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Chapitre 28

Comme un rêve

(Abby)

Abigaëlle se réveilla en sursaut, couverte de sueur. Encore ce cauchemar, encore ce même rêve qui lui glaçait les sangs. Tremblante, elle essaya d'allumer une chandelle, mais n'y parvint pas. Elle s'aspergea donc le visage d'eau glacée dans la noirceur et attendit que son cœur arrête de battre la chamade. Il y avait un mois maintenant qu'elle avait quitté Londres pour suivre les Darcys en Irlande et plusieurs fois ses songes l'avaient réveillé en plein milieu de la nuit de cette manière, lui rappelant les évènements de la veille de son départ.

Suite à la permission qu'elle avait reçue de ses maîtres, Abby s'était rendu en ville pour visiter sa tante. Elle avait parcouru les ruelles sombres et sales avec appréhension, sentant les regards curieux sur elle alors qu'elle essayait de garder la tête haute, accoutrée d'une manière beaucoup plus présentable que lorsqu'elle y habitait. Elle savait qu'on la jugeait, qu'on la détestait pour ce changement de rang soudain, qu'on la jalousait de ne plus manger de misère. Les amies qu'elle pensait encore avoir ne lui rendirent pas ses sourires et s'éloignèrent pour éviter de lui parler. Ses anciennes voisines la regardèrent avec mépris, les bras croisés, et lui firent sentir qu'en acceptant le poste de suivante dans une grande famille, elle avait fermé la porte sur tout ce qui composait sa vie d'avant.

L'odeur de l'usine à savon lui parvint au nez et elle eut du mal à ne pas faire de grimace tant elle était infecte. Comment avait-elle pu oublier cette odeur? Avait-elle toujours été aussi forte, aussi nauséabonde? Et ces rues, avaient-elles toujours été si insalubres? Son ancienne vie lui semblait si loin maintenant, avait-elle vraiment oublié à quel point tout était misérable? Les enfants couraient dans la rue en criant et leurs visages étaient noir de saletés; les animaux allaient et venaient dans tous les coins, couverts de puces et de tiques; les femmes jetaient le contenu de leurs chaudières dans la rue, un mélange d'eau souillée, de nourriture, d'excréments et d'urine. Elle se surprit à avoir un mouvement de recul devant toutes ces choses qui ne lui étaient plus familières et elle se sentit soudainement comme lors de son arrivée en ville il y a plus de deux ans maintenant. Le changement de décor drastique, de la ferme à la ville, avait été un choc difficile à encaisser.

Abby ne savait pas à quoi s'attendre lorsqu'elle arriva enfin devant la porte de chez son oncle et sa tante. Elle était grande ouverte et elle pouvait entendre des voix à l'intérieur. Son cœur battait à tout rompre; comment serait-elle reçue par sa propre famille? Elle prenait un risque en venant ici; elle n'avait pas oublié sa dernière journée dans ce quartier ni Horace et la force de ses coups. Ses mains tremblaient, sa gorge était sèche; elle regardait chaque visage avec appréhension, redoutant le sourire édenté et noir de son agresseur.

Abigaëlle regretta soudainement avoir refusé d'être accompagnée. Les Darcys avaient insisté, mais elle avait été trop orgueilleuse pour accepter. Elle n'avait pas tenu compte de la peur qui l'habiterait, seulement qu'elle n'avait pas envie de déranger ses maîtres pour son caprice. À présent, elle réalisait à quel point elle redoutait la présence de son oncle ou de ses plus vieux cousins. Ils n'étaient probablement pas à la maison à cette heure car ils travaillaient à l'usine, mais malgré cela elle ne pouvait s'empêcher de se dire que tant de choses pouvaient avoir changé en une année qu'elle ne pouvait être certaine de rien.

Heureusement pour elle, ils n'y étaient pas. La seule personne présente dans la petite cuisine sombre et chaude comme un four était sa tante, courbée au-dessus de l'évier à récurer avec détermination des casseroles abîmées, les manches retroussés jusqu'au-dessus des coudes. Abby l'observa un moment, émue par cette image qui lui perçait le cœur, consciente du lot accablant sur les épaules de cette forte femme. Elle ne savait pas quoi dire, ni quoi faire, tant la culpabilité était poignante. Elle se sentait si impuissante à ce moment qu'elle avait envie de prendre les jambes à son cou.

Les plus jeunes de la famille étaient dans ce qui servait de salon et chambre pour tous ses cousins et cousines, certains autres elle les avait croisé à l'extérieur. Ils ne l'avaient pas reconnue. Abby s'éclaircit la gorge. Elle ne pouvait pas partir, elle avait un devoir envers cette femme qui avait été comme une deuxième mère pour elle.

