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Chapitre29
Un dernier regard
L'été passait rapidement et le mois de septembre arriva plus vite qu'ils crurent possible. Elizabeth redoutait le retour en Angleterre et malgré son silence sur le sujet, son humeur s'altéra au cours des dernières semaines de leur voyage. Ils furent invités une dernière fois chez les Calberts et ils acceptèrent avec plaisir, mais l'amertume de quitter Evergreen Place était si forte que Lizzie n'en digérait plus ses repas. Elle était si bouleversée et accablée de partir que l'appétit lui manquait, toute nourriture la rebutant.
-'Un rêve si parfait qui se termine.' songea-t-elle alors qu'ils se dirigeaient vers Ballyhara Manor. 'Il me faut retourner dans ce monde où tout le monde m'épie et attend que je fasse un faux pas afin de me pointer du doigt.'
Heureusement, elle se consolait dans la notion qu'elle aurait plus de responsabilités maintenant. Elle savait qu'en se sentant utile, elle aurait moins de mal à supporter de retourner dans la Société. Bien sûr, il y aurait la Saison à endurer au printemps prochain, mais elle y repenserait à ce moment. La seule idée de retourner à Londres lui était insupportable. Elle ne savait pas comment quelques mois avaient suffi à lui faire détester cette ville qui l'avait tant intriguée auparavant. Son séjour loin de tous, dans ce petit nid douillet qu'elle et Darcy avait créé pour leurs vacances, n'avait fait qu'empirer son aversion de ce monde qui ne lui correspondait pas. Fidèle à ses promesses, elle savait qu'elle ne pouvait pas se terrer à Pemberley jusqu'à la fin de ses jours. Georgiana et maintenant Kitty comptaient sur elle et Darcy y avait beaucoup d'engagements. Ne pas l'accompagner, surtout en n'ayant aucune obligation au Derbyshire, ne ferait qu'augmenter les commérages à son sujet.
-'Vous me semblez bien songeuse, Mrs Darcy.' Commenta Mr Calbert lors de leur dernier repas chez leurs hôtes, conscient que ce silence n'était pas habituel autour de sa table.
-'Je crains que nous ne soyons pas très heureux de repartir si vite.' Répondit Darcy avec un petit sourire, posant sa main sur celle de sa femme pour la réconforter. 'Il y a déjà trois mois que nous sommes ici et pourtant j'ai l'impression que nous sommes arrivés hier.'
Vivianne aussi était silencieuse. Il était évidant que la jeune femme était dévastée de perdre la seule compagnie qu'elle avait eu depuis un long moment.
-'Vous pouvez revenir quand vous voulez, Darcy, notre porte est toujours ouverte.' Décréta le vieil homme, sincère. 'Votre présence ici est toujours la bienvenue.'
-'La vôtre aussi et celle de Vivianne bien sûr. Nous serions enchantés de vous recevoir à Pemberley. C'est un endroit tranquille et invitant. J'espère que vous considérerez sérieusement notre invitation.'
Vivianne semblait avoir une lueur d'espoir dans les yeux et elle peinait à ne rien dire à son père. Elle le fixait avec une intensité qui la faisait légèrement trembler et elle gardait ses mains fermement sur ses genoux pour se contrôler.
Mr Calbert eut un petit sourire. 'Je ne promets rien, mais je vais considérer votre proposition. Je vois à la fébrilité de ma fille que cela lui plairait grandement. Comme le Derbyshire est loin de Londres, je doute que les activités seront aussi nombreuses qu'elle l'espère, mais ce serait un changement de décor bien apprécié, comme elle semble si évidemment le démontrer.'
Vivianne ne put s'empêcher de rougir, mais lorsqu'elle parla, sa voix était calme et posée. 'Certes, Père. Je ne veux pas nier que de voyager en Angleterre me plairait grandement.'
