Bonjour à toutes! Comme promis, voici le nouveau chapitre ^_^ Merci à toutes celles qui prennent la peine de m'écrire des reviews, beaucoup d'entre vous sont fidèles au poste et vous pouvez pas savoir à quel point ça me touche de savoir qu'autant d'entre vous apprécie ma fic! J'espère que ce prochain chapitre vous satisfera car j'y ai mis beaucoup de travail et d'amour! ;)

(-*-)

Chapitre 11

Miss Grant

L'après-midi était particulièrement chaud en cette journée. Le ciel bleu était clair et sans nuages et aucun vent ne soulevait la poussière des rues. Elizabeth était satisfaite de pouvoir enfin se dégourdir les jambes, le cœur léger et heureux, alors qu'elle parcourait le chemin menant au centre de la ville. La distance pouvait sembler considérable, mais la maîtresse de Pemberley appréciait tant la marche que ce léger détail ne l'intimida pas le moins du monde. Au contraire, son pas rapide et décidé la conduisait avec rapidité là où elle souhaitait se rendre : au bureau de Darcy et ses associés.

Lizzie trépignait d'impatience. Comme elle avait hâte d'annoncer la nouvelle à Darcy! Peut-être trouverait-il son comportement irrationnel, mais elle ne s'en souciait guère. Le bonheur de Jane était son bonheur et elle ne pouvait tout simplement pas garder cela pour elle. Comment Darcy pouvait-il ne pas partager cette joie lui aussi? Après tout, il était le meilleur ami de Charles Bingley.

Peu lui importait! Elle se sentait trop vivante et énergique pour s'attarder à ce genre de chose. Elle avait besoin d'air et d'exercices; annoncer la nouvelle à Darcy était plutôt l'excuse qui la poussait à agir de la sorte. Elle avait envie de partager son bonheur avec le monde entier, souhaitant pouvoir transmettre par un simple souffle toute la joie qui l'habitait.

Alors qu'Elizabeth et sa suivante atteignaient presque leur destination, deux choix s'offrirent à elles. D'un côté, la Grande Allée qui longeait le bord de l'eau. De l'autre, la Petite Allée, plus étroite et fourmillante de gens. La première lui était familière car c'était le chemin qu'empruntait habituellement leur diligence, mais le problème était que cette route faisait un grand détour car elle suivait les berges de la Tamise. La seconde était donc un raccourci. En temps normal, Lizzie n'aurait pas hésité à prendre le trajet le plus long; cependant, elle était intriguée par le brouhaha et les magasins. Elle opta donc pour le deuxième chemin, certaine qu'il menait au même endroit de toute façon. Elle observa les vitrines avec intérêt, puis le bruit se transforma en cacophonie et sur sa gauche s'ouvrit une énorme place public où un marché battait son plein. Elizabeth fut si émerveillée qu'elle ne put s'empêcher de bifurquer vers les comptoirs remplis de biens à vendre et se fraya un chemin parmi la multitude de gens, observant avec une grande fascination les objets, nourritures, bijoux et châles de couleurs, tissus, mouchoirs de dentelles, épices, savons odorants et huiles essentielles, pains frais, fruits et légumes, fromages de chèvre, de vache et de brebis, fleurs, poteries et paniers. Ses yeux ne pouvaient se poser sur une seule chose à la fois. Elizabeth avait déjà été à un marché lors d'une visite chez sa tante à Cheapside, mais ceci dépassait tout ce qu'elle avait vécu auparavant. L'abondance de marchandises l'étourdissait, les odeurs lui assaillaient les narines avec force. Comme hypnotisée, Lizzie s'arrêtait quelques secondes à chaque endroit, le prochain objet étant toujours plus intéressant que le dernier. Elle ne remarqua pas les regards qui se posaient sur elle, ni l'attitude des gens qui s'écartaient un peu lorsqu'elle s'avançait parmi les stands. Certains hommes lissaient leur chemise, d'autre la dévisageait tout bonnement. Certaines femmes l'observaient avec envie, les autres avec curiosité ou mépris. Elizabeth n'en voyait rien. Elle ne remarqua pas les regards, n'entendit pas les commentaires et, surtout, n'eut pas conscience que sa suivante, la timide et discrète Claire, avait disparu quelque part dans la foule. Elle ne s'en rendit compte que lorsqu'elle déboucha de l'autre côté de la place alors qu'elle se retournait pour lui faire part de son émerveillement. Jetant des regards de tous les côtés, il ne fut pas long avant que la panique lui brûle l'estomac et elle rebroussa chemin rapidement, ignorant les marchandises et observant tous les visages qui l'entouraient afin de retrouver celui de sa suivante. Les regards curieux ne lui échappèrent pas cette fois et c'est avec une certaine gêne qu'elle essaya de se faufiler parmi les gens.

Claire était introuvable. Où était-elle donc passée? S'était-elle perdue il y a un long moment déjà ou venait-elle seulement de perdre sa trace? Bifurquant à droite, puis à gauche puis n'importe où, elle sentit les larmes lui monter aux yeux lorsqu'elle réalisa qu'elle était complètement perdue. Et seule. Sa respiration se fit plus rapide alors que plus elle essayait de trouver la sortie, plus les rues devenaient étroites et désertes. Bientôt, elle se retrouva dans un quartier qu'elle savait pertinemment dangereux seulement à le regarder. Elle voulut rebrousser chemin, convaincue qu'elle s'éloignait vers le nord alors qu'elle devait aller vers le sud, mais derrière elle se dressèrent quatre hommes à l'allure douteuse. Devant, la ruelle débouchait sur une plus grande allée, à une cinquantaine de mètres. Prenant son courage à deux mains, laissant derrière elle les sons provenant du marché bruyant, elle marcha d'un pas ferme vers ce qui semblait être sa sortie de secours. Des vêtements sales et déchiquetés pendaient sur des cordes tendus au-dessus d'elle, des seaux d'eau brunes – si c'était vraiment de l'eau, Elizabeth aimait mieux ne pas y penser – traînaient près des portes et des femmes et enfants la dévisageaient en silence alors que le son de ses bottes faisaient écho dans l'allée silencieuse. Lizzie savait qu'elle était suivi, elle n'avait pas besoin de se retourner pour le constater. Oh, quelle idée elle avait eu de venir jusqu'ici à pieds! Quelle idiotie de s'arrêter dans un marché alors qu'elle n'était accompagnée que d'une suivante, trop jeune pour être d'aucun recours! Quelle imbécile était-elle d'avoir été attiré par ces stupides marchandises! Elle était maintenant aux prises d'inconnus – des inconnus qui n'avaient certainement pas pris de douche depuis des lustres – et qui ne lui voulait certainement pas de bien. Elizabeth soupira intérieurement de sa superficialité; comment pouvait-elle penser à l'hygiène corporelle de ces hommes alors qu'elle s'apprêtait certainement à être découpée en morceaux et nourrit aux chiens?

