Quelle rapidité! Je me surprends moi-même, haha! J'avais si hâte d'écrire ce chapitre et j'ai profité de toutes les siestes de mon petit singe pour écrire, ce qui en résulte d'un chapitre prêt en deux semaines. Pas mal, non?
Chapitre 30
Retour à Pemberley
Elizabeth, qui avait apprécié la traversée en bateau quelques mois plus tôt, ne fut pas aussi enchantée que la première fois lorsqu'ils prirent le chemin du retour. Confinée à sa cabine, elle était soulagée d'avoir la compagnie d'Abby pendant les longues heures du voyage et non celle de Darcy qu'elle avait envoyé sur le pont. Elle préférait de loin la présence rassurante et calme de sa suivante aux regards inquiets de son mari qui, voulant bien faire, ne l'aidait pas du tout à oublier le mal qui l'habitait en lui posant trop de questions. Allongée et faible, Lizzie ne comprenait pas pourquoi elle se sentait ainsi alors qu'elle avait vécu sa première traversée sans aucun problème. Il y avait un bon vent, mais la mer était relativement calme; Darcy avait même dit que c'était une température idéale pour voyager. Pourquoi se retrouvait-elle alors la proie de nausées violentes? Jamais elle ne s'était sentie aussi mal de toute sa vie.
Bien sûr, elle n'était pas complètement naïve. Septembre était déjà bien entamé et presque quatre semaines s'étaient écoulées depuis qu'elle aurait dû avoir son temps du mois. Tout d'abord elle n'avait rien remarqué, étant occupée avec les préparatifs du retour et la visite à Ballyhara Manor. Puis, alors qu'il devenait évident que son état général devenait étrangement anormal, elle s'est souvenu que ses derniers saignements dataient de juillet.
Juillet!
Comment avait-elle pu manquer cela? Elle qui avait passé la dernière année à surveiller attentivement ce détail, voilà qu'elle lâchait prise le temps d'un été et oubliait complètement de compter. Ce n'est qu'en cet instant, au beau milieu de la mer Celtique, qu'elle réalisait que ce qui l'affligeait n'était peut-être pas dû au mal de mer, mais à une raison totalement différente.
Lorsqu'ils furent enfin à Bristol, Darcy décréta qu'ils ne partiraient pas avant un ou deux jours, le temps qu'elle se remette du voyage. Elizabeth, qui pensait être un peu mieux dès qu'elle toucherait terre ferme, fut bien déçue de voir qu'en fait son état semblait empirer. Alors que Darcy était sorti pour visiter une connaissance, elle eut du mal à rester silencieuse. Abby, fidèle à son rôle d'aide-soignante en plus de suivante, brodait assise sur une chaise à côté du lit à baldaquin.
-'Je déteste cela.' Maugréa Lizzie, exaspérée. 'Je déteste avoir la tête qui tourne et le cœur dans la gorge. J'ai l'impression d'avoir trop mangé de gâteaux et en même temps mon estomac a mal comme si j'étais affamée. C'est une étrange sensation et pas du tout plaisante.'
Abigaëlle eut un petit sourire, mais elle ne leva pas les yeux de son travail. 'Cela passera, Mrs Darcy. Voulez-vous une infusion de gingembre?'
-'À quoi bon? Je n'arrive pas à avaler quoi que ce soit.'
-'Cela vous fera du bien. Essayez, au moins.'
Lorsqu'elle revint avec le breuvage chaud et un morceau de pain, Elizabeth eut peur d'être malade rien qu'à sentir l'odeur de la mie chaude et du breuvage épicée. Cependant, elle s'obligea à boire quelques gorgées et réalisa avec soulagement que cela lui faisait du bien. Après une dizaine de minutes, elle fut même capable de manger un peu.
-'Madame, puis-je être franche?' dit soudainement Abby, qui l'observait avec attention maintenant.
-'Bien sûr.'
-'Peu importe ce que vous me dites, je ne crois pas que cela ait quoi que ce soit à voir avec la traversée.'
Elizabeth resta impassible. 'Est-ce si évident?'
