Bonjour à toutes! Comme promis, voici le chapitre pour février : )

Chapitre 32

Carlton

Carlton. Bien que moins grande que Pemberley, la nouvelle demeure des Bingleys était spacieuse et magnifiquement décorée. Bâtie depuis seulement une dizaine d'année, le style était moderne et de bon goût et les petites additions de Jane n'en rendait l'endroit que plus charmant. Lizzie prit plaisir à visiter les nombreuses pièces de la maison, mais regretta amèrement de ne pouvoir parcourir les grands jardins. Décembre avait apporté avec lui une température exécrable et c'est sans surprise qu'elle dût rester à l'intérieur, trop étroitement surveillée pour même considérer déroger des règlements qui lui était imposés.

Heureusement, la présence de Jane améliorait son humeur. Cela faisait plusieurs mois qu'elle n'avait pas eu l'occasion de la voir et cela lui faisait un bien fou d'enfin pouvoir lui parler face à face. De plus, elle avait le sentiment d'être utile en lui tenant compagnie; pour la première fois depuis un moment elle était celle qui prenait soin de quelqu'un et non le contraire.

La grossesse n'enlevait rien à la beauté de Jane. Son ventre arrondit bien au chaud sous les couvertures, elle avait l'air si paisible et sereine qu'Elizabeth en était stupéfaite. Elle ne semblait pas importunée par les nombreuses restrictions et c'est toujours avec le sourire qu'elle passait ses longues journées de confinement, sans jamais une seule fois se plaindre. Lizzie ne savait pas comment elle faisait pour être si calme.

-'Ne trouves-tu pas cette situation tout à fait exaspérante?' lui demanda-t-elle après quelques jours à ses côtés. 'De ne pas pouvoir bouger à ta guise et de seulement voir ces quatre murs jour après jour?'

Jane haussa les épaules. 'Pas vraiment. Il est vrai que la solitude me pèse parfois, mais maintenant que tu es là, elle est beaucoup plus facile à supporter. Charles me rend visite et Charlie aussi, bien que je ne puisse pas les voir aussi souvent que je le souhaiterais. Je crois que c'est cela qui m'est le plus difficile.'

-'Tu es un ange, voilà ce que tu es réellement.'

Jane ne put s'empêcher de rire, mais elle grimaça bien vite, s'étirant vers l'arrière pour calmer son inconfort. 'Ses pieds sont toujours dans mes côtes, parfois cela m'empêche même de bien respirer. Au moins cela est bon signe, la sage-femme me dit que c'est une bonne chose qu'il ait la tête en bas. Je n'ai pas à m'inquiéter d'un accouchement en siège.'

-'As-tu peur de l'accouchement?' demanda Lizzie d'une voix hésitante, ne sachant pas si elle posait une question délicate.

Jane prit son temps avant de répondre. 'Ce n'est pas tout à fait pareil pour un deuxième, je sais ce que j'aurai à faire. Cela n'enlève pas vraiment le facteur de risque, mais je crois que j'y suis plus préparé mentalement que pour Charlie, où tout m'était inconnu.'

Lizzie hocha la tête, n'ajoutant rien. Elle songeait souvent à son accouchement et aux dangers que l'enfantement impliquaient, mais n'ayant jamais assisté à une naissance elle ne savait pas à quoi s'attendre. Malgré sa curiosité sur le sujet, Elizabeth jugea préférable de ne pas embêter sa soeur avec ses questions, de peur de lui causer quelconque détresse.

-'Charles est convaincu que ce sera une fille.' dit Jane, une main caressant tendrement son abdomen. 'Ce bébé est si calme, tout le contraire de son frère.'

Lizzie sourit à ce portrait. 'Une petite fille qui te ressemble, peut-être?'

-'Ou qui te ressemble. Cela me ferait très plaisir...et puis ce serait de mise puisque nous voulons l'appeler Elizabeth.'

-'Tant qu'elle n'a pas mon caractère, tu t'en sortiras très bien.' plaisanta-t-elle.

-'Ce sera une raison de plus pour moi de l'aimer, bien au contraire.'

Une des femmes entra à ce moment pour apporter le déjeuner. Les deux soeurs s'installèrent alors pour le repas et Elizabeth observa la scène un moment avant de dire: 'J'ai l'impression que nous sommes dans un autre monde ici. Je me sens si détachée des autres que j'arrive presque à oublier qu'en bas se passe tout un brouhaha.'

