Bonjour à toutes! Voici mon cadeau de Noel un peu en retard...

Bonne lecture!

Chapitre 31

Paix, prison et asperges

Heureusement pour elle, Elizabeth n'eut pas à revivre la même humiliation les matins suivants. Le calme de Pemberley l'aida à mieux vivre les inconforts de sa grossesse et elle n'eut pas de mal à s'excuser fréquemment afin d'aller s'étendre un peu, Kitty et Georgiana ayant plusieurs tâches à accomplir de leur côté. Cependant, elles s'enquirent fréquemment de son état, remarquant le manque d'appétit et de couleurs sur son visage et s'inquiétant plus d'une fois de la voir si effacée. Lizzie décida qu'elle n'était pas tout à fait prête encore à partager ce secret avec ses sœurs et elle les rassura donc en expliquant qu'elle avait attrapé quelque chose en Irlande et que la fatigue du voyage l'empêchait de guérir rapidement. Elle ignorait si vraiment elles la croyaient, mais elle savait que la nouvelle ne pourrait bientôt plus être cachée et que ce petit mensonge blanc ne tiendrait pas la route bien longtemps.

La seule sœur à qui elle avoua tout fut Jane. Non seulement elle se sentait coupable de l'épisode de leur séparation au début de l'été, mais aussi, et surtout, il lui semblait inconcevable de ne pas lui en faire part alors qu'elles s'étaient toujours tout dit. Elle n'eut pas l'occasion de le faire de vive voix et le fit donc au moyen d'une longue lettre. C'est une réponse empreinte d'émotions et de joie qu'elle reçut le surlendemain et aussitôt elle se sentit le coeur plus léger. Elizabeth ne se pardonnait pas aussi facilement son comportement envers Jane, mais ce premier pas était suffisant pour qu'elle puisse en retirer une sorte de paix intérieure.

La distance entre Pemberley et Carlton était d'environ trente miles. Cela était un voyage plutôt court à parcourir, mais Darcy refusa catégoriquement de plier à sa volonté de visiter sa soeur dans les plus brefs délais sous prétexte qu'elle devait d'abord voir le médecin. Elizabeth ne résista pas trop, consciente de l'inquiétude qui habitait son mari et, tout comme elle, il était certainement avide d'avoir la confirmation qu'elle était bel et bien enceinte. Darcy avait l'intention de quérir le Dr Baker dès que possible, ce qu'il fit la deuxième semaine suivant leur arrivé. C'est donc avec une certaine fébrilité que Lizzie l'attendit le vendredi matin.

Malgré la discrétion exemplaire du médecin, il était inutile d'espérer que sa présence n'éveille pas quelques soupçons. C'est avec étonnement que les domestiques observèrent le Dr Baker descendre de la voiture des Darcys et disparaître à l'étage dans la chambre de la maitresse des lieux. S'il avait été seul peut-être que les rumeurs n'auraient pas parcourues les couloirs de Pemberley à la vitesse d'un feu de praire. Cependant, le fait était qu'il ne l'était pas et les voix excitées des domestiques affirmèrent bientôt que Mrs Reynolds avait reconnu la sage-femme, Mrs Jolly, et qu'Elizabeth Darcy était donc assurément en famille.

Lizzie vécut ce moment avec un mélange de crainte et de déconfiture. Tout d'abord elle fut terrifiée à l'idée de se faire dire qu'elle n'était pas enceinte. Puis, lorsque le médecin confirma sa grossesse, son soulagement fut assez bref. Une longue liste de restrictions s'imposa à elle et bientôt ses pensées furent si confuses qu'elle ne put dire un mot. Elle devait éviter la surcharge de travail et suivre une diète spéciale. Les promenades étaient restreintes à quelques tours de jardins et ce jusqu'à ce que les froids s'installent. Elle aurait alors à rester au chaud et ne plus sortir. Le calme était primordial et elle devait donc éviter les soirées trop bruyantes. La danse était fortement déconseillée. Les voyages, prohibés. Aucune équitation.

