Bonjour à toutes ! Je tiens seulement à vous avertir que ce chapitre comporte trois points de vue différents et j'espère que ce ne sera pas trop mélangeant…Bonne lecture!
(-*-)
Chapitre 20
Une nuit interminable
-'Sortons-la, vite.' dit une voix et Lizzie sentit son corps se soulever. 'Sur le lit.'
Quelque chose lui collait à la peau, quelque chose de désagréable, de mouillé. Et froid.
-'Nous réessayerons la thériaque diluée d'ici une heure, si tout va bien. Cela devrait l'aider à combattre.'
-'Va-t-elle s'en sortir?' demanda une autre voix alors que des mains se promenaient sur son corps, soulevant chaque membre. Quelque chose la recouvrit et Lizzie sentit lentement de la chaleur l'enrober.
-'Je ne pourrais vous dire encore, c'est malheureusement une question de patience à ce point.'
Elizabeth entendait ces voix, mais ne les comprenait pas. Elles allaient et venaient, parfois fortes, parfois simples murmures, puis au bout d'un moment on la souleva à nouveau et elle sentit qu'on lui ouvrait la bouche afin de la faire avaler un liquide.
Alors qu'on la redéposait doucement sur ses oreillers, son esprit s'assombrit et elle plongea dans un profond sommeil.
(-*-)
Attendre. Toujours et encore attendre. La nuit passa à une lenteur infinie et, incapable de dormir, Darcy ne pouvait se résoudre à quitter la chambre où Elizabeth reposait. On lui apporta à manger par trois fois; les plateaux étaient ressortis de la pièce intouchés. Mrs Reynolds insista pour qu'il se repose; il l'avait renvoyé prestement s'occuper du reste de la maisonnée. Pas une fois il ne ferma les yeux. Il les gardait ouvert, le plus souvent fixé sur le visage de sa femme, surveillant la quelconque amélioration dans son état.
Elle était si pâle et immobile.
Depuis le bain de glace, Elizabeth n'avait pas repris conscience. Elle s'était agitée quelques fois dans son sommeil, mais n'avait pas ouvert les yeux. Sa respiration était courte et sifflante, ce qui n'avait pas manqué d'inquiéter Darcy, inquiétude qui s'aggrava lorsque le médecin vint faire un nouvel examen de sa patiente et déclara que ses poumons étaient trop obstruées et que si elle ne se réveillait pas pour tousser le mucus elle risquait de s'étouffer.
Le monde sembla s'effondrer sous ses pieds à ce moment.
Le manque de sommeil et de nourriture lui jouait des tours; il voyait bouger sa femme alors qu'elle était inerte. Il l'entendait parler alors qu'elle était profondément endormie. Il avait chaud, il avait froid. Il sentait ses membres lourds et engourdis et pourtant il se déplaçait nerveusement, ayant parfois des rages passagères qui l'obligeait à faire les cents pas dans la chambre en s'arrachant presque les cheveux. La peur lui liait la langue, lui serrait la gorge comme des griffes acérées. Il n'avait pas conscience de ce qu'il faisait ni du temps qui s'écoulait; tout ce qu'il savait était que les secondes étaient des minutes, les minutes des heures et les heures une éternité.
La honte et les remords le hantaient. Ils lui rappelaient constamment le comportement qu'il avait adopté envers sa femme, son détachement, son arrogance, sa prétention. Son indifférence. Elizabeth s'était ouverte à lui et il l'avait rejeté pour cela. Il lui avait carrément tourné le dos et s'était enfui pour ne pas avoir à affronter sa propre colère. En plus de l'avoir profondément blessée, ce qui était déjà impardonnable, il avait laissé son obstination ruiner leurs chances de bonheur. Combien ces pensées le torturaient! Elles étaient comme des épines qui lui transperçaient le cœur, sans répit, et qui lui rappelait à quel point il avait eu tort, à quel point il avait pris pour acquis qu'Elizabeth serait là jusqu'à la fin de sa vie. Avait-il vraiment cru que parce qu'il souhaitait quelque chose cela lui serait accordé? Il réalisait que bien souvent il ne profitait pas de ce qui lui était offert et écartait comme un enfant gâté écarte un jouet usé tout ce qu'il croyait être sous son contrôle. Dieu lui avait joué un bon tour, un tour qui l'humiliait et lui rappelait d'être modeste. Rien ne lui appartenait, pas même sa propre vie, pourquoi alors avait-il cru pouvoir posséder celle de sa femme? Cette leçon était comme une claque au visage; il pouvait tout perdre. Et, présentement, il pouvait encore perdre Lizzie.