-'Préfèrerais-tu descendre pour te joindre à eux? Je ne veux surtout pas te retenir, Lizzie, il serait tout à fait normal que tu veuilles sortir un peu, je ne t'en voudrai pas.'

Elizabeth la rassura tout de suite. 'Je préfère nettement être ici, crois-moi. Un seul regard vers Caroline Bingley m'a convaincu que ta compagnie est beaucoup plus agréable. D'ailleurs, elle semble très heureuse de reprendre contrôle de la maison pendant ton confinement.'

Miss Bingley avait accueilli les Darcy à Carlton comme si elle en était elle-même maîtresse, prenant le rôle de Jane comme s'il lui avait toujours appartenu. Malgré le fait qu'Elizabeth était certaine que sa condition n'était pas encore assez apparente pour que sa robe révèle quoi que ce soit, Caroline avait jeté un regard subtil vers son ventre comme pour y trouver quelconque choquante apparence de son état. Elle lui avait alors fait un de ses sourires les plus faux en l'encourageant à monter se reposer avant le repas et même de garder le lit si elle était trop fatiguée, qu'elle se chargerait de faire monter tout ce qu'il faut pour manger. Son intention se voulait pleine de bonne volonté et d'attention aux yeux du public qui les écoutait, mais Lizzie n'était pas dupe. La jalousie dans son regard et ses manières ne la flouait pas et c'est avec une révérence presque effrontée qu'elle avait prit congé d'elle pour rejoindre Jane à l'étage, promettant d'être de retour pour le dîner afin de rattraper le temps perdu.

-'Elle m'a dit que les festivités seraient grandioses cette année et qu'elle était désolée que je ne puisse y participer.' ajouta Elizabeth d'un ton sarcastique. 'Cette vipère m'en veut encore de lui avoir voler William, je peux le voir dans chacun de ses gestes et ses regards. Elle est bien heureuse que je sois à l'écart.'

Jane lui jeta un regard désapprobateur. 'Lizzie, ne commence pas. Caroline n'est pas aussi méchante que tu puisses le croire. Elle a été très attentive envers moi ces derniers mois, elle a prit soin de tout.'

-'Elle a prit ta place, tu veux dire.'

-'Quoi qu'il en soit, je lui en suis reconnaissante d'organiser les fêtes de Noël.'

-'Auxquelles tu ne participeras pas et où se trouveront la plupart de ses amis et connaissances. Elle n'a même pas invité notre famille.'

Un léger silence. 'Enfin, il y a peu d'intérêt à ce qu'il y ait des miens puisque je ne pourrai pas y participer.'

-'Mais pourquoi organiser les fêtes de Noël ici? Pourquoi n'a-t-elle pas été ailleurs? Pourquoi pas chez Mrs Hurst?'

-'Charles ne voulait pas me quitter, il a insisté pour rester ici.'

-'Charles n'était pas obligé d'y assister, elle aurait très bien pu y aller seule.'

-'Il est normal qu'elle souhaite rester auprès de son frère. Et puis Charles adore les douze jours de Noël.'

-'Ou plutôt, il est normal qu'elle reste ici car ses extravagances sont ainsi déboursées par ton mari.'

Jane fronça les sourcils. 'Lizzie, ne dis pas une chose pareille. Je suis sûre que ce n'est pas le cas. Elle a seulement voulu être gentille, voilà tout. Elle a notre bonheur à coeur autant que le sien.'

Elizabeth soupira. 'Tu trouveras toujours de bonnes intentions même là où il n'y en a pas. Soit, je ne dirai rien contre Caroline Bingley si tu tiens tant à ce qu'elle reste dans tes bonnes grâces, mais je peux t'affirmer qu'elle prend un malin plaisir à jouer à la maitresse de maison en ton absence. Qu'elle ait apprécié ou non que tu lui prennes sa place en mariant Charles, elle semble tout à fait à l'aise de faire comme si tu n'existais pas. Elle n'est pas venue une seule fois te voir depuis mon arrivée.'

-'Elle est très occupée par les préparatifs.' la défendit Jane. Elle jeta un regard vers la fenêtre, là où le ciel gris ne démordait pas de sa mauvaise humeur. 'Je plains tous ces pauvres gens qui ont à travailler par ce temps. Charles m'a dit que les commandes ne cessent d'arriver depuis quelques jours et la maison en entier est sans dessus-dessous pour préparer tout à temps.'

Elizabeth se leva pour regarder elle aussi par la fenêtre, écartant légèrement le grand rideau pour voir à travers la pluie. 'Ce sera une grande célébration. Sais-tu quand les invités arriveront?'

