Je crois que je n'ai pas publié aussi rapidement depuis...euh...des années! J'étais très inspirée pour ce chapitre et j'espère qu'il vous apportera un peu de réconfort après les derniers chapitres un peu lourds. Celui-ci n'est pas très gai non plus, mais il se termine sur une belle note, comme promis! UNE NOTE IMPORTANTE A ÉTÉ AJOUTÉ À LA FIN DU CHAPITRE, svp prenez le temps de lire si vous voulez des éclaircissements sur une certaine erreur que j'ai commise :)
Chapitre 38
L'histoire de Lady Catherine
Dans le coeur de Lizzie l'orage grondait toujours. Les beaux jours se rafraichirent et même si le soleil fut présent jusqu'en septembre, elle avait toujours froid. Ses mains glacées s'occupaient avec ferveur toute la journée et venu le soir, elle prit l'habitude de prendre des infusions afin de l'aider à dormir. Au début elle se réveillait plusieurs fois par nuit, couverte de sueur et le coeur battant, avec les images de sa fille en tête. Chaque fois que cela arrivait, elle se retournait vivement dans son lit afin de les chasser, la chaleur de sa rage l'empêchant de verser les larmes qui lui brûlaient le coin des yeux. Puis elle prit l'habitude de ne pas dormir plus que quelques heures afin de fuir la douleur, mais la fatigue et la colère transformèrent bientôt sa personnalité à un point tel qu'elle ne se reconnaissait plus elle-même.
Les semaines passèrent et toujours le feu en elle brûlait, vif et poignant. Les nombreuses lettres qu'elle reçut n'arrangeait en rien les choses, trouvant dans les souhaits de condoléances des intentions non sincères. Elle avait été un mouton noir de la haute société dès son mariage avec Darcy; de lire des mots de regrets provenant de ces femmes qui la jugeait constamment l'agaçait au plus haut point. Les quelques lettres provenant de ses bonnes amies ne suffisaient pas à ramollir la carapace qu'elle bâtissait autour de son coeur. Celles de sa famille, surtout celles de Jane, demeuraient intouchées sur le coin de son secrétaire. À quoi bon répondre à tous ces gens quand les mots qui allaient sortir de sa plume n'étaient que des reproches? Elle en leur en voulait. Elle en voulait à la terre entière.
Un après-midi d'octobre, alors qu'elle s'occupait à faire l'inventaire de l'argenterie avec Mrs Reynolds, Elizabeth vit par la fenêtre une voiture s'avancer dans l'allée centrale. Elle échangea un regard avec l'intendante, qui semblait aussi surprise qu'elle.
-'Attendions-nous des invités, Madame?' demanda cette dernière, étonnée.
Lizzie secoua la tête, s'approchant de la vitre afin d'essayer de discerner de qui il s'agissait. La voiture lui semblait vaguement familière et elle se demanda pendant un moment si Lydia ne serait pas celle qui en débarquerait, étant la seule de ses connaissances qui oserait s'inviter chez elle sans avertissement. Elle écarta rapidement cette option en voyant la prestance des cheveux et la qualité de la voiture elle-même. Seule une personne aisée pouvait se permettre un si luxueux attelage et sa soeur, aux dernières nouvelles, était toujours en quête d'argent. Soudainement, un souvenir peu agréable lui revint en mémoire et elle resta figée de stupeur en réalisant que cette voiture était la même qui, il y a longtemps déjà, s'était arrêté devant la maison de ses parents pour y laisser descendre une très mécontente Lady Catherine de Bourgh.
Elizabeth sentit la colère monter en elle. Qui avait osé l'inviter? Darcy avait-il donné son consentement sans l'avertir? Était-ce Anne? Non, probablement pas. Nul doute que sa tante par alliance avait, encore une fois, décidé qu'elle avait le droit de s'inviter où elle voulait sans prendre la peine de se demander si elle était la bienvenue ou non.
-'Mrs Reynolds, je monte dans ma chambre. Avertissez Lady Fitzwilliam que sa mère est arrivée.'
-'Mais...'