Abigaëlle eut un petit rire. 'Vous oubliez que ma mère était sage-femme. Sans parler que je suis à votre service depuis plus d'un an maintenant et que, étant celle qui est en charge de vos effets personnels, je suis donc la seule à savoir que vous n'avez pas demandé vos linges pour le mois d'août. Et avec votre état présent je crois qu'il devient effectivement évident que cette excuse de mal de mer n'est plus valable, surtout deux jours après la fin du voyage.'
Lizzie expira d'un coup, soulagée. C'était un lourd secret à porter et elle avait l'impression qu'un grand poids venait d'être enlevé de sur ses épaules.
-'Si tu savais Abby à quel point tout ceci me rend folle.' dit-elle en laissant tomber sa tête sur les oreillers. 'J'y pense constamment, nuit et jour, depuis que j'ai réalisé que ceci était une possibilité envisageable. Je n'arrive pas à croire que c'est peut-être enfin arrivé. Je n'ose pas espérer, j'ai trop peur d'être déçue si je me trompe. Ne devrais-je pas sentir que je porte un enfant en moi?'
-'Chaque femme vit son temps de manière différente…Certaines le sentent comme un sixième sens, d'autres doivent attendre les premiers signes physiques avant de vraiment réaliser leur état. Certaines ont une multitude de symptômes, d'autres absolument rien.'
Cela rassura Lizzie, mais elle n'était pas tout à fait convaincue. 'Jane semblait dire qu'elle se sentait rayonner de l'intérieur et jamais je ne l'ai entendu se plaindre. Je ne suis même pas certaine d'être enceinte et j'ai seulement envie de me lamenter. J'ai attendu cet enfant avec tant d'impatience et maintenant je regrette presque que mon souhait ait été exaucé tant je me sens mal.'
Abigaëlle lui fit un sourire compatissant. 'Difficile de se réjouir quand le moindre effort est dirigé à ne pas être malade. Ne vous sentez pas coupable, Mrs Darcy, vous n'êtes pas la première à détester les premiers mois de la grossesse.'
Elizabeth hocha lentement la tête. 'Tu as probablement raison. Si seulement je pouvais savoir avec certitude que c'est réellement cela…Quelle attente interminable!'
-'Ne vous inquiétez pas, une semaine ou deux encore suffiront à dire si votre temps ne reviendra pas pour la seconde fois. Cependant, je suis d'avis que n'importe quel médecin reconnaitrait les symptômes typiques.'
Lizzie poussa un grognement de découragement. 'J'espère que ces symptômes typiques passeront rapidement, je n'en peux déjà plus.'
-'D'ici quelques semaines vous serez mieux.'
-'Quelques semaines…Cela me semble une éternité. Je ne pourrai garder le secret encore bien longtemps, Will se doutera bientôt que quelque chose ne va pas. Déjà il me pose beaucoup de questions et je crains que je n'aurai pas d'autres choix que de lui dire la vérité.'
Cela lui faisait une drôle de sensation de savoir qu'elle aurait à lui annoncer la bonne nouvelle, un mélange d'excitation et de peur qui lui donnait l'impression d'avoir des papillons dans l'estomac. Elle aurait aimé attendre encore un peu, quelques semaines au moins, avant de lui en faire part, mais son pressentiment fut que Darcy finirait tôt ou tard par la confronter sur son état.
Le voyage en voiture fut pénible. Les secousses continuelles amplifiaient ses nausées et c'est avec le plus grand mal qu'elle conservait ses maigres repas. Elle ne demanda pourtant pas à s'arrêter pour prendre l'air car elle n'avait qu'une envie et c'était de rentrer à Pemberley. Darcy s'inquiéta plus d'une fois de son teint verdâtre, mais n'insista pas lorsqu'elle mit la faute sur le mal des transports. Il ne cessait de l'observer du coin de l'œil et Lizzie n'eut pas la force de le rassurer, usant de toute son énergie pour ne pas avoir l'air aussi misérable qu'elle se sentait.
Lorsqu'ils furent enfin à Pemberley, Elizabeth était complètement éreintée. Les dernières heures avaient été les pires et elle les avait retardé en demandant une pause plus longue au diner afin qu'elle puisse s'allonger un peu. Le soleil était donc bas à l'horizon lorsque les chevaux s'engagèrent dans l'allée principale et c'est avec une certaine réticence qu'elle envisagea son arrivée devant tous ces gens qui les attendait. Elle se pinça les joues pour se redonner un peu de couleurs et descendit de la voiture avec ce qu'elle espérait être un sourire sincère et non une grimace qui ne flouerait personne.