-'Bonjour Molly.'

L'interpelée sursauta et se retourna vivement, surprise de voir sa nièce dans l'embrasure de la porte.

-'Abby! Qu'esse tu fais ici?' s'exclama-t-elle, les mains ruisselantes d'eau l'enlaçant aussitôt. 'J'suis contente de t'voir, mais tu devrais pas te promener dans l'coin, pas après ce qui s'est passé. Si Horace apprend que t'es ici, t'es cuite. Avec les grandes gueules du voisinage, pas de doutes qu'une pipelette est déjà en train d'chercher l'bonhomme pour qui s'ramène à maison.'

Abby fit des efforts colossaux pour paraître confiante. 'Je ne reste que quelques minutes, je devais vraiment venir te voir avant mon départ.'

-'Ton départ? T'es pu au service de cette famille d'riches?'

-'Oui, mais nous partons pour l'Irlande sous peu.' Abigaëlle observa sa tante et eut du mal à ne pas laisser transparaitre sa pitié. Elle avait toujours eu cet air de résiliation dans les yeux, cette force silencieuse qui la faisait endurer sa vie difficile sans se plaindre, qui la faisait se lever aux premières heures le matin et se coucher la dernière tard en soirée. Pas une fois elle ne l'avait entendu dire qu'elle détestait sa maison, sa minuscule cuisine, son mari dépensier et trop souvent en boisson, ni se plaindre du manque de nourriture et de la douleur de la perte de plusieurs enfants. La force de son caractère la faisait vivre un jour à la fois, malgré l'épuisement et la douleur. Abby ne put s'empêcher de penser que c'était vraiment une femme remarquable. Elle observa les traits tirés et les cernes bleutées sous ses yeux, le froncement permanant sur son front et le sourire un peu vide, mais si chaleureux, en se disant que même si elle n'était plus là pour aider, sa présence aujourd'hui apporterait un léger soulagement.

-'Ils te traitent bien, ces gens-là?' demanda sa tante, voyant que sa nièce n'engageait pas la conversation. 'J'm'inquiète pour toi, j'ai pas eu d'nouvelles depuis ton départ. J'ai su par la voisine que t'étais chez la haute, y'en a qui t'ont vu avec cette femme que t'a protégé d'Horace.'

-'Les Darcys, oui. Ils sont de très bons maîtres et je suis traitée avec beaucoup plus d'égards que je ne le mérite.' Répondit la jeune femme. 'Je m'inquiétais pour toi aussi, sans mon aide, les choses doivent être si difficiles.'

Molly sourit. 'Ton cousin s'est marié plus tôt cette année avec la p'tite de la rue Berth, Mary son nom. Ils habitent ici en attendant d'avoir assez d'argent pour acheter leur prop' maison alors j'suis pas seule. Elle s'débrouille bien.'

-'Une bouche de plus à nourrir…'

-'Ahh, elle mange pas tant que ça. On s'débrouille.'

-'Et comment vont les enfants?'

Son air s'assombrit. 'La petite Grace est partie pour un meilleur monde cet hiver. Trop frêle pour supporter les froideurs.'

Abby posa sa main sur la sienne. 'Je suis désolée.'

-'Oh, elle est mieux où elle est. Ici, elle aurait vécu que d'la misère. Elle est mieux où elle est.' Répéta-t-elle comme pour se convaincre. 'Deux de tes cousins sont rentrés à l'usine, ça fait deux salaires de plus. Ça compense pour ton oncle qui travaille pu, y'a été renvoyé d'la place.'

Abby ne demanda pas pourquoi, mais soupçonna que ses problèmes de consommation en était la cause. 'Je vois Betty dans le salon, pourquoi n'est-elle pas avec les autres?'

Sa cousine dormait sur un banc, une vieille couverture sale roulée contre elle.

-'Elle voit pu assez bien pour sortir, elle reste ici. Il lui faudrait des lunettes, mais tu sais ben qu'on a pas les moyens. Elle supporte ben l'isolation, c'est une p'tite ben courageuse.'

-'Comme sa mère.'

Molly sourit à nouveau. 'Ça fait du bien de t'voir, Abby. J'suis heureuse de t'savoir à bonne place, avec un avenir. Au moins un de nous auras réussi.'

Dehors, il semblait y avoir de la commotion. Abby guettait l'entrée plus souvent que nécessaire, l'estomac noué. Elle ne devait pas rester trop longtemps, ses minutes étaient comptées.