Lizzie était heureuse de cette possibilité, mais elle ne put démontrer sa joie car soudainement elle sentit une forte pression à ses tempes. Il faisait si chaud! La pièce se mit à tourner devant ses yeux et elle posa brusquement ses mains sur la table pour ne pas perdre l'équilibre, provoquant un petit vacarme avec ses ustensiles et son assiette.
-'Lizzie!'
Le brouhaha qui s'en suivit l'étourdit plus que le malaise lui-même.
-'Mrs Pattsmore, apportez de l'eau fraîche!'
-'Ouvrez les fenêtres, il lui faut de l'air.'
-'Vivianne, ton éventail.'
Les voix bourdonnaient dans ses oreilles et elle ferma les paupières comme pour essayer de les chasser. Elle sentit qu'on lui appliquait un linge mouillé contre son front et elle repoussa faiblement la main qui l'épongeait. 'Je vais bien.' Dit-elle d'une voix rauque. 'Ce n'est rien, seulement la chaleur.'
Ciel, pourquoi faisait-il si chaud? Dehors, le soleil les graciait encore de sa présence, mais plus pour bien longtemps. L'air était lourd et humide, mais la brise du soir était rafraîchissante et Elizabeth se sentit mieux aussitôt qu'elle la sentit sur son visage.
-'Vous devriez aller vous allonger, Elizabeth.' Dit alors Vivianne. 'Avez-vous besoin de quelque chose? Une coupe de vin, peut-être?'
Lizzie secoua la tête. Elle allait déjà mieux, mais était si mal à l'aise de ce qui venait de se passer qu'elle n'avait qu'une seule envie : sortir de table pour trouver un peu de solitude.
-'Non, je préfère aller marcher dans les jardins.'
-'Je viens avec toi, Lizzie.' Dit alors Darcy d'un ton ferme et voyant qu'elle allait protester il insista. 'Je t'accompagne et c'est non négociable. Tu ne peux y aller seule. Et si tu faisais un nouveau malaise? Je préfère m'assurer que je ne te retrouverai pas évanouie dans les rosiers.'
Elle soupira, ne se sentant pas la force d'argumenter. Lorsqu'ils furent à l'extérieur, Elizabeth fut plutôt contente d'avoir Darcy à ses côtés. Il lui tenait le bras avec douceur, mais fermeté, et sa présence à ses côtés était rassurante. Voyant qu'il l'observait du coin de l'oeil, le front plissé par une inquiétude qu'il avait du mal à cacher, elle eut un petit rire. 'Je vais bien, Will. Ce n'était que passager. L'air frais me fait le plus grand bien.'
-'Tu ne manges pas assez.' Répondit Darcy, les sourcils froncés. 'Tu n'as presque rien avalé depuis quelques jours.'
-'Je sais, mais je n'ai pas faim. J'ai du mal à croire que nous partons demain et cela me chamboule plus que je ne l'aurais imaginé.'
Elle n'ajouta pas qu'elle redoutait légèrement ses retrouvailles avec Jane. Après toutes ces semaines loin de sa sœur préférée, Elizabeth avait réussi à relativiser un peu. Elle n'avait pas le droit d'être aussi ingrate envers elle alors qu'elle se réjouissait tant de porter ce petit être en elle. Après tout, ce n'était pas la faute de Jane s'il n'y n'avait pas encore d'héritier dans le berceau familial des Darcy. De plus, elle était une excellente mère, douce et patiente, et elle méritait plus que quiconque ce deuxième enfant.
Cependant, malgré ces pensées bienveillantes, Lizzie savait qu'elle aurait à faire un effort pour sourire et être heureuse à la vue du ventre grandissant de sa sœur. Elle se promit tout de même de ne rien laisser paraître par amour pour elle et parce qu'elle savait que Jane serait dévastée si elle apprenait à quel point cela la perturbe encore.
-'À quoi penses-tu?' demanda Darcy, voyant sa femme en pleine réflexion.
-'À Evergreen Place.' Mentit-elle. Elle savait, après avoir maintes fois essayé de lui expliquer, que son mari ne pouvait pas comprendre ce mal qui l'habitait.