-'Hé, ma jolie!'

Lizzie accéléra le pas. Courir n'était pas une option, c'était inviter les ennuis. Cependant, les ennuis vinrent d'eux-mêmes et bientôt deux des hommes se retrouvèrent devant elle, à peine une dizaine de mètre avant qu'elle atteigne la sortie. L'un d'eux toucha le tissu soyeux de sa robe, l'autre la plume grise de son chapeau. Elizabeth eut un mouvement de recul et entra en collision avec les deux autres, postés derrière elle.

-'Qu'vient dont faire une belle p'tite créature com' toi dans un endroit comme c'lui-ci?'

-'Elle est perdue, ça s'voit.'

-'Et seule.'

-'Et riche.'

-'Belle robe, beauté.'

-'T'a vu s'grain de peau, Marvin? Blanche com' le lait, fraîche com' un printemps. C'pas ta femme qui a s'te belle odeur là, hein?'

-'Lavande. Mmmmm.'

-'Quoi c'est qu'on peut ben faire de toi, chaton?'

Elizabeth, qui sentait son cœur battre si fort dans sa poitrine qu'elle crut qu'il allait exploser, ne put se résoudre à mourir comme une poltronne. Si son heure était venue, c'était la tête haute et le regard défiant qu'elle ferait face à la mort. Ou la disgrâce. Que penserait Darcy de tout ça? Voudrait-il d'elle si ces hommes l'utilisaient à des fins…à des fins…Oh non! La seule pensée que ces hommes pouvaient lui faire quoi que ce soit dans ce domaine lui donnait des haut-le-cœur.

-'Rien.' Répliqua-t-elle d'une voix menaçante. 'Ne me touchez-pas, scélérats.'

Les quatre hommes se mirent à rire. 'Une p'tite combattante, hein?'

-'De quel droit osez-vous vous attaquer à une femme de cette façon? N'avez-vous donc aucune manière?'

-'Nope.'

-'Aucune.'

Autour d'eux, des femmes faisaient rentrer leurs enfants et fermaient les portes derrière elles. Elizabeth songea que ceci était de très mauvais augure.

-'As-tu une p'tite pièce pour de pauvres z'hommes, missus?'

Ils se rapprochaient, leurs mains sur elle. Dégoûtée, Lizzie les repoussait avec forces, mais elles revenaient, insistantes. 'Lâchez-moi.' Ragea-t-elle, essayant de se frayer un chemin, incapable de faire le poids contre ces hommes. Elle était fichue. Darcy ne pourrait plus jamais la regarder. Elle se retrouverait dans un couvent quelque part, loin de tous. Ou pire. Peut-être n'avaient-ils aucune intention de laisser vivante. Ils la laisseraient gisante sur le pavé et tous feraient comme si elle n'y était pas, jetant sur son corps ensanglanté les rebus des pots de chambre. Cette seule pensée la couvrit d'une sueur froide.

-'Lâchez-la.'

Silence. Les rires se turent alors que les quatre hommes se tournaient vers une jeune femme à l'air farouche.

-'Ne te mêle pas de ça, la p'tite. C'est not' affaire.'

-'Vous voyez bien qu'elle n'a pas d'argent sur elle, les femmes de son genre n'en ont jamais. Laissez-la partir.'

-'Pour qu'elle r'tourne dans sa maison d'riche et envoie les bœufs à nos trousses? Pas question. Pas sans dédommagements.'

-'Elle n'en fera rien.' Répliqua la jeune femme en s'avançant, nullement intimidée. 'De toute façon, si elle est porté disparu, vous pouvez être certain que la police sera à vos trousses. Elle n'est pas de la petite bourgeoisie, ça se voit. On ne l'oubliera pas.'

-'Oh, cesse de faire ta p'tite sainte, Bobby, laisse les grands travailler.'

Lizzie la vit plisser les yeux. Ce surnom ne semblait guère lui plaire. 'Ferme la, Frank.' Souffla-t-elle entre ses dents. 'Je vous rends un service présentement.'

Des têtes curieuses regardaient par les fenêtres et par l'entrebâillement des portes. La scène attirait un public de plus en plus grand et les quatre hommes ressentirent un certain agacement à se faire réprimander ouvertement.

-'Fous le camp.' Lui dit alors l'un des hommes, le plus vieux, sa voix menaçante. 'Si tu veux pas gagner ton pain com' tout l'monde ici, vient pas t'mêler des affaires qui t'regarde pas.'

-'Avez-vous la moindre idée de qui elle est?'

-'Et qui c'est? La reine, peut-être?'

-'C'est Mrs Darcy.'

Trois des hommes eurent un mouvement de recul. Elizabeth les zyeuta tour à tour, incapable de suivre le dénouement des choses. Qui était-elle? Comment connaissait-elle son identité? Et pourquoi ces hommes étaient-ils si étonnés?

-'Tu racontes des bobards, c'pas elle.' Malgré ces paroles, l'homme ne semblait plus aussi sûr de lui.

-'Je suis parfaitement sérieuse. Regardez son mouchoir.' Elle leur tendit un carré de tissu que Lizzie reconnut aussitôt. Sur la soie blanche maintenant grise de poussière était brodée ses initiales, « E.D », avec le sceau des Darcy. 'Vous voyez? C'est elle et vous savez ce que cela veut dire. Elle est la femme de Mr Darcy et personne ne veut offenser Mr Darcy.'

Les hommes hésitèrent, se jetant des regards incertains. Elizabeth, complètement dépassée, observait la scène en silence, le souffle rapide. Les évènements avaient pris une drôle tournure et elle n'osait pas encore espérer s'en sortir indemne.

-'Qu'est-ce qu'on fait? C'est qui ce Darcy?' demanda celui qui était resté surpris devant l'attitude de ses compères. 'On peut pas la laisser partir, elle peut sûrement nous rapporter gros. Demandons une rançon, si st'une femme de riche, son mari payera.'

-'T'es imbécile ou quoi? On parle de Darcy ici, pas d'un simple aristocrate à la con. S'attaquer à lui est comme s'attaquer à un ours; frappe et il frappera encore plus fort. Faut pas jouer dans les plates-bandes de st'homme là, il peut t'rouler dans la boue en claquant des doigts.'

