Avec un peu de retard, voici le chapitre 18! Bonne lecture : )

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Chapitre 18

Un étau glacé

Ce ne fut pas le plus beau des Noël. Depuis cette soirée où elle avait essayé d'attirer Darcy dans ses filets, la situation avait empiré. Ils s'adressaient très peu la parole, s'asseyaient un à côté de l'autre au repas sans une seule fois se regarder et, pour la première fois depuis leur mariage, faisaient volontairement chambre à part.

Elizabeth détestait cela. Elle détestait le froid et la distance qu'il y avait entre eux, mais sa rancune était telle qu'il lui était impossible d'oublier tout ce qui s'était dit et passé. Darcy l'avait blessé; il l'avait rejeté. Elle lui avait ouvert son cœur et montré une partie d'elle-même qu'il avait repoussé comme si cela était la chose la plus abominable qui soit. Il s'était fermé comme une huître et avait sanctionné tout rapprochement. Lui qui avait été si amoureux d'elle l'année dernière – si amoureux qu'il avait décidé envers et contre tous de l'épouser malgré son infériorité de naissance et son manque de relations – voilà qu'il était glacial à son égard, à peine courtois. Quelle indifférence dans son regard! Sans parler de sa contenance impeccable et hautaine, qui énervait Elizabeth au plus haut point.

Un perpétuel état de mécontentement et de frustration s'était abattu sur eux et Lizzie se sentait impuissante face à cette situation. La présence constante de sa famille à ses côtés n'arrangeait pas les choses car cela l'obligeait à toujours être en compagnie alors qu'elle n'avait qu'une seule envie : être seule. Elle avait besoin de temps pour réfléchir, pour faire le point. Ici, à Netherfields, il lui était impossible d'échapper à la présence des invités de sa sœur et de ne pas pouvoir prendre du temps pour elle lui donnait l'impression d'étouffer. Oh, que ne donnerait-elle pas pour être à Pemberley!

Le réveillon de Noël fut une soirée au goût aigre-doux pour Elizabeth. Elle était sincèrement heureuse pour Jane qui, coiffée d'une couronne de fleurs blanches et de petits fruits rouges, rosissait de plaisir devant les attentions qui lui étaient faites, soit la multitude de cadeaux dont la couvrait Bingley. Elle était assise à la place d'honneur à la tête de la table, rayonnante comme jamais, jetant des regards plein d'amour et de reconnaissance à son mari. Ce dernier ne manquait pas d'apposer sa main sur la sienne et de lui demander si tout était à son goût, replaçant parfois son coussin derrière son dos, caressant brièvement sa joue lorsqu'elle lui jetait un de ces sourires timides qui lui était si caractéristique. Lizzie observait sa sœur et son beau-frère avec envie, jetant de temps à autre des coups d'œil à son propre époux qui, indifférent à tout cela, conservait cet air de profond ennui. De l'autre côté de la table, le regard rivé sur eux, souriait Caroline Bingley.

Quelques jours après le jour de l'An, Elizabeth se réveilla, seule, avec la sensation d'être transie de froid. Le feu était presque éteint dans la cheminée et, sans Darcy à ses côtés pour la réchauffer, elle était complètement frigorifiée. Elle appela Abigaëlle afin qu'elle apporte du bois et s'emmitoufla dans une couverture, n'ayant aucune envie de s'habiller. Pourquoi le faire alors que la journée s'annonçait comme toutes les autres, longue et insipide? À quoi bon supporter les conversations de sa mère et les regards de Caroline alors qu'elle était bien mieux dans sa chambre, sans personne pour la déranger? Comme à tous les matins depuis quelques temps, son regard se dirigea vers la commode où était posé un petit paquet encore emballé. Darcy le lui avait offert la journée de Noël et elle ne l'avait pas ouvert, par principe, l'ayant trouvé là lorsqu'elle était venue se changer dans l'après-midi. Elle soupira; même en pleine tempête Darcy n'oubliait pas ses manières. Elle aurait préféré ne rien recevoir.

Elizabeth s'excusa pour la journée, incapable de descendre, trop opprimée par ses propres pensées pour faire face à d'autres heures de sourires, de rires et de fausses gaieté. Elle prétexta une migraine, s'installa avec un livre près du feu et, après avoir averti Abigaëlle qu'elle ne voulait pas être dérangée par quiconque, elle put enfin avoir un peu de temps pour elle.

L'avant-midi passa lentement et, appréciant ce temps de solitude, Lizzie se perdit dans son livre pendant un si long moment que lorsqu'elle leva la tête, un bruit ayant attiré son attention, quatorze heures avait déjà sonnée. Un plateau de nourriture avait été laissé sur la table dans le coin de la pièce et elle se demanda à quel moment Abby était venue le déposer. Lorsqu'elle entendit un bruit pour la deuxième fois, le même que celui qui l'avait tiré de ses rêveries, elle se dirigea vers la fenêtre pour voir d'où cela provenait. Plus bas, quelques domestiques s'activaient afin de charger un chariot auquel un jeune homme essayait d'atteler un cheval, sans grand succès. L'animal refusait nettement de se laisser diriger et piaffait avec force, secouant brusquement son énorme tête noire. Le garçon se démenait pour garder la bête en place sans se faire écraser les orteils, mais ses efforts étaient vains. Elizabeth reconnaissait ce cheval; c'était Malek, l'étalon de Darcy. Tout à coup, un cri autoritaire fit sursauter le jeune homme et le maître de Pemberley apparut, ses pas vifs et son ton sec trahissant son mécontentement. Il s'empara de la bride de son cheval et ordonna au garçon d'écurie d'enlever immédiatement les sangles ayant pour but de l'attacher au chariot. Lizzie ne put s'empêcher de plaindre ce pauvre employé; de confondre Malek pour un cheval de trait était une insulte que Darcy n'oublierait pas de sitôt.