Heureusement, la seule concession à laquelle elle eut droit fut d'aller à Carlton pour Noël où elle pourrait rester jusqu'à la naissance du bébé de Jane. On lui conseilla même d'y rester jusqu'à après son propre accouchement, mais Lizzie refusa catégoriquement, ne pouvant se résoudre à donner naissance à son premier né ailleurs qu'à Pemberley. Elle débuterait son confinement en avril et Mrs Jolly resterait de manière permanente à partir de ce moment. Elle prendrait alors en charge tout ce qu'il y avait à faire pour préparer la venue du bébé, y compris le choix des femmes l'accompagnant dans le processus ainsi que la nourrice.

Lizzie, restée muette de stupéfaction, sentait peu à peu son bonheur se voiler. Comment pourrait-elle supporter un hiver enfermée à l'intérieur avec l'impossibilité de se divertir autre que la lecture, passe-temps platoniques et la compagnie restreinte de son cercle familial? Comment les femmes supportaient-elles d'ainsi s'isoler et d'attendre, des mois durant, que l'enfant naisse enfin? Déjà ses jambes la démangeait, suppliantes d'aller se défouler dans les grands boisés de Pemberley.

Lorsque la question de la nourrice s'imposa, elle se retrouva impuissante face à cette décision. Il lui semblait que tout se décidait sans son accord et qu'elle n'était qu'une spectatrice à ce que sa vie serait pour la prochaine année. Ne pouvait-elle pas nourrir son enfant elle-même? Elle savait que les opinions étaient mitigées sur le sujet; elle-même avait été allaité par une autre femme que sa mère. Cela ne l'empêcha pas de ressentir une grande jalousie envers cette femme qu'elle ne connaissait pas encore et qui aurait le privilège de s'occuper de son enfant. Darcy, qui était à ses côtés, posa doucement une main sur la sienne, sentant son inconfort.

-'C'est une coutume ici, Lizzie. Nous pouvons nous permettre une nourrice et cela te permettra de te reposer après la naissance.'

Elle ne dit rien pour ne pas démontrer l'ampleur de sa déception. La seule idée de ne pas être celle qui prenait exclusivement soin de son bébé lui transperçait le coeur.

-'C'est une tâche prenante et ingrate, Mrs Darcy.' renchérit Mrs Jolly. 'Vous serez beaucoup plus libre ainsi.'

-'Il serait également préférable de vous abstenir de tout rapport conjugal.' ajouta le Dr Baker, ce à quoi Lizzie rosit légèrement. 'Il est souvent plus facile de résister à la tentation en ne partageant pas la même chambre.'

Elizabeth voulut protester, redoutant d'avoir à passer ses nuits seules, mais ce fut Darcy qui parla le premier.

-'Je vous remercie de ce conseil, mais ce ne sera pas nécessaire. Le bien-être de ma femme est primordial et je préfère être à ses côtés si elle a besoin de moi. Je n'ai aucune crainte sur ma capacité à garder le contrôle de tout ce qui pourrait être nuisible à son état.'

Le Dr Baker, toujours professionnel, ne fit pas de commentaires. Mrs Jolly pinça les lèvres, mais n'ajouta rien. Qui oserait défier le maitre de Pemberley? Darcy avait cette manière de parler qui imposait le respect et qui, malgré son ton respectueux, était autoritaire et sans réplique.

-'S'il y a quoi que ce soit, n'hésitez pas à me quérir, moi ou Mrs Jolly, qui a maintes fois fait ses preuves à mes côtés.' dit finalement le médecin en se levant. 'Ne vous inquiétez pas Mrs Darcy, nous saurons prendre soin de vous adéquatement.'

Lorsque le Dr Baker et la sage-femme quittèrent la résidence, Elizabeth était démoralisée. Son bonheur d'attendre cet enfant était assombri par l'immense solitude qui lui pesait à ce moment. Elle ne connaissait rien à la grossesse et aux bébés, ils devaient donc savoir mieux qu'elle ce qu'elle devait faire. Pourquoi alors sentait-elle que cela était contre ses plus profonds instincts?

Darcy ne remarqua pas à quel point sa femme avait le moral bas. Il quitta la pièce avec ses invités afin de les raccompagner jusqu'à la voiture et ne revint pas. Lizzie, seule avec ses pensées, savait qu'elle aurait bientôt à descendre, mais l'envie n'y était pas.

-'C'est la folie furieuse en bas. Je ne peux plus compter combien de gens m'ont demandé si je savais quelque chose.'