-'Parait qu'il possède des gardes du corps aussi grand qu'des géants. Tout droit de Norvège. Suffit qu'il les commande et ils déchiquètent en morceaux ceux qui l'importune.'

-'Et qu'il s'promène toujours avec un fusil. Il a déjà tué quatre mecs.'

-'Non, six.'

-'Peu importe. Il tue sans poser d'questions. Y'a sa propre justice.'

-'On dit que tout le monde a peur de lui, dans l'monde des riches.'

-'Com' son père, vous vous rappelez? Depuis son voyage dans l'pays des croppies, y'était plus l'même.'

-'Pas de doute que l'fils a hérité d'sa folie.'

Elizabeth les écouta parler avec stupéfaction. D'où tenaient-ils donc ces propos? C'était absurde! Darcy, un tueur? Ha! Si elle n'avait pas été aussi pétrifiée, elle aurait certainement pouffée de rire. Et que voulaient-ils dire en parlant ainsi de son défunt beau-père? Elle n'avait jamais rien entendu de pareil à son sujet. Puis, les hommes semblèrent se défiler et ils la considérèrent un moment avant de s'exclamer :

-'Allez les gars, on file.'

-'Mouais…elle est même pas si belle de toute façon.'

-'Elle n'en vaut pas la peine.'

-'Au revoir, chaton.'

Ce dernier lui assena une tape sur les fesses avant de prendre la direction que ses compatriotes avaient empruntée, rebroussant chemin de là où ils étaient venus. Lizzie les regarda partir sans pouvoir croire sa chance et ne bougea que lorsque la jeune femme lui empoigna fermement le bras. 'Je vous raccompagne.'

Cette dernière engendra le pas et tira la maîtresse de Pemberley avec elle. Celle-ci obéit sans se faire prier ni même jeter un regard en arrière. Elles débouchèrent bientôt sur l'allée qu'Elizabeth avait prise comme sortie de secours et qui se révéla être une rue à peine plus grande qui se terminait en cul de sac d'un côté et débouchait sur un petit escalier descendant dans la basse ville. Après avoir serpenté dans les dédales de chemins sombres, elles arrivèrent près d'une artère et, tout près, Hyde Park apparut comme un salut.

Osant pour la première fois respirer à plein poumons, Elizabeth accéléra le pas jusqu'à ce que les chemins fleuris et les arbres du parc les englobent comme un dôme protecteur. Elle sentit alors ses jambes fléchir et elle se laissa choir sur un banc de pierre. Tremblante de la tête aux pieds, elle leva des yeux remplit de gratitude vers la femme qui l'avait secouru. 'Merci. Sans vous, j'aurais sans doute vécu un cauchemar.'

-'Quelle idée de se promener dans ces quartiers. Et seule, de surcroît.' Répondit celle-ci d'une voix dure. 'On ne vous a pas appris que ce genre de place n'était pas à fréquenter?'

Surprise du ton et de l'audace de cette inconnue, Lizzie resta sans voix pendant un moment. Puis, bredouillant, elle dit : 'Je me suis perdue. Mes intentions n'étaient pas d'aller à cet endroit.'

-'Tout de même. Une femme de société reste habituellement dans son salon à broder des coussins ou peindre des tableaux, vous feriez donc mieux de retourner à votre belle vie de femme d'intérieur et de laisser les gens normaux s'occuper de polluer les rues de la ville.'

Piqué au vif, Elizabeth se redressa. 'Je suis très peu douée en peinture.'

Le regard farouche de la jeune femme se transforma soudainement en sourire et elle se mit à rire. Elle ne s'était certainement pas attendue à cette réponse-là. 'J'ai entendu beaucoup de choses à votre sujet, Mrs Darcy, mais personne n'a mentionné que vous aviez de l'humour.'

Il s'écoula quelques secondes avant qu'elle ajoute, plus douce à présent : 'Vous avez été brave, vous savez? Ce n'est pas toutes les femmes de votre genre qui aurait tenu tête à quatre hommes, en gardant sa contenance qui plus est. Je m'attendais à vous voir vous évanouir à tout moment et non pas que vous êtes de taille anormale, mais je n'aurais pas vraiment apprécié vous traîner jusqu'ici.'

Lizzie haussa les épaules, l'air sombre. 'Vous avez été bien plus brave que moi. C'est vous qui m'avez sorti de là et non pas ma contenance.'

-'Vous semblez fâchée.'

-'Je le suis. J'ai été bête de m'aventurer dans ce marché, je ne sais pas ce qui m'a pris. Qui d'autre qu'une femme de la campagne oserait agir ainsi?'

-'Vous parlez comme si vous n'aviez jamais visité Londres auparavant.'

-'Non. Enfin, oui, chez ma tante à Cheapside. Cependant, je n'ai jamais fréquenté les grands quartiers et certainement pas ceux-là auparavant.' Répondit Elizabeth en pointant de la tête le chemin d'où elles étaient arrivées. 'Jamais je n'aurais cru qu'une telle chose pouvait se produire. Je croyais que c'était des histoires que les parents racontaient à leurs filles afin de les garder sur le droit chemin. Malheureusement, je crois que j'étais absente le jour où mes parents ont voulus m'inculquer la prudence.'

-'Mais vous étiez certainement là lorsqu'ils vous ont enseignés le courage.'

-'L'entêtement plutôt.'

-'Ce n'est pas toujours un défaut, l'entêtement. De toute façon, vous êtes en vie et intacte, et je crois que c'est ce qui compte.'

Elizabeth approuva de la tête, étrangement calme maintenant. Parler à cette inconnue lui faisait un bien fou; elle ne tremblait plus et son cœur reprenait peu à peu un rythme normal. Elle avait toujours ces désagréables frissons et les traces de saletés sur sa robe témoignaient de son aventure, mais mis à part cela elle était convaincue de n'avoir aucune séquelle importante.

-'Puis-je m'enquérir de votre nom?' demanda poliment Lizzie. 'J'aimerais vous remercier convenablement.

-'Abigaëlle Grant.'

-'Miss Grant, je vous suis infiniment reconnaissante. Si j'avais quelque chose à vous offrir, je le ferais, mais j'ai bien peur de n'avoir rien sur moi. Peut-être que lorsque mon mari sera là….'

Elle s'interrompit en voyant la jeune femme lever dignement la tête. 'Je n'ai pas agi ainsi pour de l'argent, Madame.'

