Joyeux Noel à tous!
Chapitre 37
Au revoir
Il l'avait appelé au secours, espérant peut-être qu'elle aurait pu faire quelque chose pour changer la situation. Il avait cru bêtement que la présence d'Elizabeth aurait pu inverser la funèbre réalisation qu'il avait fait en prenant sa fille dans ses bras. La panique s'était emparé de lui, une panique qui embrouillait la raison et qui, pendant quelques secondes, avait été la principale émotion qui l'accaparait. Il avait cherché en vain à la faire respirer à nouveau, soufflant dans sa petite bouche, appuyant délicatement, mais fermement, contre sa poitrine. Ces tentatives désespérées étaient vaines et il le savait. Son esprit logique n'avait pas mis longtemps à réaliser qu'il n'y avait plus rien à faire, peu importe ses efforts. Sa fille n'était plus.
Darcy cessa de chercher à la réanimer et l'emprisonna dans un étau, contre son coeur, laissant les larmes couler sur ses joues sans même chercher à les arrêter. La douleur qui l'étranglait en ce moment était trop vive, trop franche, trop vraie pour qu'il puisse se soucier du spectacle qu'il faisait de lui-même en ce moment. Cela lui importait peu. Plus rien n'importait. Sa vie venait de basculer et il savait que plus rien ne serait pareil.
Il berça sa fille dans ses bras en sanglotant et enfoui son nez dans ses petites boucles sombres à la recherche de ce parfum doux et unique. Les dernières traces de son odeur disparaissait déjà et il s'y accrocha tant qu'il le put.
Puis Elizabeth était arrivé.
Elle déboula dans la pièce, les cheveux en bataille, vêtue seulement de sa robe de nuit. Il se tourna vers elle, la suppliant du regard, lui présentant leur fille inerte. Il s'était attendu à des pleurs, à des cris et des larmes. Il était prêt à l'accueillir dans ses bras et à pleurer avec elle, à partager la douleur que seule elle pouvait comprendre, cette douleur jumelle à la sienne qu'il avait tant besoin d'extérioriser. Mais plutôt que de s'effondrer à ses pieds, Elizabeth recula en blêmissant. Son regard se vida et elle le fixa d'un air étrange, comme si soudainement elle avait quitté son corps et laissé derrière elle le néant.
-'Lizzie?'
Elle quitta la pièce brusquement. Darcy la regarda partir sans comprendre, blessé et seul avec sa douleur, plus vive que jamais. Quelques secondes seulement passèrent avant que Richard et Anne entrent dans la pièce et constatent le drame qui venait de se produire. Darcy fixait toujours la porte, là où sa femme s'était tenu un instant auparavant, hébété. La vue de son cousin le ramena brutalement à la réalité.
-'Que s'est-il passé?' demanda celui-ci sous son souffle en s'approchant de lui.
Darcy secoua la tête. Il avait recommencé à la bercer, à la regarder, à la toucher tendrement. Elle était si paisible. 'Je ne sais pas.'
Il chassa les larmes qui tombaient sur les joues rebondies de sa fille et lui embrassa le front pendant qu'Anne se retournait vers la nourrice qui, du coin de la pièce, avait observé la scène en sanglotant silencieusement. 'Avez-vous remarqué quelque chose d'inhabituel? Un indice qui pourrait nous dire ce qui s'est passé?'
-'Non, Madame.' répondit la jeune femme en reniflant. 'Elle était tout à fait normale. Elle a bu comme à son habitude, je l'ai bercé pour s'endormir et elle était bien vivante lorsque je suis retourné la voir après avoir pris mon repas, dans l'autre pièce. J'ai été juste à côté, la porte ouverte, tout la soirée. Je l'aurais entendu s'il s'était passé quelque chose.'
Richard posa une main sur l'épaule de son cousin. 'Darcy, il faut appeler un médecin.'
Ce dernier ramena son enfant encore plus près de lui en un geste protecteur. 'Ne me demande pas de la laisser, j'en suis incapable. Je veux rester ici, avec elle.'