Elizabeth sursauta, n'ayant pas remarqué la présence d'Abby qui arrivait avec sa robe d'après-midi. Elle se leva sans un mot et attendit que la jeune femme l'aide à s'habiller. Remarquant l'air inhabituellement sombre de sa maitresse, Abigaëlle lui demanda si tout allait bien.

-'Je ne savais pas qu'avoir un enfant était comme être en prison...J'ai tant de limitations que je me demande ce que je ferai de moi-même dans les prochains mois. Même Will ne veut plus que je l'aide et il a été formel: mon seul travail est de prendre soin de moi. Comment les femmes peuvent-elles endurer une telle séquestration?'

Une peu prise de court, sa suivante eut besoin de quelques secondes pour répondre. 'Ce n'est pas ainsi pour tout le monde. La majorité des femmes ne peuvent pas se permettre de rester allongée pendant neuf mois. Elles ont du travail à faire, des tâches, des enfants à s'occuper. De s'isoler ainsi est tout simplement impossible. Enfin, vu comme cela, peut-être est-ce une autre sorte de prison.'

Lizzie approuva lentement de la tête. 'Tu as raison. De quoi je me plains? Cela parait insignifiant d'être désappointée de ne plus pouvoir profiter de longues promenades alors que tant d'autres ont beaucoup moins de chance.'

-'Je ne voulais pas vous faire culpabiliser, Mrs Darcy.' dit aussitôt Abby, mal à l'aise. 'Vous êtes tout à fait en droit d'être triste de perdre votre liberté.'

Elizabeth soupira. 'Ma liberté...sommes-nous réellement libres? Je me sens emprisonnée dans cette cage où je dois agir comme ceci ou comme cela, où je suis prise à la gorge comme si l'on me tirait comme un chien en laisse. Ces privations ne sont que la continuité de ce que je ressentais déjà. J'aurais dû me douter que je ne pourrais pas vivre cette expérience autrement que dicté par le strict protocole de la société. J'ai dû oublier ce détail en Irlande, où j'étais réellement libre. Je suis de retour à la réalité, autant bien m'y faire.'

Abigaëlle fronça les sourcils. 'Ceci me semble plus sérieux que seulement le regret de ne pouvoir se promener à sa guise.'

Lizzie sentit les larmes lui monter aux yeux et elle eut du mal à les cacher. Elle les chassa brusquement, détournant la tête pour que sa suivante ne les voit pas. 'À quoi bon mettre un enfant au monde si une autre femme sera sa mère? Je ne suis que la jument qui met bas et qui doit offrir à la famille l'étalon prisé que tous attendent. Qui suis-je pour vouloir faire les choses à ma manière? Qui suis-je pour supposer que j'en sais plus que les médecins?'

Abby ne répondit pas, mais Elizabeth devina ses pensées. 'Je ne peux pas faire à ma tête. Si je ne suis pas à la lettre les recommandations et qu'il arrive quoi que ce soit à cet enfant, ce sera ma faute et on me blâmera d'avoir pensé être au-dessus de tout ceci. Je ne suis pas prête à prendre le risque, le fardeau serait trop lourd à porter.' Elle fit une pause, puis repris, exaspérée: 'Et maintenant que la nouvelle est officielle, je vais devoir faire comme si je suis la femme la plus heureuse du monde. Je vais devoir jouer la comédie pendant ces longs mois, à rester calme alors que je veux courir et à rire alors que je veux crier.'

Elle rencontra son regard dans le miroir, dur, sombre. Ce n'était pas celui d'une future mère sur le point d'annoncer une bonne nouvelle; il y avait une résignation, une amertume qui ne devrait pas être là. Résolue à ne pas perdre la face, elle prit une grande inspiration et souleva les coins de sa bouche, espérant que son sourire n'aurait pas l'air d'une grimace. Son reflet lui renvoya une image tout juste assez convaincante.

Lorsqu'elle descendit, Darcy n'était toujours pas de retour et Kitty et Georgiana faisaient les cent pas dans la salle de musique. Lorsque Lizzie pénétra dans la pièce, elles se jetèrent sur elle.

-'Lizzie!' s'exclama Kitty. 'Enfin!'

