Je sais, je sais, je suis en retard pour ce chapitre...pas d'excuses, mis à part le fait qu'il n'était jamais parfait à mon goût et que la première version est vraiment différente de la dernière! Le dernier chapitre finissait un peu abruptement et ce pour la simple raison qu'il était trop long et que je l'ai coupé en deux et donc vous aurez un peu plus de Darcy avant que Lizzie ne soit à nouveau en premier plan :) Bonne lecture!

Chapitre 34

Un nouveau regard

Darcy ouvrit les yeux, un peu désorienté. Il avait perdu la carte pendant un moment, complètement submergé par les visions du passé. Il se trouvait toujours dans la galerie des portraits et la pénombre de la nuit s'éclaircissait doucement, les pâles rayons du soleil éclairant les toiles lustrées qui décoraient le mur devant lui. En levant la tête il croisa le regard du portrait de sa mère; deux iris sombres et fiers. Pas l'ombre d'un sourire n'illuminait ce visage un peu trop austère, si sérieux comparé à celui de Georgiana qui siégeait juste à côté. Il pouvait voir la ressemblance entre mère et fille; cependant, il y avait une douceur et une candeur dans le visage de sa soeur que l'ancienne maitresse de Pemberley n'avait jamais possédées.

Darcy soupira. Il était calme à présent, mais la peur, bien qu'atténuée, le hantait toujours. De revivre le passé lui avait permis de relativiser un peu, de regarder avec des yeux d'adulte ce que l'enfant en lui avait vu. Pour la première fois de sa vie, il avait l'impression qu'il y avait bien plus à tout ceci que ce que sa tête avait obstinément gardé en mémoire. Il avait été si choqué et traumatisé à l'époque qu'il avait complètement oblitéré les évènements qui avait suivis la naissance de sa soeur et la mort de sa mère. Il ne réalisait que maintenant que ses souvenirs possédaient de grandes lacunes. Y avait-il plus à tout ceci que ce qu'il avait toujours cru?

Darcy se pinça l'arête du nez en soupirant, à nouveau conscient de la migraine qui le harassait. Il entendit alors des pas qui se rapprochaient et il leva la tête juste comme Richard apparaissait au bout de la galerie. Ce dernier afficha un air soulagé en le voyant et il s'avança vers lui à grandes enjambées. 'Darcy! Je te cherche depuis des heures!'

-'Désolé.' répondit-il en se levant maladroitement, ankylosé d'être resté immobile aussi longtemps. Sa voix était rauque, instable; il s'éclaircit la gorge.

Richard l'observa attentivement. 'Seigneur, tu es blanc comme un drap. Es-tu malade?'

Darcy leva à nouveau les yeux vers le portrait de sa mère. 'Non, tout va bien maintenant.'

-'Maintenant?'

-'J'aurais dû savoir que cela me rattraperait tôt ou tard. Quand Lizzie m'a annoncé qu'elle était enceinte, j'ai paniqué... J'étais si aveuglé par la peur que j'ai tout fait pour éviter de me rappeler, de revoir ces images...Je me demande...peut-être que les choses auraient pu tourner autrement si...Peut-être que...Je ne sais plus quoi penser.'

-'De quoi parles-tu?'

-'Il y a si longtemps maintenant que je me demande si tout ceci n'était pas qu'un affreux cauchemar. Pourtant tout me semble si clair...Aujourd'hui encore j'ai l'impression que cet évènement s'est passé hier.' Il fit une pause, puis ajouta, plus fervent: 'Elle a des chances, non? n'est-ce pas? Elle pourrait très bien s'en sortir, n'est-ce pas?'

Richard se posta devant lui, autoritaire. 'Cela suffit de parler en charade, tu commences à me faire peur. Bien sûr qu'Elizabeth a des chances de s'en sortir, pourquoi n'en aurait-elle pas? Et de quel évènement parles-tu?'