-'Bien sûr. J'irai moi-même, ce sera plus rapide. Anne, peux-tu rester ici?'
-'Non.' intervint Darcy. 'Laissez-moi, je vous en supplie. Laissez moi seul avec elle.'
Ils s'échangèrent des regards, mais acquiescèrent sans un mot. La nourrice fut accompagnée par Anne jusqu'à la cuisine et Richard prit aussitôt la direction des écuries.
Une fois la porte refermée, Darcy laissa libre court à sa douleur. Il serra la petite Anne dans ses bras, s'excusant mille fois de ne pas avoir pu la connaître d'avantage, de ne pas avoir su être plus présent, de ne pas avoir pu lui apprendre toutes ces choses qu'il s'était imaginé lui enseigner. La douleur était si forte! Elle lui dérobait son souffle, lui embrouillait l'esprit et le faisait trembler violemment. Ses sanglots et ses gémissements résonnaient dans la pièce sombre comme un écho sans fin.
Dieu avait choisi de lui enlever son enfant, ce petit être innocent, et il ne comprenait pas pourquoi. La colère d'une telle injustice lui fit serrer les dents et reprendre péniblement son souffle, mais il savait bien au fond de lui qu'elle était vaine. Il était plus facile de blâmer les autres, plus simple de rejeter la faute sur autrui plutôt que d'encaisser le choc de ses propres remords. Tous ces rêves qui s'envolaient...
Dehors, l'orage grondait plus fort que jamais. Anne revint une heure plus tard pour l'informer que Lizzie avait été retrouvé inconsciente dans sa chambre, mais que son état était stable. Jane et Abby l'avait mise au lit, Abby se portant volontaire pour veiller sur sa maitresse jusqu'au retour de Darcy.
-'Le médecin aura probablement à l'examiner aussi.'
Darcy acquiesça. 'Elle...elle a regardé notre fille comme si...comme si elle n'était pas son enfant. Comme si elle ne la voyait pas. J'ai vu la douleur dans ses yeux puis...plus rien. Le vide.'
Anne hocha doucement de la tête. 'C'est le choc, Fitzwilliam. Elle reprendra ses esprits bientôt et, si je puis me permettre, il vaudrait mieux que tu sois à ses côtés lorsqu'elle se réveillera.'
Il n'avait pas envie de laisser sa fille. La seule idée de la savoir dans son lit froid, abandonnée et seule, lui était insupportable. Elle avait besoin de lui, de ses bras, de sa chaleur. Il caressa ses bouclettes noires et l'embrassa sur le dessus de la tête, fermant les yeux sur ses larmes brûlantes, nombreuses, douloureuses. 'Encore un peu, Anne. S'il-te-plaît.'
-'Je viendrai te chercher dès qu'elle présentera des signes d'éveil.'
Il hocha la tête en signe d'approbation et se retrouva à nouveau seul pour quelques heures. Une migraine le harcelait maintenant, mais c'était le moindre de ses soucis. La fatigue l'engourdissait, mais rien ne l'aurait fait bouger en ce moment. Il aurait toute la vie pour dormir; il n'avait qu'une nuit pour lui dire au revoir.
Il lui raconta des histoires, des aventures qu'il avait vécu quand il était petit. Il lui raconta combien sa famille l'aimait et combien elle aurait été heureuse de grandir à Pemberley. Il lui décrivit le domaine dans tous ses détails. Il lui parla de ses parents, de sa soeur, de sa belle-famille. Il lui parla jusqu'à ce que sa voix se brise et que sa tête se courbe sur son petit corps, comme si même après toutes ces heures il avait encore espoir de sentir sa poitrine se soulever et s'affaisser contre son oreille.
