Je crois que c'est la première fois que je respecte mon échéancier! Je sais que la plupart d'entre vous auront la notification du nouveau chapitre datant du 6 mars, mais ici il est toujours le 5 et je m'apprête à publier un chapitre à temps. Qui l'aurait cru! Sans plus tarder, voilà! Oh, et s'il vous plait, ne vous souciez pas trop du titre, je ne savais pas comment l'appeler.
Chapitre 26
Mrs Anne Fitzwilliam
Londres tout entière parlait de ces fiançailles. Depuis le Bal de la Court, où Richard Fitzwilliam avait présenté sa fiancée, aucun autre sujet n'était plus d'actualité que celui du mariage du nouvel Earl de Glencestershire et de la fille de Lady Catherine de Bourgh. Quel bon parti cela était pour tous les deux! Issus de bonnes familles riches et respectables, il semblait naturel pour tous que cette union ait lieu. N'étaient-ils pas cousins, qui plus est? Les rejetons de ce couple seraient choyés; non seulement le premier hériterait du grand domaine de Greenfield Park, mais tout porte à croire que le deuxième hériterait de Rosings Park. Ainsi, le sang pur de cette famille en avait encore pour longtemps à diriger ces somptueuses terres et propriétés.
Tous s'accordaient sur ce sujet. Les nombreuses visites que les Darcy endurèrent les firent entendre toutes les raisons du monde pourquoi ce couple était le plus idéal, le plus souhaitable et le plus profitable pour chaque parti. Un par un ils défilèrent dans le salon, discutant devant une tasse de thé avec les deux futurs époux, ignorant complètement la présence des propriétaires et des jeunes filles. Ces dernières étaient bien tristes que leurs après-midi soient passés à ne voir que des couples ou femmes désirant féliciter Richard et Anne. N'y avait-il pas un seul homme avec lequel elles avaient dansé qui allait se présenter pour faire un peu plus connaissance? Avec toutes ces cartes qu'ils recevaient, n'y en avait-il pas au moins une qui portait le nom d'un de leur cavalier?
Elizabeth se sentit rapidement épuisée par la situation. Non seulement elle devait sourire aux femmes hypocrites qui l'avait snobé l'année précédente, mais ses matinées étaient passées à la préparation du mariage, qui allait avoir lieu dans moins de trois semaines. Ses soirées, quant à elles, étaient passées soit à planifier les journées à venir, soit à divertir des invités. N'y avait-il donc pas de répit pendant la Saison? Ne pouvait-elle pas dîner en famille de temps à autre, sans avoir à faire de la politesse envers des familles qu'elles ne connaissaient pas ou n'appréciaient pas? Bien sûr, elle fit de plaisantes rencontres aussi, mais l'atmosphère générale de ses journées lui pesait et Elizabeth n'avait qu'une hâte; que tout se termine afin de retrouver la paix.
Les mois d'avril et de mai furent donc passés à recevoir et planifier. Occupant un petit bureau du troisième étage, Elizabeth appréciait tout de même ces matins qu'elle passait en compagnie d'Anne, où elle apprit à connaître une jeune fille tout à fait différente de ce qu'elle imaginait. La timidité de l'héritière de Rosings Park cachait bien son intelligence et sa curiosité. Sa culture générale était excellente, dû aux longues heures passés à lire et étudier, et ses conversations étaient intéressantes et instructives. Bien sûr, Anne précisa que sa mère n'était pas au courant de sa passion pour les sujets réservés aux hommes, tels que la politique, la sociologie, la médecine et psychologie, et que seuls Darcy et Richard – et maintenant Elizabeth – partageaient cette confidence. La maitresse de Pemberley était touchée de cette attention; cette confiance lui prouvait que l'amitié qu'elles développaient depuis le bal de la Court était vraie et sincère. Elle qui croyait qu'elle aurait du mal à vivre en présence de la fille de Lady Catherine, elle avait été agréablement surprise d'apprendre qu'Anne n'avait que faire des ordres de sa mère et qu'elle n'avait qu'une hâte : être débarrassée de sa gouvernante.
