N'ayez crainte, fidèles lectrices, je ne vous abandonne pas! Mes bonnes résolutions auront tenus 4 mois et depuis c'est la course folle, je n'ai pas assez de temps dans une journée, ni dans une semaine, ni dans un mois pour accomplir tout ce que j'aimerais accomplir. Bref, ne désespérez pas, je finirai pas terminer cette fic un jour, même si cela prend des années! Sur ce, bonne lecture !
CHAPITRE 35
Anne Jane Darcy
-'J'aimerais voir ma fille.'
Cela faisait cent fois qu'elle le demandait. Cela faisait cent fois qu'on lui refusait, indirectement, l'accès à son propre bébé depuis sa naissance.
-'Elle est avec la nourrice, il m'est impossible de vous l'amenez maintenant.' fut l'excuse cette fois-ci. 'Reposez-vous, Mrs Darcy, vous êtes bien pâle encore.'
Elizabeth se laissa tomber contre ses oreillers avec un grognement d'impatience qu'elle ne camoufla pas. Mrs Jolly l'ignora, vaquant à sa besogne sans se soucier de la mauvaise humeur de sa patiente. Elle ne prit même pas la peine de se retourner pour ajouter: 'Votre enfant est en sécurité et on lui prodigue les meilleurs soins, Mrs Darcy. Des milliers de femmes tueraient pour offrir à leur bébé les mêmes privilèges.'
Lizzie dût faire un effort monumental pour ne pas lui lancer son plateau-repas à la tête. Elle avait senti la critique dans cette phrase et en était fortement piquée. Cependant, cela n'était pas suffisant pour qu'elle se taise. Elle en avait assez. Elle en avait assez d'être cloîtrée dans cette chambre suffocante, assez d'être allongée toute la journée à ne rien faire d'autre qu'attendre et attendre et attendre, sans pouvoir voir sa fille plus que quelques minutes à la fois. Assez d'être gérée par ce vautour aigri et désagréable qui lui servait de sage-femme et qui la jugeait comme une enfant gâtée et ingrate chaque fois qu'elle demandait à voir son bébé.
-'Mrs Jolly, j'aimerais que l'on m'amène ma fille immédiatement après qu'elle ait eu son boire. Si vous ne me l'emmenez pas d'ici une demi heure, j'irai la chercher moi-même.'
La vieille femme pinça les lèvres en voyant sa détermination. 'Très bien. Je verrai ce que je peux faire.'
Sur ces mots elle quitta la pièce et Elizabeth soupira de soulagement. Elle ne savait pas si son souhait serait respecté, mais elle avait un pressentiment que cette fois la vieille femme avait compris qu'elle ne coopérerait pas aussi facilement. Au cours des derniers jours, il lui avait semblé qu'elle retrouvait sa fougue et son énergie d'antan. Sa volonté s'enhardissait peu à peu et elle s'imposait de plus en plus. Certes, elle n'avait pas encore l'autorité qu'elle souhaitait; Mrs Jolly était une femme fière et entêtée, convaincue que ses méthodes étaient indispensables pour que sa patiente se remette de son "épreuve". Si cette dernière s'était contentée de faire part de ses inquiétudes seulement à elle, Lizzie aurait pu contrôler la situation avec de bien meilleurs résultats. Le problème était que la sage-femme ne se gênait pas pour faire part de ses conseils à Darcy, qui l'écoutait religieusement et se chargeait ensuite de soutirer un peu plus de collaboration de la part de sa femme. Ce petit jeu, que Lizzie n'eut aucun mal à déceler, elle savait qu'elle ne pouvait pas le gagner. Son mari était encore trop fragile face à tout ceci pour qu'elle s'affirme davantage. Par amour pour lui, elle calmait le feu qui brûlait en elle. Par amour pour lui, elle taisait la rage qui menaçait un peu plus chaque jour de renvoyer la vieille femme loin de Pemberley avec très peu de grâce et agissait en épouse obéissante.
Enfin, presque.