Le soleil se leva et avec lui la maisonnée s'éveilla. Dans le corridor les gens allaient et venaient, parlant à voix basse. Darcy se rappela soudainement qu'Elizabeth ne tarderait probablement pas à se réveiller et son coeur se serra à l'idée de ce qui l'attendait. Pour lui, la douleur de cette perte était atroce et il savait que pour Lizzie, elle qui l'avait porté en son ventre et mise au monde, cela allait être insupportable. Ils devaient se soutenir dans cette épreuve. Ils devaient se retrouver, partager leur douleur, s'épauler. Plus que jamais, ils avaient besoin l'un de l'autre.
Comme si elle avait lu dans ses pensées, Anne cogna doucement à la porte avant d'entrer. Elle avait les yeux rouges de fatigue et elle semblait plus pâle qu'à son habitude, mais elle s'offrit tout de même de veiller sur la petite Anne en son absence. Il déposa délicatement l'enfant dans les bras de sa cousine et caressa une dernière fois sa joue avant de tourner les talons et de se diriger vers sa chambre à coucher.
Elizabeth dormait dans leur lit, mais elle ne portait pas cet air paisible qu'elle avait habituellement en dormant. Sa peau était d'une étrange teinte et les cernes sous ses yeux étaient apparentes, lui donnant un air fantomatique. Ses longs cheveux noirs n'étaient pas soigneusement nattés, mais plutôt comme un nuage sombre et sauvage autour de sa tête. Darcy s'approcha d'elle et fut frappé par le changement qu'il voyait déjà en elle.
Dès qu'il fut assis, Lizzie se mit à bouger et gémir. Les secondes qui suivirent lui parut comme une éternité alors qu'elle ouvrait les yeux et le fixait d'un air si neutre qu'il crut qu'elle avait tout oublié. Puis il vit que les images de la veille lui revinrent en mémoire et ses pupilles se dilatèrent, sa respiration se saccada et elle se mit à secouer la tête frénétiquement.
-'Non...' souffla-t-elle.
De voir sa propre douleur se refléter dans les yeux de sa femme apporta une toute nouvelle réalité à la chose et il sentit les larmes couler sur joues à nouveau.
-'Will...Dis moi que ce n'est qu'un affreux cauchemar. Dis moi que ce n'est pas vrai.'
Il se mordit la lèvre pour ne pas gémir à son tour et il s'avança vers elle pour la prendre dans ses bras, mais elle eut un mouvement de recul. Elle se dégagea brusquement des couvertures et tituba jusqu'à la fenêtre, où ses mains s'agrippèrent aux rideaux.
-'Lizzie...'
-'Non.'
Même dos à lui, il pouvait deviner qu'elle avait du mal à respirer. Pendant ces longues heures auprès d'Anne, il n'avait pas réfléchi à combien il serait pénible de voir Elizabeth ainsi, perdue dans sa douleur, perdue dans un monde où il n'avait pas accès. Il n'avait pas imaginé qu'elle le repousserait ainsi, encore une fois. Il avait cru qu'ils auraient passé des heures ensemble, à trouver du réconfort dans l'étreinte de l'autre, à partager cette douleur atroce. Mais il devait se rendre à l'évidence; elle était toujours sous le choc.
-'Lizzie, il faut-'
-'Non!' le coupa-t-elle sauvagement. Un éclair suivi d'un violent coup de tonnerre ajouta une finalité à leur conversation et Darcy sut alors qu'il ne pourrait rien faire. Si elle ne voulait pas de ses bras, il ne pouvait pas la forcer. Il était trop fatigué pour insister et trop affecté par les évènements pour chercher à lui faire entendre raison. Après un moment, voyant qu'elle ne bougeait pas, Darcy quitta la pièce. Il retourna auprès de sa fille et attendit, ne voulant manquer aucune seconde du temps qu'il lui restait avec elle. Bientôt, on laverait son corps et on l'habillerait de son plus bel habit. Bientôt, un service sera tenu pour officialiser son départ vers le royaume du Seigneur. Bientôt un cercueil en bois serait sa nouvelle maison et elle reposerait dans le cimetière familial.