Son mari ne resta pas longtemps dehors; il venait tout juste de revenir de Merryton, où il avait passé la matinée, et il semblait étrangement pressé. En tendant l'oreille, elle entendit des voix lointaines et étouffées au rez-de-chaussée puis, après quelques minutes, des bruits de pas dans le couloir. Lizzie sursauta lorsqu'elle entendit cogner à la porte, ne s'étant pas attendu à ce qu'il vienne lui rendre visite. Elle se leva précipitamment, cherchant des yeux sa robe de chambre. Où l'avait-elle mise? Elle renversa les couvertures de son lit et jeta les coussins au sol; aucune trace du vêtement. La journée étant avancée et le feu rougeoyant, elle l'avait retirée il y avait quelques heures car la chaleur de la pièce était devenue légèrement inconfortable. Se rappelant soudainement qu'elle s'était assise dessus, elle fit volte-face et se dirigea vers le fauteuil; son pied s'enfargea dans un des draps qu'elle venait de jeter par terre et elle tomba vers l'avant avec un cri, entraînant avec elle robe de chambre, meuble et même le panier avec son nécessaire à broderie qui trônait sur le coffre au pied de son lit.

Un peu sonnée, les bras devant sa tête pour se protéger de tout objet pouvant avoir été entraîné dans sa chute, elle ne réalisa pas tout de suite que Darcy l'aidait à se remettre sur pieds. Croisant son regard pour la première fois depuis des jours, elle ne put s'empêcher de le fixer, le cœur battant.

Elle avait oublié à quel point elle aimait ce regard.

Darcy l'examina minutieusement, puis, réalisant qu'elle l'observait avec une intensité peu habituelle, fronça les sourcils. 'Vous êtes-vous cogné la tête? M'entendez-vous?'

Si elle l'entendait? Oui. Et le son de sa voix, dénudé de tout sarcasme et froideur, sonnait comme une musique à ses oreilles.

-'Lizzie? Vous êtes-vous fait mal?' s'inquiéta-t-il lorsqu'elle ne répondit pas. 'Devrais-je appeler le médecin?'

Étrangement, l'idée qu'il parte de la pièce la fit paniquer et avant même de réaliser ce qu'elle disait, elle s'écriait : 'Non! Ce n'est pas la peine, je…je vais bien.'

Son époux l'observa d'un air suspicieux alors qu'elle baissait la tête, soudainement nerveuse. Cette attitude attentionnée la déboussolait.

-'Avez-vous toujours une migraine?'

Elle ne comprit pas tout de suite ce qu'il voulait dire. 'Une migraine?'

-'Jane m'a dit que vous vous sentiez trop mal en point pour descendre aujourd'hui.'

Quelle sotte elle était! Elle avait oublié que c'était l'excuse qu'elle avait donné afin de pouvoir rester cloîtré dans sa chambre. 'Oh…cette migraine-là.'

Darcy sembla décontenancé. Lizzie ne put s'empêcher de sourire d'un air coupable. 'J'ai menti…Je voulais être seule et je n'ai pas trouvé de meilleur motif afin d'expliquer mon absence.'

Les coins de la bouche de son mari tressaillirent, comme s'il s'empêchait de rire. 'Je vois. Et appréciez-vous cette solitude?'

-'Plutôt, oui. Il fait bon de s'entendre penser.'

Ce visage! Ces yeux! Oh, Darcy était un bel homme lorsqu'il ne portait pas ce masque d'indifférence, elle ne pouvait pas le nier. Elle ne pouvait pas nier non plus l'attraction désarmante qui l'assaillait tout d'un coup, aussi puissante qu'une tempête tropicale. Ses mains lui démangeaient, attirées par la masse de cheveux sombres de son époux, et elle dût faire de grands efforts pour ne pas y emmêler ses doigts.

Tout à coup, Darcy sembla réaliser la manière dont ils s'étaient lentement rapprochés. En moins d'une seconde il s'était ressaisit et avait pris du recul, retrouvant la même attitude qui ne l'avait pas quitté depuis quelques semaines.

-'J'étais venu vous dire au revoir.' Dit-il poliment après s'être éclaircit la gorge. 'Je me dois d'aller à Londres pour affaire. Je ne sais pas quand je serai de retour.'

La déception qui envahit Elizabeth à ce moment ne manqua d'embuer ses yeux. Blessée de cette attitude, elle refoula pourtant ses larmes; sa rancune, au garde à vous, ne manqua pas de teinter ses mots lorsqu'elle répondit : 'J'espère que vous y passerai un bon séjour, Mr Darcy, Pemberley sera assurément bien triste sans son maître. Cependant, je ferai de mon mieux pour gérer les choses pendant votre absence.'

-'Ne resterez-vous pas ici?'

Elizabeth leva des yeux surpris vers lui. 'Pourquoi le ferai-je? Ma maison n'est pas ici; j'aime Jane et ma famille, mais je veux retourner chez moi. Je partirai dès que je pourrai.'

-'J'avais pensé que…' Il s'interrompit puis, comme s'il avait décidé que cela n'avait pas d'importance, ajouta : 'Comme il vous plaira.'

-'Si vous n'avez rien à ajouter, je ne vous retiendrai pas plus longtemps. Je ne voudrais pas retarder votre départ, vous me semblez dans une hâte de quitter Netherfields.'