Ce n'était pas que la vieille femme, qui avait été à ses côtés pour la presque totalité de sa vie, déplaisait réellement à Anne. Seulement, depuis sa plus tendre jeunesse, Mrs Fannings avait été le pantin de Lady Catherine et avait toujours été prompte à rapporter tout ce qui se passait entre elles. Malgré la douceur, la patience et les bons soins, la jeune fille n'avait jamais été capable de tisser un réel lien avec sa gouvernante, effrayée qu'un seul faux pas ne ramène sa mère pour la punir, comme tant de fois dans sa jeunesse. Heureusement, elle avait su se cacher de ces deux femmes assez facilement lors de son adolescence; derrière la porte de sa chambre, alors que tous la croyaient endormie, elle étudiait les livres qu'elle gardait bien cachés dans le plancher, sous une planche branlante. Elle avait appris à se taire et observer, à garder pour elles ses opinions et à ne démontrer aucune émotion. Ainsi, personne ne pouvait la réprouver.
La présence de Mrs Fannings chez les Darcy causait beaucoup de mal à Anne, qui supportait avec peine les commentaires désobligeants de sa gouvernante lorsqu'elles étaient seules. Lady Catherine avait été sans pitié dans son opinion d'Elizabeth et la vieille femme, qui partageait ces avis, ne manquait aucune occasion de rabaisser la maitresse de Pemberley. Elle ne se doutait pas de l'amitié grandissante entre Lizzie et Anne car c'est en catimini que la jeune fille se glissait jusqu'au troisième étage pour rejoindre son hôtesse. D'un commun accord, elles avaient décidé de taire leur complicité jusqu'au mariage et c'est avec la plus grande politesse et froideur qu'elles s'adressaient l'une à l'autre en public. Elles en riaient souvent ensemble et plus d'une fois elles avaient manqué de peu d'éclater de rire devant le sérieux de l'atmosphère lorsque toutes deux étaient présentes dans la même pièce.
Cette nouvelle amitié était aussi surprenante que fascinante pour Elizabeth, qui n'avait jamais douté que cela pourrait se produire. Le fait était qu'Anne était une personne qui avait beaucoup à partager et qui, plus que tout, avait besoin d'amies. Georgiana avait rempli ce rôle pendant des années, mais ses intérêts différaient de ceux de sa cousine et ainsi laissait sur sa soif son interlocutrice. Anne s'attacha rapidement à Lizzie qui, pleine de vie, avait l'énergie qu'elle-même ne possédait pas.
Un matin qu'elles étaient en pleine commande de fleurs, Elizabeth aborda un sujet qu'elle avait évité depuis leur première conversation et qui, maintenant qu'elles étaient plus proches, ne pouvait plus attendre.
-'Anne, il faut que je te pose une question.' Dit-elle soudainement. 'Je sais que cela semblera un peu étrange, mais je me dois de la poser pour avoir une conscience tranquille.'
-'Je t'écoute.'
-'Eh bien…avant mon mariage avec William, tu étais…fiancée avec lui et…enfin…j'espère que tu ne m'en veux pas pour cela.'
Anne sembla surprise, mais elle eut un petit rire. 'T'en vouloir? Pourquoi donc? Pour m'avoir sauvé d'un mariage que je ne voulais pas? Je ne te le reprocherai jamais, Lizzie, pour la simple et bonne raison que j'ai été soulagée lorsqu'il t'a choisi. Je pensais qu'ainsi personne d'autre ne voudrait de moi, vu ma constitution, et que j'étais libre de devenir vieille fille.' Elle fit une légère grimace. 'Cependant, il semble que se marier est capital pour toute jeune fille, peu importe sa santé, et il était enfantin de croire que personne ne voudrait de moi. La fortune et le titre sont deux choses trop importantes pour qu'un homme, même s'il n'aime pas la femme qu'il épouse, puisse les outrepasser.'
-'Mais le fait de ne pas avoir épousé Will te fait épouser Richard…'
Anne haussa des épaules. 'Je sais. Mais je m'entends bien avec Richard. Je suppose que le fait de toujours avoir su qu'un jour nous serions mariés a rendu notre relation à Darcy et moi plus distante et réservée. Richard et moi avons passé beaucoup de temps ensemble et il est le seul homme avec qui je peux discuter de n'importe quoi sans me sentir jugée. Peut-être suis-je chanceuse dans ma malchance; peut-être avons-nous besoin l'un de l'autre plus que nous le pensons. Nous pensons de la même manière, nous partageons les mêmes opinions dans beaucoup de domaines. Nous avons des débats très intéressants.'
Elizabeth l'écouta parler, étonnée. 'Je n'aurais jamais cru cela.'
-'Beaucoup de choses semblent différentes lorsque l'on garde le silence.'