(*-*)
Le médecin n'arriva pas avant le début de l'après-midi. L'orage les avait grandement retardé et la voiture s'était embourbée plusieurs fois, nécessitant la force de tous les hommes pour être décoincée, les retardant de plus belle. Dès son arrivée, Richard le conduisit dans la nurserie et ils trouvèrent Darcy dans la même position qu'au moment où son cousin l'avait laissé. Ce dernier tendit sa fille à contrecoeur au Dr Baker, qui se chargea de l'examiner avec délicatesse.
-'Alors docteur?' demanda Richard lorsqu'il eut fini son examen.
L'homme poussa un long soupir. 'Parfois il n'y a pas d'explications apparentes pour ce genre de décès. Je suis désolé de ne pouvoir vous en dire plus, Mr Darcy.'
Darcy insista. 'Il n'y a vraiment rien?'
-'Malheureusement, ce sont des choses qui arrivent. Ce n'est pas le premier cas que je rencontre et je crains que malgré toutes les avancées en médecine, nous ne pouvons toujours pas déterminer la cause de ces morts subites chez les enfants en bas âge.' Il hésita un moment avant d'ajouter: 'Je peux cependant effectuer une autopsie, si vous le désirez. Il se peut que l'examen interne révèle une cause non apparente. Plusieurs collègues de l'école de médecine bénéficieraient de pouvoir étudier un tel cas.'
La seule pensée de cette pratique sur sa fille lui donna la nausée. Il préférait vivre avec le fardeau de ne jamais savoir ce qui s'était passé plutôt que de vivre avec l'image d'Anne dans une salle immaculée, entourée d'homme et de scalpels. Son ton fut un peu plus brusque qu'il ne l'aurait voulu, mais il fut catégorique. 'Non. Je ne souhaite en aucun cas voir Anne devenir une expérience scientifique.'
Le Dr Baker ne sembla pas en prendre offense. 'Cela est à votre discrétion, Mr Darcy. Je ferai appel à Mrs Reynolds pour la suite. Puis-je faire autre chose pour vous?'
-'Ma femme. Elle n'est pas...elle-même.'
-'Oui, une de vos servantes m'a abordé à mon arrivée. Mrs Darcy est descendu prendre des arrangements pour le départ des invités ainsi que pour les funérailles de votre fille...Plusieurs témoignages m'ont confirmé vos craintes quant à l'altération de sa personnalité.'
-'Elle est sortie?' répéta Darcy, incrédule.
-'Un choc provoqué par un tel évènement n'est pas vécu de la même manière par tous, Mr Darcy, n'y voyez en rien quelque chose d'anormal. Il est vrai que l'on s'attend à des crises de larmes, parfois même des hystéries, de la part des mères en deuil, mais croyez-moi lorsque je vous dis que beaucoup de femmes vivent la perte d'un enfant d'une manière beaucoup plus...silencieuse. Et sournoise. Et probablement plus destructrice.'
Darcy se rappela le regard vide qu'Elizabeth avait eu la veille lorsqu'elle avait vu Anne dans ses bras. Il poussa un long soupir. 'Je n'ai pas envie de gérer cela.' murmura-t-il en se pinçant l'arête du nez. 'Il me reste si peu de temps...'
Richard s'interposa. 'Anne veillera sur Elizabeth. Darcy, prend tout le temps dont tu as besoin ici.'
Darcy en fut reconnaissant et il posa une main sur l'épaule de son cousin. 'Merci, sincèrement. Je ne peux pas...'
-'Je sais. Reste. Je sais que tu en as besoin.'
Richard était l'un des seuls qui savait la manière dont il faisait ses deuils. À la mort de son père, Darcy avait veillé sur son corps pendant des heures. Il n'avait pas pu le faire pour sa mère, pas en sa présence, mais il avait passé une nuit complète dans sa chambre, assis sur le plancher, une chandelle devant lui, à veiller son départ. À lui faire des promesses, à lui parler, à lui dire au revoir. Comme si ces quelques heures de solitude, aussi banales soient-elles, était son seul moyen de fermer ce chapitre de sa vie afin d'en commencer un nouveau.