Kitty et Georgiana les saluèrent énergiquement en les voyant arriver, mais lorsqu'elles virent le visage pâle de leur sœur elles ne purent s'empêcher de se jeter un regard inquiet.
-'Lizzie, tu vas bien?' murmura Kitty en la serrant dans ses bras. 'Tu es aussi blanche qu'un fantôme.'
-'Le voyage a été long.' Répondit-elle dans un soupir. 'Très long.'
-'Mais tu n'es jamais malade en voiture habituellement. Tu adores les voyages.'
-'Est-ce que Mrs Reynolds est là?' demanda Elizabeth pour changer de sujet. 'Ah! Mrs Reynolds. Demandez à ce que l'on prépare mon bain, je vous prie. J'aimerais me nettoyer de toute cette poussière.'
-'Mais, Lizzie, nous avons tant de choses à te raconter!' protesta Kitty en entendant cela. 'Tu ne peux pas te retirer tout de suite.'
-'Nous avons passé un si bel été à Greenfield Park et nous sommes tellement impatientes de partager nos aventures.' Renchérit doucement Georgiana.
-'Je crains que cela devra attendre, mesdemoiselles.' S'interposa Darcy en offrant son bras à son épouse, qui le remercia intérieurement d'imposer sa décision. 'Nous sommes épuisés de notre trajet et ne serions pas de bonne compagnie ce soir. Excusez-nous pour aujourd'hui, nous vous promettons d'être tout ouïe demain, après une bonne nuit de sommeil.'
Une fois dans leur chambre, Lizzie s'enferma aussitôt dans la salle où trônait le bain de cuivre et attendit que l'on apporte l'eau chaude pour s'y glisser avec soulagement. Ce moment de solitude lui fit du bien; ses pensées voguèrent vers ce petit être en elle qui peut-être faisait son nid et elle posa ses mains sur son ventre, intriguée, espérant ressentir quelconque sensation qui l'aiderait à confirmer sa présence. Malheureusement, elle ne sentait rien d'autre que les protestations de son estomac affamé.
Elizabeth se laissa glisser un peu plus creux dans l'eau chaude et observa son souffle faire de petites vagues sur la surface. Maman. Autant ce terme s'appliquait naturellement à Jane, autant elle sentait que cela ne lui convenait pas. Pas encore, en tout cas. Elle traça des formes sous son nombril, curieuse de savoir ce qui se nichait en elle. Était-ce un garçon, l'héritier de Pemberley, une copie conforme de son père? Ou bien une fille aux cheveux sombres et au caractère bien trempé?
Lizzie commençait à somnoler. Par la fenêtre elle pouvait voir les reflets du soleil couchant sur le lac. Au loin, les boisées qu'elle aimait tant et qu'elle avait foulé des centaines de fois. Elle ne put s'empêcher de sourire.
-'Heureuse d'être de retour, Mrs Darcy?' demanda Abby en entrant dans la pièce, serviette chaude dans les bras.
-'J'adore Pemberley en automne.' Répondit-elle d'un air rêveur. 'Bientôt les feuilles changeront de couleurs.'
-'Mr Darcy demande s'il doit faire monter le repas à la chambre.'
Elizabeth fit la grimace. 'Manger…Que cette idée me semble repoussante.'
-'Si vous ne mangez pas vous risquez d'être encore plus mal en point. Vous n'avez presque rien avalé depuis ce matin. Je descendrai aux cuisines pour que l'on vous prépare un bouillon et du pain. Ce n'est pas grand-chose, mais ce sera déjà ça.'