-'Je dois partir, mais pas avant de t'avoir donné ceci.' Murmura la jeune femme, s'assurant que personne ne voyait l'enveloppe qu'elle tendait à sa tante. 'J'ai mis de côté une partie de mes gages à chaque mois, pour pouvoir te l'apporter.'

-'Abby, non-'

-'J'insiste.' Coupa-t-elle fermement, enfouissant l'enveloppe dans sa main. 'Il n'y a pas grand-chose, mais assez pour passer les mois difficiles d'hiver et même pour des lunettes pour Betty.'

-'C'est trop, c'est ton argent.'

-'J'ai tout ce qu'il me faut à Pemberley, je suis confortable et je n'ai pas besoin de luxe. Prend cet argent, c'est la moindre des choses que je puisse faire.'

Les yeux de sa tante se remplirent d'eau. 'Merci, Abby.' Dit-elle sous son souffle, l'enlaçant fortement. 'T'es une bonne fille, tu l'as toujours été.'

Abigaëlle sentit les larmes lui brûler les yeux et elle serra sa tante tout aussi fort. 'Courage. Je ne sais pas si nous nous reverrons, mais-'

La porte s'ouvrit à la volée et Molly eut tout juste le temps de cacher l'enveloppe avant que son mari ne la voit en sa possession et s'en empare. Abby savait que si son oncle mettait la main sur cet argent, il s'en servirait pour se payer de la boisson, sans même une pensée pour les besoins plus pressants de sa famille.

-'Abby!' s'exclama-t-il avec force et déjà la pièce empestait à cause de son haleine d'alcool. 'Si c'est pas la p'tite bourgeoise! De retour de chez les riches! C'est quoi, ils t'ont mis dehors?'

La jeune femme leva la tête en signe de défi. Elle n'avait pas peur de lui. 'Je ne suis pas une petite bourgeoise et je ne faisais que passer. Prendre des nouvelles.'

Il secoua la tête. 'Tu n'as pas ta place là-bas, tu fais pas parti de leur monde. T'es ben mieux ici à aider ta tante.'

-'Je dois partir, mes maîtres m'attendent.'

Elle fit mine de vouloir passer la porte. Son oncle l'arrêta avant qu'elle ait pu atteindre la sortie et sa grippe était solide. 'Je suis le maître de cette famille et c'est moi qui décide.'

Abby se déroba brusquement. 'Tu n'as aucun contrôle sur moi. Je suis indépendante maintenant.'

-'Ohhh, farouche, hein?' Il réfléchit un moment. 'Dis-moi, ils te payent bien là-bas?'

Voyant où il voulait en venir, elle n'eut pas de mal à mentir. 'Juste assez pour payer mon logis et mon couvert. Il ne me reste rien à la fin du mois.'

Son ignorance du monde des domestiques en société paya car il grogna, déçu. 'À quoi bon se fendre en quat' pour des putains de riches quand ils payent même pas leur monde comme faudrait? Tu sais qui a ben hâte de t'voir? Horace. Il est pas loin, il arrive. Y'a un ptit mot à te dire.'

Abby, qui avait été soulagée de le voir abandonner l'aspect monétaire aussi vite, sentit son cœur s'accélérer à la mention de son agresseur. Elle fit à nouveau mine de partir, mais il l'a rattrapa une nouvelle fois. Sa tante intervint.

-'Laisse-la partir. Je lui ai dit qu'elle n'était pas la bienvenue ici.'

-'Toi, mêle toi pas d'ça!' dit-il sèchement en la pointant du doigt. 'J'aurai droit à que'ques verres en échange de la garder ici assez longtemps pour qu'il règle ses comptes.'

Abigaëlle ne laissa pas la panique l'emporter sur ses émotions, bien que son cœur semblait vouloir sortir de sa poitrine. 'Laisse-moi partir.'

Son oncle se mit à rire, surpris. 'C'est qu'elle a pris du feu, la p'tite!'

-'Pas seulement du feu, mais de l'assurance et assez de culot pour te dire que si tu ne me lâches pas maintenant, tu vas amèrement le regretter.'

Abby entendit à nouveau de la commotion dans la rue et elle se douta qu'Horace s'approchait dangereusement. Elle pouvait presque sentir son odeur de là où elle se tenait.

-'Sinon quoi? Tu vas me battre? Toi? Une femme?'

-'Lâchez-la, monsieur.' Retentit une voix à l'embrasure de la porte et tous se retournèrent vers l'homme qui se tenait à l'entrée. 'Ou je me verrai dans l'obligation d'user de force.'