Comment avait-il pu être si aveugle quant à ses propres sentiments? Comment avait-il pu croire que de réprimer ses passions étaient ce qu'il y avait de plus approprié? Il avait épousé Lizzie parce qu'elle était différente alors pourquoi avait-il souhaité qu'elle se conforme à la société? Elle ne méritait pas cela. Ni la mort, ni sa colère ni son rejet. Elle avait été prête à lui offrir son cœur sur un plateau d'argent et il regrettait amèrement de ne pas l'avoir chéri comme s'il était fait de cristal fin.
Darcy passa des heures à observer le visage blême et malade d'Elizabeth, à se répéter que tout ceci était sa faute. Il se fit souffrir pour se punir en observant chaque petit détail de sa figure qu'il n'aurait peut-être plus jamais l'occasion de voir : ses joues rouges lorsqu'elle rentrait d'une de ses nombreuses promenades. Ses yeux scintillants comme deux émeraudes lorsqu'elle les levait vers lui, rempli d'amour. Son sourire sincère et son rire charmant. Ses cheveux sombres et sauvages sur l'oreiller blanc. Et, plus que tout, la chaleur que sa proximité provoquait en lui, cette impression de vivre un peu plus, comme si le monde était soudainement plus beau. Aujourd'hui il était gris, orageux, et Darcy eut la conviction que si Elizabeth lui était enlevé, plus aucun soleil n'illuminerait sa vie jusqu'à ce que sa propre mort les réunissent à nouveau.
Il ne s'autorisa pas à pleurer. La douleur qui le harcelait était profonde, mais de verser ses larmes n'auraient qu'apaiser momentanément ce mal et il se refusait toutes formes de soulagement. Il aurait à vivre avec ce sentiment jusqu'à ce que Lizzie ouvre les yeux et prenne du mieux, du-t-il se conduire au bord de la mort lui-même.
Cependant, Darcy s'autorisa à prier. Plusieurs fois. Constamment. Il pria Dieu de ne pas lui enlever son épouse, de lui laisser une seconde chance et jura que cette fois il ne la gâcherait pas, qu'il ferait tout son possible pour s'adapter à elle, à eux. Il ne ferait plus jamais l'erreur de prendre pour acquise cette femme qui avait su transformer sa vie…et son cœur.
La nuit fut longue. L'état d'Elizabeth se stabilisa, mais elle était loin d'être tirée d'affaire. Sa respiration était encore dangereusement râpeuse, mais la fièvre n'était pas revenue. Lorsque le soleil se leva, le Dr Baker lui fit une saignée pour chasser les humeurs viciées. Une incision fut faite dans l'intérieur de son coude et Darcy observa le sang s'écoulant de l'entaille en silence. Chaque goutte qui s'écrasait contre le bol blanc - écarlate sous les timides rayons du soleil -, lui faisait l'effet d'avancer, pas à pas, un peu plus vers l'Enfer.
(-*-)
Abby n'arrivait pas à dormir. Agitée, et plus qu'inquiète, elle arpentait le peu de superficie de sa chambre sans relâche, incapable de se décider si oui ou non elle pouvait monter retrouver sa maîtresse maintenant que Darcy était à son chevet. C'était elle qui avait retrouvé Lizzie dans son lit la veille, couverte de sueur et délirante, et qui avait averti Mrs Reynolds que quelque chose n'allait pas. Ce teint crayeux, cette respiration sifflante… et cette fièvre, dangereusement élevée, qui la plongeait dans un monde d'hallucinations et la faisait marmonner inintelligemment. Pendant la nuit et la journée suivante son état avait empiré. Tous avaient craint le pire, attendant avec nervosité les commentaires du médecin qui l'examinait à presque toutes les heures. Personne n'avait osé en discuter ouvertement, mais deux questions avaient été sur toutes les lèvres : que se passera-t-il si Pemberley perd sa maîtresse? Et où est donc Mr Darcy?
Abby soupira en se prenant la tête dans les mains. Même si elle avait été soulagée de voir Darcy débouler dans la pièce pour assister son épouse quelques heures auparavant, elle ne supportait pas d'être cloîtrée dans sa chambre sans pouvoir veiller elle-même Elizabeth comme elle avait fait dans les vingt-quatre dernières heures. Elle avait beau la connaitre depuis quelques mois seulement, il n'en était pas moins qu'Elizabeth Darcy avait pris dans son cœur une place privilégiée. D'imaginer sa vie sans la servir était atroce pour la jeune femme, qui avait trouvé dans ses tâches un bonheur qu'elle n'avait jamais ressenti auparavant. Elle se sentait à sa place à Pemberley et l'idée de quitter cette famille qu'elle aimait tant la terrifiait. Les Darcy avaient changé sa vie, ils avaient été son étoile, et elle leur en serait à jamais reconnaissante.