Jane secoua la tête. 'D'ici quelques jours je suppose, je n'en suis pas certaine.'

-'Tes belles-soeurs pourraient au moins te tenir au courant de ce qui se passera dans ta maison. Même Mrs Hurst ne vient pas te tenir compagnie alors qu'elle sait très bien ce que c'est d'être seule pendant son confinement. Non pas que je souhaite la voir ici avec nous, mais il me semble qu'elles ne t'accordent pas beaucoup d'attentions.'

-'Lizzie.' lui dit doucement Jane d'un ton de reproche. 'Tu parles de ma famille, ne l'oublie pas.'

Elizabeth revint s'assoir, un peu piteuse. 'Je suis désolée. Je crois que c'est le manque d'air et d'exercices qui me fait être si amère. Je n'ai pas ta patience ni ta compassion, je suis aveuglée par une énergie débilitante.'

-'C'est si pénible?'

-'Oh, tu n'as pas idée à quel point il m'est difficile de respecter tout ce que l'on attend de moi. J'ai si souvent envie de m'écouter et d'aller à l'encontre de tous ces gens qui sont constamment là à me surveiller! Mais je sais que c'est impossible. Cet enfant est si précieux que même si je suis au bord de la folie je ne pourrai pas faire à ma tête, peu importe la force que mes instincts exercent sur moi. Sans parler de Will qui me surveille comme si j'étais prête à me briser à tout moment.'

-'Il est attentif à tes besoins, ce qui est plutôt normal.'

Elizabeth fit la grimace. 'Ce n'est pas cela, c'est seulement...il est étrange depuis que je lui ai annoncé la nouvelle. Il prend soin de moi de manière exemplaire, mais le problème réside là, il prend soin de moi. Pas de nous.'

-'Il ne parle pas du bébé?'

-'C'est tout comme s'il n'existait pas. Il ne le mentionne pas, n'en parle pas, n'y fait aucune référence.'

Sa soeur eut un petit sourire compatissant. 'Il est beaucoup plus difficile pour un homme d'y faire face, Lizzie. L'idée de la paternité est si peu concrète qu'il est difficile pour eux de s'y faire. Même Charles avait du mal, il trouvait l'intangibilité de la chose déroutante. Darcy s'y fera à la longue, pour l'instant tout ceci est trop abstrait.'

-'Tu as probablement raison...Il est vrai que c'est abstrait, même pour moi ce l'est. Cependant...j'aurais aimé qu'il soit fier comme Charles l'est. Même s'il ne savait pas à quoi s'attendre quand tu étais enceinte de Charlie, il avait les yeux brillants de fierté. Il était heureux. Will est...impassible.'

-'Il s'inquiète.' répondit Jane en posant une main sur la sienne. 'Cela changera à la naissance de votre enfant, quand tout danger sera écarté.'

-'J'espère...Enfin, quoi qu'il en soit, ce sera un répit pour moi d'être ici. Il sera engagé auprès des invités pendant que je te tiens compagnie et je n'aurai pas ses yeux perçants sur moi à chaque minute de chaque jour. Quoi que même lorsqu'il n'est pas là j'ai l'impression qu'il me surveille, que ses pensées sur toujours sur moi.'

Jane sourit. 'Fut un temps où tu aurais donné n'importe quoi pour que ce soit le cas, non? Préfèrerais-tu qu'il t'ignore? Qu'il ne se soucie en rien de ta santé?'

-'Je préfèrerais un juste milieu.'

-'Lizzie, ne t'en fais pas pour cela, dans ton état il est normal de t'emporter. Les sentiments sont à vifs et un rien nous fait réagir.'

Elizabeth fit la moue. 'Je ne t'ai jamais vu t'emporter, toi.'

-'Plus d'une fois Charles m'a retrouvé en larmes, pour aucune raison. Et peu importe ce qu'il me disait, que ce soit exactement ce que j'avais besoin d'entendre ou non, je pleurais de plus belle. Je crois que c'est un peu la même chose pour toi. Même si Darcy était exactement comme tu aurais besoin qu'il soit, tu ne serais pas plus satisfaite.'

Lizzie hocha la tête, mais n'ajouta rien. Même si les mots de Jane la rassurait, elle ne pouvait être convaincue qu'elle avait tout à fait raison. Au fond d'elle, elle savait que quelque chose clochait.