L'inconnu détonnait du paysage avec son costume impeccable et Abby reconnut aussitôt ce visage. Son soulagement était tel qu'elle en aurait pleuré.

-'Qui t'es, toi?' grommela son oncle, mais son assurance avait quitté sa voix et sa poigne sur la jeune femme s'affaiblit, permettant à Abby de se libérer et de se diriger vers son sauveur.

-'Êtes-vous prête, Miss Grant? Pouvons-nous départir?' dit le nouvel arrivé, ignorant la question. 'Les hommes de Mr Darcy nous attendent non loin, avec une voiture.'

Sans un mot, elle quitta les lieux, après un dernier coup d'œil à sa tante. Elle suivit le jeune homme avec peine, ses longues jambes couvrant plus de terrain que les siennes, plus petites. Derrière eux, une voix tonitruante les suivait, les poursuivait, et Abby eut l'impression de revivre cette nuit infernale où elle avait été certaine d'y passer. Horace n'aurait aucun mal à blesser cet homme qui l'accompagnait, elle le savait, il était assez fou pour s'essayer.

Effrayée, perdues dans ses souvenirs, elle ne remarqua pas que l'homme avait bifurqué et elle le perdit de vu. Elle voulut revenir sur ses pas, mais la voix d'Horace se faisait clairement entendre. Malgré la peur, elle prit une chance et rebroussa chemin, prenant la bonne route cette fois. Ce faisant, elle croisa momentanément le regard de l'homme qui hantait ses cauchemars et y lu tant de choses qui lui glacèrent le sang qu'elle sentit ses jambes s'affaiblir. La rage, la folie et le mal brillait dans ces pupilles noirs de vengeance et maintenant qu'il l'avait vu, il avait redoublé de vitesse. Abby fit de même; elle se mit à courir et rejoignit son sauveur avec peine, alors qu'il débouchait sur une rue plus passante, là où l'attendait une voiture. Elle monta aussitôt, cria au cocher de se hâter, et les chevaux se mirent en branle juste au moment où Horace allait les atteindre. Seul un dernier regard, effrayant, plein de promesses de mal, fut lancé avant qu'il ne s'arrête, conscient qu'il avait perdu la chance de la rattraper.

Abby ne put respirer normalement qu'une fois qu'ils furent sortis du quartier. Son soulagement ne fut que de courte durée lorsqu'elle remarqua qu'elle n'était pas seule dans la voiture, mais que Darcy y était aussi.

-'Mr Darcy!' s'exclama-t-elle, trop surprise pour se rappeler les bonnes manières.

-'Allez-vous bien?' s'enquerra ce dernier, concerné.

-'O-oui…mais, que…comment m'avez-vous trouvé? Que faites-vous ici?'

-'Vous pensez vraiment que ma chère épouse et moi-même allions vous permettre de vous rendre ici sans escorte? Ce n'était pas la meilleure des idées, nous l'avons exprimé dès le départ, mais ce n'était pas à nous de vous interdire de venir voir votre tante. Pour éviter tout conflit, mes hommes vous ont suivi en catimini. Nul besoin de me remercier.' Ajouta Darcy avec un petit sourire amusé.

-'Merci, bien sûr!' s'exclama-t-elle en rougissant, honteuse d'avoir causé tant de soucis. 'Vous n'aviez pas à faire cela, mais je vous remercie tout de même, votre aide a été d'une grande utilité.'

Darcy leva une main. 'J'étais sérieux. Nul besoin de me remercier, cela est tout naturel. Ma femme apprécie vos services et ce qui fait plaisir à Elizabeth me fait plaisir. Elle souhaite vous avoir à son service pour un bon moment encore donc essayons de vous garder hors de danger, hum?'

Abigaëlle poussa un soupir. 'Je suis désolée de vous avoir causé tant de tracas.'

Darcy ignora son commentaire et dit alors quelque chose qui l'a surpris grandement. 'Vous avez pris de grands risques…Qui vous dit que votre oncle ne trouvera pas l'argent et ne l'usera pas à ses fins?'

Abby fronça les sourcils, surprise de la perspicacité de son maître. 'Comment…?'

Il eut un petit rire. 'Oh, Miss Grant, vous pensez que nous ne savons pas ce qui se trame dans votre tête?'

-'Je ne savais pas que j'étais si prévisible.'

-'Eh bien, je dois avouer que c'est ma charmante épouse, encore une fois, qui m'a averti de cette habitude que vous aviez de mettre une partie de vos gages de côté. Cela est très louable de votre part.'

Abigaëlle rosit légèrement. 'Cela me semblait tout naturel, je n'ai pas à être louangé pour un acte tout à fait normal. Ma tante mérite mieux et si je peux aider, je dois le faire.'