-'Nous venons de voir le Dr Baker par la fenêtre.' ajouta Georgiana, pâle d'inquiétude. 'Rien de grave n'est arrivé, j'espère?'

Elizabeth leva les mains pour les calmer. 'Tout va bien, ne vous en faites pas.'

Les deux jeunes filles poussèrent un soupir de soulagement.

-'Oh, quelle bonne nouvelle.'

-'La meilleure!'

-'Nous avions si peur qu'il soit arrivé quoi que ce soit au bébé!'

-'Et nous étions convaincues que c'était pour cette raison que le Dr Baker et Mrs Jolly venaient ici, parce qu'il s'était passé quelque chose.'

-'Si tu n'étais pas arrivée à l'instant, nous étions décidées à rejoindre mon frère pour lui demander ce qui se passait.'

Lizzie fut stupéfaite. 'Vous saviez?'

Kitty pouffa. 'Pour le bébé? Bien sûr que nous savions.'

-'En fait, nous ne savions pas pour sûr,' corrigea Georgiana. 'Mais nous nous en doutions fortement.'

-'J'ai tout de suite vu que quelque chose clochait, dès ton retour. Et cela nous semblait l'explication la plus logique.'

Lizzie se mordit la lèvre, un peu penaude. 'Vous ne m'en voulez pas trop de ne rien avoir dit?'

Georgiana, fébrile, avait les yeux brillants d'émotions. 'Bien sûr que non. J'étais si excitée à l'idée d'être tante que je ne pouvais ressentir rien d'autre que de la hâte! Alors c'est bien vrai?'

Elizabeth sourit. 'C'est bien vrai, le Dr Baker vient tout juste de me le confirmer.'

S'en suivit une longue période d'exclamations, de compliments, de futurs plans avec l'enfant à venir et, surtout, de nombreuses demandes de comment elles pouvaient être utile à son confort et son bien-être. Tant d'attentions l'étourdit un peu, mais l'attitude de ses soeurs était si comiques que Lizzie ne pouvait s'empêcher d'en rire. Après leur avoir assuré que tout allait très bien et qu'elle était parfaitement capable de fonctionner par elle-même, les jeunes filles s'apaisèrent, mais ne démordirent pas de leur joie, qui était contagieuse.

-'Nous devons absolument aller à Londres.' s'exclama soudainement Georgiana. 'Nous y trouverons les meilleurs marchands de tissus et dentelles. Cet enfant aura les plus beaux vêtements d'Angleterre!'

-'Quelle merveilleuse idée!' répondit Kitty d'une voix excitée, puis son visage s'assombrit brusquement. 'Lizzie, si ton enfant naitra au printemps, cela veut donc dire que tu ne viendras pas à la Saison.'

-'En effet, je devrai rester à Pemberley. Ne vous inquiétez pas, vous vous amuserez malgré mon absence.' les assura Lizzie devant leur déception, n'osant pas avouer à quel point elle était soulagée de pouvoir y échapper. 'Les jours passeront si vite que vous n'aurez même pas le temps de penser à moi.'

-'Impossible, pas quand mon neveu ou ma nièce sera tout près de naître. Oh! mais cela signifie que nous ne serons pas là pour la naissance!' se plaignit Georgiana. 'Cela met un tel voile sur ma joie d'assister à la Saison.'

-'Je crains que sans accompagnateur il sera impossible pour vous d'y assister.' dit alors Darcy, qui venait d'entrer dans la pièce. 'Cela dépendra donc de Richard. Lui seul a ma confiance absolue et il est hors de question que vous y alliez sans l'un de nous deux.'

Elizabeth ne commenta pas. Elle savait son mari doublement plus prudent depuis l'épisode où Georgiana avait failli s'enfuir avec George Wickham.

-'Nul besoin de s'inquiéter de cela maintenant.' ajouta son époux en prenant place sur la chaise près de sa femme. 'Que diriez-vous de nous offrir une prestation en l'honneur de cette bonne nouvelle?'