Il était pénible pour Abigaëlle de regarder sa Lizzie souffrir. Cependant, il lui était aussi particulièrement difficile d'assister à la détresse de Darcy sans pouvoir y remédier. Jamais elle ne l'avait vu ainsi; les cernes sous ses yeux, bien que nullement nouvelles, se creusèrent drastiquement cette nuit-là. Ses cheveux, habituellement impeccable, trahissaient les mouvements impatients et compulsifs qui l'habitaient. Il avait les yeux fous, le regard hagard. Il refusait de manger ou dormir. Rien ne semblait plus importer Darcy excepté le sort de son épouse.
Mrs Reynolds avait tenté de le raisonner, mais rien n'avait fait. Pour la première fois depuis qu'Abby était arrivée – et certainement pour la première depuis toujours pour la vieille intendante – la voix du maître de Pemberley avait presque fait trembler les murs de la demeure ancestrale. Il n'avait pas paru offensé par la vision qu'Elizabeth avait offerte, hautement inappropriée, lorsqu'on l'avait plongé dans le bain de glace, sa longue robe de nuit lui collant au corps comme une deuxième peau. Il avait gardé son regard rivé sur son visage pâle et avait obéi aux ordres du médecin avec un sérieux digne d'un service funèbre. Personne n'avait osé réitérer la demande de sortir lorsque les femmes voulurent la changer; agir ainsi aurait attiré le courroux de leur maître et personne ayant un minimum de bon sens n'aurait osé contredire cet homme habituellement si posé.
Heureusement, la fièvre avait régressé et, à l'exception de Darcy, tout le monde avait quitté la chambre afin de rejoindre la leur. La maisonnée était étrangement calme, comme si seules les prières silencieuses faisaient écho entre les couloirs sombres et déserts. Tout le monde attendait; tout le monde patientait. Que pouvaient-ils faire de plus?
Même si Abby n'avait pas fermé les yeux depuis la veille, son corps refusait de laisser le sommeil la gagner et l'envie de retourner dans la chambre d'Elizabeth l'empêchait de rester en place. Décidant que le pire qu'il pouvait arriver était qu'elle se fasse interdire l'accès, elle prépara un plateau avec du thé et quelques biscuits et monta à l'étage. Elle frappa trois fois à la porte, presque imperceptiblement, et attendit. Quelques instants plus tard elle s'ouvrit, révélant le maitre de Pemberley à la lueur de sa chandelle.
Abigaëlle eut du mal à garder son visage neutre. La lumière vacillante mettait en évidence les cernes prononcés sous les yeux de Darcy et le regard qu'il posa sur elle semblait inhumain. Une farouche détermination semblait l'habiter, qui diminua quelque peu lorsqu'il réalisa qui avait frappé si effrontément à la porte de la chambre de sa femme à cette heure si matinale. Abby fit une révérence et murmura : 'Je suis désolée, Mr Darcy, mais j'ai pensé que vous –'
-'Je n'ai pas faim.' La coupa-t-il sans ménagements. 'Que faites-vous encore debout?'
Elle rougit et fut heureuse que la noirceur de la nuit camoufle sa gêne. 'Je n'arrive pas à dormir.'
-'Retournez vous coucher. C'est un ordre.'
Le cœur battant, Abby insista. Elle avait peur de cet homme, de ce sosie de son maître au ton sec et aux yeux durs, mais de retourner en bas savoir lui était impossible. 'S'il-vous-plaît, je vous en supplie….' Murmura-t-elle précipitamment en l'empêchant de refermer la porte. 'Dites-moi au moins s'il y a du nouveau. Puis-je faire quoi que ce soit? Avez-vous besoin d'eau fraîche pour lui éponger le front? Je peux descendre à la cuisine. S'il-vous-plaît, laissez-moi être d'une quelconque aide. Je sais que votre mal est plus grand que le mien, mais croyez-moi lorsque je vous dis que cette attente m'est insupportable à moi aussi.'
Darcy la considéra un moment. Son regard se fit moins hostile et il lui dit d'une voix presqu'inaudible : 'Allez chercher de l'eau froide et revenez.'
Abby obéit sans tarder et revint en moins de quelques minutes avec un pichet et des linges. Cette fois, Darcy la laissa pénétrer dans la pièce étouffante et elle referma derrière elle, l'observant du coin de l'œil. Il résuma son poste près du lit, prit la main de sa femme dans la sienne et l'appuya contre son front.
Abigaëlle versa l'eau dans un bol et l'apporta au chevet d'Elizabeth. Elle tendit un linge propre, que Darcy prit sans hésitation.
