Bonjour, bonjour! À travers le chaos qu'est ma vie présentement, je n'ai pas pu résister au besoin d'écrire la suite. C'est un chapitre relativement simple, sans grandes aventures, mais qui ramène en scène un certain personnage que vous venez de rencontrer ) Alors sans plus tarder, bonne lecture!
(-*-)
Chapitre 12
Une entrevue pas comme les autres
Abigaëlle marchait d'un pas lent à travers les rues de la basse ville, l'air songeur. Elle n'était pas pressée de rentrer à la maison, ce minuscule logement où s'entassait douze personnes chaque soir pour un maigre souper et des lits dépareillés. Elle avait gagné assez d'argent aujourd'hui à la buanderie pour acheter du pain et un bout de fromage. Elle passerait donc par le marché, les aliments étant toujours moins cher lorsque la journée tirait à sa fin; peut-être pourrait-elle même rapporter un peu de miel pour agrémenter le gruau du matin. Ses cousins et cousines en serait enchantés.
Cependant, quelque chose la chicotait ; Abigaëlle avait du mal à se remettre de sa rencontre avec Elizabeth Darcy. Ce n'était pas la première femme de la bourgeoisie qu'elle rencontrait – beaucoup de grandes dames venaient donner des vêtements au couvent, pour l'orphelinat – mais c'était certainement la première fois que quelqu'un faisait une si grande impression sur elle. Elle n'aurait pu dire pourquoi, mais Mrs Darcy l'intriguait. Abigaëlle n'avait pas vu en Elizabeth cet air hautain et froid qui caractérisait tant cette classe de gens. Elle n'avait pas vu le regard arrogant de celle qui a tout et qui pourtant en veut plus. Non, ce qu'Abby avait vu c'était une lueur farouche et déterminée, un regard qui, même apeurée, ne pouvait cacher son caractère vif. Et, surtout, Elizabeth Darcy ne l'avait pas traitée de haut.
Abigaëlle en avait été surprise, comme l'aurait été n'importe qui de son rang. Elizabeth n'avait pas entretenu la conversation seulement parce qu'elle s'y croyait obligée; elle avait été sincère dans son goût de la connaître et n'avait pas été choquée de sa franche opinion. Car Abby avait ce vilain défaut de dire tout ce qu'elle pensait lorsqu'elle le jugeait nécessaire et cela lui avait parfois attiré des ennuis. Elle ne pouvait tout simplement pas vivre en hypocrite tout comme elle ne pouvait se résoudre à mendier. Ses parents lui avaient appris à travailler fort pour gagner son pain et à toujours être une bonne personne. Ses valeurs étaient justes et elle agissait toujours selon son cœur, peu importe les conséquences.
Une sourde douleur l'assaillit lorsqu'elle songea à ses parents. Ils étaient partis trop tôt. Ils étaient partis et elle était seule maintenant, seule au milieu de cette ville inhospitalière où elle se démenait chaque jour pour survivre. La seule consolation qu'elle y trouvait était que ses parents étaient dans un monde meilleur et que ses frères, loin à la guerre, était bien nourris et logés. Quant à elle, elle avait un toit sur la tête et parfois de la nourriture sur la table. La faim, elle y était habituée. La petite ferme familiale n'avait pas toujours suffi à les nourrir, surtout dans les plus dures années où les récoltes étaient mauvaises. Elle aurait été bien égoïste de se plaindre car, après tout, beaucoup de gens avaient de pires situations que la sienne. Elle était toujours forte, bien que maigre, et n'avait pas peur de s'échiner à la tâche. Sa détermination était ce qui permettait à sa seconde famille d'être un peu plus confortable, sa sueur ramenant quelques couleurs au visage de sa tante, qui semblait au bout du rouleau. Abigaëlle jeta un coup d'œil à ses mains, qui étaient toujours aussi abîmées après une journée comme celle-ci, et se rappela qu'Elizabeth les avait regardés avec compassion et non dédain. Elle avait compris ce qu'elles représentaient et avait exprimé une sorte de…respect? Était-ce vraiment ce qu'elle avait vu? C'était à partir de ce moment qu'Abby avait décidé que, rumeurs ou non, Elizabeth Darcy était une bonne âme.
Lorsqu'elle passa la porte du minuscule logement, Abigaëlle ébouriffa les cheveux de son plus jeune cousin et posa le pain, le fromage et le miel sur la petite table. Sa tante Molly, qui faisait la vaisselle, lui adressa un sourire reconnaissant. Abby empoigna un tablier et s'attela à la tâche aussi, ignorant l'élancement dans ses mains et la douleur dans son dos. Elle n'avait pas le temps de s'attarder sur sa fatigue.
-'Ton oncle est embêté.' Dit silencieusement sa tante en lui passant une assiette détrempée. 'Ta p'tite scène a pas plu à son ami, Horace. Y'a été obligé d'l'amener boire un coup pour l'faire oublier sa colère.'
Abigaëlle secoua la tête, lasse. 'Ça vous aurait attiré plus d'ennuis que de bien. Si lui peut se permettre de s'enfuir si la police est à ses trousses, ce n'est pas la même chose pour vous tous ici. Et sans mon oncle et mes cousins et l'argent qu'ils rapportent, ils vous seraient impossible de survivre.'
-'J'sais, j'dis pas qu't'a pas bien agi, Abby, j'dis seulement qu'à ta place j'l'éviterais pendant que'ques jours.'
La jeune femme poussa un long soupir. Dans cette vie si différente de celle où elle avait été élevée, où tout voisin est ami un jour, ennemi le lendemain, où la jalousie éclate pour un simple navet, sa tante était la seule personne en qui elle avait entièrement confiance. Il lui sembla alors naturel de lui confier ce que Mrs Darcy avait demandé d'elle et lorsqu'elle le fit, Molly resta bouche-bée, oubliant son travail momentanément.
