutes les nuits sur les fenêtres. Les cristaux que tu vois contre la vitre sont leur salle de bal. Ce que tu entends, ce sont leurs pieds qui tapent alors qu'elles dansent.'

Un grand sourire s'étendit sur le visage de la petite. 'Il y a des fées?'

-'Mais bien sûr! Elles ont de longues robes blanches et sont si minuscules que les humains les confondent avec des flocons de neige.'

La surprise dans le visage de la petite l'aurait fait éclater de rire tant elle était adorable. L'imagination des enfants était fertile et Lizzie était certaine que la nuit aller être ponctuée de rêves magiques pour elle.

-'Bonne nuit, Sophie. À bientôt, je l'espère.'

Elle embrassa doucement son front puis se releva pour sortir de la pièce. En se tournant, elle remarqua la silhouette de la mère de l'enfant, immobile dans le cadre de la porte. Son visage ne laissait rien trahir de ce qu'elle ressentait et Elizabeth se sentit rougir. 'Je suis désolée, je ne voulais pas…'

Que ne voulait-elle pas? Qu'y avait-il de mal à border une enfant sortie de son lit? Elle prit une grande inspiration, reprenant confiance. 'Elle était réveillée et j'ai cru bon de la ramener ici.'

-'J'espère qu'elle ne vous a pas dérangé, Mrs Darcy.' Marmonna la domestique en pénétrant dans la pièce, jetant un regard sévère à sa fille. 'Sophie, que t'ai-je déjà dit? Il ne faut pas-'

-'Oh, je vous en prie, ne blâmez pas l'enfant.' s'empressa de s'interposer Lizzie. 'Ce n'est pas sa faute, c'est moi qui ai insisté pour la raccompagner. Cela m'a fait plaisir.'

-'Merci.' Répondit la femme, un drôle d'air sur son visage. 'Puis-je…puis-je vous offrir quoi que ce soit?'

-'Oh, mais je ne voudrais point vous priver de la fête, Mrs…?'

-'Mrs Brown.'

-'Et bien, je ne voudrais point vous priver de joindre les autres, Mrs Brown, je saurai me débrouiller.'

La femme baissa légèrement la tête. 'La fête est terminée. Nous sommes désolés d'un tel comportement, Madame, cela ne se reproduira plus.'

Elizabeth haussa les sourcils. 'Pourquoi donc? Ce musicien possède un grand talent et il serait bien dommage de ne point profiter de la musique pour se divertir un peu.'

-'Je ne crois pas que…enfin…'

-'Il est tout à fait seyant de le faire, je n'y vois aucun inconvénient. En fait, je serais bien attristée de savoir que mon apparition a provoqué l'abolition de ce genre de soirée. Pouvez-vous faire le message, Mrs Brown? Je suis désolée d'avoir écourté vos amusements.'

Ne sachant pas quoi répondre, la femme s'inclina respectueusement. Elizabeth la suivit alors jusque dans la cuisine, où elle s'installa à nouveau sur le tabouret. Son thé avait refroidit, mais elle ne s'en plaignit pas. Elle regarda alors que la servante rangeait, ses mouvements un peu raides sous l'effet de la pression, consciente du regard que la maîtresse de maison posait sur elle.

-'Puis-je me permettre une question, Madame?' demanda soudainement Mrs Brown en se retournant, rivant ses yeux droit dans les siens.

-'Bien sûr.'

-'Tout d'abord, pardonnez ma franchise. Je sais qu'il est peu courant pour une domestique de poser des questions, mais je crois que tous se demandent vos réelles intentions derrière votre entreprise de nous aborder.'

Lizzie haussa les sourcils sans comprendre. Que voulait-elle dire? 'Je vous demande pardon?'

Mrs Brown se mordit la lèvre comme si elle regrettait soudainement d'avoir parlée. Puis, prenant une grande inspiration, elle se lança. 'Nous sommes une équipe exemplaire, rigoureusement sélectionnée, apte à travailler et consciente de l'importance de Pemberley et de ses maîtres.'

Elizabeth l'écouta d'un air impassible, cherchant la logique sous cette fervente déclaration. La femme poursuivit. 'Nous sommes de confiance, Madame, nous n'avons comme aspiration que le bien-être de votre personne, de Miss Darcy et de Mr Darcy. Nous n'avons aucun intérêt à agir de manière désobligeante et savons très bien la chance que nous possédons d'être employé par la famille Darcy.'

Comprenant soudainement que Mrs Brown, et certainement la plupart des domestiques, croyaient que son rapprochement n'était qu'un prétexte pour les surveiller dans leurs occupations, elle resta un moment sans voix.