Comme chaque fois qu'elle se retrouvait seule, Lizzie se leva pour s'étirer et ouvrir les fenêtres afin de respirer à plein poumons. L'air était chargé d'un agréable parfum de fleur et de gazon et elle soupira d'aise en sentant la brise caresser son visage. Ses yeux se posèrent sur Kitty et Georgiana, paniers aux bras, parasols en main, certainement en route vers le boisé afin de s'installer dans la grande clairière afin d'y pique-niquer. Elizabeth eut un pincement au coeur de ne pas pouvoir se joindre à elles, l'appel de la nature étant si fort que pendant un cours instant elle songea à s'habiller et se faufiler en douce à l'extérieur. Elle adorait ce temps de l'année; partout où elle regardait ses yeux se posait sur des détails plus magnifiques les uns que les autres. Les canards et les cygnes pataugeaient certainement dans le lac à cette heure-ci, les pommiers devaient encore être lourd de fleurs blanches. Les arbres abritaient certainement des milliers de petites créatures grouillantes de vie, libres, elles, de faire comme bon leur semblait. Cela lui rappelait cruellement qu'elle devait supporter sa prison pour quelques jours encore, quelques pénibles jours qui lui semblaient être des semaines.
Elle soupira, s'éloigna de la fenêtre et fit quelques fois le tour de sa chambre pour se dégourdir les jambes. Elle fit même quelques pas de danse, heureuse d'avoir retrouvé une certainement légèreté dans ses mouvements. Son ventre maintenant vide s'était résorbé et ne l'encombrait plus. Ses chevilles, enfin débarrassée de l'oedème qui l'avait péniblement fait souffrir les dernières semaines, avaient retrouvé leur finesse. Son corps, qu'elle avait eu du mal à voir changer, retrouvait peu à peu ses formes d'antan. Ces semaines passées à se reposer lui avait fait perdre de sa vitalité et il lui tardait de retrouver sa force. La sage-femme lui répétait sans cesse de profiter de ce temps pour se reposer de la naissance, de laisser le temps à son corps de rejeter les mauvais sangs, mais Elizabeth ne comprenait pas de quoi elle devait se reposer exactement. Certes, les deux ou trois jours suivant son accouchement elle n'avait pas ressenti le besoin de bouger autant que d'habitude, mais elle avait rapidement rattrapé le sommeil perdu et ne ressentait absolument plus le besoin d'être cloîtrée. Au contraire, elle ressentait une nécessité de se retrouver plus que jamais, de vagabonder sur son domaine afin de digérer tous ces changements. Elle avait besoin de sortir, de vivre sa déception et sa frustration dans un contexte propice à leur expression. Rien n'était comme elle l'avait espéré, rien n'allait comme elle le souhaitait. Elle avait besoin de temps pour réfléchir à comment elle pouvait reprendre le rôle qui lui était dû, celui de maitresse de Pemberley. Elle devait retrouve son autorité, sa place au sein de cette maison. Mrs Jolly exerçait peut-être son pouvoir sur elle en ce moment, mais il n'en serait pas toujours ainsi. Et ceci, Elizabeth se le promit ardemment.
Et pour ce qui était du reste, cela ne serait bientôt plus un problème. Déjà les saignements avaient diminués au point d'être inexistants et ceci était un argument de taille pour obtenir la clé de sa liberté. Son retour de couche terminé, elle serait libre.
Un léger cognement à la porte lui fit tourner la tête et Lizzie crut que la sage-femme était déjà de retour. Elle résista à l'envie de retourner rapidement dans son lit, comme un enfant qui a peur d'être pris en faute, puis se souvint qu'elle n'avait aucune raison de se cacher et c'est la tête haute et le regard rempli de défi qu'elle invita la personne à entrer.
Sa moue de défiance se transforma rapidement en sourire.
Encore vêtue de ses vêtements de voyage, Jane fit son entrée dans la pièce et se précipita vers sa soeur, les bras grands ouverts. Elizabeth poussa un petit cri de joie et l'étreignit avec force, si heureuse de la voir qu'elle ne put retenir ses larmes.
-'Oh Jane! Enfin!' s'exclama-t-elle, refusant de la laisser aller. 'Cela me fait un bien fou de te voir!'