Darcy hocha lentement la tête. 'Je comprends. Cependant, je ne crois pas que nous pouvons vous laisser risquer votre vie à nouveau. J'ai vu les yeux de cet homme, ils suintaient la violence. S'il vous attrape, je ne donne pas cher de votre peau.'

-'Je sais.' Murmura la jeune femme, abattue. L'idée de ne plus jamais revoir sa tante lui brisait le cœur.

Un léger silence suivit, lequel Darcy brisa après un moment. 'J'ai un marché à vous proposer.'

Abby leva la tête sans rien dire, curieuse.

-'Je vous propose de retenir une partie de vos gages et d'envoyer un homme de confiance porter cet argent à votre tante. En toute discrétion, cela va de soit.'

Touchée par tant de générosité, Abby sentit les larmes lui monter aux yeux. 'Je ne peux pas accepter une telle proposition, je ne veux pas être un poids pour vous. Je me sens déjà si mal de vous avoir fait déplacer pour venir me chercher, cela est plus qu'inconvenable.'

-'Ce n'est pas un poids, et encore une fois c'est une idée de ma femme, et ce que ma femme veut, elle l'obtient avec ma bénédiction, surtout lorsque c'est pour un geste si généreux.'

-'Merci. Sincèrement. Cela me remplit d'une gratitude indescriptible.'

Ils arrivèrent bientôt à la maison des Darcys et Abby monta aussitôt remercier sa maîtresse avant de terminer les derniers bagages. Tout était en place pour le départ du lendemain et c'est le cœur léger que la jeune femme envisageait maintenant ce voyage.

(Darcy)

Darcy se réveilla, contrairement à son habitude ces jours-ci, alors que le soleil se levait à peine. Encore une fois, le ciel était voilé de nuages sombres, signe d'une imminente averse. Lui qui pensait que l'Angleterre était un pays à la température capricieuse, l'Irlande l'était encore plus. Cependant, il ne détestait pas ces nombreux moments de pluie, ces moments de mélodie qui lui rappelait des souvenirs d'enfance. Combien de fois était-il revenu trempé à la maison et s'était fait grondé par son père? Combien de fois avait-il marché jusqu'à la mer, jusqu'aux montagnes, partout où sa curiosité voulait bien l'emmener? Les longues promenades à cheval, en solitaire ou avec son père. Les soirées de jeux où il observait le maître des lieux et son meilleur ami, Mr Calvert, passer des heures devant un échiquier. Les déjeuners sur la terrasse. Les couchés de soleil, les lucioles dans la nuit, le bruissement du vent dans les feuilles.

C'est avec un sourire que Darcy se remémorait ces choses chaque matin. Il se réjouissait de ces vacances; il n'avait pas douté une seconde que cette liberté lui apporterait autant de repos. Ici, personne ne l'attendait derrière sa porte pour régler les problèmes de son domaine. Personne ne le surveillait de près, personne ne le jugeait. Il n'avait pas à se présenter à des soirées insipides ni à prendre part à des conversations redondantes. Ici, il apprenait à relaxer, ce qui était plutôt nouveau.

Elizabeth s'était adapté avec une aisance exemplaire à ce nouveau rythme et il n'avait pas de mal à croire qu'elle préférait cette vie à celle de Pemberley. Elle ne le disait pas, mais il pouvait lire dans ses yeux la joie qui l'habitait qu'il soit tout à elle. Darcy n'avait pas eu de mal à lui accorder tout son temps et son attention. Si libres, si insoucieux de tout, si amoureux! C'était ainsi qu'il avait vu leur vie conjugale lorsqu'il l'avait demandé en mariage, avec cette étincelle dans leurs yeux et cette complicité dans leur regard.

Cependant, le sourire de Darcy s'affaissa quelque peu lorsqu'il songea au travail qui l'attendait. Il avait beau être en vacances, la correspondance provenant de Pemberley s'accumulait et il devait s'acquitter de ses tâches pendant au moins quelques heures aujourd'hui. Sa charge de travail était moindre que s'il était en Angleterre, mais il espérait tout de même que Lizzie comprendrait qu'il devait y répondre, il ne pouvait plus repousser ses devoirs maintenant.

Il lui était difficile de résister à la tentation de rester au lit avec sa femme. Il passait de si bons moments en sa compagnie, il se sentait un nouvel homme. Comment avait-il pu ignorer si longtemps ce côté de lui? C'était une bouffée d'air frais que d'être loin de ses responsabilités, loin de l'Angleterre, loin des chaînes qui le liait à ce personnage sombre et taciturne.