-'Il est vrai qu'il est difficile de cerner la personnalité de quelqu'un si elle n'ouvre pas la bouche.'
-'Même si j'avais l'occasion de le faire, je ne le ferais pas. La société n'accepte pas que les femmes soient différentes, elles doivent toutes être du même moule.'
-'En effet.' Approuva Lizzie, les lèvres pincées. 'Et c'est bien dommage.'
-'Richard et moi ne pensions jamais en venir à tout ceci; le mariage nous terrifie.' Avoua soudainement Anne, soucieuse. 'Nous sommes cousins; nous sommes amis. Mais mari et femme? J'ai du mal à m'imaginer ce que ce sera pour nous. Nous avons une affection fraternelle l'un pour l'autre et je ne pourrai jamais le voir autrement.'
Elle détourna le regard, observant sans vraiment le voir le paysage par la fenêtre. Lizzie resta silencieuse un moment; elle ne pouvait comprendre comment Anne acceptait si facilement son sort si elle était consciente qu'aucun amour ne découlerait de son mariage. L'amitié était-elle suffisante pour que deux personnes passent le reste de leur vie ensemble? Et tous ces beaux moments de complicité que seuls deux amants peuvent partager? Les murmures dans la nuit, la découverte de ce monde nouveau qu'est l'amour? Il lui semblait atroce qu'Anne ne connaitrait jamais cela.
Pourquoi les femmes ne pouvaient-elles pas avoir de dire sur leur mariage? Pourquoi Anne ne pouvait-elle pas rester vieille fille, comme elle le souhaitait? Certes, Lizzie avait refusé Mr Collins, mais elle s'en était sortie seulement parce que son père ne souhaitait pas la voir malheureuse et finalement s'y était opposé. Elle n'avait donc pas pris la décision elle-même, elle avait dû faire valoir son refus en recherchant le support du patriarche de sa famille. Les femmes de sa génération n'avait généralement pas de dires sur la personne qu'elles devaient épouser; parfois ni même sur les intérêts qu'elles devaient avoir et pratiquer. Toutes jeunes filles accomplies ne devaient-elles pas savoir faire toutes les mêmes choses? Ne devaient-elles pas exceller dans les mêmes domaines? Anne avait raison; les femmes semblaient toutes faites à partir du même moule et celles qui décidaient d'être différentes en payaient parfois le prix.
-'Autant dire que nous sommes les proies d'un monde de conventions que nous ne pouvons comprendre ni joindre.' Commenta Elizabeth finalement, son ton maussade. 'Si tu choisis d'être toi-même, tu es pointée du doigt. Si tu choisis d'être comme tout le monde, tu passes ta vie à être quelqu'un que tu n'es pas.'
Anne hocha la tête. 'Exactement. Au moins, avec Richard, j'aurai la chance d'être moi-même, à défaut de connaître réellement ce qu'est l'amour.'
-'Peut-être serez-vous surpris? Peut-être que l'amour viendra, doucement…'
La jeune fille secoua la tête. 'Je n'ai pas beaucoup d'espoir.' Son visage s'assombrit tout à coup. 'Je redoute réellement le moment où…enfin…'
Elizabeth comprit aussitôt. 'Cela risque d'être un moment pénible. Je dois avouer que je ne peux comprendre le sentiment d'affection fraternelle envers un homme, puisque je n'ai que des sœurs, mais j'imagine que cela doit paraître affreux d'avoir à accomplir un tel devoir avec une personne que tu considères comme ton propre frère.'
-'Ce l'est. Et je crois que je redoute ce moment plus que le mariage lui-même.' Avoua Anne en frissonnant. 'Si cet aspect n'existait pas, j'aurais l'âme en paix. Cependant, le fait est que je dois engendrer l'héritier et-' Elle s'interrompit tout à coup et ses joues prirent de la couleur. 'Je suis désolée, Lizzie, je ne voulais pas aborder ce sujet, je m'étais promise de ne pas le faire.'
La mention du mot « héritier » n'avait pas manqué de lui apporter un pincement au cœur, mais Elizabeth était certaine de ne pas avoir laissé transparaitre ses pensées sur son visage. Voyant son air confus, Anne s'expliqua.
-'L'autre fois, lorsque j'ai surpris cette conversation entre Abby et toi, j'ai cru comprendre que tu avais du mal à…avoir un enfant.'