Cette fois par contre, ce n'était pas son père, sa mère ou un oncle que l'on allait enterrer, mais sa fille. Son esprit n'arrivait pas à accepter cette fatalité. Les enfants ne devaient pas mourir avant les parents, la vie n'était pas ainsi faite. Et même si de tels drames se produisaient régulièrement dans tous les milieux, dans toutes les familles, cela ne rendait pas les adieux moins difficiles.
Mrs Reynolds vint en fin d'après-midi. Elle informa Darcy qu'Elizabeth était à nouveau dans sa chambre et que le médecin l'avait trouvé assise près du feu, sans grande conscience de ce qui se passait autour d'elle, murmurant des paroles incompréhensibles. Il lui avait donné du laudanum pour la faire dormir et avait conseillé que personne ne la réveille avant le lendemain matin. Il reviendrait à ce moment-là pour l'examiner.
Mrs Reynolds voulut se mettre au travail afin de préparer Anne pour les funérailles, mais Darcy lui demanda de le laisser le faire. Il lava son petit corps frêle avec de l'eau parfumé, l'habilla soigneusement dans sa tenue de baptême. Lorsqu'il attacha sa capine, ses mains tremblaient. Pourquoi avait-il à faire cela? Pourquoi avait-il à enterrer son enfant? Pourquoi Anne? Avait-il fait quelque chose pour mériter un pareil sort? Dieu le punissait-il d'avoir négligé son enfant pendant la grossesse d'Elizabeth? Lui envoyait-il un message lui disant qu'il aurait dû, comme la Bible lui disait, chérir la chair de sa chair? Ces quelques mois à ignorer l'amour qui le lierait à son enfant avait-il été suffisant pour lui mériter une punition de la sorte? Avait-il fait une erreur en ne songeant qu'à Lizzie pendant tous ces mois? La culpabilité le hantait, le harassait, grandissait à chaque minute comme un venin douloureux.
Lorsqu'Anne fut prête, Mrs Reynolds le laissa seul à nouveau. Il ne fut pas long pour que Richard le rejoigne.
-'J'ai cru bon d'apporter ceci.' dit-il en lui montrant les deux verres et la bouteille d'alcool qu'il avait dans les mains. Il prit place près de lui en grognant sous son souffle; il avait l'air complètement éreinté. 'Il y a un moment que je n'ai pas ressenti ce genre de courbatures; je crains que cela ne trahisse mon âge.'
Darcy refusa le verre qui lui était présenté. 'Non. Je n'ai pas envie de noyer ma peine.'
-'Tu en aurais pourtant bien besoin. Personne ne te le reprocherait.'
-'Moi je me le reprocherais. Je n'ai pas envie de passer les dernières heures avec elle l'esprit embrumé par l'alcool.'
-'Cela t'aurait aidé à dormir un peu.'
-'J'aurai le temps de dormir quand tout sera terminé.'
Richard acquiesça lentement de la tête. Au bout d'un moment de silence, il ajouta: 'Je suis désolé. Désolé que tu aies à vivre cela, mon ami. J'ai perdu mon frère, ma belle-soeur et leurs enfants il n'y a pas si longtemps et la douleur de leur perte est encore fraîche. Je n'imagine même pas ce que ce doit être pour toi, quand ce que tu perds est une partie de toi, littéralement.'
Darcy prit une grande inspiration. 'Cela est la pire chose que j'ai eu à vivre. Jamais je ne l'oublierai. Jamais je ne cesserai de l'aimer. Bien sincèrement, je ne sais pas comment je réussirai un jour à m'en remettre.'
Richard posa une main sur son épaule pour le réconforter. 'La douleur n'est jamais moins forte, mais nous apprenons à vivre avec. Il le faut, pour tout le monde...Pour Pemberley, pour Georgiana, pour Elizabeth. Tu iras de l'avant pour tout ceux que tu aimes.'
Darcy se frotta les yeux. Il avait tant pleuré que ses paupières étaient boursouflées. 'Je ne sais pas si j'y arriverai. Je ne me sens pas la force de rien.'