Les deux jeunes filles s'exécutèrent sans rouspéter et bientôt les sons mélodieux du pianoforte se joignirent à la voix juste et agréable de Kitty. Lizzie sentit la main de Darcy se poser sur la sienne et ils s'échangèrent un regard, puis un sourire. Elle se sentait entouré de tant d'amour qu'elle avait honte de ne pas être totalement heureuse. Peut-être que la grossesse jouait sur ses humeurs. Peut-être qu'elle se faisait des peurs irrationnelles. Peut-être que l'affection qu'elle ressentait de la part de ses proches serait suffisante pour lui faire endurer les moments difficiles qui se présenteraient à elle dans un futur très proche. Un mince espoir réchauffa son coeur. Bercée par la musique, Elizabeth posa discrètement une main sur son ventre, là où elle savait maintenant pour sûr que son enfant grandissait. Elle s'obligea à ne pas songer à la nourrice qui prendrait soin de son bébé et se concentra sur le fait que ce dernier donnerait bientôt des coups contre son abdomen. Elle chassa de ses pensées le prospect des longs mois d'hiver et de solitude et se réjouit du voyage qu'ils feraient tous à Carlton pour Noël. Ainsi, après un certain temps à réfléchir aux belles choses qui l'attendait, le voile qui assombrissait son bonheur se souleva un peu et son sourire devint sincère, au moins pour cette journée-là.

(-*-)

Les semaines se succédèrent et ses peurs, peu à peu, se confirmèrent. Bientôt elle se sentit nettement mieux et la fatigue ainsi que les nausées la quittèrent. Avec le soulagement de ses inconforts revint sa fougue et son énergie habituelles et c'est difficilement qu'elle endura les restrictions qui lui était imposées. Tout Pemberley semblait s'être donné le mot et se démenait pour se rendre utile, ne lui laissant que du temps libre pour occuper ses journées déjà trop longues. Darcy était le pire; chaque jour il lui rappelait qu'elle devait se reposer, posait un châle sur ses épaules même si elle n'avait pas froid, l'accompagnait dans toutes ses promenades dans les jardins et décidait de la vitesse de la cadence, qui était souvent très lente. Il ne cessait de lui répéter ce que le médecin avait conseillé comme si chaque détail s'était gravé automatiquement dans sa mémoire. Soudainement elle était cette fleur fragile qui demandait un maximum de soin et d'attentions et cela la rendait folle. Intérieurement Elizabeth bouillonnait d'énergie et de vigueur. Parfois elle aurait même hurlé d'exaspération tellement ce mode de vie était oppressant, mais chaque fois elle s'obligeait à sourire et s'isolait dès qu'elle le pouvait pour échapper aux regards indiscrets qui auraient pu deviner que derrière ses politesses se cachait une rage menaçant d'exploser tel un volcan en éruption.

La nouvelle de sa grossesse se répandit rapidement. Lizzie se doutait que Darcy avait fait ses devoirs en écrivant à la famille proche et elle avait fait de même avec son propre cercle intime. C'est donc sans surprise qu'elle reçu des lettres d'Anne, de Charlotte, de ses parents, de Mrs Gardiner et même de Lydia. Cependant, beaucoup d'autres se joignirent aux félicitations sans avoir été sollicitées et la plupart ne se gênèrent pas pour ajouter à leur correspondance leur propre recommandations.

Elizabeth lisait justement une lettre d'une connaissance à Londres lorsque Darcy fit irruption dans la pièce, couvert de boue. Il revenait tout juste d'une longue promenade dans les champs où il avait supervisé les dernières récoltes de pommes de terre. Le sol allait bientôt geler et les fermiers avaient eu du mal à tout récolter à temps avec la pluie qui ne cessait de tomber.

-'Encore une.' dit-elle en brandissant la lettre.

-'Encore une quoi?' demanda Darcy, curieux, s'assoyant sur une chaise près du feu pour enlever ses bottes.

-'Encore une qui me conseille les asperges. Pour avoir un garçon en santé, il faut que je mange des asperges. Je ne peux pas ouvrir une seule lettre sans avoir quelconques conseils sur comment produire un héritier. Tout le monde s'acharne à me faire manger des choses étranges ou à me conseiller de m'assoir comme ceci ou de dormir comme cela, sous prétexte que tous ces trucs me donnera assurément un garçon. C'est tout simplement ridicule. Si l'on pouvait réellement déterminer le sexe d'un bébé par ce que l'on mange, toutes les femmes d'Angleterre auraient un garçon comme premier-né.'