Elizabeth ne sut pas quoi répondre. Elle baissa les yeux sur le parchemin et la plume qu'elle tenait dans ses mains. 'J'ai du mal, en effet.' Répondit-elle au bout de quelques secondes, s'éclaircissant la gorge. 'Et c'est un poids de plus en plus lourd à porter.'
-'Je suis désolée.'
-'Tu n'as pas à l'être. Il est tout à fait normal que tu ressentes la pression d'engendrer un héritier, tout comme je la ressens.'
Anne se mordit la lèvre. 'Au moins, tu as la santé et même si un enfant tarde à venir, lorsqu'il viendra, tu n'auras pas de mal à le mettre au monde…Je crains que la chance ne sera pas de mon côté lorsque ce sera mon tour.'
Elizabeth n'osa pas répondre que cette pensée venait tout juste de lui passer par l'esprit. Anne était si frêle que même une légère brise pouvait la briser en deux. Elle était petite, presque comme une enfant, et Lizzie n'avait pas besoin d'être un physicien pour savoir que l'enfantement entraînerait un énorme risque pour la jeune fille.
-'Peut-être que Richard ne voudra pas prendre de risques…' hésita-t-elle. 'Il connait ta constitution et je suis certaine qu'il ne voudra pas mettre ta vie en danger. Cependant, il reste tout de même un homme et je ne sais pas si…peut-être qu'il…'
-'Prendra une maitresse?' termina Anne, avec un petit sourire. 'Cela me serait d'un grand réconfort s'il le faisait. Ainsi, il pourrait assouvir ses désirs charnels avec une autre femme et trouver le réconfort intellectuel dans l'affection maritale d'une sœur.'
Elizabeth avait parfois du mal à encaisser le franc parlé d'Anne. Elle était si terre à terre et logique, comme si elle discutait de la température ou des récoltes de l'année. Pour Lizzie, la seule pensée que Darcy pourrait un jour prendre une maîtresse lui faisait un mal fou.
-'Les gens parleront, cela est inévitable.' Ajouta la jeune fille en soupirant. 'Cependant, est-ce vraiment une question de choix? Risquer ma vie pour assurer un héritier ou laisser mon mari faire comme il a toujours fait, me laissant ainsi vivre?'
-'Les gens ne comprendront pas, mais j'imagine qu'ils se fatigueront de ce sujet au bout d'un moment et qu'ils vous laisseront tranquille.'
Anne pâlit soudainement. 'Je ne sais pas comment je ferai pour ce mariage. Je dois me présenter devant toute cette foule, j'ai l'impression de me retrouver au Bal de la Court pour une seconde fois.'
-'Au moins, votre liste d'invités est minime. Par chance, Richard n'a pas voulu d'un grand mariage et a réussi à convaincre ta mère et la sienne de garder cela plutôt intime.'
-'C'est la seule pensée qui me rassure, crois-moi. Tant de gens s'offenseraient si ce n'était que Richard est en deuil, car le mariage d'un Earl doit se fêter en grand. Dommage qu'une si triste tragédie soit à l'origine de mon soulagement.'
(-*-)
Ce ne fut pas une noce joyeuse. Officieuse, longue et empreinte de malaise, la cérémonie se déroula dans le silence complet des invités. Elizabeth observa son mari alors qu'il conduisait Anne à l'autel et servait de témoin pour Richard. Elle était un peu en retrait, près de sa sœur et de Georgiana, loin de Lady Catherine, qui était sortie de Rosings Park pour l'occasion. Pas une fois n'avait-elle regardé dans sa direction et elle l'avait délibérément ignorée depuis son arrivée. Cependant, Lizzie ne s'en souciait guère, car Lady Catherine n'avait aucune idée de l'amitié qui maintenant liait sa fille à la femme qu'elle détestait et cela lui apportait une certaine satisfaction. Heureusement, Anne avait eu moins de mal à être le centre de l'attention et, dos aux gens qui bondaient l'église, personne ne pouvait apercevoir son visage pâle et son regard effrayé. Richard, à ses côtés, était rigide et sombre, une ombre de lui-même. De le voir ainsi peinait beaucoup Elizabeth car elle avait toujours apprécié la gaieté et la joie de vivre qui habitait cet homme.
Pourquoi le destin avait-il été aussi cruel envers lui? Pourquoi le priver de cette liberté qu'il appréciait tant et lui enlever sa famille? Il ne lui restait plus que sa mère maintenant et il était évidant que cette dernière, dont la santé défaillait peu à peu, ne serait plus parmi eux bien longtemps. Advenait que le malheur frappe à nouveau et qu'Anne meurt en couche, Richard serait réellement seul.