Lizzie fut soulagée de ne pas avoir à descendre ce soir-là, mais savait qu'elle aurait à faire bonne figure le lendemain. Cependant, lorsqu'elle se réveilla au matin ce fut avec la désagréable sensation que le monde tournait autour d'elle. Elle eut tout juste le temps de repousser brusquement les couvertures et de se précipiter vers le pot de chambre, où elle vomit bruyamment. Son cœur battait dans ses tempes et, prenant appui contre le meuble, elle ferma les yeux pour reprendre son souffle. Elle réalisa ensuite avec horreur que Darcy avait assisté à ce dégoûtant spectacle et, pire encore, s'était levé avec précipitation pour être à ses côtés. Il posa une main sur son dos et elle n'eut pas la force de le repousser.
-'Lizzie?'
Elizabeth poussa un grognement pour toute réponse. L'arrière-goût dans sa bouche était infect.
-'Tu m'inquiètes.' Dit-il d'une voix sérieuse. 'Tu devrais voir un médecin.'
Elle secoua la tête. 'Ce n'est rien. Tout va bien.'
Comme pour la démentir, une seconde vague de nausée l'assaillit et son estomac se souleva à nouveau. La honte qu'elle ressentit à ce moment était telle qu'elle aurait aimé disparaître dans le plancher.
-'Bien sûr, tout va bien.' Répliqua Darcy avec sarcasme, prenant le pichet d'eau sur la commode pour lui en servir une tasse. 'Tu me sembles en pleine forme.'
-'Ce n'est rien.' Répéta Elizabeth d'une voix enrouée. 'Un malaise passager.'
-'Je ne suis pas stupide. Quelque chose ne va pas. Tu n'es pas toi-même depuis nos derniers jours à Evergreen Place.'
Elizabeth hésita, mais réalisa bien vite qu'elle ne pouvait plus garder son secret pour elle. Sans avoir à regarder son reflet dans le miroir elle savait qu'elle était dans un état lamentable. Son cœur se mit à battre douloureusement et elle se sentit rougir. Tout à coup il faisait chaud, mais elle se mit à frissonner malgré elle.
-'Lizzie, tu trembles?' s'étonna Darcy en fronçant les sourcils.
Comment pouvait-elle mettre des mots sur ceci? Comment annoncer à son mari qu'on attend son enfant?
-'Ne me ment pas, je sais que tu me caches quelque chose.' Insista-t-il en l'obligeant à le regarder dans les yeux. 'Tu maigris à vue d'œil à force de ne pas manger. Tu as toujours l'air épuisée et effacée, j'ai l'impression que tu n'es que l'ombre de toi-même. Et maintenant ceci? Depuis quand est-ce normal de se réveiller le matin pour…'
Il ne termina pas sa phrase. Son regard changea, comme si en disant les mots à voix haute il saisissait soudainement ce que cela signifiait.
Elizabeth sourit timidement. 'Je ne suis pas encore entièrement certaine…mais tout porte à croire que l'Irlande aura été un voyage extraordinaire duquel nous ramenons plus que des souvenirs.'
Darcy fut déstabilisé. 'Tu es…?'
Elle approuva d'un hochement de tête, ne pouvant s'empêcher de rire nerveusement. 'Si Dieu le veut, il naîtra au printemps.'
Si tout d'abord elle avait pu lire la surprise dans ses yeux bruns, elle ne put être témoin de sa réaction lorsqu'il réalisa pleinement l'ampleur de cette nouvelle car il l'attira à lui et l'étreignit avec force.
-'Oh Lizzie…' murmura-t-il contre ses cheveux, l'enlaçant si étroitement qu'elle pouvait sentir son pouls rapide sur sa poitrine. Des larmes lui montèrent aux yeux et elle sourit contre son épaule, ses doigts s'agrippant à sa chemise. Au bout de quelques minutes, Darcy prit son visage entre ses mains, l'air concerné. 'Tu me sembles si pâle...'
-'Je sais. Je suis affreuse à regarder.'
Il l'étreignit à nouveau, plus doucement cette fois. 'Non, tu es toujours magnifique. Tu dois te reposer. Je t'excuserai auprès de Kitty et Georgiana pour la matinée. Ciel, quand je pense que tu as dû faire tout le voyage dans ton état! As-tu froid? Faim? Soif? Viens, ne reste pas debout comme cela, il faut te ménager.'
-'Will, je ne suis pas mourante!' Pouffa-t-elle alors qu'il se dirigeait vers le lit pour replacer ses oreillers et ses couvertures. 'Cependant, je dois avouer que de faire la grasse matinée est un prospect alléchant, je pourrais dormir toute la journée.'