Darcy fronça les sourcils. 'Pourquoi cela t'agace-t-il autant? Tu n'as qu'à les ignorer, nul besoin de te gaver de quoi que ce soit.'

Elizabeth poussa un soupir. 'Tu ne comprends pas. Je n'aime pas me faire répéter sans cesse que je dois donner un héritier à Pemberley. J'ai l'impression que tous s'attendent tellement à ce que je mette au monde un garçon que si jamais c'est une fille, personne ne l'aimera. Ils diront: Oh! c'est seulement une fille. Attendons le prochain pour se réjouir.'

-'Tu exagères, Lizzie. Tu sais très bien pourquoi les gens sont ainsi, un garçon est nécessaire pour assurer la lignée et l'héritage, voilà tout.'

-'Et c'est ce que tu souhaites toi, un garçon?'

Darcy se déplaça jusqu'à elle pour lui embrasser le front. 'Je ne t'obligerai jamais à manger des asperges.'

-'Tu ne réponds pas à ma question.'

Il la regarda droit dans les yeux. 'Ce qui est important est ta santé, voilà ma réponse à ta question.'

-'Tu ne seras donc pas déçu si c'est une fille?' insista Elizabeth.

-'Ce qui m'importe est ton bien-être.' répéta Darcy en disparaissant derrière la porte de son dressing. 'Je ne pense pas à autre chose que cela.'

Elizabeth ne sut pas si cette réponse lui faisait plaisir ou non. Il était vrai que Darcy était particulièrement assidu dans son rôle de protecteur et était si attentif à ses besoins que parfois cela lui donnait l'impression d'être grièvement malade plutôt qu'enceinte. Elle le savait inquiet pour sa santé; après tout, l'enfantement n'était pas sans risques. Cependant, il était si absorbé par son besoin de prendre soin d'elle qu'il ne semblait pas du tout se préoccuper du bébé. Jamais il ne parlait de cet enfant ni de l'avenir qu'il voyait pour lui. Jamais il ne posait ses mains sur le petit renflement bien évident qui pointait maintenant. C'était comme si ignorer sa présence était plus rassurant que de la reconnaître. Lorsqu'elle abordait le sujet, elle était souvent la seule à faire la conversation, comme s'il ne l'écoutait pas vraiment. Si elle posait une question, il répondait abstraitement et changeait de sujet ou disait qu'ils avaient encore le temps d'y réfléchir.

Lizzie resta perplexe un moment, mais ne s'attarda pas sur ses pensées. Comme à chaque fois qu'elle n'avait pas satisfaction dans les réponses de son mari, elle se résolut à hausser les épaules et ignorer le pincement au coeur que cela lui faisait. Elle avait appris au fil des années qu'il était préférable de ne pas lui imposer des discussions auxquelles il n'était pas prêt à faire face. Elle prit donc son mal en patience.

Alors qu'elle ouvrait la dernière lettre sur son bureau, Lizzie échappa presque le papier de ses mains tant elle fut surprise de son destinateur.

-'Will?' s'exclama-t-elle vivement en se levant, les yeux rivés sur l'écriture parfaite. 'Will!'

Darcy entra en trombe dans la pièce, à moitié vêtu, et tomba presque à ses pieds dans sa hâte. 'Que se passe-t-il? Tu as mal?'

Elle le regarda sans comprendre pendant un moment et ne put s'empêcher de pouffer de rire devant son air inquiet, sa chemise ouverte et son pantalon à moitié enlevé.

-'Si j'avais su qu'un seul appel de ma part te ferait déambuler de la sorte dans la chambre, j'aurais usé de cette tactique bien avant.' plaisanta-t-elle avec un brin de malice.

-'Et ainsi me faire mourir d'une crise cardiaque avant l'âge de trente-deux ans?' répondit-il d'un ton bourru. 'Qu'y a-t-il?'

Elizabeth lui montra la lettre. 'Je viens de recevoir ceci. De Lady Catherine.'

Darcy resta impassible pendant un moment. 'Si elle a une fois de plus osé t'insulter je-'

-'Il n'y a rien d'inapproprié dans ce message.' l'interrompit Lizzie avant qu'il s'emballe. 'C'est plutôt...cordial.'