-'Je suis si désolée de ne pas avoir su venir avant.' s'excusa-t-elle, secouée par les émotions. 'J'aurais voulu être ici pour la naissance, mais Henri est tombé malade et le médecin nous a conseillé d'attendre quelques semaines avant de l'exposer à l'air frais du printemps. Nous avons eu très peur et je n'ai pas osé le quitter. Je n'ai jamais été aussi déchirée de toute ma vie!'
Elizabeth essuya ses larmes, incapable d'en vouloir à Jane. 'Tu es là maintenant et cela me suffit.'
-'Cela a été pénible?' s'inquiéta Jane en étudiant son visage.
-'Pas autant que d'être enfermée ici et de ne pas pouvoir voir ma fille comme je le souhaite.'
-'Les premiers temps il est normal que l'on te laisse tranquille, pour que tu reprennes des forces. Je n'ai pas eu Charlie à moi avant quelques semaines et j'avoue que le repos m'a fait du bien, même si mon coeur était toujours avec lui dans la nurserie.'
-'Mais je suis en pleine forme! J'ai tellement d'énergie que parfois je songe à nouer mes draps et m'évader par la fenêtre afin de courir un peu dans les jardins.'
Jane ne put s'empêcher de rire. 'Cela ne m'étonnerait même pas! Tu l'as déjà fait auparavant et je m'en souviendrai toujours. Tu es tombée dans les rosiers et tu t'es retrouvée couverte d'épines et les mains en sang!'
-'Et Mère qui pensait que je serais défigurée et immariable à jamais à cause de mon visage écorché!'
Une fois leur fou rire terminé, Jane retrouva un peu de son sérieux. 'Oh, Lizzie, sois tout de même prudente.'
-'J'ai promis à Will que je ne ferais rien de tel et je n'ai qu'une parole. Mais ce n'est pas l'envie qui manque.'
Jane posa sa cape et son bonnet sur la chaise près du feu avant de s'y asseoir. Elizabeth l'imita et posa une main sur la sienne.
-'Cela est si bon de te revoir. Tu restes pour un moment, n'est-ce pas?'
-'Aussi longtemps que tu le voudras. Caroline est à Kingswood*et Louisa la rejoindra bientôt pour y passer quelques mois. Les invités iront et viendront tout l'été et je dois avouer que je suis légèrement soulagée de ne pas avoir à participer à toute cette organisation. Cette agitation me rend mal à l'aise et ces engagements me tiennent trop occupée pour que je puisse voir Charlie et Henri. Je m'ennuie terriblement de mes enfants lorsqu'ils sont trop longtemps loin de moi.'
Elizabeth ne put ignorer la douleur qu'elle ressentit à songeant à sa propre fille, bien au chaud dans les bras de sa nourrice. Elle ne put ignorer également que cette pensée ne lui faisait plus un mal de chien au niveau de la poitrine, preuve incontestable que son lait s'était maintenant tari pour de bon. Jane le remarqua car elle fronça les sourcils en lui demandant ce qui n'allait pas.
-'Il y a tant de choses que j'aurais souhaité différemment. Tant de choses que je regrette...Cette aventure aura été très différente de ce à quoi je m'attendais. Je commence à peine à me retrouver et je réalise à quel point j'ai perdu plus que ma place dans cette histoire.'
Elle songea à Darcy, qui lui non plus n'avait pas vécu tout ceci aisément, et se rassura dans la notion qu'il semblait lui peu à peu redevenir lui-même.
-'Tout ira bien dans quelques jours.' dit Jane, se voulant rassurante. 'Dans les temps qui suivent une naissance, nous ressentons tout avec une force déroutante.'
Lizzie hocha la tête, mais elle n'osa pas s'expliquer d'avantage. Sa soeur, si douce et docile, ne pouvait pas comprendre les épreuves qu'elle avait subi en ayant à se plier devant les conventions, qui allaient complètement à l'encontre de son instinct. Et elle ne pouvait pas comprendre non plus à quel point cela lui coûtait cher, à ce moment même, de ne pas être avec sa fille. Jane avait beau avoir porté et mis au monde deux garçons, elle n'avait jamais ressenti le moindre doute, la moindre hésitation, la moindre contradiction quant à ce qu'elle devait faire. Elle ne questionnait pas les traditions, mais s'y pliait sans peine. Elle ne s'offensait pas de voir des inconnus s'occuper de ses enfants, mais acceptait ce fait comme si cela était un processus impossible à éviter, peu importe la douleur que cela pouvait provoquer en elle.