Elizabeth se défendit de penser ainsi. D'être si négative ne lui ressemblait pas et elle se devait de prier pour qu'Anne soit assez forte. La jeune fille était certes frêle, mais elle ne manquait pas de bonne volonté et il fallait que ce soit suffisant. C'est donc avec un grand sourire qu'elle embrassa et félicita les nouveaux mariés, leur souhaitant tout le bonheur du monde.
Anne et Richard ne rentrèrent pas tout de suite au Glencestershire. Ils s'attardèrent à Londres un moment, chez les Darcy, et Elizabeth apprécia ces derniers moments avec Anne. Elle savait qu'elle n'allait pas la revoir de sitôt; Greenfield Park était loin de Pemberley et la jeune épouse supportait mal les voyages. Avec Jane, Charles et Charlie qui visitaient souvent, la maisonnée était remplie d'entrain et de rires. L'endroit était vivant, gai et tous les jours apportaient de nouvelles activités, de nouvelles complicités et de nouveaux souvenirs. Kitty et Georgiana s'épanouissaient comme des roses dans la société, où les prétendants affluaient et les courtisaient, et c'est l'œil vigilant que Darcy et Richard se chargèrent de passer au peigne fin les jeunes hommes s'intéressant à elles.
La veille du départ de chacun, un grand dîner fut organisé et c'est avec un mélange de joie et de tristesse que le groupe passa sa dernière soirée. Assise dans le grand salon en compagnie de Jane, Lizzie ressentait déjà la nostalgie l'assaillir. Malgré son impatience de partir pour l'Irlande, elle savait que tout ceci lui manquerait. Jane, qui semblait plus pâle qu'à son habitude, était nerveuse.
-'Que se passe-t-il, Jane?' demanda finalement Elizabeth. 'Ne me dit pas que tout va bien car je peux très bien voir que c'est faux.'
La jeune femme se mordit la lèvre. 'Je ne sais pas si je devrais te le dire, Lizzie…Charles vient tout juste de m'en faire part et ce n'est pas encore tout à fait certain, nous saurons dans quelques jours si…'
-'Si?' insista Lizzie, anxieuse de savoir ce qui pouvait mettre sa sœur dans tous ses états.
-'Nous voulons déménager et nous attendons la réponse du notaire pour savoir si tout est en ordre et si nous avons la propriété sur laquelle nous avons jeté notre dévolu.'
Elizabeth resta silencieuse un moment, incertaine de savoir si elle était soulagée de cette nouvelle. Honteuse, elle n'avoua pas qu'elle avait eu peur qu'elle lui annonce qu'elle était enceinte, car elle n'aura pas pu contenir ses émotions. D'avoir vu Charlie aussi souvent ces derniers temps n'avait en rien arrangé son obsession et c'était le cœur en miette qu'elle allait se coucher le soir, versant quelques larmes à l'insu de Darcy.
-'J'espère que c'est pour vous rapprocher et non pour vous éloigner,' répondit Lizzie d'une voix moins enjouée qu'elle ne l'aurait voulu.
Jane eut soudainement un grand sourire. 'Tu ne devineras jamais.'
-'Où?'
-'Carlton.'
Elizabeth resta sous le choc un moment. 'Le domaine voisinant Pemberley?'
Jane hocha de la tête et Lizzie dut faire un grand effort pour ne pas crier de joie. 'Nous allons être voisine?'
-'Oui! N'est-ce pas merveilleux? Charles m'en a fait la surprise, c'est la raison pour laquelle Darcy et lui sont allés à Londres, en mars. Dès qu'ils ont su que la propriété était à vendre, ils ont sautés sur l'occasion et ce n'est pas sans peine qu'ils ont réussis à l'obtenir. Enfin, si tout est en ordre, mais j'ai espoir que tout sera parfait et que bientôt nous y emménagerons.'
-'Cette nouvelle est fantastique!' s'exclama Lizzie en prenant les mains de sa sœur dans les siennes. 'Oh, Jane, si tu savais à quel point cela me fait plaisir!'
-'J'en suis tellement heureuse! Si tu savais à quel point notre séparation est difficile, de ne pas pouvoir te voir et te parler aussi souvent que je le voulais est très pénible et même si j'essaie très fort de ne pas laisser paraître ma tristesse à Charles, je crois qu'il l'a senti. Il a été assez généreux et aimable et si gentil de faire ceci pour moi, pour nous. C'est plus que je ne mérite.'