Ce fut un étrange Noël. Les festivités allaient bon train et parfois Lizzie pouvait entendre les rires et la musique de sa chambre ou celle de Jane. Les invités étaient nombreux; elle en connaissait quelques-uns de vue, d'autres par leur nom, mais elle ne descendit que très peu pour se mêler à la foule. Le renflement de son ventre se camouflait encore facilement, mais l'idée de laisser Jane seule avec elle-même ne l'enchantait pas. Darcy, toujours prêt à superviser ce qui était acceptable ou non pour son état, l'encourageait à rester loin des festivités vu la fréquente cacophonies qu'elles engendraient. De plus, Miss Bingley en ajoutait toujours afin de s'assurer qu'elle participe le moins possible à ce qui se tramait à Carlton. Elle s'était aussi assuré, avec une subtilité mesquine, que tous soit mis au courant de son état, ce qui rendait les choses plutôt inconfortables pour Elizabeth. Malgré le fait qu'il n'était pas encore inapproprié pour elle de se montrer en public, tous les yeux se tournaient toujours vers sa silhouette et la plongeait dans un embarras sans mot.

Le fait que Caroline Bingley puisse se débarrasser d'elle aussi facilement ne manquait pas d'agacer Lizzie. De la voir se pavaner dans des robes coûteuses et extravagantes, entourée de dizaines d'hommes prêts à lui payer des compliments, se réjouissant de l'attention dont elle faisait l'objet, était assez pour la faire grincer des dents. Cependant, tout ceci ne la surprenait pas vraiment. Miss Bingley était une candidate assez intéressante pour la plupart des célibataires présents; après tout, ses connections étaient plus que bonnes, sa fortune raisonnable. Elle n'était peut-être pas une beauté, mais elle avait fière allure dans ses accoutrements. De plus, en démontrant ses talents d'hôtesse et en se mettant de l'avant de la sorte elle s'assurait que tous la sache accomplie. Elle approchait dangereusement la trentaine et n'était toujours pas mariée; s'exposer ainsi lui permettrait certainement de se trouver un bon parti et lui éviterait le titre de vieille fille. Elizabeth ressentait une certaine pitié envers elle; Caroline Bingley avait probablement rejeté plusieurs propositions alléchantes dans l'espoir d'être la maîtresse de Pemberley. Maintenant que cette place était prise, elle devait tout recommencer et ce en voyant ses exigences à la baisse. Il n'était pas donc pas étonnant qu'aucune véritable affection existe entre elles.

Lizzie se sentit affreusement seule le soir du réveillon. Jane s'était endormie tôt, épuisée, ce qui l'avait obligé à regagner la solitude de sa chambre. Malgré le plateau remplis de mets alléchants qu'on lui apporta, elle n'avait pas d'appétit. Elle aurait donné n'importe quoi pour se vêtir de sa plus belle tenue et descendre danser avec son mari. En fermant les yeux elle pouvait voir les décorations de la salle de bal; les nombreuses guirlandes de verdures, les bouquets de houx, les nappes brodés de fils d'argent et d'or, l'argenterie scintillante, le vin chaud épicé servi près du large foyer où brûlait la bûche traditionnelle. Des centaines de chandelles éclairant les invités, leur lumière se reflétant sur les robes élégantes des dames et projetant leur éclat sur les murs comme des étoiles dans le ciel.

-'Tu ne manges pas?'

Elizabeth sursauta. Elle avait été si perdue dans ses pensées qu'elle n'avait pas remarqué que Darcy était entré dans la chambre et s'était assis devant elle.

-'Je n'ai pas faim.' répondit-elle en se redressant, observant l'impeccabilité de l'apparence de son époux. Il était si séduisant dans son nouveau costume, irrésistible même, qu'elle senti une vague de désir l'envahir avec une force presque incontrôlable. Cela était perdu d'avance pour elle, Darcy suivant les ordres du médecin à la lettre, et elle dût donc refouler ses sentiments, ce qui ne manqua pas d'ajouter une nouvelle frustration à sa liste.

Darcy remarqua son air sombre. 'Que se passe-t-il?'

-'Rien.'

-'Vraiment?'

Lizzie soupira. Pouvait-elle vraiment mettre des mots sur toutes les choses qui l'accablait à ce moment? Pourrait-il seulement comprendre? 'Je me sens seule, c'est tout.'

-'C'est ce que j'ai pensé. Je me suis dit que je resterais un moment avec toi.'

-'Peuvent-ils se permettre de se séparer de vous, Mr Darcy?'

Darcy fronça des sourcils, surpris de son ton sarcastique. 'Es-tu certaine que ce n'est que cela?'