-'Nous reviendrons.' promit Darcy. 'Peut-être pas bientôt, mais un jour.'
-'Je dis adieu à ce paradis pour un long moment, j'en ai bien peur. Merci de m'y avoir amené, Will. Je n'aurais pas pu souhaiter mieux comme endroit pour y passer notre lune de miel tardive.'
Darcy leva la main pour chasser la larme qui coulait sur sa joue. 'Ne pleure pas, je t'en prie. Cela me brise le cœur.' Il l'attira à lui et elle se blottit contre son torse sans résistance, imbibant son manteau de nouvelles larmes. Elle pleura doucement contre lui pendant un moment, puis s'éloigna à contrecoeur.
-'Jamais je n'aurais cru que de quitter cet endroit m'affecterait autant.' Dit-elle avec un petit rire. 'Tu dois me penser trop sensible. Après tout, nous retrouverons un paradis tout aussi grandiose, si ce n'est qu'un peu moins intime.'
Ils poursuivirent leur promenade dans un recoin encore non exploré et Elizabeth s'apaisa peu à peu. Elle se sentait encore légèrement étourdie, mais elle était si bien au bras de son mari qu'elle garda le silence. L'air frais lui faisait du bien car l'humidité était telle qu'elle collait à sa peau.
-'J'ai reçu une lettre de Charles.' Dit soudainement Darcy d'une voix hésitante.
Elle lui jeta un regard inquisiteur. 'Et bien?'
-'Il y a un moment que je l'ai. Charles m'a précisé de ne rien te dire avant notre départ. J'aurais préféré ne pas avoir à te divulguer de quoi il s'agit, mais tu dois être mise au courant avant notre arrivée en Angleterre.'
Lizzie fut aussitôt alerte et elle agrippa le bras de son mari avec force, le cœur battant. 'Tu m'inquiètes, Will. De quoi s'agit-il? C'est Jane? Le bébé va bien?'
-'Non, ce n'est pas de Jane qu'il s'agissait, elle et le bébé vont très bien.'
Elle soupira de soulagement, mais ce sentiment ne dura guère longtemps en voyant à quel point son époux avait l'air sérieux. 'Que se passe-t-il? C'est grave?'
-'Wickham a quitté Lydia et s'est enfui on ne sait où. Il est introuvable.'
Elizabeth s'arrêta net. 'Quoi?'
-'Il semblerait qu'ils aient eu une violente dispute et qu'il ait pris la fuite. Aux dernières nouvelles il était à Londres dans une maison de jeux, mais depuis début juillet, plus rien. Il a disparu de la ville et n'a donné aucun signe de vie.'
-'Et Lydia?'
-'À Longbourne, mais elle écrit fréquemment à Jane pour qu'elle l'accueille chez elle.'
Lizzie s'exaspéra. 'Comment a-t-il pu faire une chose pareille? Et Edwina? Il n'a pas songé à son enfant? Il a laissé des moyens pour sa subsistance?'
Darcy se pinça les lèvres. 'Nous parlons de Wickham ici, la nouvelle ne me surprend pas à vrai dire. Charles a envoyé un homme avec pour mission de le retrouver. J'ai fait de même.'
Combien de fois son mari aurait-il à débourser pour couvrir les scandales de son beau-frère et sa belle-sœur? Elizabeth poussa un grognement de frustration, honteuse que sa famille soit la source d'autant de tracas. Encore une fois. 'Oh, mais à quoi s'attendait-elle aussi en mariant un être aussi abject et malhonnête! Je n'arrive pas à éprouver de la pitié pour elle, pas après les choix conscients qu'elle a fait. Je suis outrée de savoir qu'elle demande à nouveau la charité à Jane alors qu'elle a déjà tant reçu. La prochaine chose qu'elle demandera sera de nous accompagner à Londres, dans la Société, afin de se trouver une nouvelle proie qui pourra satisfaire ses caprices!'