Il revint auprès d'elle. 'Tu es sûre que c'est normal? Ne devrais-je pas appeler le Dr Baker? Peut-être devrait-il t'examiner.'
Elizabeth fronça les sourcils, soudainement alerte face au regard qui se trouvait au fond de ses yeux. 'Will, il n'y a rien d'atypique dans mon état. Je ne me sens pas au meilleur de ma forme, mais bientôt je retrouverai mon appétit et tout ira mieux.'
Darcy expira bruyamment en se passant une main dans les cheveux. 'Impossible de ne pas m'inquiéter, Lizzie. Il m'est difficile de te voir ainsi, plus difficile que tu peux l'imaginer. Cela fait plusieurs semaines que je te vois perdre tes couleurs et ton appétit et j'étais déterminé à quérir le médecin dans les jours à venir si ton état ne s'améliorait pas, peu importe tes objections.'
Elle s'avança vers lui et caressa doucement la joue. 'Nul besoin du Dr Baker; je fais confiance à Abigaëlle. Elle prend soin de moi depuis avant même que j'apprenne mon état. Je ne serais pas surprise qu'elle l'ait su avant moi d'ailleurs. Quoi qu'il en soit, si tout ceci est pour le bien de notre enfant, je suis prête à subir les inconforts que cela m'apporte. C'est une situation pénible, mais gérable et je me réconforte en me disant que d'ici peu tout rentrera dans l'ordre.'
Il posa une main sur la sienne et l'attira à sa bouche pour l'embrasser. 'Je suis désolé. Je devrais être celui qui te rassure et non le contraire.'
Elizabeth ne pouvait déchiffrer les pensées de son mari. Il y avait quelque chose d'anormal, quelque chose de sombre, d'intense, qu'il essayait tant bien que mal de cacher. Il lui sourit, un sourire qui ne rejoignit pas ses yeux, puis l'aida à se remettre au chaud sous les couvertures. Il alimenta le feu lui-même pour chasser la fraîcheur de la pièce puis vint déposer un baiser sur son front, où il s'attarda quelques secondes avant de sortir de la pièce en silence.
Lizzie n'eut pas le temps de réfléchir à cet étrange comportement. Son instinct lui disait que quelque chose n'allait pas, mais son corps fatigué ne lui donna pas l'occasion d'y voir plus clair, le sommeil la gagnant presqu'aussitôt que Darcy eut refermé la porte derrière lui.
(Darcy)
Darcy referma la porte derrière lui. Le souffle court, il fit les cents pas dans la petite pièce adjacente à la chambre, la tête entre les mains. Jamais il n'aurait cru que cela le bouleverserait autant. Il avait regardé Elizabeth changer sous ses yeux depuis quelques semaines, impuissant, inquiet, effrayé que la maladie qui la lui avait presque enlevé l'hiver passé soit de retour. Il avait été soulagé de savoir que la cause de son état n'était dû à cela, mais ce soulagement avait été de très courte durée car aussitôt la bonne nouvelle annoncée les souvenirs qu'il avait longtemps cru enfoui au plus profond de lui-même avaient fait surface.
Si Dieu le veut, il naîtra au printemps.
Darcy prit place sur la chaise, sentant ses jambes fléchir sous lui. Son cœur lui faisait mal tant il battait fort et ses pensées étaient brumeuses par le manque d'air. Au printemps! Cela lui semblait si proche et si loin à la fois. Comment arriverait-il à dormir, manger, vivre quand il savait ce qui allait se passer pour elle dans quelques mois?
Darcy cacha son visage dans ses mains. Lizzie n'avait pas vu la panique dans ses yeux, elle n'avait pas compris que son étreinte avait aussi été un moyen de dissimuler cette peur grandissante qui lui empoisonnait la tête. Un flot d'émotions contradictoires l'envahissait présentement; d'un côté la joie de savoir sa lignée assurée, de prendre conscience que la femme qu'il aime le plus au monde porte en elle son enfant. De l'autre la crainte, celle de perdre Elizabeth, de la voir souffrir. Et il y avait aussi quelque chose de beaucoup plus sombre, un sentiment de terreur démesurée qui empêchait son bonheur d'être dominant. Quand il fermait les yeux, il ne voyait que du sang, il n'entendait que des cris. Plus de dix-sept ans s'était écoulé depuis cette nuit-là, dix-sept années où il avait réussi à oublier, à enterrer les images. Aujourd'hui son passé le rattrapait, sournois, et détruisait la joie qu'il aurait dû ressentir.