Elizabeth eut un sourire. 'Tu mérites tout le bonheur du monde, Jane, et dès notre retour d'Irlande j'irai te rendre visite.'
-'J'espère bien. La propriété est magnifique, si simple et élégante et les enfants pourront jouer sans problème dans le jardin et-'
Lizzie sursauta. 'Les enfants?'
Jane rougit jusqu'à la racine des cheveux. 'Enfin…je voulais dire…ce n'est pas encore certain…mais peut-être…j'attends encore un mois pour être certaine que…enfin…que ce soit réellement le cas.'
Ce fut comme une claque au visage. Elle se sentit pâlir et s'excusa aussitôt, quittant la pièce sans annoncer son départ ou souhaiter une bonne nuit à ses invités. Elle monta les escaliers rapidement; le souffle lui manquait et même si elle affichait un visage neutre, en elle ses émotions lui brûlaient le ventre.
Elizabeth referma la porte derrière elle et s'écroula contre celle-ci, la respiration saccadée, les larmes aux yeux. La douleur était si forte qu'elle n'arrivait pas à contrôler ses tremblements. Elle mordit son poing avec force pour retenir le cri qui voulait s'échapper d'entre ses lèvres. C'était comme si elle avait gardé pour elle ces émotions si longtemps que maintenant elles débordaient de son être tout entier. La surprise l'avait prise de cours; le sentiment d'échec qui avait suivi avait été trop intense pour qu'elle puisse le gérer.
Elizabeth savait que Jane serait terriblement blessée de sa réaction et que la culpabilité la rongerait jusqu'à la moelle. Elle savait que son comportement avait été irraisonnable et impulsif et peu digne d'une hôtesse exemplaire. Elle savait que les sentiments qui l'accablaient à l'instant même étaient démesurés. Cependant, elle ne pouvait rien y faire. Elle ne pouvait chasser la douleur que cette nouvelle lui avait faite, la sensation de ne pas accomplir ce pour quoi toute femme est née. Elle ne pouvait ignorer cette voix dans sa tête qui lui répétait qu'elle était stérile et que jamais elle ne pourrait avoir d'enfants. Elle ressentait le besoin de porter la vie plus que jamais, mais tout ce qu'elle sentait était le vide à l'intérieur d'elle.
Lizzie resta un instant ainsi; puis, soudainement, elle sentit qu'on cognait à la porte et elle savait, avant même qu'il ait parlé, que c'était Darcy.
-'Lizzie?'
Lentement, elle ouvrit la porte. Il pénétra dans la pièce en silence, prenant conscience des larmes sur ses joues et de son air abattue. Elizabeth savait qu'elle n'aurait pas d'autre choix que de tout lui dire; dans tous ces mois où elle s'était demandée quand ce serait son tour, elle n'avait pas osé en reparler avec son époux. Elle savait qu'il n'était pas particulièrement impatient d'avoir des enfants. Elle savait qu'il ne pouvait pas comprendre que ce vide en elle lui faisait mal. Cependant, il était le seul dont les paroles pouvaient la consoler et les bras pouvaient apaiser pour un temps la douleur.
Elle savait aussi qu'il ne parlerait pas avant qu'elle soit prête à le faire. Elizabeth prit donc une grande inspiration et fut la première à briser le silence.
-'Je suis désolée.' Dit-elle d'une petite voix. 'J'ai fait un spectacle de moi-même et j'en ai honte.'
Darcy eut un sourire rassurant. 'Nous sommes en famille, Lizzie, ne t'inquiète pas pour cela.'
-'Jane doit être déconcertée'
Le maitre de Pemberley poussa un léger soupir. 'En effet, elle était des plus horrifiée de savoir qu'elle avait pu te causer du mal.'
-'Elle m'a annoncé une nouvelle qui m'a…profondément bouleversée.' Termina difficilement Lizzie, sentant une vague d'émotion la submerger à nouveau. Sa voix trembla et aussitôt Darcy était à ses côtés.
-'Je croyais que de savoir qu'elle viendrait habiter près de nous te ferait plaisir.' Dit-il doucement en la serrant dans ses bras.
-'Oh, si, je suis heureuse de savoir que seulement quelques miles nous séparera l'une de l'autre.'
-'Y a-t-il une autre nouvelle dont je ne serais pas au courant?'