Même si sa colère semblait quelque peu déraisonnable – après tout, Lydia était tout de même sa sœur et elle ne pouvait s'empêcher de ressentir une grande tristesse de la savoir si insouciante –, Lizzie ne pouvait se calmer. Lydia avait déjà fait tant de faux pas! D'abord sa conduite générale, qui manquait cruellement de classe et de tenue, puis sa fuite avec Wickham et ces semaines où elle avait habité avec lui sans être mariée, son insistance auprès de Jane pour avoir de l'argent et, le coup de grâce, cette nouvelle accablante. N'était-elle donc pas consciente qu'elle couvrait sa famille de ridicule? Que pour bien moins elle aurait pu être reniée à tout jamais par ses propres parents, ses propres sœurs?
-'J'espère qu'elle a au moins su rester discrète sur cet évènement, mais la connaissant elle a dû crier à l'injustice pour soutirer la pitié des gens.'
Le silence de Darcy confirma ses doutes.
-'Et Jane? A-t-elle su refuser à Lydia de venir à Carlton?'
-'Elle repousse la visite de Lydia à plus tard, ne se sentant pas la force de lui refuser totalement l'accès à sa maison. Elle aurait accepté tout de suite si Charles ne l'avait pas doucement convaincu que cela n'aiderait en rien Lydia et que vu sa...condition...un peu de solitude était préférable.'
-'Elle est déjà bien chanceuse d'avoir un toit au-dessus de sa tête. Nul besoin de demander pourquoi elle ne veut pas se contenter du confort modeste de Longbourne. Sans Kitty, elle se retrouve seule avec Mary et Mère, qui doit la plaindre sans cesse et la couver un poussin.'
-'Ses pauvres nerfs doivent être très sollicités.' plaisanta Darcy avec un petit sourire.
Elizabeth ne put s'empêcher de pouffer. 'En effet, cela m'étonne même qu'elle ait survécu au choc!' Puis, plus sérieusement, elle ajouta : 'Lydia est mieux à Longbourne, loin de la ville et de ses tentations, loin des oreilles indiscrètes et des langues de vipères. Si elle met un pied en Société, les gens ne voudront pas lui adresser la parole. Nous avons réussi à étouffer sa fuite il y a trois ans, mais cette dernière nouvelle l'aura achevé.'
Darcy approuva d'un hochement de tête. Lizzie resta silencieuse un moment, plongée dans ses pensées. Quel gâchis! Elle avait été naïve de penser que Lydia pourrait peut-être être heureuse avec Wickham et qu'ils étaient tous à l'abri de nouveaux faux-pas en les sachant loin au nord. Heureusement, les chances que sa sœur la contacte pour de l'argent ou une place dans sa demeure étaient plus minces. Lydia n'était pas complètement stupide; elle avait demandé la charité à Jane, qui avait un trop grand cœur pour refuser quoi que ce soit. Elle savait manipuler l'aînée des filles Bennet avec une habilité déconcertante, cela n'était pas nouveau. Oh, si elle pouvait être près de Jane en ce moment pour l'aider à refuser nettement la demande de leur cadette!
-'Nous ne pouvons rien faire tant que nous sommes ici, malheureusement. Je ne voulais pas te gâcher ta dernière soirée, mais il fallait que tu l'apprennes avant notre retour.'
-'Merci. Tu as bien fait de ne pas me le dire plus tôt, cela aurait en effet eu un impact néfaste sur notre voyage. Oh, Lydia a un don incroyable pour se mettre dans des situations désastreuses! Je dois me calmer avant de retourner à l'intérieur, je ne voudrais pas que nos hôtes s'inquiètent. Marchons encore un peu, tu veux bien?'