Darcy prit une grande inspiration, formulant pour la première fois de sa vie cet épisode qui avait tant affecté son adolescence. 'Lorsque Georgiana est née, j'y étais. Pas dans la pièce, mais assez près pour entendre et voir des choses que je n'aurais pas dû voir. C'était...horrible. Je me rappelle ses cris, la douleur et le désespoir dans sa voix. Son visage, blanc comme la mort, comme si la faux pendait déjà au-dessus de sa tête pour annoncer le sort qui lui était réservé. Et tout ce sang, à n'en plus finir, comme si son corps se vidait complètement, jusqu'à la dernière goutte. Jamais je n'ai été témoin d'un spectacle aussi terrifiant...Ma mère est morte après son accouchement.' ajouta-t-il en osant enfin rencontrer le regard de son cousin. 'Et j'ai si peur de perdre Lizzie, qu'elle subisse le même sort. Je n'en dors plus depuis des semaines, je n'arrive plus à penser à autre chose, je ne vois que ces images troublantes. Je me souviens de tout, Richard. Dans les moindres détails. J'ai l'impression que les dernières heures m'ont ramené dix-huit ans plus tôt et que j'ai assisté à nouveau à la naissance de Georgiana. Mes oreilles bourdonnent encore de ses hurlements. Tout est teinté d'écarlate dès que je ferme les yeux. Je vois les pinces de métal qui brillent à la lueur du feu. J'ai eu beau prendre soin de Lizzie du mieux que je pouvais, pensant que ma protection serait suffisante pour apaiser mes craintes, mais depuis qu'elle est dans cette chambre j'en perds la tête tant je suis effrayé de la perdre.'

Il se tut, incapable de poursuivre. La seule pensée qu'il ne reverrait peut-être jamais plus Elizabeth le remplissait d'une telle douleur qu'il dû serrer les dents pour ne pas flancher. Finalement Darcy ajouta, d'une voix à peine audible: 'Je suis terrifié à l'idée qu'Elizabeth subisse le même sort, que la naissance de cet enfant soit sa perte comme la naissance de Georgiana a été celle de ma mère.'

Il y eut un silence, que son cousin brisa au bout de quelques secondes, son ton légèrement confus. 'Darcy...ta mère n'est pas morte des suites de son accouchement.'

Cette révélation lui fit l'effet d'une claque au visage. Il ouvrit la bouche pour répliquer, mais aucun son n'en sortit et il se retrouva muet de stupeur.

-'J'ai toujours cru que la raison de ce changement si drastique en toi, à cette époque, avait été provoqué par la mort de Lady Anne. Si j'avais su...Seigneur, Fitz, pourquoi ne m'as-tu rien dit à ce sujet? J'aurais pu t'aider, j'aurais pu t'éclairer sur les réelles raisons, j'aurais pu...' Richard expira bruyamment, visiblement bouleversé. 'Toutes ces années à ne pas savoir. Et tous ces derniers mois où j'aurais pu faire une différence. J'étais sûr que tu savais. N'as-tu aucun souvenir de ce qui s'est passé après la naissance de ta soeur?'

Darcy retrouva enfin sa langue. 'Non...Que veux-tu dire? Que sais-tu?'

-'Par où commencer...Après la naissance de Georgie, Le Dr Baker et le Dr Wood ont eu une violente dispute au sujet de Lady Anne, ils ne s'accordaient pas sur les procédures à suivre. Le Dr Baker disait que comme la fièvre ne s'était pas déclarée après quelques jours, qu'elle était hors de danger et que le temps suffirait à lui redonner des forces. Le Dr Wood s'opposait à cette démarche, stipulant que les mauvaises humeurs étaient certainement encore très présentes dans le corps de la patiente et qu'elle ne pouvait s'en remettre sans leur intervention. Je ne connais pas les détails, je sais seulement qu'ils se sont querellé au point que l'apprenti a quitté le maître, sans références ni recommandations, presque ruiné pour avoir contredit son mentor et s'être entêté à conserver son idée de diagnostic.'