Le regard de Darcy se durci devant ce ton empreint de sarcasme habilement dissimulé. 'Non, madame, ce sera tout. Désolé d'avoir pris autant de votre temps.'

Il s'inclina. Elle répondit par un bref mouvement de tête. 'Bon voyage, Mr Darcy.'

Son mari quitta prestement la pièce et elle attendit de ne plus entendre le son de ses pas avant de se laisser tomber sur son lit, enfouissant son visage dans son oreiller pour étouffer le cri de frustration qui s'échappa d'entre ses lèvres. C'était stupide! Complètement stupide! Pourquoi devait-il agir ainsi envers elle? Pourquoi devait-elle agir ainsi avec lui? Si seulement elle pouvait contrôler ses impulsions! Si seulement il pouvait cesser d'être si buté! Si seulement ils pouvaient agir en adulte plutôt que de réagir en enfants gâtés!

Le départ de Darcy ne fit que nourrir son envie de retourner à Pemberley. Elle en avait assez des sœurs de Bingley, de sa mère et de la compagnie qui, tous les jours, la côtoyait. Elle avait envie de revoir sa maison, son monde, ses domestiques. Elle avait envie de se réveiller avec le paysage du Derbyshire à travers sa fenêtre et de marcher sur les longs chemins entourant la propriété. Elle était impatiente de retourner chez elle, de retrouver un peu de silence et de bon sens. Quitter Jane n'était pas une chose facile, mais elle était rendue au point où elle ne pouvait plus tenir en place.

Heureusement, sa sœur connaissait bien son tempérament et, malgré sa tristesse de la voir partir, Jane lui assura qu'elle était bien entourée et que Lizzie pouvait quitter sans crainte de la blesser.

-'Pemberley a besoin de sa maîtresse.' Avait-t-elle doucement ajouté en posant une main sur la sienne. 'Et d'ici peu je pourrai aller te rendre visite. Charlie a presque deux mois maintenant, il pourra bientôt être en mesure de supporter un voyage.'

Elizabeth, caressant la tête de l'enfant avec tendresse, répondit : 'N'oublie pas de m'écrire à propos de lui. Chaque petit détail.'

Lorsque ses bagages furent prêts, Lizzie était si impatiente que ses jambes en fourmillaient. La veille avait été éprouvante, sa mère ayant fait une crise de larmes des plus bruyantes en apprenant que Lydia allait elle aussi retrouver son foyer dans le nord de l'Angleterre. Il avait fallu de longues heures avant qu'elle ne se calme et ce seulement après avoir soutiré la promesse à sa fille cadette de revenir dans moins d'un mois pour une visite prolongée à Longbourne. Lydia avait finalement cédé en haussant les épaules, déclarant que l'endroit où elle était l'importait peu tant qu'il y avait de la nourriture sur la table, un toit sur sa tête et une nounou pour Edwina.

-'Cette fois, Wickham doit t'accompagner.' Avait insisté Mrs Bennett d'un ton ferme. 'Lizzie et Mr Darcy seront de retour à Pemberley alors rien ne l'empêchera de venir rendre visite à sa famille.'

Tout était prêt pour son départ. Abigaëlle se chargeait des derniers détails alors qu'Elizabeth attendait dans sa chambre, postée près de la fenêtre. Le soleil venait tout juste de percer l'horizon, dissimulé sous d'épais nuages gris, et éclairait faiblement le chemin qu'elle allait bientôt emprunter. La maison était silencieuse, paisible; elle aimait ce moment de la journée où tout s'éveillait lentement.

Tout à coup, Lizzie entendit trois petits coups à sa porte. Quelle ne fut pas sa surprise lorsqu'elle vit Kitty dans l'embrasure, qui lui demandait la permission d'entrer.

-'Bien sûr. Mais, tu es pieds nus! Viens, approche toi du feu.' Répondit-elle en l'invitant à prendre place sur un des fauteuils. 'Que fais-tu debout si tôt?'

Elle portait encore sa robe de nuit sous un épais châle qui lui descendait presque jusqu'aux genoux. 'J'avais besoin de te parler, seule à seule. J'aurais aimé le faire hier soir, mais je n'en ai pas trouvé le courage.'

-'Que se passe-t-il, Kitty?'

Elle prit une grande inspiration, ses joues soudainement rouges. 'Je voulais…je voulais te rappeler la promesse que tu as faites il y a quelques semaines. Tu ne dois plus t'en souvenir, mais moi je n'ai pas oublié.'

Elizabeth chercha un moment, n'ayant aucune idée de ce dont elle pouvait parler. 'Si je t'ai promis quelque chose alors je ferai selon ce que j'ai dit. Cependant, tu vas devoir m'aider avec ma mémoire car je crains qu'elle ne me fasse défaut en ce moment.'

-'Tu as dit que tu essayerais de convaincre père de me laisser fréquenter à nouveau la société. Tu as promis de lui parler.'

Lizzie réalisa soudainement que l'arrivée imminente de Charlie lui avait fait oublier ce détail. Confuse, elle balbutia : 'Mais…pourquoi ne me l'as-tu pas dit avant? Je dois partir d'ici une demi-heure! Tu as eu deux mois pour m'en parler et ce n'est que maintenant que tu te prononces?'

-'Je croyais que tu attendais le moment opportun.'

-'Kitty, tu aurais dû venir me voir avant! Il est trop tard maintenant, Père n'est certainement pas debout à l'heure qu'il est et je ne crois pas que-'

-'Il est dans la bibliothèque.'