Jamais Elizabeth ne pourrait comprendre cela. Pire, jamais elle ne pourrait l'accepter. Quelque part en elle, sa rancune envers les femmes qui prenait sa place grandissait jour après jour. D'un côté elle avait peur de faire du mal à la réputation de son mari en étant excentrique, de l'autre son instinct maternel souffrait de la distance qui était mise entre son enfant et elle. En jetant un coup d'oeil à l'horloge, Lizzie remarqua qu'une demi-heure était passée et qu'il n'y avait aucun signe de Mrs Jolly ni d'Anne.
Jane ne descendit pas pour prendre son repas avec le reste de la maisonnée, mais resta avec sa soeur dans sa chambre et elles discutèrent pendant des heures, rattrapant ainsi le temps perdu. Anne fut finalement amené à sa mère et Henri, qu'Elizabeth n'avait pas revu depuis plusieurs mois, se joignit à elles aussi. Trop heureuse d'avoir enfin son enfant dans les bras, Lizzie insista fermement pour la garder avec elle jusqu'à ce qu'elle se réveille à nouveau pour boire et s'installa, de bonne grâce cette fois, dans son lit afin d'accueillir le petit paquet de couverture près d'elle.
-'Elle est magnifique.' commenta tendrement Jane en observant sa nièce. 'Henri et elle feront de formidables compagnons de jeu plus tard.'
Elizabeth sourit à cette image. 'J'imagine qu'Anne sera toujours partante pour transgresser les règles et entrainer ton pauvre fils dans toutes sortes d'aventures.'
-'Probablement.' répondit sa soeur avec un petit sourire. 'Ou bien il sera capable de calmer son côté rebelle, comme je faisais avec toi.'
Lizzie ne se lassait pas d'observer sa fille, émerveillée et étrangement intriguée par ce petit être. Comme elle avait changé depuis sa naissance! Ses cheveux étaient aussi noir que l'ébène et contrastait avec sa peau blanche. Ses mains étaient minuscules, ses doigts minces et fragiles, fermées en poings comme chaque fois qu'elle dormait. Sa bouche, délicate et rose, faisait une mou qui ne manquait jamais de la faire rire. Ses joues, bien rebondies, étaient si adorables qu'Elizabeth ne pouvait s'empêcher de les caresser sans arrêt.
Lorsqu'Anne Darcy se réveilla et réclama son lait, Mrs Jolly fut à ses côtés en un instant pour l'emmener et ordonner à nouveau à sa patiente de se reposer. Lizzie posa une main sur celle de Jane lorsque celle-ci voulut se lever, captant le message dans les mots de la sage-femme.
-'Mrs Jolly, pouvez-vous avertir Mr Bingley que sa femme sera avec lui sous peu? Nous avons encore quelques mots à nous dire, en privé.'
La sage-femme eut un sourire crispé, non contente d'être relégué au rôle de messagère, mais obtempéra. Aussitôt la porte fermée, Elizabeth poussa un grognement.
-'Je n'ai qu'une hâte: que cette femme fasse ses valises et quitte Pemberley pour ne jamais plus y revenir.'
-'Est-elle si désagréable?'
-'Elle me surveille et me contrôle comme si je n'étais qu'une poupée de porcelaine.'
-'Elle ne veut que ton bien. Elle fait son travail, après tout.'
Elizabeth eut un rictus. 'Oh, je sais qu'elle fait son travail, elle y met un acharnement sans précédent. Je l'ai entendu l'autre jour parler à une autre femme, croyant que je dormais. Elle souhaite garder sa réputation intacte et ne voudrait pas que mes caprices de jeune bourgeoise nuisent aux efforts qu'elle déploie pour me remettre sur pieds. Elle n'aura pas de bonnes recommandations de ma part, cela est certain!'