Darcy n'avait aucun souvenir de cela. Il avala avec difficulté. 'Ensuite?'

-'Le Dr Wood est venu tous les jours pendant des semaines. Ton père a dépensé une fortune pour l'avoir le plus souvent possible au chevet de ta mère, pour qu'il puisse lui prodiguer les meilleurs soins. Il était convaincu que ce que le médecin lui affirmait était vrai et que son épouse ne pouvait survivre sans les interventions qu'il pratiquait. Il revenait sans cesse avec des techniques différentes, de nouvelles découvertes qui supposément avaient fait des miracles pour d'autres femmes. Après un moment cependant, les témoins de ces pratiques commencèrent à douter. La sage-femme, surtout, a commencé à s'objecter aux procédures. Elle a tenté de faire entendre raison à votre père, mais le Dr Wood savait se défendre. Elle a quitté à son tour.'

Darcy secoua la tête. 'Mais, sans Mrs Bell et le Dr Baker, ma mère et ma soeur seraient probablement mortes cette nuit-là. Pourquoi ne pas les avoir écouté?'

-'Personne ne le savait à ce moment, Darcy. Le Dr Wood a prit tout le crédit de cet accouchement et la seule version que nous avions est que le Dr Baker avait agi contre les ordres et qu'il était la cause de l'état précaire de Lady Anne. Mrs Bell n'a pas été prise au sérieux exactement pour la même raison, parce qu'elle a assisté le Dr Baker dans son entreprise. Ainsi, ses arguments n'avaient pas de poids face à ceux d'un médecin qui pratique depuis une trentaine d'années.'

-'Comment mon père a-t-il pu croire cet homme?'

Richard posa une main sur son bras. 'Ne le blâme pas, il ne pouvait pas savoir. Il souhaitait faire ce qu'il y avait de mieux pour sa femme et il s'est trompé. Il a mis sa confiance entre les mains du mauvais homme et ce fut une erreur qu'il a payé très cher. Toi même sait à quel point la mort de ta mère l'a affecté et je suis convaincu qu'il a traîné sa culpabilité et ses remords comme des boulets jusqu'à son dernier souffle.'

Darcy hocha lentement la tête. 'Oui, tu as raison. Il n'a plus jamais été le même.'

-'Je vais t'épargner les détails.' poursuivit Richard avec une légère hésitation. 'Je vais seulement dire que ton père, qui après le départ de Mrs Bell commença à avoir des doutes quant aux compétences du Dr Wood, a fait quelques inquisitions auprès des compagnes de Lady Anne. Lentement elles ont commencés à s'ouvrir quant à leurs propres doutes et à un moment il fut finalement convaincu que les traitements faisaient probablement plus de mal que de bien. Il congédia le Dr Wood sur le champs et fit appel au Dr Baker, qui constata l'amplitude des dégâts avec peu d'optimisme. Seulement, avant même son arrivée ta mère avait attrapé un virus printanier, qui dégénéra rapidement et l'emporta avant que quoi que ce soit puisse être tenté pour la sauver.'

Darcy ferma les yeux un instant, encaissant les révélations qu'il venait d'entendre avec un mélange de soulagement et de douleur. 'Alors elle n'est pas morte à cause de son accouchement.' conclut-il à voix basse.

-'Cela est ce que le Dr Wood a dit et la version que tout le monde sait et croit. Cependant j'y étais et je peux t'assurer, avec tout ce que j'ai entendu et vu, que le Dr Wood s'est servi de méthodes dangereuses pour traiter ta mère. Voilà la véritable raison de sa mort, de cela j'en suis convaincu.'

Darcy sentit son corps s'alourdir et il s'assit sur la chaise. Comment avait-il pu être dans l'ignorance toutes ces années? Comment avait-il pu être au premier rang de ce scandale sans être réellement au courant de la vérité?