-'Tu veux rire, Abby? T'a pas accepté?' Ses grands yeux cernés la fixaient d'un air ahuri.
-'Et te laisser seule pour te débrouiller avec les enfants? Je suis plus utile ici, tu as besoin de moi.'
-'Abigaëlle Grant, écout' moi bien. C'est pas parce que nous autres ont est mal fichu dans vie qu'toi aussi tu dois l'être. T'es pas né pour un 'tit pain, j'l'ai toujours su, et s'tait sûrement ta chance de t'sortir d'l'a misère. J'suis ben heureuse de t'avoir ici pour m'aider, mais j'peux pas accepter qu'tu vives dans souffrance à cause de nous. J'me débrouillais avant, j'peux ben me débrouiller sans toi maintenant.'
Abby était incapable de se résoudre à quitter cette femme qui l'avait recueilli à bras ouverts malgré la surpopulation de la famille. De toute façon, qui était-elle pour aspirer à servir une des plus grandes familles de la bourgeoisie? 'Tante Molly, je ne suis pas certaine que ce soit une bonne idée. Je ne suis pas de leur calibre, je suis une fille de fermier. Comment est-ce que je pourrais être à la hauteur?'
-'T'es plus que ça, ma fille, ben plus que ça. Quand on a l'cœur gros comme le tien, on peut être n'importe quoi. Réfléchis-y, au moins.'
La jeune femme approuva de la tête, n'ajoutant rien. Elle ne s'était pas attendue à se faire réprimander; au contraire, elle aurait cru que sa tante aurait apprécié son geste. Après tout, c'était grâce à elle si Molly pouvait souffler un peu maintenant. Qui sait ce qui pourrait arriver si Abigaëlle décidait d'accepter l'offre de Mrs Darcy? Sa santé dégraderait rapidement, la faim, l'angoisse et le dur labeur aurait sûrement raison d'elle. Non. Elle ne pouvait pas se résoudre à aller vivre une vie confortable au service des Darcy alors que sa tante et ses enfants mourraient de faim. Quant à son oncle…eh bien, elle avait honte de s'avouer que cela lui importait peu. Il avait beau ramener assez d'argent pour nourrir minimalement ses enfants, il en utilisait beaucoup trop pour la boisson. Les petits étaient en grand besoin de nouveaux vêtements et le tissu n'étaient pas donné. Sans parler du petit dernier, qui ne semblait pas tolérer facilement certains aliments, comme le pain, et qui devait suivre un régime bien stricte. Ou bien sa cousine Betty, qui avait besoin de lunettes. Il n'y avait jamais assez d'argent pour ce genre de choses, mais il y en avait toujours pour un verre ou deux.
Le soleil se coucha et après le souper, les enfants furent mis au lit et Abigaëlle entreprit de raccommoder quelques vêtements. Alors qu'elle plissait les yeux à la lueur de la chandelle, un de ses cousins entra en titubant et percuta la table avant de s'effondrer en riant sur le sol. Réprimandant une réplique acerbe, Abby se leva pour le conduire sur le banc qui lui servait de lit, mais celui-ci la repoussa avec négligence.
-'Touche-moi pas, Bobby, j'ai pas b'soin d'ton aide.'
-'Ouais, c'est ce que je vois.' Marmonna-t-elle en le voyant essayer à plusieurs reprises de se relever et de garder l'équilibre. 'Où est mon oncle? Et ton frère?'
Franck haussa les épaules. 'Sais pas. Au pub. Faudrait aller les chercher j'pense. Marvin est pas ben ben fort, p'pa s'ra pas capable de l'ramener tout seul.'
-'Tu n'aurais pas pu l'aider, toi? Tu as réussi à te rendre jusqu'ici en un morceau.'
Sa mère entra au même moment, observant son aîné avec découragement. 'Encore?'
-'Ils sont au pub.' Expliqua Abigaëlle en enfilant ses souliers. 'Souhaitons qu'au moins un des deux soit encore conscient.'
-'J'arrive.'
Les deux femmes prirent la route familière menant plus haut dans le quartier, là où beaucoup d'hommes venaient passer leur soirée afin d'oublier leur misère. Les effluves nauséabondes des rues étaient lourdes, l'air chargé de pluie. Bientôt, la chaleur et l'humidité seraient insupportables et les épidémies frapperaient de plein fouet. Abigaëlle n'avait jamais passé l'été à Londres et redoutait ce moment; si elle avait pu s'enfuir avec sa tante et ses enfants, elle l'aurait fait. Deux de ses cousines étaient déjà mortes l'été précédent, l'épidémie de typhus ayant été destructrice même pour ceux vivant loin de la ville. C'était cette même épidémie qui avait emporté si rapidement ses parents.
-'Si c'est pas la p'tite sainte.'
Le cœur d'Abigaëlle se figea. Alors qu'elle et sa tante tournaient le coin de la rue, elles tombèrent face à face avec Horace, l'ami de son oncle, et il n'était pas difficile de deviner pourquoi il affichait cet air menaçant. Ne se laissant pas intimider, Abby leva la tête et le contourna sans répondre, mais il l'empoigna sauvagement par le bras. Son haleine puait l'alcool et il n'était pas très stable sur ses pieds.
-'J'allais justement v'nir t'voir.' Il eut un sourire mauvais. 'Tu pensais vraiment qu't'allait t'en sortir aussi facilement? T'imagine c'que j'aurais pu gagner avec c'te femme de riche là?'
Abigaëlle allait répondre que la seule chose qu'il aurait gagné à détenir Mrs Darcy était une corde autour du cou, mais Horace leva la main et la gifla violemment sur la joue.