-'Si vous voulez absolument nous tenir à l'œil, nous n'avons aucun mal à nous accommoder d'un responsable qui surveillera nos faits et gestes. Il sera en mesure de vous faire un rapport quotidien et d'agir en tant qu'entremetteur entre vos employés et vous-même.' Poursuivit-elle d'un air sérieux. 'Nous y sommes accoutumés, Madame, seulement nous avons quelque peu perdu l'habitude depuis le départ de la défunte Mrs Darcy.'

Lizzie, confuse et surprise, lui demanda d'un ton légèrement choqué : 'Lady Darcy avait engagé un responsable pour vous surveiller?'

Mrs Brown hocha de la tête. 'Oui, Madame, et si vous-même préférez cette alternative, nous ne nous en offenserions pas outre mesure.'

Elizabeth eut un hoquet d'indignation. 'Vous surveillez comme des animaux en cage? Ciel, non!'

Surprise d'une telle réaction, la femme ne pipa mot, observant sa maîtresse avec incrédulité.

-'Mrs Brown, je n'avais aucunement l'intention d'épiez mon personnel en m'engageant à le connaître, bien au contraire! Je suis d'avis qu'une bonne communication et une bonne connaissance de ma maisonnée facilitera ma tâche d'apprentissage et détendra l'atmosphère. Je suis plus que prête à vous faire tous confiance dans vos tâches et croyez-moi lorsque je vous dis que je réalise l'énorme travail que représente Pemberley. Cependant, je crois que je me sentirais plus à l'aise et plus apte à accomplir ce que l'on attend de moi si je fais connaissance avec les personnes qui sont à mon service.'

-'Vous…vous voulez apprendre à nous connaître?' balbutia Mrs Brown, ahurie.

-'Oui, bien sûr. N'est-ce pas la moindre des choses pour des maîtres de remercier personnellement et en connaissance de cause les gens qui rendent leur vie si confortable?'

La servante ne répondit pas, les joues soudainement rouges. Lizzie ne lui laissa pas le temps de réfléchir; elle avait été heureuse de l'audace de la servante et ne voulait surtout pas qu'elle se referme à l'avenir. 'Je sais que cela vous semble plutôt…inhabituel…et que de telles pratiques ne se font que très rarement. Cependant, je crains n'éprouver aucun penchant pour le respect des règles de bienséance concernant la relation maître et domestique. Je ne considère pas que ma situation privilégiée me permette de traiter les autres comme inférieur à moi; je respecte et remercie les efforts de mes domestiques avec sincérité et espère pouvons alléger le fardeau de votre travail en étant le plus juste et équitable possible.'

Un silence s'installa, pendant lequel les deux femmes s'observèrent un moment. Puis, d'une voix un peu intimidée, Mrs Brown répondit : 'Merci, Mrs Darcy. Ceci est très apprécié.'

-'Je souhaite seulement être digne de cette maison.' Avoua Lizzie, soudainement lasse. 'Je suis consciente de la difficulté que ma venue impose sur tout le monde et des rumeurs qui circulent à mon sujet, mais je peux vous affirmer que je ne souhaite que le meilleur pour mon mari ainsi que pour Pemberley et tous ses habitants.'

-'Vous êtes très franche.' Commenta la servante à voix basse. 'Nous ne sommes certes pas accoutumé à une telle chose.'

Ressentant la fatigue lui engourdir le corps, Elizabeth se leva et lui adressa un sourire. 'J'ai été heureuse de faire votre connaissance, Mrs Brown. Vous possédez une fille charmante. Au plaisir de vous revoir.'

Elle s'éclipsa par la porte principale et longea les corridors jusqu'à l'entrée principale pour ensuite monter les escaliers et rejoindre sa chambre.

(-*-)

Voili voilà ! J'espère que vous commencez à voir du bien dans ce qui se passe, les derniers chapitres étaient pas super joyeux :P Mais bon, les relations de couple sont une éternelle montagne russe, n'est-ce pas? Je voulais aussi préciser que j'ai passé un LONG moment à rechercher de l'information sur les entreprises de l'époque et que les noms et endroits que j'ai mentionné sont réels. D'ailleurs, la compagnie navale est la même qui a fait le Titanic ^^ Le coton et le charbon était bel et bien deux industries très prolifiques et, malheureusement, très difficiles pour les femmes et les enfants (une loi contre l'exploitation des enfants en usines n'est arrivé que des années plus tard).

Une autre chose que j'ai oublié de préciser dans mon dernier chapitre est la date à laquelle l'histoire s déroule. Je sais que O&P a été publié en 1813, mais j'ai préféré mettre l'action à son époque initiale, Jane Austen ayant écrit la première version en 1797. Donc, l'action se passe en 1797, enfin, 1798 maintenant que Noël et le Nouvel An sont passés ! Darcy a vingt-sept ans et Lizzie vingt et un. Alors voilà, je croyais important de le préciser ^^

Svp, reviews! Ça ne prend qu'une minute et ça fait super plaisir! ;) Toujours un gros merci à Liili pour ses commentaires, ils me sont très utiles :) À bientôt !