Lorsque Jane quitta la chambre et qu'Elizabeth se retrouva seule, elle n'arriva pas à trouver le sommeil. Son lit semblait froid et vide maintenant, sans la petite d'Anne à ses côtés. Bientôt, elle serait libre. Bientôt elle retrouverait sa chambre et son lit. Elle aurait à être purifiée par le pasteur avant de retrouver la chaleur des bras de Darcy et cette pensée la fit longuement soupirer. Il y avait si longtemps depuis qu'elle avait dormi à ses côtés! La seule idée de ressentir à nouveau la proximité de son corps la fit rougir jusqu'à la racine de ses cheveux. Il lui manquait, terriblement.
Elizabeth se tourna dans son lit, inconfortable maintenant par toutes ces pensées. Bientôt elle serait libre. Elle se le répéta plusieurs fois, encore et encore, pour apaiser son esprit impatient. Elle s'endormit, un oreiller contre elle, afin de retrouver dans cette étreinte l'impression d'avoir Darcy dans ses bras.
(Darcy)
Il était sous son charme. Complètement ensorcelé. Chaque fois qu'il la voyait, son coeur battait la chamade tant il adorait ce petit être magnifique. Chaque fois qu'il prenait sa minuscule main dans la sienne, il ne pouvait s'empêcher de sourire. Chaque fois qu'il parlait d'elle, sa fierté était si forte qu'il ne pouvait s'empêcher de répéter mille fois les mêmes choses. Georgiana et Kitty se moquaient gentiment de lui à ces moments, mais le laissait parler d'Anne comme il le souhaitait, toutes deux également éprises de la nouvelle venue et bien heureuse de discuter longuement de tous les traits de leur nièce. Jane et Bingley étaient également des invités parfaits à ce niveau, toujours heureux de parler d'enfants et se réjouissant tout autant de cette naissance. Aussi bien entouré, Darcy n'avait jamais ressenti un tel bonheur.
Ce bonheur, maintenant complet, était fortement dû à la présence d'Elizabeth, qui était enfin sortie de sa prison, comme elle aimait si bien le rappeler. Ce simple changement fut drastique pour son humeur; heureuse, souriante, vive, elle était à nouveau cette jeune femme énergique qu'il avait épousé. Cependant, il n'arrivait plus à la voir comme avant. Maintenant, lorsque ses yeux se posait sur elle, il voyait non seulement la femme qu'il aimait, mais aussi la mère de l'enfant qu'il adorait. Il ne savait pas pourquoi, mais ce simple fait la rendait si délicieusement belle à ses yeux qu'il avait du mal à quitter sa présence. La revoir après un long après-midi de travail était comme revoir le soleil à nouveau après de longues journées de pluie. Et lorsqu'il la surprenait avec leur fille dans les bras, ce tableau lui semblait si parfait que son coeur lui faisait mal. Il n'avait jamais été aussi heureux.
Darcy laissa aux femmes le soin de planifier le baptême et la réception intime qui suivrait. Les Bennets, Richard et Anne, Caroline Bingley, les Hursts, les Collins, quelques voisins et même Lady Catherine furent invités. Elle déclina l'invitation, comme Darcy le prévu, mais cela montra au moins ses bonnes intentions à l'égard de sa tante et il en fut satisfait. Deux semaines entières d'activités et d'amusements furent organisées afin de distraire les invités et Kitty et Georgiana étaient particulièrement fébriles à l'idée d'un tel rassemblement à Pemberley. L'été battait son plein maintenant et le domaine était resplendissant dans sa beauté naturelle.
Darcy était heureux de cette célébration, mais ce détail n'était rien comparé au fait qu'Elizabeth avait enfin retrouvé leur lit. Ce premier contact après un si long moment fut comme s'ils se retrouveraient jeunes mariés à nouveau, timide et maladroit. Il avait longuement refoulé ses désirs afin de lui laisser le temps et l'espace dont elle avait besoin, mais sa seule présence à ses côtés était suffisante pour l'empêcher complètement de dormir. De sentir sa chaleur tout contre lui sans pouvoir parcourir son corps de ses mains était une torture bien plus pénible qu'il ne l'aurait cru. Cette première nuit, ils ne dormirent pas tous les deux. Au bout de quelques heures à tourner dans le lit, ils finirent par rire de cette situation embarrassante et plutôt comique, et s'enlacèrent à nouveau pendant un moment avant de lentement se découvrir à nouveau avec douceur et tendresse.