-'Désolée…je ne voulais pas vous offenser.' S'empressa de répondre Elizabeth en rougissant. Elle ne s'était pas attendue à cela; les gens du petit peuple ne refusaient jamais une pièce ou deux, c'était connu. Ce préjugé ne semblait pas s'appliquer à cette étrange demoiselle…d'ailleurs, Lizzie remarqua que quelque chose était différent chez elle. Qu'est-ce que ça pouvait bien être?

-'Je n'aime pas la charité.' Avoua Abigaëlle d'un air un peu gêné. 'Tout ceci n'est pas mon monde, vous savez. Je ne suis pas une mendiante, ni une de ces personnes-là, comme dans la ruelle.'

Maintenant qu'elle l'observait de plus près, Elizabeth pouvait voir la différence entre ces gens qu'elle avait croisé dans la ruelle et sa salvatrice. Ses vêtements n'étaient certes pas très beaux, mais ils semblaient propres et robustes. Elle n'avait pas la peau sale et n'exhalait aucune odeur désagréable. Ses cheveux était joliment attachés derrière sa tête en un amas de tresses. Son visage, bien qu'émacié, ne portait pas cette allure de fantôme qu'on voyait si souvent sur le visage des pauvres de la ville. Ses mains, par contre, n'avait rien de la finesse d'une grande dame.

Voyant que le regard d'Elizabeth s'attardait sur ce dernier détail, Abigaëlle eut un triste sourire en les lui montrant. 'Ne vous inquiétez pas, ce n'est pas aussi mal que ça en a l'air. Elles sont enflées à cause de l'eau brûlante, elles seront mieux d'ici quelques heures.'

Cependant, ses mains n'étaient pas seulement gonflées et rouges, mais de petites cicatrices blanches les recouvraient. Leur aspect rêche et racornit ne disparaitrait pas aussi tôt.

-'Vous êtes si jeune…' murmura Lizzie, secouée par cette vue.

-'Oh, ce n'est pas si grave. Elles semblent encombrantes, mais elles sont très habiles, je vous le dis. Je travaille depuis que je suis toute petite, d'abord sur la ferme de mes parents, puis dans les champs de coton. En arrivant ici j'ai réussi à avoir un poste dans la buanderie d'un couvent, deux jours par semaine. Je file la laine aussi, pour en faire des châles que je vends au marché. Bien sûr, ce ne sont pas des activités très clémentes envers les mains, mais il faut bien gagner sa vie. Chaque marque est un repas de plus sur la table.'

-'Vous avez une famille?'

-'Avait.' Corrigea Abigaëlle, s'entourant de ses bras. 'Mes parents sont morts du typhus il y a plus d'un an. Mes frères y ont échappés et se sont enrôlés dans l'armée. Et moi, ils m'ont envoyés ici chez mon oncle, qui a bien voulu me prendre malgré le peu de place de sa maison. Il est la seule famille qu'il me reste et ma tante a besoin d'aide avec tous les enfants qu'elle a.'

Elizabeth hocha la tête, honteuse de les avoir considérées comme laides. Elles étaient certes abîmées, mais de savoir que ces mains étaient ce qui permettait à Abigaëlle de survivre changea bien vite son opinion. Car qui d'autre qu'une femme de caractère possédant un sens de l'honneur accru ne s'abaisserait jamais à mendier, refusant la charité? Qui d'autre qu'une bonne et respectable personne se détruirait les mains afin qu'une famille qui n'était pas directement la sienne et elle ne meurt pas de faim? Lizzie sentit un grand respect se développer pour la jeune femme. Une telle force n'était pas donnée à tout le monde et la sienne se reflétait au creux de ses yeux bleus.

-'J'en suis désolée. Cela n'as pas dû être facile.' Elizabeth se sentit affreusement égoïste à ce moment. Elle n'avait peut-être pas la superficialité exagérée des femmes de la haute société, mais elle avait certainement grandit dans un confort enviable et n'avait jamais manqué de rien. Ses parents étaient en vie, ses sœurs n'étaient pas si loin et elle avait toujours eu trois repas par jour. Si la maladie frappait, le médecin était appelé et dûment payé. Tout ce luxe auquel elle était habituée – encore plus maintenant qu'elle avait épousé Darcy – lui rappela à quel point elle devait remercier le ciel de cette vie qu'elle avait reçue.

-'Il faut savoir affronter les épreuves que la vie nous envoie et j'ai fait mon chemin comme j'ai pu, même ici. La vie en ville est bien différente de celle de la campagne.' Commenta Abigaëlle, songeuse. Elle mordillait sa lèvre inférieure distraitement, le regard lointain. 'Parfois, je me dis que je donnerais n'importe quoi pour retrouver la ferme de mes parents, m'occuper des animaux et respirer l'air pur en regardant le soleil disparaître sur un horizon doré, par-delà les champs de blé. Boire à même la source, là où l'eau est fraîche. Rire et chanter autour d'un feu de camp. Si j'y pense très fort, je peux presque me rappeler l'odeur âcre et boisée de la fumée.'

Elizabeth eut un triste sourire, songeant à Pemberley, à ses arbres, ses jardins, ses champs et son lac. Elle se languissait d'y retourner plus que jamais. 'Nous avons ceci en commun, Miss Grant. La campagne a toujours été là où je me sentais le mieux. Aucune soirée ou bal n'égale une longue promenade dans la nature et la sensation de liberté qu'on y trouve.'

Abigaëlle la regarda étrangement pendant un instant. 'C'est la deuxième fois que vous me surprenez, Mrs Darcy.'

Lizzie eut un rictus. 'Oui, je veux bien croire que ma réputation n'est pas bien mieux que celle de mon mari. Je vous paris que l'image qu'on a de moi est une fille gâtée qui a su s'élever au-dessus de son rang et qui dédaigne les choses les plus raffinées qui soient.'

-'Je ne voulais pas-'

-'Oh, non, ne vous inquiétez pas, Miss Grant, je ne suis pas du tout offensée.' La rassura Elizabeth avec un petit rire, sincère cette fois. 'Je me suis accoutumée à ce genre de remarque, je supporte les regards hypocrites à longueur de journée. Elles croient que je n'entends pas leurs commentaires, mais je sais écouter. Non, la vie en ville n'est pas pour moi, je le crains. L'épisode d'aujourd'hui ne fait que me confirmer que ma place est quelque part sur les terres verdoyantes du Derbyshire.'

Cette dernière hésita un moment avant de lui dire : 'Je dois vous avouer, Mrs Darcy, que je ne m'attendais pas à ce que vous soyez ainsi.'