Lizzie hésita un moment. 'Jane croit qu'elle…qu'elle est à nouveau…'
Elle ne put le dire. Même ce simple mot la faisait souffrir. Désespérée, elle s'arracha aux bras de son mari et marcha vers la fenêtre, dos à lui. Elle ne pouvait pas le dire, pas maintenant. À cet instant, elle était trop vulnérable pour penser raisonnablement.
-'Ce serait une bonne nouvelle…non?' commenta lentement Darcy, après une minute de silence. Par chance, elle n'avait pas eu besoin de le dire pour qu'il comprenne la signification de sa phrase incomplète. 'Habituellement, ce genre d'évènement est cause pour réjouissance.'
Elizabeth se tourna brusquement vers lui, les joues rouges. Elle ne pouvait retenir la colère qui l'emporta soudainement. 'J'en suis très consciente, Will, mais je suis incapable de ressentir du bonheur. Tout ce que je ressens c'est…ce vide immense en moi, cet échec, cette réalisation que je suis la seule qui n'est pas capable de…de…'
Darcy haussa les sourcils devant ce ton aussi agressif. 'Toute chose en son temps.'
Lizzie expira bruyamment en roulant les yeux. 'Oui, c'est ce que tout le monde me répète. C'est ce que tout le monde pense. Cependant, il faudra que je m'y fasse et toi aussi; tu as épousé une femme stérile, incapable de te donner un héritier.'
-'Nous avons déjà parlé de ceci, Elizabeth.'
-'Ne prends pas ce ton avec moi!' s'exclama-t-elle en faisant un pas vers l'arrière lorsqu'il en fit un en avant. 'Je ne veux pas de pitié, je ne veux pas de paroles rassurantes, je ne veux pas de mensonges. Je suis stérile, il n'y a pas d'autres explications. Je suis jeune, forte et en santé; si j'étais réellement fertile, je serais déjà enceinte de notre deuxième enfant, comme Charlotte, comme Jane. Même Lydia a conçu Edwina dès les premiers mois de son mariage! En novembre nous serons mariés depuis deux ans; deux ans! Et je n'ai toujours rien; ni enfant, ni de signes d'en avoir un. Je n'ai absolument rien.'
Sa voix se brisa. La réalisation de ce qu'elle venait de dire la frappa de plein fouet et, si au début elle n'avait dit cela que pour se rassurer elle-même, pour dramatiser la situation, elle réalisait à ce moment qu'elle avait peut-être raison. Peut-être ne pourrait-elle réellement jamais avoir d'enfants.
-'Tu réaliseras assez vite que tu as épousé la mauvaise femme.' Poursuivit-elle dans un murmure. 'Une femme excentrique qui ne peut remplir son rôle correctement et tu t'en voudras d'avoir pris la décision de demander ma main à mon père. Tu regretteras d'avoir choisi la seule Bennett qui n'est pas capable d'enfanter.'
-'Lizzie…' dit tendrement Darcy. 'Écoute-moi, je t'en prie. Si Dieu décide que de notre union aucun enfant ne sera conçu, qu'il en soit ainsi. Je ne regretterai jamais d'avoir épousé la femme que j'aime, qu'elle m'offre le privilège d'être le père de ses enfants ou non. L'important, à mes yeux, c'est de t'avoir à mes côtés, et c'est la seule chose que je te demande : de m'aimer, peu importe ce qu'il arrive. Le reste est facultatif. Si nous ne pouvons avoir d'enfants alors nous vivrons vieux et léguerons notre héritage aux enfants de Georgiana.'
Lizzie se sentit légèrement rassurée par ces mots et, après un moment d'hésitation, elle baissa sa garde afin de se retrouver à nouveaux dans les bras de son mari. 'Tu me promets de ne jamais m'en vouloir?' murmura-t-elle contre son torse. 'De ne jamais regretter de ne pas avoir de fils?'
Darcy pesa ses mots. 'Je ne peux te promettre de ne pas souffrir de ne pas vivre cette expérience, comme tu en souffres présentement et en souffriras certainement encore longtemps. Cependant, je te promets que jamais je ne te blâmerai pour cela et que je partagerai ce manque et la peine qui l'accompagnera. Nous passerons au travers de cette épreuve ensemble.'
Elizabeth hocha la tête, mais n'ajouta rien. Elle le savait sincère, mais cela ne l'empêchait pas de se sentir responsable de cette situation.
-'Pourquoi ne suis-je pas normale?' souffla-t-elle, découragée, sentant les larmes monter à nouveau. 'Pourquoi est-ce que je suis si différente?'