-'Quoi, déjà?'

-'Oui, il se lève toujours très tôt. Je l'ai croisé tout à l'heure.'

Elizabeth observa sa jeune sœur pendant un moment; depuis quand Kitty possédait-elle cette allure si féminine? Où était donc passé ses traits enfantins, ses joues rondes et ses yeux innocents? Depuis quand se tenait-elle droite comme une dame et avait l'air sérieux d'une nonne? Lizzie réalisa tout à coup que Katherine Bennett n'était plus une enfant, mais bien une femme. Comment avait-elle pu ne jamais remarquer cela? Sa coiffure habituelle, remontée et simple d'où deux petites boucles s'échappaient pour décorer ses temples, contrastait maintenant avec son visage d'adulte. Sa robe, simple aussi, n'était pas faite pour un corps qui prenait des formes. Kitty n'était pas particulièrement belle; elle n'avait rien de la beauté de Jane ou même de Lydia. Elle n'avait pas non plus les airs de Georgiana qui, pâle et fragile, ressemblait presque à un ange avec ses sourires discrets et ses cheveux blonds. Cependant, cela ne signifiait pas qu'elle n'avait pas de charmes. Si seulement un sourire pouvait animer ses lèvres trop pincées et illuminer ses yeux sans vie!

Songeant à la solitude et l'amertume de sa sœur, Lizzie lui tapota la main en lui faisant un sourire rassurant. 'J'ai effectivement promis d'en parler à Père et je tiens toujours mes promesses, Kitty. J'y vais de ce pas.' Elle se leva et, avant de sortir de la pièce, ajouta : 'Je ne peux t'assurer ma réussite, mais je ferai mon possible.'

-'C'est tout ce que je demande.'

Elizabeth quitta donc Kitty pour se diriger vers la bibliothèque où, évidemment, Mr Bennet se trouvait. Il ne cacha pas sa surprise lorsqu'il vit sa seconde fille faire son entrée dans la pièce spacieuse et il se leva aussitôt pour aller à sa rencontre. 'Et bien, je te croyais partie, ma chère Lizzie!'

-'Je pars très bientôt, Père, mais je devais m'entretenir avec vous sur un certain point avant de quitter Netherfields.' Lui dit-elle. Elle n'avait pas vraiment songé à ce qu'elle allait dire, n'ayant point eu de préparation à cette entrevue, alors elle opta donc pour la vérité courte et simple. 'Père, je crois qu'il est temps de permettre à Kitty de retourner en société.'

Mr Bennett la regarda un instant avant d'éclater d'un bref rire sarcastique. 'Ha! Je dois t'avouer, Lizzie, que ta requête me surprend. Pourquoi donc te soucies-tu de cette petite sotte?'

Elizabeth fronça les sourcils, blessée de cette attaque envers sa sœur. Elle était presque certaine que cette dernière écoutait derrière la porte et de se faire rabaisser par son propre paternel n'était certainement pas la meilleure chose pour une jeune fille qui avait déjà des problèmes d'estime. 'Ne dites pas cela. Vous savez très bien que Kitty n'a rien fait de mal de toute sa vie.'

-'Et n'a rien fait d'extraordinaire non plus.'

-'Nous ne sommes pas tous nés avec l'envie de montrer au monde ce dont on est capable.'

-'Certes, mais cela n'empêche pas d'avoir un tant soit peu de personnalité.'

-'Elle en a pour ceux à qui elle désire le montrer.'

-'Te l'a-t-elle déjà montré?'

Lizzie fut silencieuse pendant un instant, incertaine de ce qu'elle devait répondre. Il était vrai que Kitty manquait de personnalité; cependant, cela ne voulait pas dire qu'elle n'en avait pas du tout. Encore une fois, elle opta pour la vérité. 'Je ne crois pas lui avoir déjà donné l'occasion de le faire.'

Mr Bennett eut un rictus. Il prit une longue pipe qui se trouvait sur le bureau devant lui, puis l'alluma avant de tirer une grande bouffée. Il regarda ensuite sa fille pendant un moment, analysant son visage impassible. 'Lizzie, j'ai appris ma leçon avec Lydia et je ne compte pas recommencer le même manège avec Kitty. Elle n'a pas plus de jugeote qu'un chien, elle suit n'importe qui ayant un peu plus de vivacité qu'elle, ce qui veut dire la plupart des gens qu'elle rencontre.'

Elizabeth s'impatienta. 'Vous êtes injuste. Vous jugez Kitty sur des actions qu'elle n'a jamais commises.'

-'Lorsque Lydia s'est enfuie avec Mr Wickham, elle aurait très bien pu nous en avertir. Elle a choisi de garder ce secret pour elle et, en faisant cela, a perdu la chance de montrer qu'elle avait une tête sur les épaules. De tels choix prouvent qu'elle n'est pas apte à réfléchir par elle-même.'

-'C'était il y a plus d'un an; elle a changé. Et qui plus est, Lydia lui avait fait promettre de ne rien dire.'

-'Bah! Une promesse de fillette n'a rien de très sérieux.'

-'Une promesse reste une promesse. J'ai beaucoup plus de respect envers quelqu'un qui respecte sa parole plutôt que de quelqu'un qui, sans même une pensée pour son intégrité, brise une promesse qu'elle a fait envers une autre personne qui lui est chère. Et puis de toute façon, qu'elle l'ait dit ou non ne change rien au fait qu'il était déjà trop tard. Je suis certaine que Kitty, ni vous ni moi d'ailleurs, n'était disposé à croire que Lydia agirait de la sorte. De s'enfuir avec Wickham a été l'erreur de Lydia, pas celle de Kitty.'