Sans même daigner écouter la fin de sa réponse, Elizabeth prit la direction de ses appartements et ferma la porte derrière elle. Elle dût prendre plusieurs grandes inspirations pour calmer son coeur battant. Pourquoi était-elle ici? Voulait-elle, encore une fois, lui dire comment gérer sa vie? Pire encore, se satisfaire de leur malheur? Lady Catherine devait jubiler de voir leur mariage battre de l'aile depuis quelques mois. Elle avait probablement déjà raconté à quiconque voulait l'entendre qu'elle avait prévenu son neveu qu'une telle union ne pouvait que mener à la catastrophe. Elle devait se dire qu'elle avait, encore une fois, eu raison.
Impossible. Elizabeth ne pouvait pas le supporter. Elle ne se laisserait pas faire. Elle refuserait totalement de l'écouter ou même de se laisser approcher par cette vipère. Elle resterait dans sa chambre pour aussi longtemps que Lady Catherine serait présente.
(-*-)
Les heures passèrent et Elizabeth ne descendit pas accueillir la nouvelle invitée. La tension était palpable dans la maison. Abby rapporta à sa maitresse que Lady Catherine avait prit son repas avec sa fille et son gendre, en silence, Darcy s'étant excusé à peine une heure après son arrivée. Le refus de la maitresse de la maison de se présenter ne manqua pas de lui déplaire et Lizzie espéra que sa tante comprenne que son absence était un message clair disant qu'elle ne devait pas s'attarder à Pemberley.
Le lendemain, Elizabeth ne put rester enfermé dans sa chambre plus longtemps et décida donc de réorganiser la petite bibliothèque personnelle qu'elle s'était faite dans son salon privé. Les minutes passaient lentement, mais Lizzie se concentra sur sa tâche sans rechigner. Dehors le soleil avait fait place à la pluie et les chemins qu'autrefois elle foulait avec entrain ne l'attirait plus du tout. Elle qui avait toujours adoré les longues promenades dans la nature, voilà qu'elle n'avait plus envie de se livrer à ce passe-temps. Comment pouvait-elle apprécier de nouveaux les bonheurs de la vie quand tout à ses yeux était recouvert d'un filtre sombre?
En début d'après-midi, on cogna brièvement à la porte et cette dernière s'ouvrit sans attendre de réponse.
-'J'ai terminé, Abby.' dit Lizzie sans se retourner, faisant référence au repas presqu'intacte que sa suivante lui avait apporté une heure plus tôt. 'Je n'ai besoin de rien d'autre, merci.'
Au bout de quelques secondes de silence, Elizabeth réalisa qu'Abigaëlle n'aurait pas osé entrer sans y être invitée. Aucun autre domestique ne le ferait d'ailleurs, pas même Mrs Reynolds. Cela ne voulait dire qu'une chose.
Lizzie prit une grande inspiration avant de faire volte-face et d'affronter le regard de Lady Catherine. Cette dernière se tenait droite comme un mât, la tête haute, les yeux froids. Ses mains étaient croisées sur sa canne à tête de lion en or. Elle était vêtue de noir et un léger châle en dentelle couvrait ses épaules, tenu par une énorme broche ornée de pierres précieuses. Elle semblait plus grande que dans son souvenir tant sa présence prenait toute la pièce.
Elles restèrent ainsi à se fixer un moment, puis Lady Catherine brisa le silence.
-'Vous ne pouvez continuer comme cela. Vous devez vous reprendre. Vous n'êtes pas la première femme à perdre un enfant et vous ne serez certainement pas la dernière.'
Ce petit discours lui fit l'effet d'un coup de poing au ventre. Quel culot! Elizabeth rougit furieusement devant une telle arrogance. 'Avez-vous fait tout ce chemin depuis Rosings seulement pour me dire cela?'
-'J'ai bien des choses à dire, mais je commence par celle-ci.'
-'Je crains que vous ne perdiez votre temps.'
-'Je ne crois pas, non.' Lady Catherine prit place sur une chaise sans attendre d'invitation et ajouta ensuite à son intention. 'Depuis mon arrivée hier, je suis consternée de voir mon neveu dans un tel état. Et vous n'êtes pas mieux.'
-'Je ne savais pas que vous étiez capable de vous intéresser à quelqu'un d'autre qu'à vous-même.'
-'Cessez ce petit jeu, Miss Bennett.'
-'Mrs Darcy.' siffla Elizabeth entre ses dents.
Lady Catherine haussa les sourcils. 'Oh, cela vous importe encore? D'après les lettres de ma fille, votre épouxn'est pas au mieux de sa forme et vous ne faites rien pour l'aider.'