Elizabeth prit une grande inspiration. 'Je n'aime pas l'idée que tu sois avec d'autres femmes. Elles ont le privilège d'être à tes côtés, de danser avec toi, de te parler et moi je suis ici à regarder les aiguilles de l'horloge avancer à une lenteur infinie.'

Darcy eut un petit rire. 'Vous êtes jalouse, Mrs Darcy?'

-'Ne te moque pas, Will.'

-'Jamais.' lui dit-il en lui embrassant l'envers de la main. 'Si cela peut te rassurer, je promets de ne danser avec personne ce soir.'

-'Je préfèrerais descendre et être ta partenaire.'

Il fut aussitôt sérieux. 'Lizzie, tu sais ce que le médecin a dit.'

-'Oui, oui, je sais.' répondit-elle, agacée, retirant sa main et croisant les bras sur la poitrine. 'Je sais très bien ce que l'on attend de moi. Cela ne m'empêche pas de souhaiter pouvoir être ailleurs que seule dans cette chambre sombre et froide.'

-'Tu veux que je sonne pour qu'on alimente le feu?'

-'Là n'est pas le point, Will.'

Il y eut un moment de silence, que Darcy brisa en changeant de sujet. 'Comment va Jane? Charles fait de son mieux pour être joyeux et festif ce soir, mais je sais que son esprit est ailleurs. Il aimerait être avec elle.'

-'Et manquer cette magnifique réception que sa très chère soeur a organisé pour lui? Je crois qu'elle l'attacherait à sa chaise plutôt que de le laisser partir.'

Le fait que Darcy ne réponde pas à son commentaire lui indiqua qu'elle n'avait pas tout à fait tord. 'J'espère que tu prends le temps de te reposer quand même. Tu me sembles pâle.'

Elle n'osa pas dire tout haut ce qu'elle pensait tout bas, soit que le manque de couleurs n'avait rien à voir avec la fatigue, mais avec l'impossibilité de bouger. 'Je vais bien. Je me sens utile au moins et ce n'est pas une tâche très difficile. Je n'ai que très peu de choses à faire excepté la conversation. Il y aura seulement l'accouchement où les choses seront un peu différentes, mais je ne crois pas que j'aurai un très grand rôle excepté celui de support moral.'

Darcy se redressa brusquement. 'Lizzie, tu ne penses quand même pas à assister à la naissance?'

Surprise, Elizabeth ne comprit pas ce qu'il voulait dire. 'Bien sûr. Jane a besoin de ma présence, de mon réconfort.'

-'Elle a des sages-femmes pour cela.'

-'Ce n'est pas pareil.'

Le ton de Darcy se fit plus autoritaire. 'Il est hors de question que tu t'éreintes au chevet de Jane.'

-'Je n'ai pas pu assister à la naissance de Charlie et je ne compte pas manquer celui-ci. Il n'y a rien d'inapproprié à ce que j'y assiste.'

-'Ce n'est pas une question de propriété, Lizzie, je ne permettrai pas cela.'

-'Je ne vois pas comment tu pourrais m'en empêcher. Will, j'ai besoin d'y être. Ce sera une occasion pour moi de me préparer à ce qui m'attend, cela me rassurerait de savoir comment les choses se passent, ce que je devrai faire. Ce sera plus facile si je suis témoin du processus plutôt que de m'y plonger à l'aveuglette, tu comprends?'

Darcy ouvrit la bouche, puis la referma. Son visage s'assombrit et il se leva, replaça sa veste, et répondit: 'Nous en reparlerons plus tard. Je dois descendre maintenant.'

-'Mais, Will-'

-'Lizzie.' la coupa-t-il en levant la main. 'C'est Noël. Ne nous querellons pas.'

Elizabeth abandonna. Il avait raison, ce n'était ni l'endroit ni le moment de se disputer. 'Bientôt alors. J'y tiens, Will.'

Darcy ne répondit pas. Il se contenta de déposer un baiser sur son front puis quitta la pièce. Lorsque la porte se referma derrière lui, Elizabeth expira longuement et murmura: 'Joyeux Noël à toi aussi.'