-'Ta gueule! J'veux rien entendre d'tes raisons à la noix!' Puis il l'empoigna par les cheveux, tirant fort. 'Tu vas m'repayer tout l'argent qu'ça aurait pu m'rapporter, t'a compris? Si ton oncle sait pas dresser ses femmes, soit pas inquiète que moi j'le sais et j'hésite pas à frapper lorsque j'crois qu'elles ont b'soin d'une bonne correction.'
Pour prouver son point, il la frappa de nouveau, au niveau de l'œil, et Abigaëlle fut propulsée contre le mur derrière elle. Des larmes de douleur lui brulèrent les yeux alors qu'elle essayait de se redresser et elle n'eut pas le temps de se défendre qu'une autre gifle lui fendit la lèvre. Sa salive avait un goût de sang.
-'Et si tu r'fuses…' la menaça-t-il en l'empoignant par le col, 'J'vais t'faire regretter d'être née.'
Abigaëlle jeta un coup d'œil à sa tante qui, après avoir poussé un cri d'effroi, s'était mise à la recherche d'un quelconque objet pour la défendre. Elle avait fini par trouver un bout de planche provenant d'une porte et s'apprêtait à l'abattre sur la tête d'Horace lorsqu'Abby lui fit signe de rester où elle était. Si sa tante se mêlait à cette histoire, qui sait ce qu'il pourrait faire à sa famille? Elle devait laisser Molly en dehors de tout ça.
-'Laisse-moi partir.' Réussit-elle à dire, sa voix à peine tremblante.
Horace éclata d'un rire gras. Il l'avait à nouveau empoigné par le bras et il serrait fort, très fort. 'Oh, non, j'crois pas qu'ce soit possible.'
De son autre main il emprisonna sa mâchoire dans une étreinte douloureuse. 'J'partirai pas tant qu'j'ai pas un prix d'consolation. Tu f'ras l'affaire, j'suppose, un peu osseuse, mais pas mal moins chère qu'les putes d'la maison de M'dame Joyce.' Il ajouta, rapprochant son visage du sien : 'Ça t'donnera une p'tite idée de c'qui t'attend si tu m'ramènes pas l'argent qu'tu m'dois.'
Abigaëlle plissa les yeux. 'Jamais.'
Elle leva le genou de toutes ses forces, heurtant Horace directement dans l'entre-jambe. Poussant un grognement sonore, il l'a lâcha enfin et Abigaëlle en profita pour s'éclipser en vitesse, agrippant la main de sa tante au passage. Elles couraient à présent, retroussant leurs jupes pour leur permettre une meilleure progression. Tant pis pour son oncle et son cousin, ils se débrouilleraient seuls.
Lorsqu'elles atteignirent le logement, hors d'haleine, Abby s'essuya la bouche du revers de la main. Une traînée écarlate tachait sa peau; une douleur sourde résonnait derrière son œil gauche.
-'Abby, il faut qu'tu partes.' S'empressa de lui dire Molly, visiblement effrayée. 'Il va r'venir, il te lâchera pas tant qu'tu seras là. Tu peux pas rester ici. Pas pour le moment, il faut attendre qu'il se calme. Il peut te tuer, Abby, j'suis sûre qu'il hésitera pas. Il a tué sa femme parce qu'elle voulait pas s'offrir à lui quand elle était malade. Sa propre femme, t'imagine?'
Paniquée, Abigaëlle crut entendre la voix grave d'Horace se rapprocher. 'Et toi? Je ne veux pas qu'il t'arrive quoi que ce soit!'
-'Abby, dis pas de bêtises et va! J'me débrouillerai tout' seule.'
-'J'suis pas assez saoul pour pas défendre ma prop' mère.' Grommela Franck, qui venait d'apparaître dans le cadre de la porte. 'J'vais aller réveiller Vincent et Garrett.'
-'Mais…'
-'Va-t-en!' l'urga Molly en la poussant. 'T'a encore le temps d't'enfuir. Tes cousins m'défendront et ton oncle permettra pas qu'on m'fasse du mal. J'suis sa femme quand même.'
-'Je ne peux pas…'
La voix se rapprochait dangereusement maintenant. Abigaëlle pouvait entendre tous les jurons distinctivement.
-'Va-t-en!' répéta sa tante, presque hystérique. Franck venait d'apparaître derrière elle avec deux de ses frères, encadrant leur mère comme un mur protecteur. 'Va-t-en, j'te dis!'
S'arrachant à l'étreinte de Molly, elle s'enfuit à toutes jambes dans la nuit.
Abigaëlle courut longtemps. Elle courut jusqu'à ce que ses poumons brûlent et que ses jambes ne lui obéissent plus. Elle courut par-delà la basse ville, par de-là les grandes bâtisses de briques du centre de la ville, plus loin encore qu'elle avait jamais été. Lorsqu'elle atteignit la Tamise, sombre et austère, elle la longea jusqu'à ce qu'elle atteigne un des ponts et descendit la pente en roche pour se cacher sous sa structure. Là, et seulement là, se permit-elle de s'arrêter, s'effondrant sur le sol comme un vulgaire chiffon. Elle se recroquevilla sur elle-même en essayant tant bien que mal de reprendre son souffle, ignorant la douleur dans ses membres et le feu dans sa gorge, ouvrant ses oreilles à la recherche du moindre bruit qui indiquerait qu'elle avait été suivie. Cependant, malgré ses efforts, tout ce qu'elle pouvait entendre était son cœur qui battait comme un tambour dans sa poitrine.