-'Merci.' Dit-il au bout d'un moment, épongeant le front de son épouse avec une lenteur et tendresse qui ne manquèrent pas d'émouvoir la jeune femme. 'Vous êtes bien la seule qui ne me jugez pas en ce moment.'
-'Jamais, Monsieur.'
-'Vous devriez. Un homme qui prend soin de sa femme, dans tout ce que cela implique, est hautement inapproprié.'
Son ton avait été sarcastique. Abby hésita avant de répondre. 'Mrs Darcy a besoin de vous, Monsieur. Et les souhaits de Mrs Darcy sont plus importants à mes yeux que quelconques règles de bienséances.'
Il eut un sourire triste, mais n'ajouta rien. Abby resta immobile près du lit, les mains croisées devant elle. Elle observa sa maîtresse en silence, incertaine de ce qu'elle ressentait. Elizabeth semblait stable, mais elle avait encore beaucoup de progrès à faire avant d'être déclarée hors de danger, le médecin l'avait dit. Elle aurait tant aimé pouvoir remarquer une différence, quelconque amélioration, mais tout ce qu'elle pouvait voir était la transparence de sa peau et sa respiration laborieuse.
-'Je mérite ce qui m'arrive.'
Abigaëlle sursauta, incertaine de s'il avait vraiment parlé tellement sa voix avait été faible.
-'Je ne la comprends pas toujours.' Ajouta Darcy après un moment et Abby avait l'impression qu'il se parlait à lui-même, comme un fou, ses gestes lents et répétés ne manquant pas de l'effrayer quelque peu. 'Elle a cette manière de…Elle est toujours si…' Il s'interrompit en soupirant. 'Elle voit et sent des choses que je n'arrive pas à distinguer. Elle lit en les autres des choses qui m'échappent.'
-'Elle est très intuitive.' Répondit silencieusement la jeune femme, déboussolée par ces confidences. 'Elle est une femme hors de l'ordinaire.'
-'Extraordinaire.' La corrigea-t-il, déposant le bol et le linge sur la table de chevet.
Abby eut un sourire. 'Oui, vous avez raison.'
Réalisant soudainement qu'elle était debout depuis son arrivée, Darcy retrouva momentanément sa personnalité habituelle. 'Je vous en prie, Miss Grant, prenez place. Il y a une chaise ici, vous pouvez l'installer de l'autre côté.'
-'Merci, mais je ne veux pas vous importuner. J'ai déjà pris la liberté de m'informer de l'état de Mrs Darcy, je ne voudrais pas pousser mon effronterie jusqu'à vous imposer ma présence.'
Il leva des yeux vers elle. 'Lizzie vous affectionne particulièrement. Elle aurait souhaité votre présence à ses côtés tout autant que la mienne. Dès le début elle a su voir en vous ce qu'aucun autre aristocrate n'aurait pu distinguer. Je suis heureux qu'elle ait eu le bon sens d'insister pour vous avoir et je suis heureux que vous ayez été là pour ma femme lorsque je n'y étais pas.'
-'Vous n'avez pas à me remercier, Monsieur, j'affectionne Mrs Darcy plus que je ne peux l'expliquer et de la servir est pour moi un honneur.'
Si possible, Darcy eut l'air encore plus sombre. 'Hm.' Fit-il pour toute réponse.
Abby avait mal pour cet homme. Quelle souffrance cela devait être pour lui à ce moment, de regarder sa femme combattre sans qu'il puisse lui venir en aide excepté en lui tenant la main! Cette mince consolation n'était pas suffisante pour empêcher le mal de le ronger et même dans les ténèbres, éclairés seulement par la lueur de la flamme sur la table de chevet, les traits tirés du maître de Pemberley trahissaient les pensées qui le hantaient.
-'Je n'ai pas été un mari très attentif.'
Abigaëlle se figea; elle ne s'était pas attendue à cela. Elle ne connaissait pas vraiment son maître – après tout elle était la suivante d'Elizabeth – et il était étrange pour elle de discuter aussi sérieusement avec Darcy. Avant qu'elle ait pu répondre, il poursuivit : 'La vie est étrangement faite. Un jour je me demande si j'ai raison ou tort sur la manière dont j'agis et je m'éreinte à essayer de trouver comment je pourrais mieux faire les choses sans réussir à chasser de mon esprit les foutus conventions qui me retiennent. Et en l'espace d'une soirée je me retrouve à supplier le Ciel de me redonner ce que j'ai de plus cher sur cette terre en promettant d'être tout ce que ma femme voudra, peu importe ce que cela implique.'
Si Abby avait été surprise, ce qu'elle ressentait présentement dépassait l'incrédulité. Mr Darcy? Se confier à elle? Elle était si ahurie qu'elle en fut bouche-bée.