-'Parce que chacun de nous est unique.' Répondit Darcy dans ses cheveux. 'Et que je t'aime différente; je ne te changerais pour rien au monde, ni pour faire plaisir à personne, ni pour des enfants. Je préfère te garder telle que tu es réellement, excentrique, charmante et exaspérante.'
Lizzie ne put s'empêcher de rire. 'Désolée.'
-'Ne le soit pas. Je ne peux comprendre ce besoin féminin, cet instinct maternel, mais j'espère faire assez pour te supporter dans cette épreuve et t'apporter le réconfort dont tu as besoin.'
Ils restèrent l'un contre l'autre pendant un moment. Ils ne bougèrent pas lorsque les voix de Kitty et Georgiana dans le corridor annoncèrent que la soirée était terminée et que tout le monde allait à sa chambre respective pour la nuit. Dans cet étau de chaleur et de réconfort, Elizabeth sentit la douleur se transformer de poignante à supportable. Elle n'était pas prête à accepter la vérité, si vérité cela était, mais au moins elle avait maintenant la certitude que de perdre l'espoir d'être mère ne lui ferait pas perdre l'amour de son mari.
Au bout d'un moment, Darcy la repoussa doucement. 'Il te faut oublier tout ceci.' Dit-il fermement, mais avec douceur. 'Il faut que tu te changes les idées; promets-moi de profiter du voyage que nous allons faire cet été et que tu n'y songeras pas, au moins pour cette courte période de temps.'
-'Je ne peux te promettre de ne pas y penser, mais je vais essayer.'
-'L'Irlande t'aidera à oublier ta peine.' Affirma son époux avec conviction. 'Ce pays est magnifique et les beautés que tu y verras apaiserons ton esprit. Tu es une aventurière, ma très chère Lizzie, et je crois que ce voyage te fera le plus grand bien.'
-'J'espère bien.'
-'J'en suis sûr.'
Le lendemain fut la journée du grand départ. Elizabeth souhaita bon voyage à Kitty et Georgiana, qui allaient à Greenfield Park avec Anne et Richard, et Big Ben sonnait seulement neuf heures lorsque Darcy et elle prirent la route du port afin de prendre un bateau qui les embarquerait vers l'Irlande. Lizzie monta à bord de l'embarcation, excitée et effrayée à la fois, n'ayant jamais eu la chance de voyager de cette manière auparavant. Aussitôt sur le Bridget, Lizzie ne put s'empêcher de se sentir trépigner d'impatience. Le trajet ne serait pas long, deux jours tout au plus, et le temps était magnifique. Lorsque la voile fut déployée et que le bateau commença sa descente de la Tamise, Elizabeth se posta à la proue pour ne rien manquer de la vue. Le vent salin de la mer la frappa rapidement en plein visage, frais et vif, et elle ne put s'empêcher de sourire et d'ouvrir les bras, comme si elle allait s'envoler et rejoindre les milliers d'oiseaux qui volaient au-dessus d'eux. Plus rien ne sembla importer à ce moment excepté la liberté qu'elle ressentait, exaltante, délivrante. C'était comme si le fait de s'éloigner de Londres, de la Société, des convenances et de la vie mondaine lui enlevait un poids immense des épaules. Elle allait vers l'inconnu, vers l'aventure. Elle allait passer l'été dans un pays qui lui était totalement étranger. Au fur et à mesure qu'ils s'éloignaient de l'Angleterre, c'était comme si toutes ses pensées se clarifiaient et ses soucis la quittaient. Elle accueillit ce répit avec plaisir et elle ne put s'empêcher de sourire lorsque Darcy l'entoura de ses bras, les yeux perdus sur l'horizon. Elle pouvait sentir son sourire sur sa joue, son bonheur de la voir enfin heureuse et libérée. Elle se laissa prendre avec délice et ils restèrent ainsi un long moment, en silence, profitant du privilège d'être ensemble, seuls, jeunes et amoureux.
Le temps fut parfait pour la durée du voyage. Tôt le matin du deuxième jour, Darcy réveilla doucement sa femme et l'empressa de s'habiller sans lui dire pourquoi tant de hâte. Elle obéit et, encore toute endormie, elle monta sur le pont et vers la proue, où elle se sentit tout à coup très éveillée. Devant elle, comme une brume verdâtre et grise, s'élevait les côtes de l'Irlande.
(-*-)
Voilà! J'espère que vous avez aimé : )