Mr Bennett haussa les sourcils. 'Eh bien, eh bien, en voilà un discours.'

Elizabeth eut un petit sourire. 'Vous ne trouvez rien à répliquer? Je dois donc avoir dit quelque chose de sensé.'

Son paternel eut une toux discrète et il tira sur sa pipe plusieurs fois avant de reprendre la parole. 'Pourquoi t'acharnes-tu à vendre sa cause alors que tu pourrais très bien être sur la route vers Pemberley, lavée de ces problèmes sans importances?'

-'Ce ne sont pas de problèmes sans importances. Père, ne voyez-vous pas à quel point Kitty est malheureuse?'

-'Ce ne sont que des caprices d'enfant.'

-'Je ne crois pas, non. Kitty a dix-huit ans, ce n'est plus une enfant.'

Les yeux de Mr Bennett s'agrandirent sous l'effet de la surprise. 'Dix-huit? Est-ce bien vrai? Ciel, que le temps passe vite. Tu ne me rajeunis pas, mon enfant. En fait, je viens de prendre un coup d'âge!'

Lizzie sourit malgré elle. 'Oh, cessez de détourner la conversation, cela ne fonctionne pas avec moi. J'ai l'intention de régler ce problème avant mon départ et je suis bien décidé à faire valoir mon point.'

Mr Bennett étouffa un petit rire. 'Je reconnais bien ce caractère.'

-'Je n'en doute pas.'

Il expira bruyamment. 'Soit. Parlons-en, si rien ne te fera changer d'idée!' Il se calla un peu plus dans sa chaise, relevant ses pieds pour les déposer sur un tabouret, croisant ses doigts sur son ventre. Malgré ses yeux sérieux, un sourire en coin à peine perceptible trahissait son amusement. 'Que proposes-tu?'

-'Que vous la laissiez retrouver son cercle d'amies.'

-'Seule? Je ne crois pas.'

-'Marie pourrait l'accompagner.'

-'Marie est beaucoup trop plongée dans ses livres et ses théories bibliques pour apprécier ce genre de sorties. Même si j'acceptais cette proposition, Kitty resterait sans doute autant à la maison qu'elle le fait présentement.'

-'Et Mariah Lucas?'

-'Oh, ne me fais pas rire! Elle est encore plus influençable que Kitty!'

-'Il doit bien y avoir quelqu'un dans ses connaissances qui pourraient l'accompagner et qui est digne de votre confiance.'

Mr Bennett eut l'air navré. 'Ma chère fille, je suis désolé de t'apprendre qu'aucune demoiselle de ce comté ne possède l'intelligence ou les qualités nécessaires pour gagner ma confiance et ainsi permettre à une de mes filles naïves de ne pas se mettre dans le pétrin.'

Elizabeth commençait vraiment à être agacée. Que cherchait-il à faire en menant un discours comme celui-ci? Elle l'avait déjà entendu proférer des opinions misogynes auparavant, mais jamais elle n'avait cru qu'il croyait ce qu'il disait. 'N'y a-t-il donc personne?'

Il pinça la bouche, l'air soudainement grave. 'Tu sais bien qu'il n'y a qu'une seule femme en qui j'ai entièrement confiance.'

-'Je suppose que vous ne parlez pas de Mère.'

-'Ciel! Non!' s'exclama-t-il en éclatant de rire. 'Votre mère est bien la dernière personne à qui je confierais Kitty! Si cette enfant veut une chance de s'élever en société, elle ferait mieux de s'éloigner de la présence de cette femme. Ta mère a ses charmes, Lizzie, mais elle possède en contrepartie un sérieux manque de jugeote.'

Elizabeth le gronda doucement. 'Ne nous éloignons pas du sujet, je dois prendre la route sous peu et nous ne sommes pas encore arrivé à un arrangement.'

-'En effet. Cependant, je croyais que mon opinion sur la chose était claire; si Kitty n'a pas un chaperon à la hauteur de mes attentes, sa situation restera inchangée. Et la seule femme digne de ma confiance habite le Derbyshire.'

Lizzie comprit tout à coup le sens de ses mots. 'Vous voulez dire moi? Mais…je ne peux rester ici, j'ai des obligations à Pemberley.'

-'Alors je ne vois qu'une seule solution.' Répondit-il d'un air malicieux.

Elizabeth resta silencieuse, ressassant tout ceci dans sa tête. Elle? Chaperonner Kitty? L'emmener avec elle à Pemberley? Quelle idée! Et pourtant…ce n'était pas si bête. Elle s'était promis de remédier à la situation de sa sœur et de la présenter à de bons partis, le temps venu. Seulement, elle n'avait pas cru que le « temps venu » serait si tôt!

-'Ai-je le droit de prendre toutes les libertés qui me semble justes et appropriées?'

-'Si tu parles de ce qu'elle fait de ses temps libres, à ton aise. Je ne me soucie guère de ses passe-temps. Voyons, quelle tête tu fais! Pourquoi si sombre, ma chère? Tu as a obtenu ce que tu voulais, non? Qu'as-tu à dire pour expliquer cette attitude?'

Lizzie secoua la tête en riant. 'J'en dis que vous êtes le plus têtu de nous deux.'

Mr Bennett acquiesça chaleureusement. 'J'en suis bien fier.' Il fit une pause avant d'ajouter : 'Alors, sommes-nous d'accord?'

-'Soit. Je me plierai à votre volonté.'