-'Le Dr Baker avait probablement vu juste.' ajouta Richard d'une voix douce. 'Depuis le tout début il affirmait que le temps était la seule solution à son problème et si ta mère avait eu exactement cela, du temps, je suis certain qu'elle serait encore vivante aujourd'hui.'

-'Toutes ces années à croire...'

-'Peu de gens savent la vérité, Darcy. Et après ce que tu as vu, je comprends que tu aies voulu oublier cet épisode de ta vie. Cependant, si aujourd'hui tu as encore du mal à gérer les émotions qu'il suscite, j'espère que ce que je viens de te raconter saura calmer un peu les peurs que tu ressens.' Il hésita avant d'ajouter: 'Je sais qu'il y a des risques. Je sais qu'enfanter est dangereux, mais Elizabeth a toutes les chances de son côté.'

Darcy expira bruyamment. 'Puis-je te poser une question?'

Le sérieux de son ton alerta aussitôt Richard. 'Oui, bien sûr.'

Une question qu'il n'avait jamais voulu s'avouer émergea sur ses lèvres et Darcy la formula en un murmure, incapable de dissimuler la culpabilité qui le rongeait. 'Crois-tu que Dieu m'en voudra si je veux que l'on sauve la mère plutôt que l'enfant?'

Son cousin prit son temps pour répondre, mais son visage ne trahissait aucun jugement lorsqu'il lui dit: 'Non...je crois qu'Il ne t'en voudra pas. Mais si tu as à prier, pries pour que les deux s'en sortent indemnes et que tu n'aies pas à choisir. Prie pour que ton enfant ait la même force que ta femme et naisse dans ce monde entouré du même amour que celui dans lequel il a été conçu. Ne laisse pas la peur gâcher la venue au monde de ce bébé.'

-'Si cet enfant m'enlève Lizzie…' commença-t-il, mais le Richard lui coupa aussitôt la parole.

-'Ne dis pas cela. Ne jette pas sur lui le blâme car ce ne sera pas sa faute. Il n'a pas demandé à être là et une fois au monde il ne demandera qu'à être aimé et n'aura absolument rien à se faire pardonner. Ne fais pas l'erreur de ne pas lui offrir de père s'il perd sa mère car alors il sera orphelin et aura perdu plus que toi dans tout ceci.'

Darcy eut un choc en entendant ces mots. Dans son égoïsme de vouloir garder Elizabeth pour lui seul, il avait ignoré cette simple vérité: ce bébé était une partie d'elle, de lui. Il était une preuve incontestable de leur amour, un petit être fragile qui aurait besoin d'être aimer et protégé. Tout comme Georgiana avait eu besoin de lui lors de la mort de leur mère, cet enfant aurait besoin de sa présence, de son affection, de son attention.

-'Je ne sais pas comment être père.' fut la seule chose qu'il fut capable de répondre.

-'Tu apprendras, comme tous les parents de ce monde. Tu te dois de te ressaisir, ton absence, physique et mentale, a assez duré.'

Darcy se sentit pâlir en réalisant qu'il n'avait aucune idée de l'heure qu'il était ni combien de temps s'était écoulé depuis qu'il était monté dans la galerie des portraits. Pire encore, il n'avait aucune idée de ce qui se passait quelques étages plus bas.

-'Depuis combien de temps suis-je parti?'

Richard bailla rondement. 'Assez longtemps pour que je te crois parti en France. J'ai même été faire le tour des écuries pour voir si ton cheval y était toujours.'

La panique s'empara soudainement de Darcy. Il agrippa son cousin par les bras. 'Des heures?! Quel imbécile je suis, comment puis-je avoir des nouvelles de Lizzie si je suis introuvable?'

Richard le retint fermement avant qu'il ne prenne peur et s'enfuit à nouveau. 'Ne t'inquiète pas, j'ai vu le Dr Baker il n'y a pas longtemps, tout se passe bien. Et il y en a encore pour un moment.'