-'Quel genre d'homme doit attendre que son épouse soit entre la vie et la mort pour réaliser ce qu'il pourrait perdre? Quel genre d'homme privilégie les convenances à une femme qu'il aime plus qu'il ne peut l'expliquer? C'est illogique.'
Abigaëlle expira lentement. Darcy ne s'adressait pas à elle; l'épuisement et l'inquiétude lui jouait des tours, le plongeait dans un monde où peut-être seules ses pensées le protégeait contre la folie. Alors elle l'écouta, sans rien dire, sentant qu'il était son devoir d'être une oreille attentive. Si c'était la seule manière dont elle pouvait être utile cette nuit, au moins elle servait à quelque chose.
-'Illogique.' Dit une nouvelle fois Darcy dans un murmure. 'Et moi qui croyait que j'étais la personne la plus terre à terre et logique que cette terre ait porté. Quel idiot.'
Il soupira puis, le regard fixé sur un point devant lui, il ajouta d'une voix fervente : 'Je peux faire mieux. Je peux changer. Je dois changer. Dussé-je y user toute mon énergie à me battre contre mes propres démons, les choses vont changer à partir de maintenant.'
L'intensité de ses mots la fit frissonner.
-'Je vais changer.' Répéta-t-il, comme pour se convaincre, et Abby se demanda si le moment était venu pour elle de briser sa transe.
Elle n'eut pas à parler ni même bouger. Une plainte s'échappa de la bouche d'Elizabeth et Darcy se tut, aussitôt alerte, et se pencha au-dessus d'elle. 'Lizzie?'
Il toucha son visage et son cou, testa sa température. Un pli d'inquiétude barra son front lorsqu'Elizabeth tourna la tête d'un côté puis de l'autre, s'agitant faiblement pendant quelques instants. Sa respiration se fit plus laborieuse et elle eut des haut-le-cœur . 'Miss Grant, allez chercher le Dr Baker.'
-'À l'instant, Monsieur.'
Le médecin, qui avait été installé au deuxième étage, ne fut pas long à descendre pour vérifier l'état de sa patiente. Animé d'une énergie nouvelle, Darcy allait et venait près du lit en observant les gestes du vieil homme, frottant impatiemment sa mâchoire et son cou. 'Alors, Docteur?' demanda-t-il au bout d'un moment.
-'A-t-elle montré des signes de conscience?'
-'Seulement ceux que je vous ai dit. Elle s'est agitée pendant un moment, mais dès que le mucus est sorti elle s'est calmée et n'a plus bougé.'
-'Remercions la Providence qu'elle ait eut la force de rejeter une partie des sécrétions.' Il soupira. 'Je ne suis pas satisfait de la progression de son état, je vais procéder à une saignée.'
-'Cela lui fera-t-il mal?'
-'C'est une possibilité. Dans l'état où elle se trouve, Mr Darcy, la douleur ne sera probablement qu'un écho de ce qu'elle est vraiment. Miss Grant? Apporter ce pot de chambre, là. Voilà. Placez le sous son bras. J'espère que vous n'avez pas peur du sang, mademoiselle.'
-'Non, Monsieur.' Répondit la jeune femme d'un ton ferme en se plaçant là où le médecin lui avait indiqué. 'Et même si je l'étais, rien ne me ferait bouger d'ici.'
Darcy eut l'ombre d'un sourire. Le Dr Baker se tourna ensuite vers lui. 'Mr Darcy? Comme je sais qu'il est inutile de vouloir vous chasser de cette pièce, pourriez-vous veiller à ce qu'elle ne bouge pas? Garder une grippe solide.'
Abby observa son maître alors qu'il prenait place sur le lit, appuyant ses deux mains contre les épaules de son épouse. Puis son regard se tourna vers la lame que le médecin sortit de son sac. Elle déglutit difficilement, mais ne sourcilla pas.
Une fois la saignée effectuée, Abby emporta le pot de chambre à l'extérieur, laissant le médecin et Darcy derrière elle. Lorsqu'elle revint, la plaie avait été couverte d'un bandage sur lequel Darcy gardait une pression constante et le Dr Baker était retourné à sa chambre. Le maitre de Pemberley avait résumé son poste sur la chaise près du lit.
-'Mr Darcy?'
Il leva la tête vers elle.
-'Mr Darcy, je sais qu'il est très déplacé de ma part de vouloir proposer ceci, mais…me permettez-vous de mettre quelques herbes sur le feu?'
Il parut surpris. 'À quelles fins?'