Abby resta un long moment ainsi, alerte, prête à bondir, avant d'enfin pouvoir se détendre. Puis, lorsqu'elle fut convaincu que personne ne la pourchassait, elle se décrispa et permit aux larmes de franchir la barrière qu'elle avait solidement érigée. Qu'allait-elle faire? Sans toit ni ressources, elle n'allait pas pouvoir survivre. Et sa tante? Comment ferait-elle pour s'occuper seule de tous ses enfants s'il arrivait quelque chose à son oncle? Tout cela était de sa faute ! Abigaëlle prit une profonde inspiration, essuyant son nez avec sa manche. Elle ne pouvait pas s'apitoyer sur son sort, il lui fallait trouver une solution à son problème. Il lui fallait un endroit où dormir, loin de sa famille, loin d'Horace. Un endroit où il ne pourrait pas la retrouver. Une autre ville? Mais où? Peut-être pourrait-elle trouver un travail, quelque chose qui serait assez payant pour pouvoir envoyer un peu d'argent à sa tante... Avec la guerre, les postes d'infirmières étaient courants, peut-être pourrait-elle s'enrôler?
Abby soupira, chassant ses cheveux de son visage de ses mains tremblantes. Pourrait-elle jamais revenir à Londres? Pour la deuxième fois en moins d'un an elle venait de perdre sa famille. Elle était seule. Complètement seule.
Alors qu'elle fouillait ses poches à la recherche d'un mouchoir, sa main tomba sur quelque chose de dur ; Abigaëlle en sortit le petit carton et y lut l'adresse des Darcy. Son cœur se mit à battre. Elle ne pouvait tout de même pas…Détournant la tête, ses pensées s'activant furieusement, elle songea à ce que cela lui ferait de travailler pour une famille aussi riche. Nettoyer, cuisiner, raccommoder, jardiner, ça, elle pouvait le faire et plutôt bien. Ses habilités dans les tâches domestiques étaient assez grandes et elle n'avait pas peur de travailler dur. Peut-être pourrait-elle s'en sortir…si elle s'y appliquait de toutes ses forces, que ce soit déplumer un poulet et désherber les bosquets et le jardin, peut-être pourrait-elle être à la hauteur. Elle pouvait même nettoyer les écuries si elle le devait. De plus, Elizabeth avait dit qu'elle serait logée et nourrit et payée. Dans ces conditions, elle n'aurait pas besoin d'argent pour ses propres besoins, l'essentiel lui étant fourni, et pourrait envoyer ses gages à sa tante. Chez les Darcy, elle ferait probablement en une semaine ce qu'elle pouvait se faire ici en un mois.
Abigaëlle rassembla son courage; elle en avait besoin pour faire ce qui l'attendait. Elle qui n'aimait pas mendier, elle devait maintenant se rendre jusque dans les beaux quartiers afin de s'entretenir avec Mrs Darcy. Elle ne lui dirait pas qu'elle l'accepte son offre, c'était trop prétentieux. Non, elle lui demanderait plutôt une période d'essai, voilà ce qu'elle ferait. Il est tout à fait légitime pour une personne de demander du travail et d'offrir, gratuitement, une période d'essai. Surtout pour les riches. Si son travail plait aux Darcy, alors elle serait engagée en bonne et due forme. Des papillons dans l'estomac, Abigaëlle se débarbouilla un peu le visage avant de prendre la route.
Elle marcha longuement d'un pas incertain à travers les rues des beaux quartiers. Sur sa route, elle avait croisé une diligence qui lui avait indiqué le chemin à suivre et c'était comme une ombre qu'elle s'était faufilée jusqu'au Kensington Square. Abby fut soulagée de se déplacer ainsi de nuit, loin de tous les regards. Ses blessures lui faisaient encore mal et elle espérait que ce tableau ne ferait pas fuir les Darcy. Lorsqu'elle fut devant la grande maison de brique grise, elle s'arrêta. Il était tard; aucune lumière ne perçait à travers les fenêtres. Par chance, il faisait encore chaud et peut-être arriverait-elle à obtenir son entrevue avant que Mère Nature ne fasse éclater sa colère sur Londres.
(-*-)
Elizabeth se réveilla le lendemain matin avec le bruit de l'orage qui éclatait et de la pluie qui martelait la fenêtre. Il faisait si gris qu'il semblait être encore tôt le matin alors qu'il était passé les huit heures. Même Darcy était encore profondément endormi à ses côtés et ça, c'était inhabituel.
Faisant bien attention de ne pas le réveiller, Lizzie s'éclipsa de sous son bras et l'observa avec un petit sourire avant de se lever. Son air sérieux le suivait même dans son sommeil. Elle caressa légèrement son front, entre les sourcils, afin de faire disparaître le pli qui s'y trouvait. Darcy poussa un long soupir avant de se détendre enfin.
Elizabeth se leva, arpentant la pièce afin de se dégourdir les jambes. Elle n'était pas d'humeur en cette journée pluvieuse, consciente que dans quelques heures à peine Darcy prendrait la route de Liverpool et ne reviendrait pas avant au moins deux semaines. Bien sûr, elle était heureuse que Jane vienne passer du temps avec elle, mais l'absence de son mari serait pesante et le vide dans son lit l'empêcherait certainement de bien dormir.
Comme à son habitude, elle se dirigea vers la fenêtre afin d'observer le jardin d'en face. C'était le seul espace de verdure du quartier et un des moyens les plus efficaces pour chasser son amertume. La vue des fleurs, des arbres et du petit étang l'apaisait et bien qu'une mince consolation, s'en était tout de même une. La pluie tombait drue et transformaient les arbres en ombres gigantesques. L'air était lourd et brumeux. Peut-être que les conditions empêcheraient Darcy de partir aujourd'hui…Ses pensées s'arrêtèrent lorsqu'elle aperçut une silhouette au pied d'un orme, presque indiscernable à travers le rideau de pluie. Qui pouvait bien sortir par un temps pareil?