Il se leva sans faire de bruits, Elizabeth étant toujours endormie dans le lit. Après un dernier regard, il sortit de la pièce et ordonna que l'on serve le petit-déjeuner de sa femme avec quelques fleurs du jardin ainsi que le petit mot qu'il lui écrivit une fois qu'il fût assis à son bureau. Ce n'était qu'une maigre compensation pour s'excuser, mais il savait qu'elle l'attendrait patiemment pour le déjeuner.

Après quelques heures à écrire, il soupira, sa main et son poignet le faisant souffrir. Il savait, à regarder la pile de correspondance qu'il n'avait pas encore eu le temps de lire, qu'il en aurait pour un moment. Les comptes-rendu de ses intendants étaient complets et détaillés, ce qui habituellement le satisfaisait, mais la vue du travail qui lui restait à faire le décourageait.

Lorsqu'il en eut assez, il rejoignit Lizzie sur la terrasse, où elle l'attendait patiemment. Aussitôt qu'il l'a vit, entourée de fleurs et de papillons, avec les rayons du soleil qui faisait briller ses yeux verts, Darcy ne put s'empêcher de ressentir une vague de fierté envers cette femme merveilleuse. Comment avait-il pu croire cette femme passable? Comment avait-il pu dire qu'elle n'était pas assez jolie pour le tenter?

Darcy prit place à côté d'Élizabeth, qui prit sa main sans rien dire, un petit sourire aux lèvres. Elle leva le visage vers le ciel, là où le soleil faisait son apparition entre deux gros nuages, et s'imprégna de ses rayons chauds et doux. Une brise fraîche jouait avec les rubans en soie bleue de son chapeau et illuminait sa parfaite complexion. Il ne dit pas un mot pendant de longues minutes, gravant en sa mémoire cette image digne d'un tableau.

Au bout d'un moment, il soupira d'aise. 'J'avais oublié tout ceci.' Dit-il lentement. 'La sensation du vent dans mes cheveux et du soleil sur mon visage, l'air frais que l'on respire. Il y a si longtemps que je n'ai pas pris le temps de m'assoir et d'admirer ce qui m'entoure, j'ai l'impression de tout voir d'un nouvel œil. J'ai tant de chance…Parfois je me sens coupable de ne pas remercier le ciel plus souvent pour tant de bonnes choses dans ma vie.'

Lizzie serra sa main plus fortement. 'Tes responsabilités sont lourdes à porter et te rend parfois aveugle. Rares sont les moments où je t'ai vu profiter d'un temps de repos; toujours tes pensées sont ailleurs, à régler les problèmes des habitants, de ton domaine, de ta famille. Tu es sollicité de toute part; tu as tant à faire. Parfois j'oublie que d'être à la tête de Pemberley et des Darcy n'est pas une tâche aussi simple que cela puisse paraître. Alors que d'autres hommes laisseraient ces responsabilités à d'autres afin de prendre part aux plaisirs et loisirs de la vie, tu te fais un devoir de veiller à ce que chacun ne manque de rien et soit traité justement. J'admire cette détermination, Will, et tous ceux qui t'entoure pensent de même. Je sais que tes parents seraient très fiers de toi et de ce que tu fais. En tout cas, moi je le suis.'

Darcy caressa doucement sa joue. 'Je ne sais pas comment j'ai fait pour vivre avant de te rencontrer. Sans toi, tout le poids de ces responsabilités m'écraserait totalement. Je ne réalise que maintenant à quel point j'avais besoin de toi dans ma vie.'

Lizzie sembla sérieuse tout à coup. 'Will, j'ai réfléchi à cela et j'aimerais m'impliquer le plus possible dans la gestion de Pemberley. J'aimerais que tu me fasses confiance, dans plus de choses que les soirées et bals organisés. J'aimerais faire une différence, aider les habitants, les domestiques. Il y a certainement quelque chose que je puisse faire, non seulement pour m'occuper et me rendre utile, mais aussi pour t'enlever un peu de ton fardeau. Je suis prête à t'aider à porter ce lourd poids, j'ai envie de faire une différence.'

Darcy ne répondit pas tout de suite. Depuis la mort de son père, il avait été le seul à gérer Pemberley et à prendre les décisions. Il était habitué de tout faire lui-même, jusqu'au moindre détail. De laisser certaines choses aux soins de son épouse serait une chose difficile à faire; après tout, elle n'avait pas d'expérience dans la gérance d'un grand domaine. Par contre, il était le premier à reconnaître son intelligence et sa compétence, et il savait qu'elle apprenait vite et bien. Dans le peu de temps qu'il avait été marié à elle, il savait à quel point elle était forte et avenante, prête à aider et prendre sur ses épaules plus que nécessaire.