Il se leva pour lui donner sa bénédiction et, après un dernier regard, Elizabeth se dirigea vers la sortie. Mr Bennett lança par-dessus son épaule : 'Tu peux lui annoncer maintenant, si tu le souhaites, quoi que cela me semble peu nécessaire puisque notre conversation n'est certainement pas resté privée.'

Et il avait raison. Kitty attendait dans le couloir avec une impatience presque palpable. Lorsqu'elle vit son aînée, elle se rua sur elle, les yeux brillants et un grand sourire aux lèvres. 'C'est vrai? Je peux t'accompagner à Pemberley?'

Elizabeth fut aussitôt sur la défensive, soudainement anxieuse de ce que cette décision impliquait. 'Pas maintenant, Kitty. Je suis bien prête à t'accueillir chez moi, mais je dois tout d'abord demander à Mr Darcy si cela lui convient.'

Le visage de la jeune fille s'assombrit. 'Oh.' fit sa seule réponse.

-'Je t'écrirai dans les prochaines semaines, lorsqu'il sera de retour, pour te donner notre réponse. Cependant, je tiens à te dire une chose : ne crois pas que la vie à Pemberley ne sera que fêtes et soirées. Si tu viens vivre sous mon toit, tu dois vivre selon mes règles. Tu dois te conduire de façon impeccable et t'appliquer à ce que je demande de faire. Est-ce bien clair?'

Kitty hocha vivement de la tête. 'Tout pour sortir d'ici, Lizzie. Je suis prête à faire n'importe quoi, à devenir tout ce que tu me diras. Tu sais, Lydia m'a demandé de la suivre jusque chez elle, dans le nord. Père a refusé, bien sûr, mais je dois t'avouer que je suis heureuse qu'il l'ait fait. Je ne crois pas que j'aurais supporté la compagnie de Lydia bien longtemps; elle a changé, tu ne trouves pas?'

Un élan de tendresse submergea Lizzie lorsqu'elle plongea son regard dans celui de sa sœur, si grave, si sérieux pour une fille de son âge. 'Non, Kitty; c'est toi qui a changé.'

(*-*)

-'Regardez! Regardez!'

Elizabeth se tourna vers la voix et ne put s'empêcher de sourire lorsqu'elle vit Sophie rouler une énorme boule de neige. Il avait tant neigé dans les derniers jours que les terres de Pemberley s'étaient transformée en paysage nordique. Pour la première fois en une semaine, le ciel s'était découvert pour laisser passer quelques rayons de soleil, réchauffant ainsi la nature frigorifiée. Elizabeth et Abigaëlle en avait profité pour faire une promenade avec Sophie, heureuses de pouvoir dégourdir leurs jambes après un si long moment passé à l'intérieur.

De revenir à Pemberley après tout ce temps d'absence sembla enfin raviver Elizabeth. Toutes pensées négatives et sombres avaient été chassées dès qu'elle avait aperçu sa propriété et c'est en inspirant à plein poumons qu'elle avait posé pieds à terre. Plusieurs de ses domestiques l'avaient accueilli avec des sourires timides, heureux de revoir leur maîtresse, et lui avait chaleureusement souhaité la bienvenue. Ce simple geste ne manqua de l'émouvoir et c'est comme sur un nuage qu'elle pénétra dans la maison. Cependant, son bonheur naïf fut de courte durée; partout où ses yeux se posaient se trouvait des objets lui rappelant Darcy – le dernier livre qu'il avait lu traînant sur sa table de chevet, une paire de gants reposant sur son secrétaire, un tableau qu'il affectionnait particulièrement – et c'est du bout des doigts que Lizzie les effleura avec un sentiment de vide dans sa poitrine. Il n'avait donné de nouvelles depuis son départ pour Londres.

C'est avec un regret amer qu'Elizabeth réalisa qu'elle avait certainement sa part de tort dans toute cette histoire. Elle avait voulu forcer les choses, pousser son mari à faire ce qu'il n'avait pas l'habitude de faire alors qu'elle aurait dû être plus douce, plus persuasive sans pour autant essayer de l'enchaîner à agir selon ses souhaits. Elle avait agi de manière capricieuse lorsqu'il n'avait pas voulu lui offrir ce qu'elle voulait et maintenant qu'elle prenait un peu recul, elle comprenait qu'elle avait été beaucoup trop insistante à son égard. Darcy n'était pas le genre d'homme à facilement baisser sa garde et de la patience était requise afin de percer la carapace qui l'entourait. Dans sa hâte de retrouver le paradis qu'elle avait ressenti dans ses bras elle avait négligé de prendre en compte la nature de son époux. Il avait l'habitude d'être une figure d'autorité, et comme tout être né pour être meneur il n'était pas disposé à se faire imposer quoi que ce soit. Elle l'avait obligé à agir alors qu'elle aurait dû le laisser venir à elle.

Elizabeth était maintenant résignée. Les dernières semaines avaient été pénibles et, il fallait qu'elle l'avoue, tous deux avaient réagi de manière puériles. N'étaient-ils donc pas des adultes? Qui plus est, mari et femme? N'avaient-ils pas juré de s'aimer pour le meilleur et pour le pire?

-'Vous semblez beaucoup plus sereine maintenant que nous sommes à Pemberley.' Remarqua Abigaëlle alors que les deux femmes marchaient lentement dans le jardin. Plus bas, Sophie avait délaissé son bonhomme de neige pour courir avec un des chiens du chenil. 'Cet air tourmenté vous a enfin quitté.'