-'Lorsque mes frères ou moi étions malades, ma mère faisait brûler du romarin et de la menthe poivrée et cela aidait à dégager le nez et la gorge. Je me suis dit qu'il n'était pas…que ce ne serait pas mal d'essayer…'
Darcy la fixa un moment et elle crut qu'il était retourné dans un état second, mais il hocha finalement la tête en signe d'approbation. 'Merci, Miss Grant. Faites comme vous le devez.'
Abigaëlle s'exécuta. L'automne précédent elle avait pris soin de récolter et sécher son petit jardin et avait rangé ses réserves dans sa chambre. Les herbes hissèrent lorsque les flammes les consumèrent; la pièce se remplit d'une bonne odeur et après un moment à le respirer, Abby se sentit la fatigue la rattraper. Elle bailla aux corneilles malgré elle et Darcy ne manqua pas de le remarquer.
-'Allez vous coucher, Miss Grant.'
-'Mais-'
-'J'insiste. Ne m'obligez pas à vous l'ordonner une seconde fois. S'il y a quelconque changement, je vous ferai quérir.'
Abby hocha la tête puis fit une révérence. 'S'il y a quoi que ce soit, n'hésitez pas.'
-'Je vous remercie, Miss Grant. Pour tout.'
Elle fit un léger sourire et se dirigea vers la porte. Après un dernier regard, elle referma derrière elle et descendit à sa chambre.
(-*-)
Avait-elle rêvé ces choses? Avait-elle imaginé ces voix dans sa tête? Lizzie avait les tempes qui battaient et un mal résonnant lui harcelait le crâne. Elle avait trop chaud et le moindre mouvement provoquait une onde de douleur à travers son corps. Chaque muscle protesta lorsqu'elle tenta de soulever sa main afin de chasser une de ses mèches de cheveux qui chatouillait son visage et elle abandonna bien vite, réalisant qu'elle n'avait pas la force de faire un tel geste.
Mais que se passait-il donc?
Elle tenta d'ouvrir les yeux, mais la lumière du jour lui brûla les prunelles et elle grimaça. Sa peau était moite et collante, elle le réalisait maintenant. Elizabeth s'essaya de nouveau à soulever ses paupières, clignant plusieurs fois avant de pouvoir s'habituer à la clarté. La pièce était vivement éclairée à un seul endroit, là où les rideaux avaient été tirés, tout près de son lit. Elle remarqua alors la grande silhouette près de la fenêtre et son cœur battit la chamade lorsqu'elle réalisa que cet homme n'était nul autre que son Darcy.
D'où il se tenait, Elizabeth pouvait voir l'air sombre de son visage et les traits tirés qui le composaient. Il avait un coude appuyé contre la vitre, sa main contre son front sérieux. Son autre bras entourait sa taille mollement et Lizzie ne put s'empêcher de l'observer sans bruit, hypnotisée par sa présence. Elle garda son regard fixé sur lui alors qu'il passa une main dans ses cheveux, s'éloignant de la fenêtre pour rejoindre la petite table où trônaient une bouteille noire et une cuiller.
Elizabeth sentit les larmes lui monter aux yeux; elle ne savait pas ce qui se passait ni pourquoi elle se sentait si faible, mais une chose était certaine : elle avait besoin de ses bras autour d'elle. Il y avait si longtemps! Lizzie ouvrit la bouche pour parler, mais le souffle lui manqua. Sa respiration était difficile et elle déglutit; la douleur qui accompagna ce simple geste la fit inspirer brusquement, provoquant un feu ardent dans sa gorge et ses poumons. Une quinte de toux déchira sa poitrine et elle essaya tant bien que mal de retrouver sa respiration, des sécrétions épaisses envahissant sa bouche. Aussitôt, les bras de Darcy furent autour de ses épaules et un bol se présenta devant ses lèvres alors qu'il la penchait vers l'avant pour ne pas qu'elle s'étouffe.
-'Respire doucement, Lizzie. Doucement.'
Mais elle paniquait. La démangeaison était si poignante qu'il lui était impossible d'inspirer. Darcy lui apporta rapidement un verre d'eau et la douleur s'apaisa pour un moment. Il prit ensuite la petite bouteille noire et ajouta un peu du liquide dans le reste de l'eau laissé dans son verre. Il lui fit boire, lentement, et elle se calma enfin.
Darcy la redéposa sur la multitude d'oreillers qui la soutenait surélevée, caressant son visage avec tendresse au passage. Il étudia ses traits avec soin et sembla rassuré de la voir répondre à son regard de manière ludique.
-'Lizzie? Tu peux comprendre ce que je te dis?'