-'Ainsi? Que voulez-vous dire?'

-'Je vous ai reconnu tout de suite, là-bas.' Expliqua la jeune femme alors que son regard vagabondait sur les attraits de leur environnement. D'un côté, d'énormes bosquets de fleurs diverses. D'un autre, une rangée de grands hêtres ombrageait le petit chemin de terre. Plus loin, la Serpentine, ce lac artificiel créé sous les ordres de Charlotte, brillait comme un diamant sous les rayons du soleil couchant. 'Le mouchoir que vous avez laissé tomber n'a fait que confirmer qui vous étiez. J'avais entendu dire que vous étiez une femme très froide, inatteignable. Que votre orgueil égalait votre beauté et que vous aviez séduit la moitié des hommes présents au bal de la Court. Certains disent que vous êtes une sorcière, avec vos yeux verts et sombres, et que Mr Darcy vous a épousé parce qu'il est sous quelconque charme. Beaucoup disent aussi que vos intentions en mariant Mr Darcy n'était que pour s'emparer de son argent et que vous auriez certainement choisi son cousin, je ne me rappelle plus son nom, s'il avait été premier fils au lieu de second, puisqu'il aurait possédé le titre d'Earl.'

Sentant son visage s'enflammer, Elizabeth se leva d'un bond. 'Quelles absurdités!'

-'Oh, les gens parlent toujours, mais qui croit réellement que la moitié de ces choses sont vraies? Ce n'est pas que mauvais, croyez-moi. J'ai aussi entendu dire que vous étiez une femme très intelligente et audacieuse, et que vous aviez vos manières bien à vous. C'est à cela que je vous ai reconnu. Qui d'autre que Mrs Darcy aurait levé la tête lorsqu'agressée par des truands?'

-'Vous avez entendu bien des choses, Miss Grant, beaucoup plus que j'aurais pu imaginer. Je m'y attendais de mon propre cercle de connaissances, mais je ne me doutais pas que cela s'étendait à la population de Londres entière.'

Abigaëlle haussa les épaules. 'Vous êtes, votre sœur et vous, le sujet de l'heure. En épousant des hommes de rang, vous vous êtes offertes aux commérages. Et les bonnes femmes du coin sont très friandes des potins. Il y a toujours quelqu'un qui a une amie d'une amie ou une lointaine parente travaillant pour les grosses familles. J'ai droit aux dernières nouvelles sans même les demander.'

Elizabeth soupira. 'Je ne peux rien y faire, de toute façon. Et je ne peux blâmer les gens de croire que j'ai marié William pour son argent, si je me mettais à leur place ce serait sûrement mon opinion aussi. Pourtant, ce n'est pas le cas. J'aime William, de tout mon cœur, qu'il soit riche ou pauvre, cela ne change absolument rien. J'endurerai les regards et les commentaires le temps qu'il faudra, puis je retournerai chez moi, à Pemberley, et n'y penserai plus pour de longs mois.'

-'Vous parlez de Pemberley avec ferveur.' Remarqua Abigaëlle avec un léger sourire. 'À vous entendre, on dirait un paradis sur terre.'

-'Ce l'est.'

-'Pourquoi ne pas y rester alors? Vous semblez dire que Londres ne vous attire guère.'

Elizabeth poussa un long soupir. 'Je serais bien ingrate de dénigrer ce qui m'a été offert et j'ai tout de même apprécié quelques aspects de la ville. Cependant, je me dois de penser à mon mari, qui a beaucoup de travail ici, et à notre statut qui requiert notre présence en société. Je ne me soucie pas de ce que les autres pensent de moi et je resterais volontiers dans le Derbyshire, mais c'est important pour William et je ne pourrais supporter de ternir sa réputation. De plus, il y a Georgiana, ma belle-sœur, qui a besoin de support dans un monde comme celui-ci, assez grand pour vous avalez tout rond lorsque vous êtes jeune et naïve. Et il y a ma sœur, qui apprécie ma présence ici, je ne pourrais me résoudre à la laisser seule.'

-'Vous êtes bien courageuse de faire face à tout ceci par amour.'

-'Endurer quelques commentaires désobligeants ne peut être catégorisé comme un acte de courage. Du courage, c'est de faire face à quatre hommes sans une once de peur dans les yeux. Ils auraient pu se retourner contre vous.'

Abigaëlle eut un petit sourire. 'Il est facile d'être brave quand deux de ces hommes sont mes cousins et l'autre mon oncle.'

-'Oh.'

-'Ils ne sont pas si méchants, Mrs Darcy, ils n'ont seulement pas eu de chance. Lorsque l'on vous enseigne à survivre dès le berceau, nos agissements sont différents de ceux qui ont eu la chance d'être élevé selon des morales chrétiennes. Mon oncle a passé sa vie ici, dans les quartiers défavorisés, et n'a jamais appris mieux.'

-'Mais vous n'êtes pas comme eux.' Pointa Elizabeth, qui n'arrivait pas à croire qu'un lien du sang pouvait unir la jeune femme et ses agresseurs. Soudainement, elle réalisa quelque chose qu'elle n'avait pas remarqué auparavant. 'Votre manière de vous exprimer est…différente.'

Comment avait-elle pu manquer ce détail? Alors que les mots mâchés et les accents gras des roturiers avaient teintés les paroles de ses assaillants, Abigaëlle s'exprimait avec une neutralité surprenante. Bien sûr, quelques mots ci et là trahissait son origine paysanne, mais rien d'assez marquant pour être remarqué sur le champ.

La jeune femme fit une grimace. 'Une mauvaise habitude, selon mon oncle. Lorsque j'étais jeune, la femme de notre maître à l'usine de coton venait parfois voir les employés de l'usine pour nous donner toutes sortes de choses. Et elle s'adressait à nous avec une voix si fine et raffinée! Ça peut paraître bête, mais je me disais que si j'arrivais à parler comme elle, alors un jour je deviendrais une grande dame.' Elle hocha la tête, un sourire aux lèvres. 'Comme vous pouvez le constater, je ne mâche peut-être pas mes mots, mais j'ai toujours le langage sonore d'une femme de petite naissance.'

-'Ce n'est pas si mal, je vous assure. En fait, je me demandais justement si vous n'aviez pas été au service d'une grande maison pour vous exprimer ainsi.'