Lorsque, quelques jours après l'Épiphanie, les invités retournèrent chez eux, Elizabeth se réjouit du calme qui régna à Carlton. Charles fut à nouveau plus présent auprès de sa femme, n'ayant plus à divertir ses amis, et Lizzie les laissait souvent en tête à tête pour descendre rejoindre les autres. Miss Bingley ne démontra pas son mécontentement de la voir plus fréquemment; au contraire elle était plus qu'heureuse de pouvoir se vanter de ses maints succès des dernières semaines et de tous les hommes qui lui avait fait la court. Darcy, qui était encore plus silencieux depuis leur dispute, ne participait presque jamais aux conversations. Il y avait quelque chose dans ses yeux, quelque chose d'inquiétant, mais il réussissait toujours à le faire disparaitre dès qu'elle essayait de l'encourager à se confier. Il lui assurait que tout allait bien, que c'était seulement la fatigue et qu'il avait seulement hâte de retourner à Pemberley. Toujours aussi attentionné et doux envers elle, Lizzie n'arrivait pas à lui en vouloir de se défiler ainsi, mais elle ne pouvait pas non plus s'empêcher d'être blessée par ce comportement. Elle aurait aimé découvrir la source de ses tracas afin d'apaiser sa conscience, mais Darcy était si fermé à ce sujet qu'elle comprit bien vite qu'elle ne serait pas celle qui aurait droit à quelconque confidence.

Un matin, alors qu'ils se réveillaient à peine, Abigaëlle cogna brièvement à la porte. Elle entra sans tarder et fit rapidement une révérence. 'Je suis désolée de vous dérangez Mrs Darcy, votre soeur m'envoie pour vous quérir.'

Aussitôt Elizabeth fut sur ses pieds. 'Apporte moi ma robe de chambre, Abby.'

Darcy fut debout à son tour, l'interceptant au passage. 'Je croyais que nous avions convenu qu'il n'était pas question que tu y ailles.'

Elizabeth lui jeta un regard noir. 'Non. Tu as convenu que tu ne voulais pas que j'y aille et j'ai décidé d'y aller quand même.'

-'Est-ce vraiment raisonnable?'

-'Quand cesseras-tu de me traiter comme une enfant! Je crois que je suis capable d'endurer quelques heures à tenir une main sans problème.'

-'Je suis certain que le Dr Baker désapprouverait totalement.'

-'Tu n'en sais absolument rien. Will, je ne vais pas sortir l'enfant moi-même, je vais seulement-'

-'Mrs Darcy.' l'interrompit Abigaëlle en ouvrant le vêtement pour qu'elle s'y glisse. 'Désolée de m'introduire ainsi dans votre conversation, mais je crois qu'il ne sera pas nécessaire de débattre sur le sujet. Mrs Bingley a déjà donné naissance il y a peu.'

Les épaules de Lizzie s'affaissèrent, ses doigts s'immobilisant dans leur tentative d'attacher les rubans. 'Quoi? Elle a déjà...mais je lui avais dit de...'

Elle entendit son époux soupirer de soulagement. Sa déception était si grande qu'elle en aurait pleuré; comment Jane avait-elle pu ne pas l'appeler avant?

-'Elle vous attend.' insista doucement Abby. 'Elle n'a pas beaucoup de temps.'

Elizabeth se rendit au chevet de sa soeur en vitesse, le coeur lourd. Lorsqu'elle entra dans la pièce, quelques femmes s'affairaient à débarrasser l'endroit des pichets d'eau, des bassines et des paniers remplis de draps. Jane, les yeux rêveurs et un petit sourire aux lèvres, tenait son bébé bien emmitouflé dans ses bras. Lorsqu'elle la vit entrer, son visage s'illumina. 'Lizzie!'

Le calme qui régnait dans la pièce était étrange. Si Elizabeth n'avait pas été en mesure de voir la petite forme dans les couvertures, jamais elle n'aurait pu croire que Jane venait tout juste de donner naissance. La sage-femme, assise près du feu, observait la nouvelle mère avec des yeux d'aigle. Lizzie s'approcha du lit et serra sa soeur dans ses bras, mais elle fut incapable de lui cacher sa déception. 'Pourquoi ne m'as-tu pas fait appeler avant?'

-'Je suis désolée, sincèrement...quand les douleurs ont commencées je n'étais pas certaine et il était si tard dans la nuit que je ne voulais pas te réveiller. Je m'étais dit que je te ferais demander au matin et j'ai essayé de dormir un peu en attendant. Puis les douleurs se sont rapidement accélérées et soudainement tout est allé très vite. Je n'ai même pas eu le temps de réaliser ce qui se passait qu'elle était déjà là.'

Lizzie ne put s'empêcher de sourire. 'C'est une fille?'

Jane rayonnait de fierté. 'Oui. Elizabeth Louisa Bingley.'