-'Juste ciel!' s'étonna Elizabeth en réalisant qui se trouvait devant leur maison, en proie aux intempéries. Elle se précipita alors vers son vestiaire et revêtit la première robe qui lui tomba sous la main. Elle s'empara d'un châle épais et s'en entoura avant de dévaler les escaliers jusqu'au rez-de-chaussée, où les domestiques, surpris, s'écartèrent de sur son passage. Elle ouvrit la porte à la volée et, se jetant sous l'orage, traversa la rue en courant. Lorsqu'elle atteignit Abigaëlle, elle était déjà détrempée de la tête aux pieds.
-'Miss Grant!' s'exclama Lizzie, hors d'haleine. 'Que faites-vous donc ici?'
La pauvre tremblait de la tête aux pieds, ses longs cheveux couvrant son visage. 'J-j-je n-n-e v-v-v-voulais p-p-pas v-v-vous d-d-dérang-g-ger à c-c-cette heur-r-re, M-m-mrs D-d-darcy.'
-'Depuis combien de temps êtes-vous ici? Avez-vous passé la nuit dehors?'
Abigaëlle hocha la tête. Elizabeth l'aida à se relever et lui passa son châle autour de ses épaules. 'Miss Grant, quelle folie! Cela ne pouvait donc pas attendre jusqu'au matin?'
Alors qu'elle disait ces mots, la jeune femme releva la tête et Lizzie put apercevoir un cerne bleu-violet marquant son œil gauche. Scandalisée par cette vue, qu'Abigaëlle n'arriva plus à cacher maintenant qu'elle était à la hauteur de son interlocutrice, elle sentit sa gorge se nouer. 'Quiconque vous a fait cela mérite d'être puni. Je suis désolée, Miss Grant, sincèrement.'
-'N-n-ne le s-s-soyez p-p-pas, Mrs D-d-darcy. C-c-ce n'est p-p-p-as vot-t-tre f-f-faute.'
-'Bien sûr que si. Ne restons pas ici, vous allez attraper votre mort. Rentrons.'
Quelque peu réticente, Abigaëlle zyeuta l'entrée principale d'un regard craintif, resserrant maladroitement le châle autour de ses épaules. 'J-j-je ne d-d-dev-v-rait p-p-pas ent-t-trer p-p-par la p-p-p-orte av-v-vant.'
-'Ne soyez pas ridicule, voyons. Venez.'
Elle l'entraîna à l'intérieur où déjà deux valets se présentèrent avec des linges secs. Elizabeth insista pour que la jeune femme monte à l'étage plutôt que de se rendre dans le quartier des domestiques et l'installa dans la chambre d'invitée, où elle ordonna que l'on coule un bain bien chaud. On alluma aussi un feu afin qu'elles se réchauffent. Abigaëlle observait avec crainte la pièce dans laquelle elle se trouvait, prenant note des grandes tentures, des tableaux au cadre doré, du grand foyer et des chaises bien rembourrées sur lesquelles elles étaient assises. Lorsqu'elle cessa enfin de trembler, Abby osa prendre la parole. 'Mrs Darcy, je suis venue ici pour obtenir une entrevue.'
-'Une entrevue?'
-'Oui, j'aimerais que vous considériez ma candidature pour un poste ici. J'aimerais servir votre famille.'
Elizabeth haussa les sourcils, surprise. 'Miss Grant, vous n'avez pas besoin d'entrevue, je vous ai offert un poste et il est toujours ouvert, si vous le souhaitez.'
Cependant, Abigaëlle resta résolue. 'S'il-vous-plaît, j'aimerais faire cela selon les normes. Je veux que vous me traitiez comme n'importe quelle personne entrant à votre service. Je ne peux accepter votre offre, mais peut-être pouvez-vous accepter la mienne. Je suis prête à montrer ma valeur, sans gages. Je veux vous prouver que vous faites un bon choix en m'engageant.'
Lizzie resta sans mot pendant un moment, ne sachant que penser. L'étrangeté de la situation l'aurait fait éclater de rire si le regard de la jeune femme n'avait pas été si sérieux. Cependant, elle comprenait son l'insistance; en se agissant ainsi, Abigaëlle n'était pas considérée comme la roturière trouvée dans la rue, mais bien comme une candidate s'étant présenté à la recherche de travail. 'Je respecte cela,' répondit finalement Elizabeth. 'Si vous voulez une entrevue, soit, ce serait fait. Aujourd'hui même.'
-'Merci.'
-'Devrais-je quérir un médecin?' hésita Lizzie, inquiète, en pointant les blessures sur son visage.
Abby secoua la tête, puis toucha du bout des doigts sa lèvre. 'Ce n'est pas la peine, ce n'est rien.'
-'Rien? Ce n'est pas rien, Miss Grant. Qui vous a fait cela?'
-'Une de vos récentes connaissances.' Répondit-elle d'une voix légèrement sarcastique. 'L'ami de mon oncle. Il n'était pas très content d'avoir à vous laisser partir.'
-'Et votre oncle n'a rien pu faire? N'aurait-il pas pu l'empêcher? Et vos cousins? Comment ont-ils pu laisser cet homme vous frapper?'
-'Ils n'étaient pas là.'
-'Vous étiez seule?'
-'Non, j'étais avec ma tante. Je vous assure que ce n'est rien. Les hommes en boisson ne court pas très vite et j'ai réussi à m'enfuir avant qu'il ne puisse me faire vraiment du mal. Je lui ai même laissé une douleur dont il se souviendra pendant un moment.'
Elle eut un sourire qui ne rejoignit pas ses yeux. Elizabeth poussa un long soupir. 'Tout est ma faute. C'est mon étourderie qui est la cause de tout cela.'