Elle rosit de plaisir, mais secoua la tête. 'Vous êtes trop aimable, je ne mérite pas de telles éloges.' Puis, elle soupira, soudainement sérieuse. 'Vous êtes différente, Mrs Darcy. Vous n'appartenez pas à tous ces riches qui se pavanent et s'exhibent. Je sais que je ne vous connais pas, mais mon instinct me dit que vous êtes quelqu'un de bien.'

Plus touchée qu'elle ne pouvait l'expliquer, Elizabeth la remercia silencieusement. Ce n'est qu'à ce moment qu'elle réalisa que cet échange était fortement inapproprié. Une femme de son rang, discuter avec une roturière? Abigaëlle n'avait pas hésité à dire ses pensées, statut ou non; une telle franchise impressionna Lizzie et elle décida que la classe à laquelle cette jeune femme appartenait lui importait peu. Combien de gens de son entourage possédait une telle honnêteté? Et ce n'était pas qu'Abigaëlle ne connaissait pas sa place, car elle semblait bien prête à se rabaisser pour s'assurer qu'elle n'était pas surestimée, seulement elle avait ce don de franchise et de tact qui n'était pas donné à tout le monde. Personne n'avait été aussi vrai avec elle, excepté Jane bien sûr, et elle pouvait compter sur les doigts d'une main les gens en qui elle avait entièrement confiance. Elle ne connaissait Abigaëlle que depuis une heure et pourtant il lui semblait qu'elle pouvait l'ajouter à cette courte liste. Elizabeth retrouvait en elle ce que la haute société n'offrait pas : une opinion honnête, sans artifices, et ouverture d'esprit impressionnante.

Abigaëlle jeta un coup d'œil par-delà les arbres. 'Vous devriez rentrer, Mrs Darcy, il se fait tard.'

C'était vrai. Le soleil commençait lentement à se coucher à l'horizon en le teintant d'orange et de rose. Darcy serait bientôt de retour à la maison et Elizabeth s'inquiéta soudainement. Que penserait-il lorsqu'il n'y trouverait pas sa femme?

-'Oui, je crois que ce serait raisonnable. Cependant, je crains que je ne puisse rentrer seule. J'ai perdu ma suivante lors de mon périple au marché et je ne me sens pas la force de retourner à pieds. Peut-être pourrais-je envoyer un messager quérir mon mari?'

Abigaëlle s'éloigna un peu et siffla fortement en direction d'un jeune garçon qui se promenait plus bas. Lorsqu'il fut à leur hauteur, il reçut comme mission d'aller au bureau de Darcy afin que ce dernier soit mis au courant de l'emplacement de sa épouse. Si par malchance celui-ci n'y était pas, il devait interpeler une diligence. Une bonne récompense lui fut promise et le petit détala aussitôt en direction sud, vers la Tamise. Elizabeth fut heureuse de savoir que cela ne prendrait qu'un certain temps et qu'Abigaëlle ne voyait pas d'inconvénients à rester attendre avec elle. Il y eu un moment de silence, que Lizzie brisa après quelques minutes.

-'C'est très généreux de votre part, Miss Grant. J'apprécie votre compagnie.'

Surprise, la jeune femme rosit. 'Merci, Mrs Darcy.'

-'Croyez-vous que nous puissions nous revoir? J'aimerais pouvoir vous considérez comme une amie.'

Cette fois, son visage prit une teinte cramoisie. 'Mrs Darcy, je ne suis pas de votre calibre.' Balbutia Abigaëlle en se tordant nerveusement les mains. 'Ce ne serait pas…enfin, ce n'est pas que je ne veux pas, mais…'

-'Mais?'

-'Regardez-moi, Mrs Darcy, je ne suis absolument rien. Je ne suis qu'une fille de fermier que le destin a malencontreusement conduite à Londres. Je ne porte pas d'aussi beaux vêtements que ceux que vous portez et je suis loin d'être aussi belle, je vous ferais honte.'

-'Jamais je n'aurais honte de vous, Miss Grant. Vous méritez bien mieux que cette misère, je ne peux me résoudre à quitter cet endroit en sachant que vous êtes retournée là-bas, à vous acharner à la tâche.'

-'C'est le lot de tous les gens de mon genre, Mrs Darcy. Je ne m'en plains pas.'

-'Ne souhaitez-vous donc pas une meilleure vie?'

-'Je prends celle que l'on me donne, cela me contente.'

-'Et moi je vous en offre une toute nouvelle.' Décida soudainement Elizabeth. L'idée lui était venue à l'esprit tout d'un coup et plus elle y pensait, plus elle trouvait cette solution excellente. 'Je vous offre un poste à mon service. Venez travailler pour moi, ici à Londres, puis à Pemberley. Vous aimerez le Derbyshire, Miss Grant, ses contrées sont magnifiques.'

Abasourdie, Abigaëlle eut un mouvement de recul. 'Vous ne pensez pas ce que vous dites, Mrs Darcy.'

-'Bien sûr que si.'

-'Je ne pourrais pas, c'est impossible.'

-'Et pourquoi donc? C'est un travail légitime, bien moins éprouvant que de filer la laine ou laver les vêtements dans l'eau bouillante. C'est exigeant, je vous l'accorde, mais vous serez rémunérée justement en plus d'être logée et nourrit plus que convenablement. C'est la moindre des choses que je puisse faire pour vous après ce que vous avez fait pour moi tout à l'heure.'

Elizabeth pouvait voir la jeune femme se débattre avec elle-même. Il était évidant que l'offre était tentante, mais quelque chose l'empêchait d'accepter. 'Mrs Darcy, n'y voyez pas d'insulte à votre personne, mais je ne crois pas être qualifiée pour remplir un poste dans une famille aussi élevée que la vôtre. Je ne m'y sentirais pas à l'aise.'

-'Peut-être pas dans les débuts, mais je suis certaine que vous vous y ferez. Je vous en prie, Miss Grant, acceptez mon offre. Il est si rare pour moi de trouver des gens avec qui je suis certaine que je vais bien m'entendre, je ne peux tout simplement pas vous laisser partir.'

-'Elizabeth!'

Lizzie se retourna vivement vers la voix qui l'interpella, son cœur s'enflammant aussitôt. Darcy! Sa seule vue lui apporta un tel réconfort que ses yeux se remplirent de larmes. Il l'enserra dans une forte étreinte, soupirant de soulagement. 'Où étais-tu donc?' s'exclama-t-il en prenant son visage entre ses mains. 'Est-ce que tu vas bien?'

Il prit rapidement compte de son état – les traces sales sur le tissu jaune étaient plus que visibles – et une vive indignation s'empara de lui. 'Juste ciel, on dirait que tu as roulé dans la poussière.'