Si Darcy trouvait son bonheur aisément dans cette nouvelle routine à Pemberley, il savait qu'Elizabeth ne partageait pas son opinion. Anne requérant les soins de sa nourrice souvent, il ne pouvait ignorer la douleur dans les yeux de son épouse lorsqu'elle voyait sa fille partir dans les bras d'une autre femme. Il ne pouvait comprendre le sentiment qui l'habitait, peu importe combien de fois Lizzie avait tenté de lui expliquer, mais il compatissait par respect, ne cessant de la rassurer sur le fait qu'ils faisaient ce qu'il y avait de mieux pour elle. Il ne se doutait pas que ces mots ne l'apaisait pas du tout, au contraire.
Le beau temps dura et jamais le Derbyshire ne connut plus bel été. Les champs étaient fournis et prometteurs d'une belle récolte; les jardins n'avaient jamais été aussi beaux et odorants; la terre n'avait jamais été aussi luxuriante de verdure et de fleurs sauvages. Les morals étaient bons, les habitants satisfaits, les animaux bien nourris et dodus. Lorsque les invités arrivèrent, tous se réjouirent des plans pour les temps à venir. La maison était remplie de rire et de musique, de conversations animés et intéressantes, de bons plats dignes des plus beaux banquets de Londres. Lors du baptême, Anne fut exemplaire et apprécia même être tenu par sa grand-mère dont la voix effrayait pourtant Henri et Charlie. Mr Bennet félicita les nouveaux parents avec une certaine émotion, heureux de voir sa fille préférée si bien dotée par la vie.
Un soir, quelques jours après le baptême, un orage éclata, si violent qu'une des fenêtres se cassa après qu'une branche l'ait heurté avec force. Les invités étaient plus calmes, quelque peu intimidé par la nature, et plusieurs se retirèrent tôt, dont Elizabeth. Darcy quant à lui resta longuement au salon avec Mr Bennet, Richard et Anne, mais ne discuta que très peu. Une étrange sensation l'habitait. Une sensation qu'il n'arrivait pas à décrire ni à connaître l'origine. Était-ce l'orage qui lui inspirait cette sorte de malaise?
Au bout d'un moment il se décida à se retirer lui aussi et, plutôt que de prendre le chemin de sa chambre, il prit le chemin de la nurserie, comme il le faisait à tous les soirs.
Il poussa délicatement la porte. Une chandelle brûlait dans le coin de la pièce et éclairait le berceau orné dans lequel sa fille dormait. Darcy s'assura qu'il ne dérangeait pas la nourrice qui dormait dans la pièce adjacente, la porte ouverte, et se rendit à pas de chat près du berceau. Il posa sa chandelle sur le bureau et prit place sur le petit tabouret sur lequel il s'assoyait chaque fois qu'il venait souhaiter bonne nuit à sa fille.
Elle était si belle! Elle changeait de jour en jour et ressemblait à sa mère comme deux gouttes d'eau tout en conservant des traits bien à elle. Ses cils effleuraient ses joues, longs et noirs, et ses cheveux épaississaient déjà, bouclant légèrement sur son crâne. Elle avait l'air si paisible, endormie ainsi.
Darcy avait mal tant il aimait son enfant. Il s'imaginait déjà la voir rire et courir, ses longs cheveux d'ébène au vent. Il s'imaginait déjà lui achetant son premier poney et lui montrant à être une cavalière hors pair. Il se voyait lui enseignant le nom des nombreux animaux du domaine, main dans la main, ses yeux confiants et aimants levés vers lui. Il la voyait déjà discrète et resplendissante à leurs côtés, à Londres, lors de sa première sortie. Il la voyait gracieuse et espiègle, avec ce petit sourire en coin qui lui rappelait sa Lizzie. Il la voyait femme, aimée et admirée, un précieux joyaux au milieu de jeunes filles ordinaires.