Elle fut surprise de sa familiarité, mais les mots lui réchauffèrent le cœur. Cette fois, elle ne put empêcher les larmes de rouler sur ses joues et elles s'intensifièrent lorsque Darcy l'attira à lui soudainement, la serrant dans ses bras avec une force qui lui était douloureuse. Elle ne comprenait toujours pas ce qui s'était passé; lorsqu'elle s'était endormie, elle avait eu l'impression que son rêve avait été péniblement long et plutôt cauchemardesque. Elle ne comprenait pas non plus son mari, qui lui embrassait le front, les joues, le nez avec une intensité qu'il n'avait jamais démontré auparavant, comme si toutes les mésententes des dernières semaines n'existaient plus. Elle sentit les doigts de Darcy se glisser contre son cou, agrippant sa nuque, ses pouces allant et venant contre ses pommettes. Ses mains étaient froides, enveloppant son visage dans un étau de glace.
-'Oh, Lizzie…'
Il la serra à nouveau dans ses bras, sa poigne étouffante. Elle ne s'en plaignit pas, trop heureuse de ce contact pour oser faire un son.
-'Oh Lizzie…' lui murmura-t-il à l'oreille. 'J'ai eu si peur que tu…' Puis, reprenant soudainement contrôle de lui-même, il apposa sa main sur son front, testant sa température. 'La fièvre est définitivement partie.' Constata-t-il et sa voix, même si rauque, était soulagée. 'Je vais appeler le médecin, il doit t'ausculter.'
Elizabeth fit la moue lorsque son mari se retira et disparut par la porte principale pour réapparaître quelques minutes plus tard accompagné d'un homme grisonnant. Celui-ci prit place près d'elle puis, après avoir palpé ses glandes sous son menton, écouta le rythme de son cœur avant de lui demander de se tourner sur le côté et de prendre une grande inspiration. Alors qu'elle avait réussi à éviter la démangeaison dans ses poumons, obéir à cette demande déclencha une toux incontrôlable. Fidèle au poste, Darcy récolta ce que son estomac rejeta, au grand embarras d'Elizabeth, et un voile de sueur recouvrit le front de la maîtresse de Pemberley.
-'Ses poumons sont toujours très encombrés.' Commenta le médecin après un moment, son ton professionnel ne trahissant aucune émotion. 'Demandez un cataplasme de moutarde, Mr Darcy. Cela l'aidera à les dégager.'
Darcy obéit et n'eut qu'à ouvrir la porte pour intercepter un domestique. 'Allez chercher Miss Grant, maintenant, et demandez-lui de faire un cataplasme de moutarde.'
Il retourna ensuite auprès d'Elizabeth, qui chercha aussitôt sa main. Darcy la rassura. 'Je suis ici, Lizzie, ne t'inquiète pas. Docteur? Y a-t-il quelque chose d'autre que je puisse faire?'
-'Dormir un peu ne vous ferait certainement pas de tort, Mr Darcy.'
-'Je n'ai pas l'intention de quitter cette pièce, Docteur Baker. Autant mieux utiliser ma compétence à ce que ma femme ait tout ce dont elle ait besoin.'
-'Soit. Mrs Darcy n'a pas mangé depuis deux jours, il serait bon de lui emmener un bouillon. Puis-je compter sur vous pour ce service?'
-'Bien entendu. Je reviens à l'instant.'
Abigaëlle arriva peu de temps après, alors que Darcy était en bas. Elle profita de son absence pour laver rapidement Elizabeth et l'aida à enfiler une autre robe de nuit. Lizzie lui en fut reconnaissante; son corps entier la faisant souffrir le martyr à chaque fois qu'elle bougeait un tant soit peu et elle ne voulait pas que Darcy voit ses grimaces de douleur. Le Dr Baker, qui s'était retourné par respect, semblait amusé lorsqu'il dit : 'Votre mari est extrêmement déterminée, Mrs Darcy. Je ne crois pas avoir déjà était témoin d'une telle insistance.'
Abby approuva. 'Habituellement, les hommes fuient la maladie comme la peste.' Dit-elle en replaçant la couverture par-dessus elle. 'Mr Darcy a catégoriquement refusé de sortir de cette pièce depuis qu'il est arrivé hier soir.'
Elle jeta un coup d'œil intriguée à sa suivante, qui sembla comprendre sa question muette. 'Vous avez été inconsciente depuis deux jours et demi, Mrs Darcy.'
Elizabeth resta stupéfaite. La fatigue et la douleur l'empêchait de penser clairement, mais elle prenait peu à peu conscience de ce qui s'était passait et ce qui lui arrivait. Elle n'avait jamais été très malade; même jeune, jamais elle n'était resté plus qu'une journée au lit et ce toujours avec l'impatience d'être sur pieds à nouveau. Présentement elle arrivait à peine à bouger le petit doigt et tout ce dont elle avait envie était de dormir. Avait-elle vraiment passé les soixante dernières heures dans l'inconscience? Et Darcy avait-il réellement passé la dernière nuit à son chevet, à veiller sur elle? Et Abby? Elle-même semblait épuisée et les cernes sous ses yeux trahissaient son manque de sommeil.