Elizabeth déposa sa main sur la petite tête encore humide, écartant légèrement la couverture qui la tenait au chaud pour voir son visage. 'Oh, Jane! Quelle petite merveille..Elle te ressemble!'

-'Elle n'a presque pas pleuré, c'est un vrai petit ange.'

-'Comme sa maman.'

Jane sourit, la joie illuminant son visage. 'Elle est parfaite, comme Charlie l'était. Je suis si comblée, Lizzie. Dieu est réellement bon envers moi, ce bonheur me semble si immense.'

Un léger cognement à la porte retentit et la sage-femme se leva pour ouvrir à la nourrisse, qui fit une révérence avant de se diriger vers le lit et tendre les bras pour prendre l'enfant. Jane déposa un léger baiser sur la joue de sa fille et obéit docilement, ne la quittant pas des yeux jusqu'à ce qu'elles aient quittés la pièce.

-'Ne peut-elle pas la faire boire ici?' demanda Elizabeth, le coeur en miette devant ce spectacle.

-'La présence de la nourrice serait une distraction, Mrs Darcy. Mrs Bingley devrait se reposer maintenant. Après une telle épreuve, il faut du calme et du repos.' décréta la sage-femme d'un ton ferme.

-'J'ai insisté pour que tu puisses venir me voir maintenant et non plus tard.' dit Jane, l'air désolée. 'Je ne pouvais considérer reporter ta visite, mais je crains qu'elle devra se terminer à présent. Je n'avais le droit qu'à quelques minutes. Merci d'être venue aussi vite.'

-'Je reviendrai le plus tôt possible. Dès que tu pourras me recevoir.' ajouta Lizzie en voyant que la sage-femme allait répliquer. 'J'attendrai qu'on vienne me chercher.'

Lorsqu'Elizabeth referma la porte derrière elle, il lui fallut un moment pour mettre des mots sur les émotions qui se bousculaient en elle. Elle ne comprenait pas cette soumission, elle n'arrivait pas à se réconcilier avec l'idée qu'elle aussi aurait à le faire. L'idée même de rendre son bébé à une inconnue après lui avoir donné naissance lui faisait si mal que les larmes lui montèrent aux yeux, brûlantes, et elle ne fit rien pour les arrêter. Elle posa une main sur sa bouche, l'autre sur son ventre, incapable de chasser la tristesse qui s'emparait d'elle en songeant à cette séparation cruelle qui s'imposerait d'ici quelques mois.

Sous ses doigts elle sentit un petit coup, aussi léger que la caresse d'une aile de papillon. Elle retint son souffle, alerte, certaine cette fois qu'elle n'avait pas rêvé. Depuis quelques jours elle avait l'impression de ressentir comme de petites bulles dans son ventre, sans jamais être certaine si cela était son bébé qui se manifestait ou son imagination qui lui jouait des tours. Lorsqu'elle le sentit pour la deuxième fois, elle fut enfin convaincue que c'était bien son enfant qui bougeait. Elle déplaça doucement ses mains, comme pour ne pas le déranger, avide de le sentir à nouveau. Elle ne soucia pas du fait qu'elle était en plein milieu du couloir et que n'importe qui pouvait la surprendre ainsi, en robe de chambre, les cheveux en bataille, les joues mouillées par les larmes et les yeux remplis d'émerveillement. À cet instant, tout ce qui lui importait était que son bébé avait donné son premier coup.

La joie qu'elle ressentit lui donna du courage pour la suite. Lorsqu'il fut temps pour eux de retourner à Pemberley, c'est à contrecoeur qu'Elizabeth prit place dans la voiture, jetant un dernier regard vers la maison, triste de savoir qu'ils se passeraient encore plusieurs mois avant qu'elle puisse revoir Jane. Alors que Carlton n'était plus qu'un petit point à l'horizon, elle sut que le peu de paix qu'elle avait eu à cet endroit laisserait place à une prison complète avant longtemps. Pour la première fois de sa vie, elle redoutait le printemps.

Cependant, elle tint bon. Son ventre prit en rondeur et les manifestations de son bébé se firent plus fortes et plus fréquentes alors que les journées s'allongèrent et que le soleil revint. Comme prévu Mrs Jolly élut résidence à Pemberley en avril et les choses changèrent dès son arrivée. Les effets d'Elizabeth furent déplacés dans une chambre loin de celle de son époux et elle fut confinée à cette petite pièce pour le dernier mois de sa grossesse. Alors qu'elle ne souhaitait que de profiter de la belle température, Lizzie était coincée entre quatre murs avec comme principale compagnie des femmes inconnues qui avaient été choisies pour veiller sur elle. Jane avait semblé si calme et sereine pendant son temps, mais Lizzie ne trouva pas la force de supporter cette situation dans le même état d'esprit. Les journées étaient si longues et ennuyantes qu'elle peinait à les supporter. Son ventre rebondit lui donnait du mal, l'obligeant à constamment se tourner et se retourner pour trouver une position confortable. Étroitement surveillée, elle devait feindre le sommeil afin qu'on la laisse seule et elle profitait de l'absence de yeux indiscrets pour ouvrir grand la fenêtre et dégourdir ses jambes en tournant en rond dans la chambre.