Abigaëlle secoua la tête. 'Ne vous en voulez pas, Mrs Darcy, ce n'est pas de votre faute. C'est moi qui ai décidé de m'interposer. J'accepte les conséquences de mes actes.'
Lizzie ne pouvait pas en croire ses oreilles. 'Quel âge avez-vous donc, Miss Grant? J'ai l'impression de parler avec une sage.'
La jeune femme eut un petit rire, qu'elle tut en faisant une légère grimace, sa lèvre inférieure s'étant fendue à nouveau. Elizabeth lui proposa un mouchoir, qu'elle accepta timidement. 'Merci. Mrs Darcy, je ne mérite pas de telles attentions, je ne devrais pas être assisse ici, mais plutôt dans la cuisine. Tout ceci,' dit-elle en faisant un grand cercle de la main, 'est trop beau pour moi.'
-'Miss Grant, comprenez une chose.' Lui répondit alors Lizzie, presque sévèrement. 'Vous vous êtes faites maltraiter par ma faute et même si vous clamez le contraire, je m'en sens responsable. Que vous le vouliez ou non, vous ne serez pas déménagée aux cuisines. Tant et aussi longtemps que vous serez mon invitée, vous resterez dans cette chambre et serez aux bons soins de mes domestiques et de moi-même. Si vous êtes choisie pour travailler pour moi alors nous reparlerons de vos conditions.'
Abigaëlle sembla un peu en détresse. 'Mrs Darcy, je ne voulais pas vous offenser en –'
Elizabeth leva la main, un sourire aux lèvres. 'Ne parlons plus de cela maintenant. Buvez, cela va vous faire du bien.'
La jeune femme baissa la tête, fixant le thé qu'elle tenait entre ses doigts. Ces derniers ne touchaient presque pas la tasse, comme si elle avait peur de la salir. Elle n'y avait que trempé ses lèvres et Elizabeth s'enquerra de la raison pour la laquelle elle était réticente à boire.
-'C'est du thé de première infusion.' Murmura Abigaëlle pour toute explication.
-'Vous n'aimez pas?'
-'Le café est beaucoup plus abordable, d'où je viens.'
Elizabeth se mordit la lèvre. Bien sûr qu'elle n'avait jamais eu droit à ce luxe, le thé importé était beaucoup trop dispendieux pour que la petite classe puisse se l'offrir. Et même ceux qui avait un peu plus de chance devait se contenter des restes de la bourgeoisie.
-'Et j'ai vingt et un ans, madame.' Dit soudainement Abby après un moment de silence.
-'Pardon?'
-'Vous m'avez demandé mon âge. J'ai vingt et un ans.'
Lizzie l'observa un moment. Elle avait l'air jeune avec ses pommettes hautes, sa petite bouche et son nez légèrement retroussé. Cependant, sous les longs cils, par-delà la couleur océan, se trouvait un regard qui ne l'était pas du tout. Les épreuves de la vie vieillissent l'esprit, avait-elle lu une fois. Elizabeth n'avait pas de mal à le croire.
On cogna alors à la porte et une bonne s'avança, annonçant que les bains étaient prêts. Quittant la jeune femme, la maîtresse de la maison prit la direction de sa chambre et retrouva Darcy à son secrétaire, les cheveux toujours en bataille et vêtu seulement de ses braies. Lorsqu'il l'aperçu, il eut un léger sursaut. 'Lizzie, êtes-vous tombée dans votre bain toute habillée?'
Réalisant qu'elle était toujours vêtue de la robe mouillée qu'elle avait porté pour aller chercher Abigaëlle sous l'orage, Lizzie pouffa de rire. 'Vous aimez les lacs et moi la pluie, Mr Darcy.' Le taquina-t-elle en se dirigeant vers lui. Elle prit place sur ses genoux, entourant son cou de ses bras. 'Je me souviens encore lorsque je vous ai rencontré pour la première fois à Pemberley. Vous rappelez vous?'
Darcy eut l'air sombre. 'Si je m'en rappelle? J'avais si honte…J'étais horrifié de cette tenue hautement inappropriée.'
Elizabeth eut un petit rire. 'Peut-être inappropriée, mais oh! combien agréable...'
-'Vous vous moquez.'
-'Pas du tout.'
-'Je ressemblais à un chien mouillé.'
-'Est-ce une manière de dire que je ressemble à un chien mouillé présentement?'
-'Bien sûr que non. Vous êtes ravissante, comme toujours.'
Elle roula les yeux, puis l'embrassa légèrement avant de se lever et de se diriger vers son vestiaire.
-'Pas si vite, Mrs Darcy.' L'interpella-t-il alors, se levant prestement pour l'attraper par la taille. 'Où allez-vous donc? Vous semblez pressée.'
-'Je le suis. Miss Grant est à côté. D'ailleurs, elle demande une entrevue.'
Elle lui expliqua alors la situation et Darcy haussa un sourcil, l'air railleur. 'Je n'osais croire qu'une femme puisse être plus fière que vous, Elizabeth. Vous avez trouvé votre égal.'
-'Oh, mais je l'avais déjà trouvé en vous, William, ne vous sous-estimez pas. Et Miss Grant n'a pas de fierté mal placée tandis que nous…nous sommes deux orgueilleux qui n'apprendrons jamais mieux.' Puis, se rappelant amèrement qu'aujourd'hui était prévu le départ de son époux, elle demanda : 'Quand devez-vous partir?'
Darcy jeta un coup d'œil par la fenêtre, songeur. 'Avec cette température, je crains que notre voyage ne soit délayé de quelques heures. Les routes vers Liverpool sont molles et deviennent dangereuses lorsqu'elles sont glissantes. Si le temps ne s'améliore pas, nous ne partirons que demain.'