-'Naturellement...mais il y a autre chose, n'est-ce pas? Je le vois dans ton regard. De la culpabilité.'
Darcy baissa la tête. 'Bien sûr que je me sens coupable...'
-'Je sais que tu ne me croiras pas, mais tu n'as rien à te reprocher. Le médecin a été formel; il n'y a rien que personne aurait pu faire.'
Il secoua la tête. 'Ce n'est pas cela. J'aurais pu...Tout ce temps que j'ai perdu...'
-'Darcy.' dit alors Richard d'une voix ferme. 'Ne prend pas cette route. Tout ce que tu fais toujours, tu le fais pour les autres. Pour leur bien-être. Pour les protéger. Tu as fait ce que tu croyais le mieux pour ta famille.'
-'Je sais que je dois être fort, mais je ne m'en sens capable. Je n'arrive même pas à faire semblant. Lizzie a besoin de moi et je préfère rester ici, loin d'elle, plutôt que d'affronter son regard à nouveau.'
-'Elle gère sa douleur d'une différente manière. Jamais je n'aurais cru dire cela, mais...pour une fois tu es celui qui semble t'y prendre de la bonne façon. Elizabeth n'est pas elle-même. Anne m'a même dit qu'elle avait l'impression de voir une étrangère.'
-'Je ne sais pas comment je ferai pour l'aider alors que j'ai moi-même du mal à garder la tête hors de l'eau.' murmura Darcy d'une voix exténuée. 'Je ne sais même pas comment j'arrive à rester calme présentement. Et avec tous ces gens, tous ces regards...j'ai seulement envie de m'enfermer dans cette pièce et de n'en sortir que lorsque tout sera terminé.'
-'Ton souhait se réalisera rapidement. Lizzie a organisé le départ des invités.' commenta Richard. 'Si je ne me trompe, Pemberley sera très calme après les funérailles.'
Darcy ferma les yeux pour encaisser la douleur que ce mot lui faisait. Il n'avait pas envie d'accepter la réalité. Il n'avait pas envie de procéder à la suite. Il aurait aimé que le temps s'arrête afin qu'il puisse prendre Anne pendant des jours, des semaines, des années. Il n'arrivait pas à accepter que cela était les derniers moments qu'il avait avec elle.
-'Je ne comprends pas, Richard.' souffla-t-il entre ses dents, la gorge et les yeux brûlants. 'Je ne veux pas avoir à lui dire au revoir. La seule idée que je ne la reverrai plus jamais est une torture. Une partie de moi sait que je n'y peux rien, que je dois aller de l'avant, que ces choses font parties de la vie. Une autre partie de moi a envie de crier que cela est injuste et refuse d'accepter qu'elle...qu'elle..' Il prit une grande inspiration. 'Comment est-ce que je peux la laisser partir?'
Leurs regards se tournèrent vers le petit corps vêtu de blanc.
-'Il faut garder confiance que Dieu sait mieux que nous...' répondit Richard au bout d'un moment. 'Et que là où elle est, Anne est en paix. On ne peut rien changer maintenant. Nous sommes impuissants face à la destiné qu'Il nous réserve. Il faut aller de l'avant, il faut se battre. Et cette bataille sera probablement ta plus difficile.'
(*-*)
Les funérailles eurent lieu le lendemain. Les invités, qui il y a une semaine à peine avait assisté au baptême de la petite Anne, se présentèrent tous à la cérémonie et à la mise en terre, mais la plupart quittèrent Pemberley dès que tout fut terminé. Richard et Anne restèrent à la demande de Darcy, qui plus que jamais avait besoin de la présence de son cousin dans ce terrible moment. Elizabeth se prouva encore plus difficile à gérer que prévu, le choc ayant altérer sa personnalité au point qu'il la reconnaissait à peine. Elle était distante, dure; ses yeux ne trahissaient qu'une noirceur effrayante. Il ne pouvait pas lui parler, se confier, peu importe le moment. Elle ne baissait jamais sa garde. Elle évitait d'être seule avec lui et ne venait plus le rejoindre la nuit, allant même jusqu'à fermer sa porte à clé afin qu'il n'accède pas à sa chambre. Ce rejet le blessait énormément. Le poids de ce fardeau était trop lourd. Darcy se sentait peu à peu sombrer dans une dépression qui ne le quitta bientôt plus, ne trouvant pas en lui la force qu'il avait toujours eu face à ce genre d'évènement. Il avait l'impression de se laisser dériver au large, sans se battre, en observant au loin Lizzie, son phare, qui s'éloignait lentement. La lumière ne brillait plus, pas même une étincelle pour lui donner espoir.