-'Je n'ai aucune idée de ce que Anne a pu vous écrire, mais je peux vous garantir que tout ceci ne vous concerne aucunement. Vous n'êtes pas la bienvenue ici.'
-'Je le sais très bien, merci de me pointer l'évidence. Cependant, me voici quand même et j'ai bien l'intention de vous faire part de mes pensées.'
-'Vous êtes donc ici pour me faire la leçon, encore une fois?'
-'Non. Je suis ici pour vous aider. J'ai mis les pieds à Pemberley depuis à peine vingt-quatre heures et déjà je peux voir les dommages de cette malheureuse situation. Fitzwilliam n'est qu'une ombre de lui-même et vous...' Elle soupira et perdit un peu de sa dureté. 'Vous ne pouvez pas poursuivre sur cette route. Elle sera votre destruction.'
-'N'avez-vous donc aucun coeur pour venir ici et me torturer dans mon moment de deuil?' dit Elizabeth d'un ton dur.
Lady Catherine la regarda droit dans les yeux. 'Et vous, en avez-vous un? Avez-vous seulement versé une seule larme depuis la mort de votre fille?'
Ce commentaire la fit pâlir. 'Madame...vous n'avez pas le droit-'
-'Pas le droit de quoi? De vous dire la vérité? Vous n'êtes pas en deuil, Elizabeth, vous êtes en colère. Vous êtes si en colère que vous ne pouvez ressentir la souffrance comme vous le devriez. Vous enfouissez le mal au plus profond de vous-même et laissez brûler la rage qui elle vous consume. Vous ne ferez jamais le deuil de votre enfant si vous poursuivez ainsi. Vous ne serez plus jamais heureuse si vous ne réagissez pas bientôt.'
Lizzie tremblait de la tête aux pieds. Comment osait-elle! Comment pouvait-elle venir l'insulter, dans sa propre maison, en lui jetant toutes ces sornettes au visage?
-'Vous n'avez aucun droit de me parler ainsi.' souffla-elle finalement, les poings serrés. 'Comment osez-vous, encore une fois, essayer de me dicter ma conduite?'
-'Ce n'est pas une question de droit, mais une question de devoir.' répliqua Lady Catherine, peu impressionnée par son attitude défiante. 'Fitzwilliam est mon neveu et il m'est très cher. Il n'est peut-être pas mon gendre, mais il reste tout de même de ma famille. La lettre que ma fille m'a envoyé pour m'informer de la situation m'a grandement bouleversée, non pas par le deuil profondément ressenti par Fitzwilliam, mais par votre attitude.'
-'Vous n'avez jamais approuvé de mon attitude, pourquoi serait-ce différent aujourd'hui?'
Lady Catherine fit une pause, la jaugeant du regard. 'Je sais que vous ne voulez pas l'entendre, mais je vais tout de même vous raconter une histoire.'
La curiosité de Lizzie fut piquée malgré elle. 'Une histoire?'
-'Mon histoire. Asseyez-vous.'
-'Je préfère rester debout.' s'obstina Elizabeth, soudainement consciente de ses jambes flageolantes. Elle ne lui ferait pas le plaisir de voir que son discours l'affectait.
-'Soit. Comme vous le savez, j'ai été marié à Sir Walter De Bourgh il y a longtemps maintenant. Une alliance parfaite aux yeux de tous et, bien sûr, aux miens, vu la position que cela me donnait et l'héritage que cela laisserait à mes enfants. Je sais que vous aurez du mal à le croire, mais j'étais un peu comme vous autrefois. Beaucoup de volonté, de force de caractère, une envie de vivre débordante. J'ai tout de suite remarqué cela dès que je vous ai vu, à Rosings, lors de votre visite. J'avais l'impression de me voir il y a trente ans, jeune, belle et audacieuse. Cependant, j'étais fière, prétentieuse et ma nouvelle position n'a pas arrangé les choses. Contrairement à vous, je vivais pour la Société et j'y brillais admirablement.'
Elizabeth resta de marbre. Où voulait-elle en venir?