La propriété des Calberts était luxuriante et prospère. Ils possédaient des troupeaux de vaches laitières bien grasses, des champs à perte de vue, une ferme bien entretenue et bondée de poules, de porc, de moutons ainsi qu'une écurie prisée pour la qualité de ses chevaux. Cependant, ce qu'Elizabeth aimait le plus était les longs chemins qui bordaient les champs et qui offraient une vue magnifique sur les montagnes. Ils étaient si nombreux que pas une fois elle n'avait marché sur le même chemin lors de ses promenades. Cette soirée-là n'était pas différente; ils bifurquèrent sur une route inconnue menant vers un boisé de feuillus et Lizzie se sentit l'envie d'aller y voir les fleurs qui poussaient en abondance. Elle en cueillit un bouquet et alors qu'elle s'enfonçait légèrement entre les arbres, elle remarqua un petit chemin menant vers une clairière. Elle le suivit, curieuse, et réalisa trop tard qu'ils étaient maintenant sur un terrain privé. Une femme d'une cinquantaine d'années, qui battait son tapis devant la maison, les aperçus et s'arrêta net dans son mouvement. Ne pouvant pas rebrousser chemin sans explications, Darcy s'avança, mais stoppa aussitôt en voyant que la femme reculait, la peur clairement inscrite sur son visage, ses mains se resserrant sur le bâton qu'elle tenait.
-'Je crois qu'elle n'aime pas les visiteurs anglais…' murmura Lizzie, effrayée elle aussi.
-'Reste derrière moi.' L'avertit Darcy sous son souffle, puis il salua la dame d'un hochement de tête respectueux. 'Désolé de cette intrusion, nous ne savions pas que cette terre appartenait à quelqu'un. Ma femme ne voulait que cueillir des fleurs.'
Elle ne répondit pas. Elle fixait Darcy comme si elle avait vu un fantôme. Elle était si pâle que Lizzie crut qu'elle allait s'évanouir. Après ce que Vivianne avait raconté sur le sort des irlandais, elle n'était pas surprise de cette réaction. Soudainement, la femme appela tout haut, ne les lâchant pas du regard. Un homme apparut alors, marchant d'une démarche nonchalante et essuyant la sueur sur son front avec le devant de sa chemise. Lorsqu'il les aperçu, il s'empressa de venir auprès de la femme.
Cette situation devenait troublante. Cet homme – son fils?- était jeune et bien portant. Si la situation devait dégénérer, il n'était pas facile de prédire qui de son mari ou de l'inconnu serait le vainqueur.
La maîtresse de Pemberley observa son visage et y vit des traits familiers. Où l'avait-elle vu?
-'Nous ne vous voulons aucun mal.' Dit alors Darcy, levant les mains, paumes devant, pour montrer qu'il n'avait aucune mauvaise intention. 'Nous nous sommes égarés.'
-'Ils ne parlent peut-être pas la langue…' murmura Elizabeth, s'agrippant à la veste de son mari. Lorsque l'inconnu rencontra son regard, Lizzie eut soudainement un éclair de reconnaissance. Elle sortit alors de l'écran de protection que lui procurait son mari et s'exclama : 'Mr O'Shee!'
Le concerné fut bientôt tout sourire. 'Mrs Darcy!'
-'Quel hasard!' s'exclama-t-elle, surprise et soulagée à la fois. 'Mr Darcy, ceci est le musicien dont je vous ai si souvent parlé, Mr Patrick O'Shee.'
-'Enchanté, Mr Darcy. Votre femme a été assez aimable pour me laisser performer pour ses domestiques il y a un moment déjà. Vous avez un très beau domaine.' Puis il prit la main de la femme près de lui. 'J'aimerais vous présenter ma mère, Mrs O'Shee.'
Elizabeth fit une révérence. 'Enchantée de faire votre connaissance, Mrs O'Shee. Vous avez là un fils rempli de talent.' Dit-elle poliment. 'Voici mon mari, Mr Darcy.'
La femme ne répondit pas avant un moment et ce qu'elle dit les surpris tous : 'Vous ressemblez à paternel.'
Elle avait un fort accent. Elle dit alors quelque chose à son fils en irlandais et Patrick O'Shee haussa les sourcils. 'Ma mère me dit qu'elle a connu votre père, Mr Darcy. Il venait souvent ici, à Ballyhara Manor, il y a de ça bien des années. Elle a eu l'occasion de le croiser lors de ses visites. Elle est la sœur de feu Mrs Calbert.'