Darcy expira bruyamment, soulagé et découragé à la fois. Cette nuit était réellement interminable. 'Descendons. Je me dois d'être disponible si jamais le Dr Baker demande à me parler.'

Son cousin haussa un sourcil en l'observant de la tête aux pieds. 'Accoutré ainsi?'

Il jeta un coup d'oeil vers ses vêtements froissés et passa une main dans ses cheveux en bataille. 'Peut-être serait-il préférable que je m'arrange un peu avant.'

-'Un peu de sommeil ne te ferait pas de tort non plus.'

Il secoua la tête. 'Lizzie ne dort pas alors je ne dormirai pas.'

Richard secoua la tête, mais n'insista pas. 'Je t'attendrai dans le petit salon, avec la solution idéale pour te relaxer.'

Après avoir pris un long bain, duquel il eut l'impression de laver tous ses souvenirs sanglants, Darcy s'habilla adéquatement et rejoignit Richard. Ce dernier avait à demi rempli deux verres de liqueur et lui tendit le deuxième. 'Boit.' lui ordonna-t-il. 'Cela te calmera.'

Le maitre de Pemberley obéit. Le liquide ambré lui brûla la gorge, mais après quelques gorgées la chaleur qui le réchauffa lui fit du bien. Il se sentit enfin se détendre.

-'Voilà qui est mieux.' approuva Richard. 'Maintenant que tu es présentable, il ne reste plus qu'à attendre.'

Ils attendirent. Longtemps. Après un moment, Darcy s'étendit sur le canapé, les mains derrière la tête, les yeux fixés au plafond. Il songea à Elizabeth, à sa persévérance, sa vivacité et sa détermination. Il pria maintes fois pour que Dieu donne la force à sa femme de passer au travers de cette épreuve, plus fervent que jamais.

Durant ces heures d'attente, il alla à l'encontre des conseils de son cousin et laissa la culpabilité le faire souffrir un peu. Il avait essayé d'être présent pour Lizzie, mais il avait pris soin de son corps et non de son coeur. Il avait répondu à tous ses besoins, sauf celui d'être à l'écoute, d'être un support moral, de l'encourager plutôt que de l'inciter, encore et toujours, à aller contre sa nature et ses instincts. Il avait été si aveugle et égoïste dans les derniers mois! Comment avait-il pu être convaincu qu'il faisait la bonne chose pour elle?

Darcy avait du mal à ressentir des émotions face à cet enfant sur le point de naître. Il avait vu Bingley jouer avec Charlie des centaines de fois, il avait vu sa fierté, son bonheur. Il se rappelait les lettres où son meilleur ami lui racontait à quel point il était le plus comblé des hommes. Saurait-il ressentir lui aussi cet amour démesuré, inconditionnel? Saurait-il être à la hauteur, être un bon père? Aurait-il un fils ou une fille? Une petite copie de sa femme ou une version miniature de lui-même? Il n'arrivait pas à imaginer les traits qu'il ou elle aurait, la couleur de ses cheveux, de ses yeux, la forme de sa bouche, de son nez...

Il sentit soudainement qu'on lui secouait l'épaule. Il ouvrit les yeux en sursautant et il mit aussitôt une main devant son visage pour protéger ses pupilles du soleil du jour. Confus, il cligna des paupières plusieurs fois avant de rencontrer le regard de Richard. Il réalisa alors qu'il s'était endormit.

-'Quelle heure est-il?'

-'Onze heures.'

Darcy se redressa brusquement. 'Onze heures?!' Il jeta un coup d'oeil à l'horloge. 'Pourquoi m'as-tu laissé dormir!'

Darcy se leva trop rapidement et Richard tendit les bras pour l'aider à conserver son équilibre. 'Tu en avais grandement besoin. Et puis ce n'était que pour quelques heures.'

-'Je voulais être réveillé au cas où le Dr Baker viendrait me voir pour me faire un compte-rendu de la situation!'