-'Quoi qu'il en soit, je suis entré dans mon mariage en sachant très bien que je mariais un homme qui n'avait pas très bonne réputation, mais qui m'apporterait prestige aux yeux des miens. Je ne sais pas si j'irais jusqu'à dire que j'étais amoureuse de lui, mais j'étais jeune et sa prestance a fait forte impression sur moi. Notre première année de mariage fut remplie de célébrations, où je me pavanais au bras de mon époux avec toute la prétention dont j'étais capable, heureuse de faire l'envie de toutes mes amies, d'être le centre de l'attention. J'étais admirée et très en demande dans mon cercle social. Partout où j'allais les femmes ne cessaient de complimenter mes tenues, mon teint, mes accomplissements. Elles admiraient mon époux aussi et ce malgré le fait que tout le monde savait les vilains défauts qui l'accablait. Car Sir De Bourgh avait un penchant plutôt prononcé pour les femmes faciles et l'alcool et il était difficile d'ignorer les rumeurs qui se renouvelaient sans cesse. Je blâmais la jeunesse de mon époux plutôt que sa nature libertine et ne prit pas offense, publiquement, de ses déboires. La dernière chose dont je voulais était un scandale sur notre nom.'
'La seule chose qui manquait à notre portrait familial parfait était, bien entendu, un héritier. Anne était née assez rapidement au début de notre mariage, mais elle était une fille. Je me rappelle encore sa déception lorsqu'elle est née, il ne l'a même pas prise dans ses bras ni même regardé. Pour lui, elle était un échec. À partir de ce moment, les choses ont commencés à dégénérer entre nous. Les années passèrent et les gens s'attendirent à ce que je me retire de nouveau, mais ce moment tardait. De nouvelles rumeurs circulèrent, sur mon compte cette fois, comme quoi j'étais infertile. Ou que j'avais quelque chose à cacher. J'entendis même que Dieu me punissait sûrement pour ma vanité en me rendant incapable d'engendrer de garçon. On évitait le sujet en ma présence et les regards que l'on me jetait m'agaçait au plus haut point. La vérité était que mon mari s'était désintéressé de notre lit conjugal et lorsqu'il daignait accomplir son devoir et que rien n'en résultait, il jetait le blâme sur moi sans ménagement. Ses compères commencèrent à lui faire des remarques et, comme la plupart des gens intoxiqués, ne mâchaient pas leurs mots dans leurs moqueries. Sir de Bourgh devint acerbe de cette situation et son attitude envers moi devint méprisante. J'encaissai sans broncher ses accusations, souhaitant ardemment qu'un enfant découlerait de ces rares visites. Démontrer la moindre faiblesse, la moindre faille dans l'image parfaite que je désirais dégager m'était très difficile à supporter. Je devins obsédée par l'idée d'avoir un héritier et quatre ans s'écoula avant que je puisse enfin me retirer de mon cercle social, croyant que dans cet enfant se trouvait mon salut, mon retour à la gloire.'
Lizzie était muette de stupeur. Non seulement l'histoire de Lady Catherine était une surprise, car jamais elle ne s'était attendu à ce que la vieille femme s'ouvre d'une manière aussi franche, mais le fait d'apprendre qu'il y avait eu un autre enfant après Anne était une information qui lui était totalement inconnue.
-'L'attente rendait Sir de Bough fou. Il était impatient, impertinent, blessant. Lorsqu'il buvait il n'avait aucune considération pour mes sentiments et me menaçait souvent qu'il me quitterait si je ne portais pas un garçon. Et il buvait souvent. Un soir, où il s'était particulièrement enivré, je ne pus contenir ma langue plus longtemps. Son comportement, sa méchanceté, sa personne entière me répugnait. Ma grossesse n'était pas facile et je lui en voulais de ne pas avoir un peu d'empathie pour moi. J'étais enceinte de sept mois à ce moment.'
On aurait pu entendre une mouche voler tant Elizabeth était présente dans l'histoire. Sans même s'en rendre compte, elle s'était assise sur la chaise faisant face à sa tante et l'observait sans un mot, incapable de ne pas vouloir en entendre la fin. Lady Catherine fit une pause, les démons du passé assombrissant son expression. Au fond de ses yeux, dépourvu de leur masque d'arrogance habituelle, se cachait une douleur profonde que Lizzie ne connaissait que trop bien maintenant.