Darcy sembla se réchauffer à ces mots, étant resté de glace la minute auparavant. 'Vous connaissez donc la famille?'
-'Oui, bien sûr. Vivianne est ma cousine.'
-'Vous ne m'aviez jamais dit cela!' s'étonna Elizabeth. 'Et Vivianne n'a pas mentionné votre nom. Je pensais qu'elle était seule ici.'
Ce dernier eut un petit rire. 'Oh, mais je ne suis pas souvent ici, je voyage beaucoup. Vivianne ne peut pas compter sur ma présence pour la divertir. Qui plus est, mon oncle préfère que je ne fréquente pas la grande maison. Nous nous voyons donc que très peu.'
Elizabeth trouva cela étrange. Pourquoi Mr Calbert rejetait-il la seule famille du côté maternel que Vivianne avait?
-'J'espère ne pas vous offensez en vous demandant cela,' dit-elle alors, incapable de tenir sa langue tant la situation lui semblait curieuse. 'Mais pourquoi n'êtes-vous pas la bienvenue à Ballyhara Manor?'
-'La situation est…délicate.' Répondit le jeune homme avec une grimace. 'Je ne voudrais pas vous offensez et la vérité vous choquerait peut-être.'
La femme dit alors rapidement quelque chose et Patrick lui répliqua quelque chose d'une voix douce en lui tapotant la main. Lizzie en profita pour observer la mère du musicien.
À son avis, elle ne devait pas avoir plus de 55 ans. Sa peau était pâle, ses cheveux foncés et striés de blanc. Elizabeth n'avait pas de mal à deviner que sous les traits tirés et les rides, cette femme avait certainement été une beauté autrefois. Les années et les épreuves avaient creusés son visage comme la pluie creuse des sillons dans la terre et la roche, et seuls ses yeux bleus semblaient avoir conservés une étincelle de jeunesse. Lizzie pouvait voir une certaine ressemblance entre mère et fils, mais Patrick O'Shee devait plutôt ressembler à son père avec ses cheveux bruns bouclés, ses lèvres minces, son nez droit et ses yeux marrons. Il était indéniable qu'il était bel homme. Son sourire était droit et illuminait son visage entier d'une joie de vivre contagieuse. Elle devait l'avouer, il avait presque l'air d'un gentleman. Jamais elle n'aurait pu deviner ses origines en le voyant si sûr de lui, si droit et fier.
-'J'espère que nous aurons le plaisir de vous revoir à Pemberley, Mr O'Shee.' Dit Lizzie, loin d'oublier les mélodies qu'il était capable de produire sur son violon. 'Vous y serez toujours la bienvenue.'
-'Merci de l'invitation, Mrs Darcy. Je ne travaille plus à Lambton, mais si l'occasion se présente dans mes futurs voyages, je serais heureux de vous divertir avec ma musique.'
Darcy et Elizabeth s'excusèrent après un moment, voyant que la nuit tombait, et ils rebroussèrent chemin en silence. Ce que son mari avait en tête, elle n'en avait aucune idée, mais il y avait quelque chose d'étrange dans son visage lorsqu'elle lui jeta un coup d'œil.
-'Qu'y a-t-il?'
-'Je ne sais pas trop ce que je dois en penser.' Répondit lentement Darcy. 'Mr Calbert ne m'a jamais mentionné l'existence de cette tante. Il m'a dit que sa femme avait coupé tout lien avec sa famille et ses amis en devenant Mrs Calbert. Et je sais qu'elle ne venait pas d'une famille fortunée. Cette maison, bien que petite, est un luxe que très peu d'irlandais peuvent s'offrir.'
-'Pourquoi ne pas demander?'
Darcy secoua la tête. 'Ce ne sont pas mes affaires, je ne veux pas l'offenser en demandant.'