-'Quoi qu'il en soit, je suis heureux que vous soyez de nouveau parmi nous.' Commenta le médecin. 'Peut-être voudra-t-il enfin se reposer lui-même s'il ne veut pas tomber malade à son tour.'
Elizabeth jeta un coup d'œil inquiet à Abigaëlle, qui lui fit un sourire rassurant. 'Ne vous en faites pas, Mrs Darcy. Maintenant que vous êtes hors de danger, je crois que Mr Darcy sera un peu plus raisonnable. J'ai réussi à le convaincre de manger un peu, ce qui est déjà un excellent début.'
Quelle inconvénient de ne pas pouvoir parler! Lizzie avait tant de choses à dire, à demander, à comprendre. Cependant elle était si épuisée qu'elle n'avait pas la force d'essayer quoi que ce soit. Mrs Reynolds entra alors dans la pièce en portant un bol fumant et Abby lui ordonna alors d'entrouvrir les lèvres et la fit boire lentement, gorgée par gorgée, le bouillon de poulet. La chaleur du liquide apaisait sa gorge en feu, mais bien vite elle sentit qu'elle ne pouvait plus rien avaler et refusa d'ouvrir la bouche. Abby parut satisfaite. 'Cela est assez pour le moment, Madame. Nous réessayerons plus tard.'
Darcy revint dans la pièce à ce moment. Ses cheveux étaient mouillés et ses vêtements, bien que propre, étaient mal enfilés. 'Je suis désolé, je ne voulais pas être si long.'
Voyant peut-être le message dans ses yeux, Darcy se dirigea aussitôt vers sa femme et lui prit la main. 'Je suis là, Lizzie, je ne vais nulle part maintenant. Je reste ici avec toi.'
-'Mr Darcy.' S'interposa le Dr Baker. 'Il serait préférable pour Mrs Darcy de dormir le plus possible. Je vais devoir vous quitter, mais je reviendrai en début de soirée pour voir les progrès de Mrs Darcy et demain matin, si nécessaire.'
Lorsqu'il ne resta plus qu'Elizabeth et Darcy dans la pièce, un silence s'installa, pendant lequel Lizzie ne put détourner le regard du visage de son mari. Quelque chose était différent chez lui et son insistance à rester auprès d'elle ne manquait pas de l'émouvoir. Elle lui sourit et il répondit avec un sourire qui n'atteignit pas ses yeux et qui tira tous ses traits fatigués, lui donnant bien plus que les vingt-neuf ans qu'il avait réellement.
-'As-tu besoin de quelque chose, Lizzie? Veux-tu dormir?'
Elle hocha la tête, serrant faiblement sa main.
-'Veux-tu que je te fasse la lecture jusqu'à ce que tu t'endormes?'
Cette fois, elle fit un signe de négation. Elle força sa main à se soulever un tant soit peu et la laissa tomber. Elle répéta ce geste plusieurs fois, espérant que Darcy comprenne qu'elle voulait qu'il prenne place à ses côtés.
-'Je ne sais pas si cela est prudent, Elizabeth. Je ne voudrais pas te faire mal.'
Elle fronça les sourcils pour montrer son mécontentement. Il était assis sur la chaise près du lit et cette distance était plus qu'elle ne pouvait supporter. Elle n'avait pas envie de penser ni réfléchir, elle voulait seulement les bras de son mari autour d'elle et sa chaleur contre son corps. Voyant l'hésitation de Darcy, elle s'agita. Ce simple geste coupa court au dilemme de ce dernier et il céda. 'D'accord, d'accord. Ne bouge pas, je suis là. Je suis là…'
Après avoir retiré ses souliers et sortit sa chemise de son pantalon, il prit place près d'elle dans le lit et l'attira à lui. Il ne fut pas long pour que le sommeil la gagne et c'est au son des légers ronflements de Darcy qu'elle s'endormit.
(-*-)
Voilà! Votre opinion est toujours grandement appréciée!
Je tiens à avertir que le prochain chapitre pourrait mettre un certain à être publié, question de me resituer dans mon synopsis. Je veux aussi prendre un peu de temps pour travailler sur un projet d'écriture que j'ai délaissé un trop long moment, mais rassurez-vous, je n'abandonne pas ma fic : ) Je serai de retour d'ici quelques semaines, le plus rapidement possible. A bientôt !