Un sourire illumina le visage d'Elizabeth, qui se jeta à son cou en plaquant un baiser sonore sur sa bouche. 'Alors souhaitons que la pluie dure tout l'été.'
Lorsqu'Abigaëlle pénétra dans le boudoir, Lizzie aurait une fois de plus éclaté de rire devant son air si sérieux si elle n'avait pas eu peur de l'offenser. Assise près de son mari, la maîtresse de Pemberley invita la jeune femme à prendre place sur la chaise devant eux. C'est avec satisfaction qu'elle remarqua qu'Abigaëlle avait troqué sa robe de roturière pour une simple robe de coton brun pâle. Ses cheveux, fraîchement lavés, étaient ramenés sur le dessus de sa tête et seules quelques boucles s'échappaient de cette coiffure rigide pour encadrer son visage. Ainsi coiffée, les traces des méfaits qu'elle avait subis étaient bien en évidences. Lizzie avait oublié d'en avertir Darcy, qui se figea sur son siège en voyant cela. Elle prit alors discrètement sa main dans la sienne, serrant bien fort pour qu'il comprenne qu'il ne devait pas en parler.
-'Bonjour Mr Darcy, désolée de survenir ici sans invitation. Mrs Darcy a fait preuve d'une grande bonté en m'autorisant cette entrevue et j'espère que je ne vous décevrai pas. Même si nous avons déjà été présenté, je veux faire cela selon les normes.' Elle prit une grande inspiration, puis dit : 'Je suis Abigaëlle Grant, de Harrow's Creek, près de Ludlow, dans le Shropshire. Je suis à Londres depuis septembre dernier et j'aimerais postuler pour un emploi à votre service.'
Peu habitué d'être abordé si directement, Darcy jeta un coup d'œil à Elizabeth, puis reporta son attention sur la jeune femme. 'Bien. Quelles sont vos compétences?'
-'Lorsque je me mets à une tâche, j'y mets tous mes efforts et ma volonté, Monsieur. On ne me prend jamais à faire une erreur deux fois et j'apprends vite. De plus, la charge de travail ne me fait pas peur. Je sais que je n'ai pas d'antérieurs suffisants pour rêver d'obtenir un emploi ici et je sais que je n'ai pas le statut de naissance requise, mais je peux vous affirmer que je ferai tout pour ne jamais vous décevoir. Je prendrais n'importe quel poste, que ce soit récurer les casseroles ou polir vos chaussures – oh! non pas que polir vos chaussures soit une tâche ingrate, bien au contraire, je crois même que ce serait bien prétentieux de ma part de croire qu'on puisse me confier une chose d'une telle importance – enfin, vous voyez ce que je veux dire. Laissez-moi juste une chance de me prouver, une seule, et vous verrez que je travaille bien et que je suis une employée fidèle et honnête. Je suis sûre que vous ne regretterez pas votre choix lorsque vous verrez ma détermination à vous plaire, à vous et Mrs Darcy, qui a été si généreuse avec moi aujourd'hui. Voilà…est-ce que…est-ce que j'ai oublié quelque chose?' s'inquiéta Abigaëlle, dont le discours avait été un flot de paroles prestement prononcés.
Darcy l'observa en haussant les sourcils. 'Oui, vous avez oublié quelque chose, Miss Grant.'
Le visage de la jeune femme se décomposa. 'Qu'ai-je oublié, Monsieur?'
-'De respirer.'
Le silence qui suivit fut coupé par Elizabeth qui pouffa derrière sa main, incapable de se contenir plus longtemps. Voyant que Darcy souriait à présent, Abigaëlle eut un air gêné. 'Oui, je crois que je parle un peu trop.' Avoua-t-elle, mais elle souriait elle aussi. 'C'est un de mes défauts. Seulement, je voulais être certaine que tout y était.'
-'Je crois que tout a été dit. Votre partie est terminée, Miss Grant. Maintenant, c'est à moi de poser les questions.'
-'Oui, Monsieur.'
Darcy croisa les mains devant lui. 'Vous savez que le bien être de ma femme est très important pour moi.'
-'Oui, Monsieur.'
-'Ainsi, il est primordial qu'elle reçoive toutes les attentions nécessaires.'
-'Oui, Monsieur.'
-'Je ne vous cacherai pas que cette situation est un peu singulière puisqu'habituellement le poste pour lequel vous postulez est réservé à des femmes de famille distinctes. Seulement, Mrs Darcy semble avoir une affection particulière à votre égard et, ma foi, vous défendez votre cas avec beaucoup de véhémence. Je vous accorde donc cette période d'essai à laquelle vous semblez tant tenir et ce sera ma femme qui, d'ici sept jours, vous donnera son verdict.'
Le visage d'Abigaëlle s'illumina. 'Vraiment?'
-'Vous semblez surprise.'
-'Eh bien, oui, je le suis…Je ne m'attendais pas à ce que ce soit si facile.'
Elizabeth jeta un coup d'œil à Darcy, qui répondit d'un léger sourire en coin. Devaient-ils lui annoncer que ce n'était pas du tout ainsi que les choses se passaient habituellement?
-'Miss Grant, voici les termes de votre contrat : vous serez au service personnel de Mrs Darcy à toute heure du jour et de la nuit et vous veillerez vous-même à ce qu'elle ne manque de rien. Vous aurez un large contrôle sur tout ce qui touche son bien-être et pourrez ordonner aux domestiques ce dont vous avez besoin si ce n'est pas à votre disposition immédiate. Ensuite, vous devrez –'
Abigaëlle fut soudainement très pâle. 'Pardon? Service p-personnel?
Darcy fronça les sourcils. 'Oui, vous serez la suivante de Mrs Darcy.'