-'Soit, je demanderai à Vivianne alors. Elle n'aura aucun mal à me répondre.' Décida Lizzie, convaincue qu'elle obtiendrait satisfaction.
Et elle avait raison. Une fois de retour à Ballyhara Manor, elle aborda le sujet sans hésiter alors que les deux jeunes femmes étaient assises au salon, un peu à l'écart.
-'J'ai eu le plaisir de rencontrer votre tante tout à l'heure, ainsi que votre cousin, que j'ai d'ailleurs eu l'occasion de voir performer auparavant.' Dit-elle pour briser la glace. 'Il est un musicien très talentueux.'
Vivianne eut un sourire. 'Oui, il est très doué. Malheureusement, il y a un moment depuis la dernière fois où je l'ai entendu jouer. Il est souvent à l'étranger.'
-'Oui, c'est ce qu'il m'a dit.'
-'Et comment allaient-ils?'
-'Bien, à ce que j'ai pu constater. Avez-vous fréquemment l'opportunité de les voir?'
-'Disons que c'est un peu compliqué.' Répondit Vivianne à voix basse, jetant un coup d'œil vers Mr Calbert et Darcy, tous deux plongés dans une grande conversation sur le commerce. 'Père n'aime pas que j'en parle, pour ma réputation j'imagine. Mais maintenant que vous les avez rencontrés, je suis d'avis que vous avez besoin d'explications et je sais que je peux vous faire confiance. Ma tante a perdu son mari il y a trente ans et ne s'est jamais remariée. Mon cousin a 23 ans.'
Elizabeth n'était pas mauvaise en mathématiques et comprit rapidement le sous-entendu. 'Oh, je vois.'
-'Ma mère m'a expliqué que lorsque cela s'est su, elle a été rejetée par les siens. Sans maison ni mari pour la supporter, ils étaient seuls au monde, elle et son enfant. Mère a supplié mon père de lui venir en aide. Ma tante était la seule qui avait gardé contact avec elle après son mariage et qui avait accepté son choix sans réprimandes. Elles étaient très proches.'
Elle s'interrompit un moment; son regard était triste, comme chaque fois qu'elle mentionnait sa mère. Puis elle reprit : 'Vu les circonstances, mon père ne pouvait pas permettre à ma tante et mon cousin de venir librement à Ballyhara Manor, mais il a accepté de subvenir à leurs besoins, tant et aussi longtemps que cela se faisait dans le plus grand silence. Pour faire plaisir à ma mère, il a même fait construire une petite maison dans un boisé tout près, un endroit très discret et loin des yeux, où elles pouvaient se voir de temps en temps. Mon père a pris en charge l'éducation de mon cousin et lui a même appointé un tuteur. Il souhaitait que sa situation présente ne soit pas un obstacle pour son futur, pour qu'il puisse au moins gagner sa vie honorablement. En Angleterre, personne ne connait ses origines et il s'en sort très bien. Ici, les nouvelles se répandent comme un feu de forêt. Bien sûr, mon père refuse que je parle d'eux en public.'
Cette dernière phrase avait été dite d'un ton plus amer et la jeune femme prit une gorgée de son thé pour camoufler son désaccord. Puis, réalisant qu'elle avait peut-être offensé son amie en racontant cela, elle ajouta : 'J'espère que cela ne vous choque pas, Elizabeth. Et j'espère que vous gardez toujours une bonne opinion de mon cousin. Il est quelqu'un de bien, une des meilleures personnes que je connais.'
Lizzie posa une main sur la sienne pour la rassurer. 'Ne vous inquiétez pas, je ne suis pas choqué le moins du monde. Surprise, certes, mais cela explique beaucoup de choses. Je suis honorée de cette confidence et vous pouvez être certaine que je resterai discrète sur le sujet. Seul Fitzwilliam aura l'écoute de cette histoire, si vous le permettez, car il partageait ma curiosité sur le sujet.'
-'Je vous fais confiance, à vous et à Fitzwilliam.'