-'Je n'en pouvais plus alors je l'ai confronté.' poursuivit la vieille femme après un moment. 'Nous nous querellâmes avec tant de force que je sortis de la pièce en claquant la porte alors qu'il me reprochait d'être la pire épouse que la terre ait porté. Cependant, il n'avait pas fini de m'insulter et était bien déterminé à me dire le fond de sa pensée. Je me dirigeais vers mes appartements et j'arrivais tout juste en haut des escaliers quand il me rejoignit et m'empoigna le bras pour m'arrêter dans ma course. Je me dégageai aussitôt. Sir de Bourgh n'était pas un homme qui était habitué à se faire dire non et encore moins à ce que l'on s'oppose à sa volonté. Il ne jugea pas la force avec laquelle il tenta de me ramener à lui et perdit l'équilibre, lâchant mon bras une seconde trop tard. J'ai dévalé les escaliers tête première. Je me souviens de son air hébété, des cris que je poussai quand je sentis les premières douleurs qui me déchirèrent le ventre. Je savais déjà à ce moment que c'était fini. Le médecin n'eut même pas le temps de se rendre à mon chevet que mon enfant naquit mort-né; un garçon...'
Elizabeth plaqua une main contre sa bouche, horrifiée.
'La suite m'est vague. Je perdis beaucoup de sang, le médecin eut à intervenir et j'eus plusieurs jours de fièvre intense. Je ne pus voir mon fils une seule fois tant mon esprit était embrumé. Je n'ai pas pu le tenir dans mes bras ni le regarder ne serait-ce qu'une seconde avant l'enterrement. Lorsque je suis enfin revenue à moi, il était trop tard.'
Lady Catherine la regarda alors avec une compassion qui adoucissait ses traits, tout masque envolé. 'Je sais ce que c'est de perdre un enfant. J'ai perdu mon héritier tant attendu. J'avais développé, à force de souhaiter sa venue, un instinct protecteur féroce. Cela a été une épreuve terrible. Je rêvais constamment à lui, à son visage que je n'avais pas pu voir et qui apparaissait, toujours différent, tous les soirs dans mes cauchemars. Je m'étais fait tant de scénarios, tant d'attentes...Tout s'est envolé avec lui et une partie de moi aussi.'
'Le médecin fut formel par la suite; je ne pourrais plus avoir d'enfant. Son geste pendant cet accouchement lugubre, soit retirer à la main les restes du placenta qui ne sortaient pas d'eux-mêmes, m'avait sauvé la vie, mais dérobé à jamais de ma capacité d'enfanter. La déception et la honte de cette nouvelle, en plus de la perte que je venais de subir, m'a plongé dans une colère dont vous pouvez imaginer la force, Elizabeth. Une rage si brûlante qu'elle m'a consumée, pendant des années. Une haine si poignante que je me suis sentie devenir amère et malheureuse. Jamais plus je n'ai partagé le lit de mon mari. Jamais plus je n'ai cru à son humanité; pour moi il était un monstre. Je ne supportais plus sa présence. Je me suis retirée du monde, à Rosings, car aucune position, aucune gloire n'aurait pu effacer la perte que je venais de subir.'
'J'ai ensuite passé des années à haïr mon époux en silence. Lorsqu'il est mort j'ai pensé que je ressentirais du soulagement, que je serais enfin libérée de la lourdeur qui pesait sur mon coeur, mais ce soulagement n'est jamais venu. J'avais cru, à tort, que son décès précoce apaiserait la rancune que j'avais pour lui. Mais malgré son départ, j'avais toujours aussi mal, j'étais toujours aussi malheureuse. La colère m'avait transformé à jamais. J'en avais voulu à cet homme alors qu'au fond, je m'en voulais à moi. Je l'avais provoqué alors que je connaissais son tempérament colérique. Encore aujourd'hui, j'ai cette rage qui ne me quitte jamais. J'en suis à jalouser les gens qui sont heureux, à critiquer, juger et condamner alors que je sais très bien qu'au fond c'est moi qui voudrait que les choses se soient passées autrement. Je donnerais n'importe quoi pour revenir en arrière et faire des choix différents.'
Lizzie ne pouvait parler tant sa gorge était nouée. Pour la première fois depuis des semaines, elle sentit sa carapace s'amollir.