Darcy ne venait pas souvent lui tenir compagnie et même lorsqu'il venait, il semblait si mal à l'aise qu'elle avait presque hâte qu'il quitte à nouveau. Les cernes sous ses yeux se creusaient de jour en jour, son visage prenant de l'âge alors qu'il effleurait à peine la trentaine. Coupée de tout, Lizzie s'inquiétait de ce qu'elle voyait, mais surtout de tout ce qu'elle ne pouvait pas voir. Dormait-il assez? Mangeait-il assez? Était-il submergé par le travail? Elle eut alors une idée; elle écrivit une courte lettre à Richard pour l'implorer de venir à Pemberley le plus tôt possible. Elle ne mit pas en détails tous ses soucis vis à vis de son mari, mais elle en mit assez pour qu'il comprenne l'urgence de sa demande.

Richard ne mit pas de temps à répondre. Mieux encore, il fit son apparition à Pemberley moins de deux semaines après qu'Elizabeth eut envoyé sa requête. Un seul coup d'oeil vers son cousin le convainquit que sa présence était bel et bien nécessaire et c'est sans censure que le nouvel Earl avoua à Lizzie sa propre inquiétude. Cependant, il la rassura aussitôt. Darcy était un homme difficile à faire parler, mais il savait, par expérience, que la seule manière de percer sa carapace était la patience et beaucoup, beaucoup de temps. Il lui promit de faire tout en son pouvoir pour découvrir ce qui le tracassait et c'est le coeur un peu plus léger qu'Elizabeth se coucha ce soir-là.

Kitty et Georgiana lui apportaient souvent de quoi lui remonter le moral, que ce soit des fleurs fraîchement cueillies, des livres, des fruits confits ou de petits vêtements pour le bébé. Malgré ces gentilles attentions, elles ne pouvaient remplacer la présence rassurante de Jane. Un vilain rhume faisait le tour de la famille Bingley et causait du retard dans leur plan de se rendre à Pemberley. Sans personne à qui se confier, Lizzie commençait à craindre l'accouchement. Avec tout ce temps à ne rien faire, ses pensées voguaient inévitablement sur la naissance et c'est avec une certaine appréhension qu'elle y songeait maintenant. Elle aurait souhaité discuter avec Abby, qui semblait avoir de l'expérience et des connaissances en la matière, mais sa suivante était supposément trop occupée pour venir à son chevet. Mrs Jolly avait prit les commandes avec une main de fer et tout était sous son contrôle, dont l'accès à la chambre. Lizzie soupçonnait la vieille femme de ne pas apprécier Abigaëlle, mais elle ne pouvait rien dire, n'ayant pas la force de se battre contre les arguments de sa sage-femme qui constamment lui rappelait qu'elle savait ce qu'elle faisait. Elle l'a traitait comme une enfant, l'aidant à se lever, marcher, se laver, lui servait ses repas, débarrassait lorsqu'elle avait fini, lui brossait et nattait les cheveux. Elle palpait régulièrement son ventre afin de vérifier la position du bébé, l'obligeait à boire des infusions au goût amer, régulait sa cadence lors de ses marches. Humiliée d'avoir à se soumettre à tout ceci, fatiguée des jacassements incessants de ses gardiennes, irritée du manque d'intimité, Elizabeth attendit mai avec impatience. Chaque matin elle se disait qu'elle ne pourrait supporter une journée de plus comme cela. Chaque matin elle priait le ciel pour que son enfant se décide enfin à naître.

Puis, un soir, alors qu'elle respirait l'air parfumé de la brise printanière, les yeux rivés sur un magnifique couché de soleil, elle sentit enfin la première contraction.

(-*-)

Voilà! J'espère que vous n'êtes pas trop déçues de ne pas avoir de moments romantiques entre Darcy et Lizzie avec ce bébé en route...la suite expliquera ce comportement singulier!

Prochain chapitre prévu pour mars!