Elizabeth sourit. 'Je crois avoir fait la paix avec ma conscience.' Et c'était vrai. Maintenant qu'elle avait décidé de réparer son couple, elle n'avait qu'une hâte : que Darcy revienne. 'Il est déplorable de laisser une querelle détruire un bonheur; je crois que mon approche n'était pas la bonne et j'ai décidé d'y remédier. On m'a souvent dit être têtue; je vais changer cela pour de la persévérance.'

L'air était frais, mais supportable. Lizzie frissonna, frottant ses mains l'un contre l'autre pour les réchauffer. Ses pensées divergèrent vers Darcy, se demandant où il pouvait bien être et ce qu'il pouvait faire. Était-il aussi désolé qu'elle l'était? Pensait-il à elle? S'endormait-il le soir en souhaitant pouvoir être à ses côtés?

-'Il doit être près de quatre heures maintenant,' commenta Abby après un moment. 'Je vais aller préparer le thé.'

Elizabeth hocha la tête en silence et poursuivit sa marche en solitaire. Oh, que ne donnerait-elle pas pour voir Darcy arriver par le chemin qu'elle observait à l'instant! Fier et droit sur son étalon, les joues rougies par le froid, remontant l'allée de pierre au trot! Ses yeux rencontreraient les siens et il verrait, en l'espace de quelques secondes, que tout était oublié. Alors qu'elle avançait silencieusement dans le jardin enneigé, des images plein la tête, un craquement sourd se fit soudainement entendre.

Un cri perçant suivit presque aussitôt et s'interrompit d'un coup sec. Sophie, qui s'était aventuré près du lac gelé, n'avait pas porté attention à l'épaisseur de la glace et cette dernière avait cédé sous ses pieds. Elle refit surface momentanément alors qu'elle se débattait avec frénésie dans l'eau, ses bras allant dans tous les sens possibles. Sans perdre une seconde, Elizabeth se précipita vers elle en ignorant la neige qui imbibait ses pantalons de coton et ses bottes. Le lac n'était pas creux, mais Sophie n'était pas grande. La glace s'était brisée jusqu'à la berge et malgré les tentatives de la petite fille, elle n'arrivait pas à trouver appui pour se stabiliser. Sans une pensée, Lizzie pénétra dans l'eau glaciale et marcha avec difficulté jusqu'à l'endroit où la fillette se débattait sauvagement, s'accrochant à tout ce qui lui tombait sous la main. Lorsqu'elle arriva enfin à sa hauteur, Elizabeth avait de l'eau jusqu'à la poitrine.

-'Sophie! Sophie! Calme-toi, ne bouge pas!' s'empressa-t-elle de lui dire, mais la fillette se démenait tellement qu'elle avait du mal à la saisir. Elle l'empoigna brusquement par le collet dès qu'elle en eut l'occasion et la tira le dos contre son épaule, reculant à petit pas, ses bottes glissant sur le sol vaseux. Elle faillit être submergée à quelques reprises, mais elle tint bon, gardant sa tête et celle de l'enfant hors de l'eau. Lorsqu'elle regagna la rive, des mains agrippèrent aussitôt la petite et Lizzie se sentit soulever de l'étau glacé qui l'emprisonnait. Elle s'étala lourdement contre le sol enneigé; autour d'elle, une série d'ordres et de cris s'élevaient, mais tout n'était que bourdonnement à ses oreilles.

-'Va-t-elle bien?' murmura Elizabeth, à bout de souffle. 'Respire-t-elle?'

-'Madame, venez vite à l'intérieur.' Insista une voix et la maîtresse de Pemberley sentit qu'on essayait de l'aider à se relever.

Elizabeth résista. 'Dites-moi! Sophie va-t-elle bien? Où est-elle?'

-'Elle va bien, on la reconduit déjà à l'intérieur. Elle pleure, ne l'entendez-vous pas?'

Par-dessus son cœur battant, Lizzie pouvait en effet entendre les pleurs lointains de l'enfant. Soulagée, sa tête reposa sur la neige et l'adrénaline se dissipa lentement de son sang, faisant place à la réalité. L'eau glacé avait laissé l'impression d'un millier d'aiguilles transperçant sa peau. La neige brûlait son cou et son visage, ses vêtements étaient désagréablement collants. Son corps se mit à trembler violemment et elle dut reposer sur le bras d'un domestique pour rentrer, refusant catégoriquement qu'on la porte. Ce fut une tâche ardue, tous ses muscles étant raides, et elle accueillit la chaleur de sa demeure avec un soupir de soulagement. Dans sa chambre, Abby se chargea de lui retirer ses vêtements détrempés et de lui en faire revêtir de nouveaux, secs. Elle l'installa ensuite devant un feu, la couvrant de plusieurs couvertures.

-'Quelle idée, Mrs Darcy! Quelle idée de se lancer dans le lac de cette manière!' s'exclama la jeune femme dont le ton de reproche cachait à peine le soulagement qu'elle éprouvait de voir Lizzie en vie.

-'J-j-j-e n-n-n'ai p-p-pas r-r-réf-f-flé-ch-chit. J-j-j'ai j-j-just-t-te r-r-réag-g-git.' Répondit Elizabeth dont le corps ne semblait plus lui obéir. 'A-a-a-a-b-b-b-b-b-y?'

-'Je vous en prie, Mrs Darcy, ne parlez plus, vous devez vous réchauffez.'