Son cousin l'obligea à se calmer. 'Tout va bien. Une femme vient tout juste de descendre pour transmettre des nouvelles. Ce ne sera plus très long maintenant. Elle est parti il y a une minute à peine, je t'ai réveillé aussitôt.'

-'Elle vient de...Je dois lui parler.' Sans réfléchir il se lança à la poursuite de cette femme afin d'avoir le plus de détails possible. Richard tenta de l'arrêter, mais il se dégagea de son emprise et se précipita vers les escaliers. Quelle idée avait eu son cousin de le laisser dormir! Comment avait-il pu laisser partir cette femme sans le laisser s'adresser à elle? Pourquoi n'avait-il pas posé plus de questions? Pourquoi ne lui avait-il pas demandé d'attendre?

Alors qu'il ouvrait la bouche pour l'intercepter, cette dernière disparue d'un pas rapide dans la chambre de son épouse. Darcy se figea soudainement.

Il y avait des voix, beaucoup de voix. Et des cris.

Son coeur battait si fort qu'il crut qu'il sortirait de sa poitrine. Ses mains tremblaient, ses jambes étaient molles. Lorsque la main de Richard se posa sur son épaule, il ne bougea pas, malgré l'insistance de son cousin.

-'Fitz, viens, ne reste pas ici.' murmura-t-il, visiblement mal à l'aise. Il entendait aussi bien que lui la commotion qui agitait la chambre de la maîtresse de Pemberley. 'Darcy!'

Mais il ne bougea pas. Tout à coup, des exclamations, des pleurs; Darcy n'entendit rien d'autre. Ni les paroles du médecin, ni celles des sages-femmes. Le temps s'arrêta.

Les deux hommes restèrent immobiles, figés, comme hypnotisés par la mélodie indignée que poussait le premier-né Darcy.

-'Tu as entendu?' souffla-t-il lorsque les pleurs cessèrent. Ses oreilles cherchaient désespérément les sons de son enfant.

-'Oui, j'ai entendu.' répondit Richard, qui n'insistait plus maintenant. 'Félicitations, mon ami.'

Darcy se sentit étrange. Après tous ces mois d'attente, toutes ces heures d'angoisses, c'était enfin terminé. Tout était terminé. Elizabeth parlait, mais il ne captait pas ce qu'elle disait. Elle était consciente, sa voix était calme. Les autres voix étaient encourageantes, optimistes, joyeuses. Tout le contraire de ce qu'il avait entendu dix-huit ans auparavant.

-'On devrait aller attendre en bas.' conseilla Richard. Même lui semblait ému par ce qu'il venait d'entendre. 'Le Dr Baker ne devrait pas tarder à descendre pour t'annoncer la bonne nouvelle, le temps que tout soit...enfin...tu vois.'

Darcy secoua la tête. 'Non, je reste ici, je veux l'entendre.'

Le bébé pleura à nouveau et le coeur de Darcy se serra à la pensée qu'il ne soit pas bien. Pourquoi criait-il ainsi?

-'Pourquoi ne font-ils rien pour le calmer?' s'exclama-t-il soudainement après un moment à entendre son enfant s'époumoner. 'C'est inhumain de le faire souffrir ainsi, ce n'est qu'un bébé!'

Richard pouffa de rire. 'Ils sont probablement en train de le laver, voilà tout. Il sera à nouveau calme lorsqu'il retrouvera sa mère.'

Et il avait raison. Bientôt les pleurs cessèrent et les femmes commencèrent à nettoyer la chambre, plusieurs d'entre elles jetant un regard surpris au maitre de la maison lorsqu'elles le voyaient là, en plein milieu du couloir. Darcy ne vit même pas les draps tachés dans les paniers qu'elles transportaient tant il était concentré sur les voix qu'il entendait.