-'Je vais bien.' Répondit-elle, des papillons dans l'estomac devant cette démonstration d'affection publique. 'Miss Grant m'a raccompagné avant qu'il m'arrive quelque chose.' Elle n'était pas certaine encore si elle avait envie de raconter son aventure avec les quatre hommes. Darcy serait du genre à envoyer la police à leur trousse et elle n'avait pas envie de causer encore plus d'ennuis. 'Je me suis seulement perdue et Miss Grant a été assez généreuse pour me ramener en lieu sûr et attendre avec moi.'

Réalisant soudainement la présence de la jeune femme, Darcy se ressaisit quelque peu. Il reprit ses distances, mais sa main serrait fermement celle d'Elizabeth. 'Merci, Miss Grant, j'apprécie énormément votre geste.'

Abigaëlle fit une révérence et répondit poliment qu'elle avait été heureuse de rendre service. Lizzie, qui n'avait pas oublié sa proposition, la réitéra. 'Je vous en prie, Miss Grant, pensez-y au moins.'

La jeune femme secoua la tête. 'Je ne peux pas laisser ma famille derrière, Mrs Darcy. Merci pour cette générosité, c'est plus que ce que je mérite.'

Sortant une carte de visite, elle la lui tendit. 'Voici mon adresse, n'hésitez pas à venir me voir si vous changez d'avis. Je serais très heureuse de vous avoir à mon service.'

Abigaëlle fit une nouvelle révérence et prit congé, jetant des coups d'œil par-dessus son épaule, et Elizabeth la regarda partir avec une pointe de déception. Darcy la raccompagna jusque dans la diligence, où il la fit s'asseoir tout près de lui. Maintenant que l'anxiété avait disparue, il était évidant qu'il était en colère. Honteuse, Lizzie joua distraitement avec ses gants. Elle n'était pas très fière d'elle et savait qu'elle s'apprêtait à recevoir un sermon.

-'Qu'est-ce qui vous a pris?' demanda finalement Darcy après un moment et son ton était sec. 'Je me suis fait un sang d'encre. Lorsque j'ai vu votre suivante accourir en pleurs, j'ai cru que je vous retrouverais morte dans le caniveau. Une dizaine d'homme était à votre recherche et si je n'étais pas tombé sur ce garçon par hasard, j'aurais alerté les autorités.'

Peut-être était-ce le retour au vouvoiement ou bien le simple fait de se faire gronder comme une enfant, mais Elizabeth répondit avec une certaine rudesse : 'Je n'ai pas fait exprès de me perdre, Mr Darcy. Je n'avais pas l'intention d'aller dans ce marché en premier lieu, quelque chose a attiré mon attention, puis une autre, et il m'a fallu un certain temps avant de réaliser que Claire avait disparu.'

-'C'était imprudent.'

-'Je sais.'

-'Irresponsable.'

-'Je sais.'

-'Totalement inapproprié.'

-'Je sais.'

-'Si vous le savez, pourquoi l'avez-vous fait? Et pourquoi êtes-vous allé vous promenez ainsi en pleine ville? Nous ne sommes pas à Pemberley ici, vous ne pouvez pas déambuler dans les rues comme vous le faites sur les sentiers de nos terres.'

-'J'étais trop heureuse pour contenir mon énergie, je me devais de sortir et de la dépenser de la seule manière dont je disposais; la marche.'

-'Votre énergie? Vous êtes toujours énergique, Elizabeth, et jamais auparavant n'avez-vous eu une si ridicule idée.'

-'Jane m'a rendu visite aujourd'hui et m'a annoncé qu'elle allait avoir un enfant en automne. Désolée que la joie d'une si merveilleuse nouvelle ait dérouté mon jugement.'

Darcy soupira, pinçant le haut de son nez entre son index et son pouce. 'Vous êtes trop vive, trop impulsive.'

-'Et vous êtes trop strict et trop contrôlant.' Répondit Lizzie d'une voix glaciale. 'Je reconnais mon erreur et je suis désolée de vous avoir causée de l'inquiétude. Je ne recommencerai pas, soyez en certain. J'ai eu la peur de ma vie et je n'ai pas besoin de vous pour me rappeler quel désappointement je suis.'

Nouveau soupir. Elizabeth détourna la tête et croisa les bras, blessée par ses propres paroles. Bien sûr que Darcy était déçu d'elle, comment ne pouvait-il pas l'être? Elle s'était mise dans une situation embarrassante et allait certainement être la proie des commérages, encore une fois. Si seulement Darcy n'était qu'un simple homme et que cette société étouffante n'existait pas!

Ils ne prononcèrent plus un mot pendant le reste du chemin. Lorsqu'ils arrivèrent à la maison, Elizabeth se rendit directement à la chambre en refusant de prendre son souper. Elle fit préparer son bain, se nettoyant plus assidûment qu'à l'habitude, puis revêtit sa robe de nuit. Darcy vint la rejoindre alors qu'elle était assise près de la fenêtre, les yeux perdus dans le vide.

-'Lizzie, je suis désolé de m'être emporté.'

Elle sentit ses mains se poser sur son épaule. La barrière défensive qu'elle s'était érigée en l'attendant s'effondra d'un seul coup. Elle posa alors sa main sur la sienne, plaidant encore une fois, d'une voix plus calme : 'Croyez-moi lorsque je vous dis que j'ai appris ma leçon.'

-'Je sais. Seulement, j'ai réellement crains pour votre vie. Vous ne pouvez imaginer quel cauchemar c'était de vous savoir seule dans ce quartier. C'est un miracle que vous ne vous soyez pas fait agresser.'

Elizabeth ne répondit pas, l'air coupable. Darcy capta cela et vint s'agenouiller devant elle. 'Lizzie?'

Elle ne voulait pas garder de secret, mais la colère qu'elle allait provoquer en avouant son périple l'effrayait. Cependant, elle voulait que Darcy soit toujours honnête avec elle et elle devait faire de même. 'Promettez-moi de ne pas agir impulsivement.'

-'Ai-je déjà agit impulsivement? Ceci est votre domaine.'

Lizzie lui jeta un regard entendu, heureuse tout de même de sa tentative à détendre l'atmosphère. 'Vous le voudrez après ce que je vais dire. Promettez-moi.'

-'Je le promets, alors.'