-'Je ne cherche pas à vous dire que mon histoire est pire que la vôtre.' ajouta Lady Catherine. 'Je vous dis seulement que vous faites une erreur en choisissant la colère. J'ai laissé la rage remplacer ma peine, j'ai fui ma douleur et enterré mon sentiment de culpabilité plutôt que de chercher du réconfort dans les quelques personnes qui m'aimaient. Je me suis barricadé le coeur plutôt que d'accepter ce qui est. Je n'ai pas vécu mon deuil. Je me suis laissé transformé en ce que je suis aujourd'hui et je regrette, tous les jours, d'avoir choisi cette voie. Je n'avais pas la chance d'avoir un mari aimant comme Fitzwilliam et j'ai perdu ma soeur, la seule en qui j'avais entièrement confiance, peu de temps après. Je ne pouvais plus endurer la présence de mes amies, de ma famille même. J'avais seulement Anne, ma fille, sur qui j'ai jeté toute ma protection, mais sans jamais pouvoir donner l'affection qu'elle méritait. Comment l'aurais-je pu alors que mon coeur était noir de haine? Elle était la seule chose qui me restait et je l'ai isolé avec moi, veillant sur elle comme une louve. Aujourd'hui je me retrouve seule, sans elle, sans personne. Cela est le résultat du chemin que j'ai choisi et le vôtre si vous ne vous reprenez pas tout de suite. Ne faites pas la même erreur, Elizabeth.'
Le silence qui suivit permis à Lizzie de reprendre ses esprits et Lady Catherine attendit patiemment, pour une fois, qu'elle soit prête à parler. Cette histoire l'avait profondément bouleversée. De réaliser que sa tante était ainsi à cause d'un si tragique évènement changeait complètement sa vision d'elle. Un mari abusif, la pression constante de la société, la perte d'un enfant...expérimenter ce genre de douleur et de colère était assez pour altérer une personnalité, elle le voyait dans sa propre personne. Était-ce vraiment la route qu'elle était en train de prendre? Était-elle réellement en train de se perdre, de tout perdre, en s'accrochant ainsi à sa colère?
Darcy était un époux aimant et attentif. Il avait aimé leur fille dès le premier regard, sans se soucier une seconde qu'elle ne soit pas un garçon. Sa famille n'était pas parfaite, mais elle s'était toujours sentie aimé et apprécié par eux. Jane, sa très chère Jane, ne cessait de lui écrire et ce malgré les nombreuses lettres sans réponse déjà envoyées. Abby était toujours aussi fidèle et ce même si sa maitresse n'était plus elle-même. Pemberley tout entier travaillait d'arrache pied pour maintenir l'ordre, compatissant dans cette lourde perte. Elizabeth avait repoussé tout le monde par rancune. Elle avait laissé la colère prendre toute la place et elle avait ignoré tous les bras qui se tendaient vers elle pour l'aider et la soutenir. Soudainement, elle sentit comme si une petite porte s'ouvrait sur son coeur, laissant entrevoir la douleur qui se cachait sous les sentiments destructifs qui l'habitait.
Une heure auparavant, Lizzie avait l'impression que le feu en elle serait éternel. Avant l'histoire de Lady Catherine, elle était incapable de voir une issue, un chemin autre que celui sur lequel elle marchait. Elle se mit à trembler en sentant la force des nouveaux sentiments qui l'assaillaient. Elle s'y opposa encore, plus faiblement cette fois, son assurance ébranlée. Elle regarda sa tante, songea à la vie qu'elle avait mené et celui qu'elle menait maintenant, et se dit qu'elle ne voulait pas devenir comme elle.
-'Je ne sais pas comment faire.' avoua-t Elizabeth sous son souffle. 'Je ne sais pas comment survivre à la douleur. Ma colère est la seule chose qui me garde saine d'esprit.'
-'Ce n'est qu'une impression. Il faut arrêter de chercher un coupable à ce qui s'est passé. Vous savez que personne n'est responsable de la mort d'Anne.'
Lizzie ferma les yeux sur ses larmes brûlantes. 'Je sais.'
-'Surtout,' poursuivit Lady Catherine en posant une main sur la sienne. 'Cessez de vous en vouloir à vous. Vous transposez votre colère sur les autres alors qu'au fond c'est à vous que vous en voulez. Chassez cette culpabilité de votre coeur et faites face à la situation avec un peu plus d'indulgence à votre égard. Votre présence n'aurait rien changé, Elizabeth.'