-'Je crois que tu as raison.' Conséda-t-il après un moment. 'Il ne me sera pas facile de ne pas tout contrôler, mais je suis bien prêt à essayer.'

-'Merci.'

Ils restèrent ainsi un moment, main dans la main, à profiter du silence. Ils savaient que même loin de tous, la réalité devait tôt ou tard les rattraper. Darcy ne pouvait plus ignorer sa charge de travail et il savait qu'il aurait à s'absenter un peu plus souvent afin de remplir son rôle de maître à la perfection. Cependant, l'idée d'impliquer sa femme dans ce processus l'enchanta. Les longues heures dans son bureau lui semblait moins ennuyantes tout à coup et il se surprit à avoir hâte d'y passer du temps avec elle, à lui apprendre les rouages du métier.

Les Calberts vinrent leur rendre visite la troisième semaine. Alors qu'ils étaient tous les quatre à cheval dans les sentiers du domaine, Darcy s'arrêta soudainement, voyant que son compagnon avait fait halte. Les femmes s'étaient arrêtées et ils rebroussèrent chemin pour les rejoindre. Ils surplombaient un espace ouvert, là où des dizaines de petites colonnes de fumées s'élevaient vers le ciel comme des serpents grisâtres.

-'Ce sont des habitations d'Irlandais.' Expliqua Vivianne à Elizabeth, qui l'avait interrogé. 'Ils brûlent de la tourbe et ça dégage beaucoup de fumée.'

-'Mais…elles sont minuscules!' S'étonna la jeune femme en mettant sa main en visière, scrutant l'horizon.

-'Elles le sont, en effet.' Ajouta Mr Calbert d'un ton sérieux. Une mince ligne barrait son front, lui qui était habituellement si rieur. 'Beaucoup d'Irlandais n'ont pas les moyens d'acheter une propriété ou le bois nécessaire à la construction d'une habitation adéquate et se retrouve donc tous dans cette position. Tout ce qui est cultivé et produit des fermes est vendu, excepté les pommes de terre. C'est un légume très nourrissant et facile à cultiver, les familles nombreuses en font leur principal repas à tous les jours.'

-'Intéressant.' Commenta la jeune femme, un peu sous le choc. Darcy savait qu'elle avait du mal à voir des gens dans le besoin. Malgré les revenus plutôt modestes de Mr Bennett, Elizabeth n'avait jamais connu la pauvreté et ne l'avait jamais fréquenté non plus.

Alors que les Calberts reprenaient la route, Lizzie se pencha vers son époux. 'J'ose avouer que je me sens mal à l'aise devant tant de pauvreté. Nous ne sommes que trois à la maison, Georgiana, toi et moi, et nous avons tant d'espace, tant de richesses, de loisirs, de nourriture! Nous mangeons à notre faim et notre alimentation est variée, jamais redondante. Je ne pourrais supporter de manger des pommes de terre tous les jours à tous les repas. Je me sens comme une enfant gâtée à penser cela.'

-'Je me rappelle encore la première fois où j'ai vu ceci,' soupira Darcy, qui n'aimait pas plus cette vision malgré sa plus grande familiarité de la condition des paysans. 'Cette étendue de petites demeures peuplées par des familles si nombreuses que les enfants doivent s'entasser dans un coin pour se tenir au chaud la nuit, comme des chatons. Encore aujourd'hui, j'en ressens une grande culpabilité.'

Elizabeth lui jeta un regard compatissant et il savait qu'elle souffrait autant que lui de l'injustice de la société. Il ajouta : 'Ne te laisse pas abattre par cette vue, Lizzie. La réalité est difficile à encaisser et j'espère que ton voyage n'en sera pas gâché. Trop de fois j'ai eu du mal à trouver le sommeil afin de trouver une solution à tout ceci; jamais je n'ai eu d'éclair de génie et jamais je n'en aurai. La nature humaine est ainsi faite et je ne peux la changer. Tout ce que je peux faire est de donner le meilleur de moi-même afin de rendre la vie plus facile à ceux que je peux aider.'

La jeune femme tourna son cheval après un dernier regard. 'Disons que cela renforce en moi le besoin de venir en aide à ceux qui sont en manque. Je souhaite réellement faire le bien à Pemberley et d'agir là où je pourrai être utile.'