Darcy prit une grande inspiration. Il ne pouvait pas fléchir, pas maintenant, pas quand Elizabeth avait besoin de lui. Il ne pouvait pas laisser sa peur le transformer en lâche. Il devait trouver la force de combattre ces idées sombres, cette peur déraisonnable, ces souvenirs sanglants. Il obligea ses pensées à s'éclaircir. Il se redressa et leva la tête comme en signe de défi. Il était Fitzwilliam Darcy, fils de Gérard Darcy, et Maitre de Pemberley. Il saurait conquérir ses propres démons. Il saurait vaincre sa faiblesse. Il saurait être digne de sa femme, de sa famille et, surtout, de cet enfant.
Darcy s'habilla seul et descendit déjeuner avec Kitty et Georgiana. Elles ne posèrent pas de questions concernant l'absence d'Elizabeth, mais sa sœur s'inquiéta de son air si stoïque. Il la rassura avec un sourire, prétextant qu'il avait mal dormi et que c'était seulement la fatigue. Il se demanda si elle pouvait lire en lui, si elle devinait l'inquiétude qui le rongeait derrière son masque impassible. Lorsqu'il songeait à Lizzie, allongée là-haut, son cœur s'emballait quelques secondes avant de se calmer à nouveau. Quelques semaines encore, avait-elle dit. Quel ingrat mandat était-ce pour les femmes d'avoir à subir les inconforts de la maternité! À ce moment, il était bien heureux d'être un homme.
Dès qu'il le put, Darcy s'enferma dans son bureau. Il se plongea aussitôt dans la montagne de correspondance qui l'attendait, légèrement déconcerté par la charge de travail à rattraper. À vue d'œil, il savait qu'il en aurait pour des semaines. Son voyage en Irlande, où il n'avait fait que le strict minimum, avait été un luxe; jamais il n'avait été si peu attentif à la gérance de son domaine depuis qu'il en était le maître. Malgré les nombreux préparatifs, les maintes réunions avec ses sous-gérants et les précautions prises pour assurer un bon fonctionnement lors de son absence, il savait que de reprendre les rênes ne serait pas de tout repos. Les requêtes des habitants de ses terres s'étaient accumulées et attendaient son approbation; l'hiver approchait et des mesures devaient être prises pour assurer que tout était prêt pour les rigueurs de la saison froide; bientôt les visites se succéderaient pour que les problèmes soient réglés, les conflits jugés et la justice restaurée.
Darcy ne fut pas rebuté par tout ceci, au contraire. Il avait toujours apprécié son rôle de maitre et se faisait un devoir d'être méticuleux, perfectionniste et juste dans tous les domaines concernant la gérance de Pemberley. De plus, la concentration et discipline requises pour accomplir ses tâches l'empêchait de penser à autre chose. Il se perdit donc dans son travail pour échapper au reste et c'est l'esprit occupé qu'il passa sa matinée, ne songeant pas une seule fois à cet épisode embarrassant, déterminé à ne plus jamais laisser cette faiblesse avoir raison de lui.
(-*-)
Je dois avouer que j'ai dû réécrire certaines parties de ce chapitre une dizaine de fois, sans blagues. Il y avait tellement d'options sur comment Lizzie apprenait la nouvelle, comment elle l'annonçait à Darcy, comment Darcy allait réagir… Peut-être que certaines seront déçues de ne pas voir Darcy complètement fou de joie, comblé et plein d'amour envers Lizzie, mais j'espère avoir conservé une note d'eau de rose tout de même, sans tomber dans le trop cliché!
J'aurais tant à dire sur leurs réactions, mais je vais m'abstenir d'écrire un roman ici sur mes raisons de ne pas dégouliner de romantisme dans ce chapitre. Sur ce, à bientôt (j'espère!) !