Au bout d'un moment, le Dr Baker sortit à son tour et ne put cacher son étonnement en voyant le nouveau père. Il ne fit pas de commentaires et se contenta plutôt de tendre la main, tout sourire.

-'Félicitations, Mr Darcy. Tout s'est bien passé, votre femme et votre enfant se portent à merveille. Je ne crains pas pour la santé de Mrs Darcy, mais Mrs Jolly restera à ses côtés pour quelques jours encore afin de s'assurer que son état reste stable. Cependant, je suis confiant qu'elle se remettra rapidement de cette épreuve.'

-'Puis-je les voir?'

Le médecin hésita. 'Eh bien...peut-être quelques minutes de plus. Il y a encore quelques petits détails à, euh, régler.'

-'Merci, Dr Baker. Sincèrement.'

-'Cela fut un plaisir, Mr Darcy. J'ai servi votre famille depuis mes débuts dans la pratique et je suis heureux de pouvoir continuer à le faire aujourd'hui. Maintenant, si vous voulez bien m'excuser, je ne dirais pas non à une bonne tasse de thé et un goûter.'

-'Laissez-moi vous accompagner, Dr Baker.' proposa Richard et Darcy lui en fut reconnaissant de prendre cette responsabilité.

Lorsque toutes les femmes eurent terminé de nettoyer l'endroit et que les herbes aromatiques furent déposées sur le feu pour purifier l'air de la pièce, Darcy pénétra dans la petite chambre avec une certaine appréhension. Il eut peur de retrouver son épouse dans un état épouvantable, l'image de sa mère encore forte dans sa mémoire, mais il fut aussitôt rassuré de la voir, certes fatiguée et pâle, mais complètement lucide. Elle tenait dans ses bras un petit paquet de couvertures et lorsqu'il s'approcha, elle lui fit un sourire un peu timide.

Darcy prit place près d'elle, très doucement. Il ne put mettre en mot le soulagement qu'il ressentait de la voir ainsi. Il lui embrassa les cheveux, prolongeant ce contact pour cacher les émotions qui menaçaient de s'échapper.

-'C'est une fille.' murmura Elizabeth. 'J'espère que cela ne te déçois pas trop.'

Darcy se pencha et tira délicatement sur la couverture pour regarder le visage de leur enfant. Son crâne était couvert d'une mince couche de cheveux sombres et ses traits, encore enflés, n'en étaient pas moins délicats et féminins. Elle était réveillée et les observait de ses yeux bleus-gris, ouvrant la bouche de temps en temps pour faire de petits sons ou bailler rondement.

-'Elle te ressemble.' répondit-il avec un sourire, retrouvant dans la couleur de cheveux et la forme de la bouche les traits de sa femme. Malgré les heures qu'il avait passé à imaginer son enfant, jamais il n'avait rêvé d'un petit visage aussi parfait. 'Comment pourrais-je être déçu d'une petite fille aussi magnifique que sa mère?'

Le visage d'Elizabeth s'illumina de bonheur à ces mots et il vit ses yeux se remplir de larmes. Il l'embrassa à nouveau sur la tempe, si heureux d'être près d'elle qu'il en aurait perdu toute contenance devant la sage-femme, discrètement assise dans un coin de la pièce.

-'Comment vas-tu?' lui demanda-t-il sérieusement.

Elizabeth eut un petit soupir. 'Ce ne fut pas facile, mais j'y suis arrivé.'

-'J'ai eu si peur pour toi.'

Peut-être que son ton trahissait toutes les émotions qu'il avait enduré dans les dernières semaines, mais elle leva des yeux surpris vers lui, plongeant son regard dans le sien afin d'y lire ce qu'elle avait tant voulu savoir. Cette fois, Darcy ne se voila pas à elle.

-'Je suis désolé, Lizzie.' murmura-t-il, sincère. 'J'ai réalisé beaucoup trop tard à quel point je t'avais abandonné dans cette épreuve et je m'en veux horriblement. Je n'ai pas été là pour toi, pas comme tu aurais eu besoin que je sois là. J'avais si peur que tu...que tu...J'avais si peur pour toi que cela m'a complètement aveuglé.'