Son époux haussa les sourcils. 'Cordial? Cela ne lui ressemble pas.'

Elizabeth lut à voix haute: 'Mrs Darcy,

J'ai appris votre situation. J'ai été satisfaite de vous savoir en processus d'accomplir votre devoir. Je ne commenterai pas sur mes espoirs que votre comportement soit plus contenu, mais j'ose espérer que ce soit le cas. Pemberley compte sur vous et vous ne pouvez décevoir votre mari. Je vous ferai gré de ma présence lors du baptême de l'enfant bien que le chemin soit difficile pour une femme de mon âge. Je prendrai la grande chambre de l'aile ouest.

Cordialement,

Lady Catherine de Bourg.'

Darcy parut surpris. 'Cela aurait pu être pire. Qui a bien pu lui dire? Cela ne ressemble à Richard de colporter ainsi. Anne, peut-être?'

-'Probablement Charlotte.' Elle relut les quelques lignes. 'Tu crois que c'est sa manière de faire la paix? Après tout, maintenant qu'Anne est mieux mariée que moi, Lady Catherine peut me faire face sans ressentir de rancune. Je ne crois pas que ce soit le début d'une longue correspondance entre nous, mais peut-être pouvons-nous espérer une réconciliation, au moins publique.'

-'Je ne sais pas. Jamais je n'aurais cru qu'elle remettrait les pieds ici après avoir autant désapprouvé mon choix. Peut-être que la solitude a eu raison d'elle.'

-'Peut-être.' Elle hésita un moment, puis ajouta: 'Es-tu à l'aise de la recevoir ici?'

-'Je te renvoie la question.'

Lizzie haussa les épaules. 'Je ne porterai jamais Lady Catherine dans mon coeur, mais je préfère nettement la paix à la guerre. J'espère seulement qu'elle ne profitera pas de chaque occasion pour subtilement me narguer ou critiquer mon rôle de maîtresse de maison.'

Darcy la rassura. 'Je n'aurai aucun mal à lui rappeler l'endroit où elle se trouve si jamais elle ose prononcer un seul mot qui pourrait être une attaque à ta personne.'

Elizabeth sourit, satisfaite. 'Cela te paraîtra peut-être étrange, mais je suis plutôt heureuse de cette nouvelle, si elle signifie vraiment une trêve dans la querelle qui nous sépare. Je n'irai pas jusqu'à croire qu'elle m'appréciera à nouveau un jour, mais cela est un soulagement de savoir qu'elle sera de nouveau en bons termes avec toi.'

Darcy s'approcha de sa femme et la prit dans ses bras, un petit sourire aux lèvres. 'Merci de pardonner ma tante alors que tu as toutes les raison du monde de lui en vouloir. C'est un geste qui me rappelle une fois de plus que de t'épouser a été la meilleure décision de ma vie.'

Lizzie se laissa prendre, les joues roses de plaisir. 'Même si tu le nies, je sais que cela te pesait énormément. Il est temps d'enterrer la hache de guerre. Je vais lui répondre tout de suite, pour montrer ma bonne volonté. Et toi,' dit-elle en le repoussant. 'tu dois te changer. Tu mets de la boue partout.'

Darcy ne bougea pas, les yeux fixés sur l'endos de la lettre. 'Il y a un post-scriptum.'

Elizabeth tourna la feuille et y lut: 'P.s. Afin de favoriser la conception d'un garçon, il est recommandé d'ajouter un aliment particulier à sa diète et j'espère que vous prendrez mon conseil à la lettre. À partir de maintenant, si vous pouvez vous en procurer à ce temps ci de l'année, chacune de vos assiettes devront contenir la vertueuse et bénéfique asperge.'

(-*-)

Je profite de ces quelques lignes pour vous souhaiter à toutes une bonne année 2015 ! Parfois je n'arrive pas à croire que j'écris cette fanfiction depuis plusieurs années...Et même après tout ce temps, j'adore encore écrire pour Orgueil et Préjugés. Darcy et Lizzie sont vraiment un couple que j'aime travailler et explorer et j'espère le faire pour des années encore!

Une de mes résolutions cette année est d'écrire un chapitre par mois. Je ne donne pas de dates précises, mais j'espère sincèrement être capable de garder cet engagement.

Donc on se revoit en février!