Le claquement de ses dents lui empêcha de répondre que ça lui était égal. Elle était prête à sauter autant de fois que nécessaire si la situation se représentait. À quoi s'étaient-ils tous attendus? À ce qu'elle reste là à l'observer se noyer? À ce qu'elle attende que quelqu'un d'autre saute, seulement parce qu'elle était la maîtresse de la maison? C'était insensé! Ce n'était pas parce qu'elle portait le nom de Darcy qu'elle devait oublier tous ses principes; jamais elle n'aurait pu vivre avec elle-même si elle avait laissé sa position dans la société l'empêcher de suivre ce que son instinct, et son cœur, lui avait dicté de le faire.

Après quelques minutes, Lizzie réussit enfin à se faire comprendre d'Abigaëlle et cette dernière refusa catégoriquement de lui accorder sa requête. 'Non, vous devez rester ici, près du feu. Vous verrez Sophie plus tard.

-'M-m-mais j-j-je d-d-dois y aller.' Se plaignit la brunette en faisant la moue. 'S-s-s'il-vous-p-p-plaît.'

-'Tant et aussi longtemps que les tremblements ne cesseront pas, vous resterez ici. Peut-être ce soir, si vous allez bien.'

Elizabeth attendit patiemment pour le reste de l'après-midi, mais il ne fut pas long pour qu'une migraine l'accapare et l'oblige à faire une sieste. L'adrénaline maintenant disparue, elle se sentait aussi faible qu'un nouveau-né. Elle avait beau être aussi près du feu que possible, emmitouflée dans plusieurs couvertures, il lui semblait impossible de se réchauffer. Au souper, elle ne se sentait pas mieux et, sous les ordres de sa suivante, elle se coucha sans répliquer.

La nuit lui sembla longue. Son esprit dérivait entre les rêves et la réalité, des images rapides et lentes à la fois, fortes en couleurs et en mouvements. Des voix s'élevaient, des mains la touchaient, mais rien ne semblait tangible. Elle avait froid, si froid! Elle devait se réveiller et alimenter le feu. Elle devait attendre que Darcy revienne…elle devait…elle devait…

-'Elle est délirante…'

-'Cela fait déjà une journée entière qu'elle est ainsi…'

-'Croyez-vous que nous ferions mieux de prévenir le Maître?'

-'Il serait préférable, Mrs Reynolds.'

-'Abigaëlle, apportez une nouvelle bassine d'eau fraîche…'

Ses poumons brûlaient; chaque inspiration lui coûtait en douleur. Elle voulait bouger, ouvrir les yeux et parler, mais tout ce qu'elle était capable de faire était de regarder les images qui défilaient devant ses yeux. Elle connaissait ces voix, elle les avait déjà entendues, mais qui cela pouvait-il être? Elle n'avait aucun souvenir de l'endroit où elle était, de la pièce dans laquelle elle se trouvait.

-'Docteur, que devons-nous faire? Mr Darcy n'est toujours pas là…Croyez-vous qu'une saignée serait de mise?'

-'Un bain d'eau froide serait préférable, il faut faire descendre la température avant qu'elle ne devienne mortelle. Prenez le bain dans l'autre pièce, apportez le près du feu et remplissez-le d'eau et de glace.'

-'Bien, Docteur.'

Du mouvement, elle percevait du mouvement. Un étrange bruit métallique et d'eau, des murmures incessants. Puis, des cris à l'étage, des portes qui s'ouvrent et se ferment brutalement. Que se passait-il? Qui se trouvait avec elle? Qui faisait tout ce vacarme? Des bruits sourds tapèrent à un rythme effréné, résonnant dans sa tête comme des coups de marteau. Une voix grave s'éleva, forte, autoritaire, une voix qui l'interpelait.

Lizzie? Lizzie, tu m'entends?

Oh, cette voix…Cette voix! Elle la connaissait, elle en était sûre. Elle essaya d'y répondre, de tendre la main vers la silhouette sombre et brumeuse qui se dessinait devant ses yeux, mais tout bascula et les rêves la hantèrent de nouveau.

-'Que faites-vous donc? Mrs Reynolds, Miss Grant, que se passe-t-il? Docteur?'

-'Je crains que nous n'ayons pas d'autres choix, Mr Darcy, il faut absolument que la fièvre régresse.'

Des formes, des couleurs, des bourdonnements, c'était tout ce qu'elle était capable de distinguer.

Lizzie…

De nouveaux cris, de nouveaux bruits. Ils frappaient dans son crâne avec une telle force!

Lizzie…

-'Prenez-lui les jambes. Voilà, soulevez-la doucement.'

Elle volait. Elle volait près de la chaleur, au-dessus du monde, tout là-haut avec les nuages. Il y avait des flocons de neige qui dansaient autour d'elle, des lueurs roses et orange qui valsaient comme des aurores boréales.

Puis, à une lenteur infinie, elle se sentit descendre.

Les aiguilles l'attaquèrent de nouveau et son souffle se crispa. Elle devait se débattre, sortir de l'eau, elle était prise dans les griffes de la glace! La douleur était vive et son cœur, dont chaque battement semblait lui défoncer la poitrine, cavalait à une vitesse anormale. Pourquoi n'arrivait-elle pas à rejoindre la surface, pourquoi n'arrivait-elle pas à respirer?

Lizzie…Lizzie…

Et cette voix qui l'appelait, qui l'obsédait! La glace se refermait, s'abattait violemment sur elle. Pourquoi rien ne se produisait alors qu'elle se débattait de toutes ses forces? Pourquoi personne n'entendait le cri qui s'échappait d'entre ses lèvres? Tout était si froid, tout devenait si noir!

Lizzie…

Elle ne pouvait plus se battre, elle n'avait plus de forces; elle abandonna. Le brouillard se transforma en pénombre et bientôt son esprit sombra dans un abysse de ténèbres.

(-*-)

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