Elle lui raconta alors toute l'histoire, des hommes jusqu'à l'apparition d'Abigaëlle, et elle observa alors que le visage de son époux s'assombrissait. Lorsqu'elle eut fini, Darcy se releva d'un geste brusque et arpenta la pièce en se frottant furieusement le menton. 'Ces mécréants méritent la mort, ils méritent d'être pendus sur la place publique.' Souffla-t-il avec ferveur, les yeux en feu.

-'Vous m'avez promis, Will.' S'empressa de murmurer Elizabeth, légèrement paniquée. 'Ne faites rien, je vous en prie. Ils ne savaient pas à qui ils s'attaquaient et m'ont laissé partir dès qu'ils l'ont su.'

-'Là n'est pas la question, Lizzie! Ils auraient pu vous tuer, vous violer! Ils méritent d'être emprisonnés! Comment pouvez-vous prendre leur défense?'

-'Parce que c'est la seule famille qui reste à Miss Grant. Il me serait insupportable de savoir que mon geste de reconnaissance serait d'envoyer au pilori les seules personnes au monde sur lesquelles elle peut compter.'

Darcy eut un léger rire, comme s'il n'arrivait pas à y croire. 'Elle est reliée à eux?'

-'Pas par choix.' La défendit Lizzie avec fermeté. 'Elle avait honte de ce qu'ils ont fait, mais elle ne pouvait nier les liens du sang. Un d'eux était son oncle, deux autres ses cousins. Will, je t'en supplie, ne fais rien. Je dois certainement ma vie à Miss Grant et après tout ce qu'elle semble avoir vécu, je ne peux supporter l'idée de lui enlever quoi que ce soit d'autre.'

Darcy poussa un long soupir, calme à présent. 'Elle me semblait honnête.' Avoua-t-il, croisant les mains derrière son dos. 'Et intègre.'

-'Elle a refusé de travailler pour moi. Elle ne se pensait pas digne d'être vue à mes côtés.'

-'Elle connait sa place, Lizzie. Quelle idée d'engager une roturière comme suivante.'

-'Sa classe importe peu, William, elle semble travaillante et courageuse, et franche. Ce sont des qualités rares même dans les familles adéquates pour ce genre de poste. D'ailleurs, où est Claire? Je ne l'ai pas vu tout à l'heure.'

Ce fut alors au tour de Darcy d'avoir l'air coupable et il s'éclaircit la gorge avant d'avouer que dans sa colère, lorsque Claire lui avait annoncé avoir perdu la trace de sa maîtresse, il l'avait fortement grondé. Elle avait soumis sa démission sur le champ. Il n'était pas bien fier de son comportement et avait tenté de réparer sa faute tout à l'heure, mais rien n'y faisait. La jeune fille avait préféré prendre un poste aux cuisines, là où travaillait une grande tante, plutôt que de reprendre le poste qu'elle avait. La pression de toujours satisfaire adéquatement sa maîtresse – qui n'avait en aucun cas été déplaisante avec elle, au contraire – était trop pour sa fragile nature.

-'Elle était bien nerveuse, cela va sans dire.' Commenta Elizabeth en soupirant. 'J'aurais aimé que Miss Grant accepte mon offre. Je suis certaine qu'elle aurait accomplis le travail comme nulle autre.'

-'Vous l'appréciez vraiment, n'est-ce pas?'

-'Elle est différente, William. J'admire son courage et sa détermination. Elle a quelque chose de plus, un je-ne-sais-quoi qui, j'en suis sûre, s'harmoniserait avec mon tempérament et ma personnalité. Après tout, une suivante passe beaucoup de temps avec sa maîtresse et non pas que Claire n'était pas douée, mais elle était un peu ennuyeuse. Avec Miss Grant, je sais que nos conversations seront intéressantes. Elle semble en savoir tellement sur la vie et son attitude est rafraîchissante.'

Darcy secoua la tête, un sourire aux lèvres. 'Il n'y a que vous pour vouloir une suivante avec une opinion et une langue bien pendue.'

-'Je vais prendre cela comme un compliment.'

-'Elle fait bonne impression, je vous l'accorde. Et on aurait pu en faire quelque chose de très présentable.'

Elizabeth roula les yeux. 'Elle n'est pas de la marchandise que l'on peut modeler à son goût. Je ne souhaite pas changer quoi que ce soit en elle.'

Darcy lui jeta un regard patient. 'Je parlais de son apparence, Lizzie. Une telle robe ne sied certainement pas à la suivante d'un dame de société.'

Il s'agenouilla de nouveau devant elle, prenant son visage entre ses mains. 'Êtes-vous certaine que tout va bien?'

-'Oui, William, je vais parfaitement bien.' Insista-t-elle avec un sourire. 'Ce n'était rien, plus de peur que de mal. Ne parlons plus de cette histoire, c'est du passé.'

Lorsqu'elle s'endormit ce soir-là, le bras de son mari autour de sa taille, Elizabeth ne rêva pas à l'attaque qu'elle avait subite quelques heures plus tôt. Au contraire, de belles images lui apparurent, des scènes colorées où Jane et elle observait un petit garçon aux cheveux blond-roux courir à travers les champs de Pemberley. Cependant, Abigaëlle était aussi présente et cela lui était étrangement naturel, comme si elle avait toujours fait partie du tableau. L'amitié qui s'était tissée entre elles pendant ces quelques instants avait été suffisante pour qu'Elizabeth reconnaisse en la jeune femme une amie de grand potentiel. Personne ne pourrait remplacer sa précieuse et douce Jane, mais Abigaëlle était différente. Elle était vraie, terre à terre, vivante. Lizzie ne lui en voulait pas de ne pas avoir accepté son offre… il ne lui restait qu'à souhaiter que leur chemin se recroise un jour.

Heureusement, ce souhait se réalisa…Et beaucoup plus tôt qu'Elizabeth aurait pu croire.

(-*-)

Voilà! J'espère que vous avez apprécié, je sais pas pourquoi, mais j'aime particulièrement ce chapitre! Qu'avez-vous pensé d'Abigaëlle? Je ne vous cacherai pas que j'ai de grands plans pour cette demoiselle et j'espère que vous vous attacherez à elle : )

Je ne vous promets pas que le prochain chapitre sera rapidement mit en ligne car je déménage la semaine prochaine, mais je ferai mon possible pour que ça ne prenne pas trop de temps. De plus, je sais que ça manque cruellement de Lizzie/Darcy, mais je vous promets d'y remédier très bientôt!

Oh, et comme j'ai terminé ce chapitre en ce 24 juin 2011, le jour de notre fête nationale, je souhaite à tous mes compatriotes du Québec une belle St-Jean-Baptiste!