Darcy prit alors l'habitude de l'éviter lui aussi, mais il n'arrivait pas à reprendre ses responsabilités comme avant. Ses pensées étaient sombres, tristes. Il se surprenait à déléguer beaucoup de ses tâches et négliger certains aspects de son rôle. Il culpabilisait de son attitude, mais n'arrivait pas à faire autrement. Il se mit à boire pour soulager la douleur. À dormir pour ne pas affronter le jour. À éviter tout contact social pour que personne ne voit à quel point il était faible et vulnérable.
Heureusement pour lui, Richard prit les commandes de Pemberley et personne ne souffrit de l'égarement de leur maitre. Il ne manquait jamais de le consulter pour tous les problèmes qui faisait surface, mais n'insistait pas quand Darcy haussait les épaules en lui demandant de décider à sa place. Cependant il voyait bien, au fur et à mesure que les jours, les semaines passèrent, que son état n'était pas prêt de s'améliorer.
Quant à Lizzie, elle ne laissait personne faire son travail à sa place. Elle prenait même des responsabilités des mains de Richard et s'occupait du matin au soir, ne se laissant pas une minute de répit. Elle n'était pas méchante envers les domestiques, mais elle ne toléra plus les erreurs et les manquements, insistant sur la ponctualité et la précision de toute chose. Elle gérait la maisonnée d'une main de fer et plusieurs commencèrent à la craindre, évitant souvent d'être sur son chemin afin de ne pas être victime de représailles.
Elizabeth refusait toute visite et restait très brève dans sa correspondance. Les lettres de sa famille, qui s'inquiétait de plus en plus eux aussi, s'empilaient dans un coin de son secrétaire sans avoir été ouvertes.
Jamais Pemberley ne connut un temps si sombre. La mort n'était pas nouvelle à leur porte, mais jamais elle n'avait occasionné de changements si brutaux. Certains commencèrent même à désespérer de retrouver un jour leurs maitres, si différents depuis ce jour tragique. L'été passa sans que les habituelles célébrations égayent l'humeur des occupants. L'automne se présenta avec une température maussade dès septembre. Les jours commencèrent à s'écourter et avec eux, l'espoir des habitants de Pemberley s'amenuisa.
Personne n'aurait pensé que leur salut viendrait sous la forme d'une visite importune. Alors qu'octobre commençait à peine à changer la couleur des feuilles dans les arbres, une voiture s'avança dans l'allée menant à Pemberley, abritant à son bord nul autre que Lady Catherine de Bourgh.
(-*-)
J'espère pouvoir délivrer le prochain chapitre rapidement, écrit depuis un moment déjà, en attente de correction et d'ajustements. Je ne promets rien puisque j'ai tendance à devenir super occupée dès que je me mets en tête d'écrire plus souvent (#mommyproblems anyone?), mais je vais faire de mon mieux!
Je sais que ce chapitre n'est pas très joyeux pour Noel, d'où ma raison de vouloir publier le prochain, qui sera plus léger et, surtout, rempli d'espoir, le plus rapidement possible. Ne désespérez pas chères lectrices, le soleil reviendra!
Je tiens à dire aussi que je respecte toutes les opinions qui me sont données par review. Je prends en compte vos commentaires et je vais appliquer ces critiques constructives sur mes idées! Merci à toutes de vos commentaires et votre assiduité : )