Il se voyait la présenter à la Société avec fierté, la guidant à son bras.
Il était déjà jaloux de l'homme qui la lui volerait un jour. Il souffrait de penser qu'un jour elle quitterait Pemberley pour fonder sa propre famille. Heureusement il avait des années devant lui avant que cela ne se produise. Des années où il comptait bien profiter de chaque moment avec elle.
Jamais il n'aurait cru qu'il ressentirait un tel amour. Plusieurs hommes l'avait plaint de ne pas avoir eu de garçon et avaient tenté de le rassurer en lui disant que sa femme était encore jeune et qu'un héritier ne tarderait pas. Il avait seulement sourit sans les contredire car il savait qu'aucun d'eux n'aurait compris à quel point il était heureux de cet enfant. Pour ces hommes, Anne n'était qu'une fille. Pour lui, elle était sa fille.
Darcy remonta doucement la couverture pour la couvrir un peu mieux. Il eut soudainement un frisson malgré le feu qui réchauffait amplement la pièce. Le malaise qu'il avait ressenti toute la soirée s'accentua.
Il regarda Anne plus attentivement. Elle était comme à son habitude, couchée sur le dos, les deux poings vers le haut, la tête légèrement penchée sur la gauche.
Les secondes s'écoulèrent sans qu'il ne comprenne ce qui n'allait pas. Il caressa doucement sa joue, comme il avait l'habitude de le faire, convaincu qu'elle aurait le même réflexe que d'habitude, qui était de pousser un long soupir.
Elle ne fit aucun son. Darcy remarqua alors que la joue de sa fille était anormalement froide.
Son coeur se mit à battre douloureusement. Il posa une main sur sa poitrine afin de sentir son petit torse s'élever et s'affaisser au rythme de sa respiration.
Il ne sentit rien.
-'Anne...' murmura-t-il, la panique s'emparant de lui. 'Anne?'
Il arracha la couverture et toucha le reste de son corps. Il était glacial. Il la prit alors dans ses bras et elle était molle comme une poupée.
-'Non, non, non, non!' souffla-t-il entre ses dents en lui touchant le visage, le cou, les jambes. 'Je t'en prie, réveille-toi! Anne!'
Il se refusait à l'admettre. Il se refusait à comprendre. Que se passait-il? Pourquoi ne bougeait-elle pas ? Pourquoi ne respirait-elle pas? Pourquoi est-ce que sa tête et ses bras dodelinaient ainsi, elle qui avait habituellement tant de tonus? Pourquoi était-elle si pâle, aussi pâle que la mort?
Il entendit quelqu'un appeler Elizabeth, maintes fois, et il lui fallut un moment avant de réaliser que cette voix empreinte de souffrance était la sienne.
(*-*)
J'ai eu beaucoup de mal à écrire cette dernière scène, mais il y avait un moment que je la planifiais car elle est importante pour l'évolution de Lizzie et Darcy. Encore aujourd'hui, la mort subite du nourrisson est incomprise, toujours aussi soudaine et toujours aussi douloureuse aux parents. Depuis que je suis maman, je comprends mieux la souffrance que cela devait être pour ceux qui avait à vivre le deuil d'un enfant car la seule idée de perdre mon fils un jour me fait mal au point d'en pleurer. J'avais besoin d'écrire cette scène pour extérioriser cette peur qui ne nous quitte jamais une fois que nos enfants poussent leur premier cri. Je me doute que vous n'aimez pas ce chapitre et je tiens à dire que les prochains ne seront pas très heureux non plus. Cependant, le soleil reviendra, ça je vous le promets. J'ai beau vouloir que cette histoire soit réaliste, je ne peux me résoudre à ce que nos deux personnages favoris aient une fin malheureuse! Beaucoup de chapitres sont encore à venir et, comme tous les parents qui doivent faire face à ce genre d'épreuve, ils apprendront, difficilement, à vivre avec ce vide dans le coeur.