Plus tard dans la soirée, alors qu'Elizabeth avait une discussion enflammée avec Vivianne, toutes deux essayant de trouver des solutions pour venir en aide aux plus démunis, Darcy tenait compagnie à Mr Calbert, qui fumait tranquillement une pipe.

-'J'espère que l'ardeur de ma fille ne vous choque pas trop.' Commenta ce dernier à un moment. 'Elle peut être si passionnée parfois. Si elle le pouvait, elle changerait le monde. J'ose me dire qu'elle tient cela de moi. Cependant, je suis si vieux aujourd'hui que je n'ai aucun souvenir du sentiment que cela procure. Parfois j'aimerais avoir vingt, trente ans de moins pour revivre cette passion!'

Darcy eut un petit sourire. 'Je me souviens de cette époque. J'avais l'impression que vous vouliez conquérir le monde, mon père et vous.'

-'Oh, oui, cette époque était bien belle…' répondit le vieil homme en soupirant, l'air nostalgique. 'L'époque où, allant contre les conseils de tous, j'épousai la mère de Vivianne. Ah, comme j'ai aimé cette femme! Elle était si calme, si douce…tout le contraire de moi. Elle m'a séduite dès le premier regard. J'ai dû travailler fort pour qu'elle m'accepte, je peux vous le garantir.'

-'Comment aurait-elle pu vous résister?' plaisanta Darcy, qui ne connaissait pas l'histoire de leur rencontre. Son père avait toujours été un homme discret, posé et plutôt réservé. Peu de fois il avait parlé de son ami, excepté pour raconter quelques aventures cocasses qui leur était arrivé.

-'Ah! pour résister, elle a résisté!' s'exclama son hôte avec un rire franc. 'Je lui demandais beaucoup, de tout quitter pour moi, sa famille, ses amis, tout contact avec ses origines irlandaises. En m'acceptant, elle acceptait aussi une vie de solitude où personne ne voudrait d'elle. L'un par sentiment de trahison et l'autre par sa différence et ses origines. Au final, je crois qu'elle ne pouvait pas envisager sa vie sans moi, tout comme je ne pouvais pas imaginer la mienne sans elle. Ma première femme, paix à son âme, n'était plus de ce monde depuis un moment et je me sentais atrocement seul. Sa personnalité était exactement ce qu'il me fallait. Bien sûr, la barrière linguistique a été un problème pendant un moment, mais au fil des années elle a bien appris l'anglais et nous avons filé le parfait bonheur jusqu'à sa mort, il y a maintenant…oh…serait-ce déjà la cinquième année? J'ai l'impression qu'encore hier je devais lui dire au revoir…La douleur de la perte du véritable amour ne guérit jamais vraiment.'

Darcy ne dit rien, ébranlé par le trémolo dans la voix de son interlocuteur. Juste penser qu'un jour il pourrait perdre Elizabeth lui serrait le cœur avec une telle force il en avait le souffle coupé.

Mr Calbert soupira longuement. 'Mais bon…d'elle il ne me reste que Vivianne, qui chaque jour me rappelle sa mère avec ses yeux verts et sa complexion laiteuse. Cependant, son caractère est loin d'être la douceur de ma chère Muirin.'

-'Miss Calbert a un caractère bien à elle, je dirais.'

Le vieil homme eut un petit rire, mais n'ajouta rien. Darcy hésita un moment, puis demanda : 'Ne songez-vous jamais à l'emmener avec vous en Angleterre? Elle doit se sentir atrocement seule ici.'

Mr Calbert pinça les lèvres et prit le temps de boire une gorgée de cognac avant de répondre. 'Parfois j'y pense, mais je crains la réaction des gens. Ma décision n'a pas été unanime lorsque je me suis marié avec une irlandaise et je redoute le moment où Vivianne aura à faire face à une adversité qui la blessera. Elle pense que je renie ses origines, mais c'est la peur qui me fait la surprotéger. Et j'ai fait une promesse. Je crains que de lui donner la chance de prendre part à la société anglaise ne brise cette promesse. Je dois protéger les gens que j'aime et respecter ma parole, malgré la mort qui nous sépare.' Il se ressaisit tout à coup, comme pour chasser les fantômes du passé. 'Trêve de tout cela, je ne veux point gâcher vos derniers jours parmi nous. Que diriez-vous d'une partie de cartes?'

(-*-)

J'avais oublié dans le dernier chapitre de mettre à jour la situation d'Abby alors j'ai trouvé un moyen de l'immiscer ici.

Je suis désolée de la longue attente entre les chapitres, je n'ai tout simplement plus autant de temps qu'avant malheureusement…Mais je ne l'abandonnerai pas, peu importe le temps que ça me prendra l'écrire!