Il y eut un moment de silence, où toutes deux réalisèrent que c'était probablement la dernière fois qu'elles se voyaient avant un moment.
-'J'espère que votre père acceptera de vous laisser venir à Pemberley. J'ai espoir que Darcy réussisse à le convaincre.'
Vivianne eut un sourire. 'Si quelqu'un peut y arriver, c'est bien lui. Prions pour que notre prochaine rencontre soit dans un futur prochain.'
Lorsqu'elle monta se coucher, Elizabeth raconta à Darcy ce qu'elle avait appris.
-'Je suis venu ici plusieurs fois et jamais je n'ai entendu parler d'une Mrs O'Shee.' Commenta-t-il lorsqu'elle eut terminé. 'Je ne savais même pas que Vivianne avait un cousin, elle ne m'en a jamais parlé.'
Lizzie, qui tressait ses cheveux assise devant la coiffeuse, soupira. 'Je trouve cela si dommage. Sa seule famille et elle est incapable de les voir à sa guise car cela pourrait entacher sa situation. Mr O'Shee est un homme bon et agréable, il a tout d'un gentleman. Sûrement n'y a-t-il pas de mal à ce qu'ils puissent se fréquenter?'
-'Ainsi sont les choses dans notre monde, Elizabeth. Si Vivianne et son cousin déclarent leur lien de parenté en Angleterre, il ne sera pas long pour que les commérages prennent la Société d'assaut et détruisent les chances de Vivianne de se faire accepter. Déjà ses origines sont un facteur qui affecte ses chances de se fondre dans le décor, mais si en plus on apprend qu'elle a un cousin né hors mariage avec lequel elle est toujours en bon terme, ses chances seront considérablement réduites.'
Elle l'observa à travers son miroir, consciente qu'il portait toujours cet air songeur. 'Que se passe-t-il?'
Darcy prit son temps pour répondre. 'Je ne sais pas, Lizzie. Sincèrement.' Ajouta-t-il en voyant son air sceptique. 'D'apprendre cette nouvelle m'a bouleversé. Je me demande si mon père était au courant de cette histoire.'
Elizabeth vint se coucher à ses côtés, se blottissant contre son torse. 'Je serais porté à croire que oui…Après tout, ils étaient meilleurs amis selon tes dires et il était le seul à appuyer Mr Calbert dans son choix de femme. Nul doute qu'il n'a pas ébruité cette histoire par respect pour lui. Et peut-être qu'il n'a pas voulu te mettre au courant par peur d'entacher ta propre réputation.'
Darcy hocha la tête silencieusement, puis dit : 'Parfois j'ai l'impression que je n'ai pas réellement connu mon père. Il était toujours si occupé et ce n'était pas un homme qui se confiait facilement. Il a su m'enseigner tout ce que je sais avec une patience hors pair, mais je réalise que je connaissais pas l'homme sous le maître de Pemberley.'
Lizzie eut un petit rire. 'Cela me rappelle étrangement quelqu'un.'
Darcy ne put s'empêcher de sourire à son tour. 'Oui, je suppose que tu as raison sur ce point.' Il soupira. 'Moi aussi je suis triste de quitter l'Irlande. J'ai eu l'impression de me rapprocher de mon père en venant ici et tant de souvenirs agréables m'ont habité pendant notre séjour. Cela me rend très nostalgique. J'ai peine à croire que demain nous serons en route pour Pemberley.'
Elizabeth sentit son cœur se serrer douloureusement à cette idée. Elle aurait souhaité que ces vacances durent encore des mois et des mois. Cependant, elle savait qu'il était temps pour eux de retourner à la maison.
(***)
Désolée pour ce temps d'attente si long, mais avec un petit singe de 9 mois qui est aussi rapide que l'éclair et qui est un aimant à bêtises, le temps et l'énergie me manquant pour écrire autant que je le voudrais. Je ne fais pas de promesses pour le prochain chapitre, mais j'espère, comme chaque fois que j'en termine un, qu'il sera moins long à publier )
À bientôt j'espère!