Elizabeth appuya sa tête contre son épaule. 'J'avais peur pour toi aussi.'

-'Merci d'avoir écrit à Richard. Je crois que sans lui je serais devenu fou.'

Elle eut un petit sourire. 'Tu me raconteras un jour? Quand tu seras prêt?'

Darcy lui embrassa l'envers de la main. 'Promis.'

On cogna doucement à la porte. La nourrice entra et fit une révérence, jetant un coup d'oeil vers la sage-femme en attendant ses ordres. Darcy sentit Elizabeth se crisper.

-'J'aurais tant aimé...' commença-t-elle, mais elle ne termina pas sa phrase, Mrs Jolly s'imposant aussitôt.

-'Vous devez vous reposez, Mrs Darcy. Mr Darcy, je crains que votre visite ne doive se terminer d'ici quelques minutes.'

Darcy obéit, loin de lui l'idée de protester malgré son envie de rester auprès d'elle. Elizabeth ne dit rien non plus, mais le regard qu'elle lui jeta en disait long. Reste près de moi, j'ai besoin de toi.

Il hésita.

-'Vous pourrez revenir plus tard dans la matinée, Mr Darcy.' insista Mrs Jolly. 'Nous nous occuperons de votre femme, ne vous inquiétez pas.'

Il jeta un dernier coup d'oeil vers Elizabeth. 'Est-ce que cela te convient?'

Il aurait voulu qu'elle demande à ce qu'il reste. Après toute cette attente, il n'avait pas envie de la quitter aussi rapidement.

Elle se résilia. 'Tu reviendras, sans faute?'

-'Dès que tu voudras, tu n'as qu'à me faire demander et je serai là. J'attendrai.' Il se tourna alors vers la sage-femme. 'Veillez sur ma femme comme sur la prunelle de vos yeux. Envoyez une de vos collègues pour m'informer de son état le plus souvent possible. S'il y a quoi que ce soit, faites moi appeler. Ne me gardez surtout pas dans l'ignorance, Mrs Jolly.'

Son ton était autoritaire et il vit la vieille femme pincer les lèvres, mais hocher la tête. La porte se referma derrière lui sans cérémonie. Il resta là, à ne pas savoir quoi faire, une main contre le bois froid.

Darcy ne pouvait décrire ce qu'il ressentait à présent. Cette fois ce ne fut pas la peur ou l'inquiétude qui causa cette étrange sensation, mais bien un immense amour qui chaque seconde grandissait. Déjà il brûlait de la regarder à nouveau, d'étudier ses traits, ses moindres mouvements. Cela était si nouveau pour lui qu'il posa une main sur sa poitrine pour sentir la force des battements de son coeur, puissants sous sa paume.

Jamais il n'aurait cru qu'il pourrait aimer quelqu'un autant qu'il aimait Elizabeth. En quelques mois, son épouse avait réussi à le rendre éperdument amoureux, à un point tel qu'il avait été envers et contre tous afin de l'avoir pour lui. Il avait su, même après cette journée à Hunsford où elle avait refusé sa main, qu'aucune autre femme ne pourrait le combler.

Aujourd'hui cela avait changé. Il avait suffit d'un seul regard pour qu'il tombe à nouveau amoureux, d'un amour différent, mais tout aussi fort. Un seul souffle pour qu'il réalise que cet amour grandirait toujours. En une fraction de seconde, elle avait réussi à lui voler son coeur.

Darcy sourit en songeant à son petit visage parfait.

Son enfant. Sa fille.

(*-*)

Voilà pour ce chapitre! J'espère qu'il n'y a pas trop d'erreurs grammaticale, j'ai beau me relire 100 fois, il en reste toujours! Désolée encore du délai et en espérant que le prochain soit plus rapide à terminer!