Le visage de la jeune femme se décomposa. 'Vous voulez dire…vous voulez que je sois…que je…' Elle déglutit difficilement. 'Je croyais que vous alliez m'envoyer aux cuisines ou à la buanderie.'
-'Bien sûr que non.' Répondit Elizabeth. 'Miss Grant, je vous veux à mon service car je sais que je peux compter sur vous pour faire du bon travail. Si vous voulez travailler pour notre famille, c'est le poste que nous vous proposons.'
-'Je ne sais pas si…Enfin, Mrs Darcy, je ne m'y connais pas du tout, je ferais plein de bêtises.'
Darcy eut un petit sourire. 'Ne disiez-vous pas que vous seriez prête à faire n'importe quoi?'
-'O-oui, mais ça, c'est…plus que de cirer des chaussures.'
-'Mais vous apprenez vite.' Lui rappela le maître de la maison, amusé. 'Je crains devoir vous demander de faire un choix, Miss Grant, et rapidement. Vous avez une semaine pour prouver que ce poste est à la hauteur de vos compétences.'
Celle-ci resta sans voix pendant un long moment. Elizabeth pouvait voir qu'elle réfléchissait; non, qu'elle se battait avec sa conscience afin de déterminer si oui ou non elle était apte à ce genre de travail.
-'Je serais folle de dire non, n'est-ce pas?' demanda-t-elle soudainement, les sourcils froncés. 'C'est le rêve de toutes les filles de mon genre, de se sortir de la misère et d'être quelqu'un de mieux. C'est comme un conte de fée, sans la robe et le prince, bien sûr.'
-'En effet. L'occasion se présente très rarement.' Affirma Darcy, qui réprimait difficilement un rire maintenant.
-'Il va me falloir être très assidue.' Décida Abigaëlle, très sérieuse. 'Je sais que je ne le mérite pas pour l'instant, mais je peux travailler pour en être digne. Je ne peux laisser une occasion comme cela me passer sous le nez, je serais complètement stupide.'
Si elle parlait à leur intention ou à elle-même, Elizabeth n'en avait aucune idée.
-'Dois-je prendre cela pour un oui?'
Abigaëlle se redressa et répondit, presque passionnément : 'Oui, Mr Darcy. Je ne vous décevrai pas, je vous le promets.'
-'Je n'en doute pas une minute. Dois-je prévenir l'intendante de préparer votre chambre?'
-'M-ma chambre? Ma propre chambre?'
-'Vous ne voulez tout de même pas dormir avec les chiens.'
-'Non, bien sûr que non.' Répondit Abigaëlle en rougissant. 'Seulement, je n'ai jamais eu de chambre à moi.'
Les époux échangèrent un regard. Quelques secondes s'écoulèrent avant qu'Elizabeth puisse répondre : 'Et bien, à partir d'aujourd'hui ce sera le cas. Pour l'instant, vous devrez utiliser les vêtements d'une autre domestique, mais dès cet après-midi je ferai venir une couturière afin de vous préparer un trousseau adéquat. J'espère que vous n'aurai pas d'objections à ce que nous donnons vos anciens vêtements aux plus infortunés?'
-'Non, bien sûr que non. Mais je peux faire mes propres vêtements, s'il le faut.'
-'Ce sera plus rapide si c'est une couturière qui fait le travail, vous aurez bien d'autre chose à penser, croyez-moi.'
Abigaëlle hocha fermement de la tête, ses grands yeux bleus déterminés. 'Oui, Mrs Darcy.'
Lizzie se leva et prit les mains de la jeune femme dans les siennes, le regard bienveillant. 'Bienvenue chez les Darcy, Miss Grant.'
(-*-)
Et voilà les copinettes! J'espère que ce chapitre vous a plu : ) Je ne pouvais supporter l'idée de vous laisser languir trop lontemps et, je dois avouer, il y a certains chapitre que j'ai très hâte de publier dans un avenir proche alors il faut bien que j'avance dans l'histoire!
Encore une fois, merci à toutes celles qui review, chacun des commentaires est comme une fleur et j'adore les fleurs lol J'en ai un méga bouquet et ça me motive toujours à écrire plus : )
Oh, petit fait cocasse. En faisant des recherches sur internet, j'ai vu que le café était plus abordable que le thé à cette époque et que les gens plus pauvres achetaient les feuilles de thé des riches qui avait déjà été infusées. C'est fou, non?
Aussi, j'aimerais prendre un petit espace pour répondre à Tinou : d'abord, merci de ton opinion honnête, je prends en compte tes commentaires : ) C'est vrai que l'histoire n'est pas très porté sur la tension sexuelle entre Lizzie et Darcy et que les scènes sont très légères. Seulement, c'était dans mon intention de ne pas focuser sur cela présentement et il faut aussi comprendre que c'est un moment d'adaptation pour tous les deux. Darcy a une personnalité bien particulière et le fait qu'il se laisse aller tout bonnement à ses pulsions ne lui ressemble pas, pas dans mon histoire en tout cas. Il réfléchit trop. Ce ne sera pas toujours le cas, bien sûr, car la vie est un chemin d'apprentissage et il va apprendre à se laisser aller un peu. À ce moment, peut-être aura-t-il plus de misère à se contrôler et à ne pas laisser ses passions l'enflammer complètement ;) Mais pour l'instant, c'est voulu que son personnage soit ainsi et que leur vie intime ne soit pas des plus torrides. Aussi, je réalise que c'est une fiction et que je peux faire ce que je veux, mais je souhaite aussi rester le plus fidèle possible à l'époque, d'où le temps phénoménal que ça prend pour que Darcy et Lizzie s'adapte l'un à l'autre. Leur amour est particulier et je trouverais ça un peu redondant que tout soit très facile entre eux dès le départ. Alors voilà : )
Au prochain chapitre!