Lizzie secoua la tête. 'Si j'avais été là-'
-'Non.' la coupa fermement sa tante. 'Votre fille n'est pas décédée dû à votre absence, Dieu en a seulement décidé ainsi.'
Elizabeth sentit sa volonté fondre comme de la neige au soleil. 'Je l'ai abandonnée. Je l'ai laissé à une inconnue alors qu'elle avait besoin de moi. J'étais sa mère et je l'ai abandonnée dans les bras d'une autre femme. Elle ne saura jamais à quel point je l'ai aimé ni à quel point j'avais mal d'être séparée d'elle. Je m'en veux de ne pas avoir su écouter mon coeur qui me disait que je devais être à ses côtés. Je m'en veux de ne pas su prendre la place qui me revenait de droit. Je m'en veux tellement que j'en ai mal à mon âme tout entière.'
-'Je sais qu'aucun mot ne pourra apaiser cette douleur. Je sais qu'elle est insoutenable. Il est beaucoup plus difficile de faire face à nos regrets et notre culpabilité que de rejeter la faute sur les autres. N'ayez pas peur de vous pardonner. Cela viendra avec le temps, si vous vous donnez une chance. Pour l'instant n'oubliez pas que vous n'êtes pas seule; vous êtes entourée de gens qui vous aiment et qui sont prêts à vous aider à traverser cette rude épreuve. Ne fermez pas votre coeur. Il ne sera plus jamais le même, mais cela ne veut pas dire qu'il ne fonctionne plus.'
-'Elle me manque tellement...' murmura Elizabeth en éclatant en sanglot.
Les larmes coulèrent à flots sans qu'elle puisse les arrêter. La douleur à sa poitrine était si forte que ses ongles s'enfoncèrent dans la chair là où sa main s'était inconsciemment posé contre son coeur. Elle avait si mal qu'elle ne pouvait plus respirer. Ses pleurs résonnèrent dans la pièce comme des plaintes aigues, les enrobant toutes les deux dans un écho de lamentes. Les bras de Lady Catherine se retrouvèrent autour des épaules de sa nièce et Lizzie trouva un refuge inespéré dans les bras de la dernière personne au monde à laquelle elle aurait pensé pouvoir partager sa peine. Elle pleura longuement et bruyamment. Elle pleura jusqu'à en avoir la migraine et la nausée. Elle pleura jusqu'à l'épuisement total et ne se rendit même pas compte qu'on la transportait jusqu'à son lit.
Son coeur se vida de sa colère cette nuit-là. Elle fut remplacée par la douleur plus saine de la tristesse et de la résignation, une douleur qu'elle finirait par apprivoiser, mais qui jamais ne s'estomperait. Elle rêva de sa fille, encore chaude et vivante dans ses bras, et se réveilla avec les joues sillonnées de larmes, serrant contre sa poitrine son oreiller froid.
Enfin, Elizabeth amorçait son deuil.
(*-*)
Ce chapitre était initialement plus long. La deuxième partie impliquait Darcy et je trouvais que le chapitre était divisé en deux évènements, deux évènements trop importants pour que je les mette ensemble, selon moi. Alors soyez heureuses car le prochain chapitre est déjà à moitié fini, yay! Qu'avez-vous pensé de l'histoire de Lady Catherine? Il y a un moment déjà que je voulais explorer son personnage et trouver la raison de sa personnalité amère et arrogante. C'est parfois dans les épreuves qu'on trouve les alliés les plus invraisemblables...!
Pour la note importante concernant une erreur que j'ai commise dans les précédents chapitres:
Jane a bel et bien une FILLE nommée Elizabeth Louise Bingley. Dans mes brouillons, Jane avait initialement un deuxième garçon du nom de Henri Bingley, mais j'ai changé à la dernière minute en ayant une idée en tête. Cependant, il s'écoule parfois tellement de temps entre deux chapitres que j'oublie certain détails, comme ce changement de dernière minute...oups! Je corrigerai mon erreur sous peu!
Dernier point très important!:
N'oubliez pas que lorsque vous laissez un commentaire en tant que "Guest", je ne peux pas vous répondre! Ce n'est pas que je vous ignore, mais sans lien qui me mène à votre profil, je ne peux pas vous envoyer de message privé et donc, pas de réponse... Et souvent je suis très déçue de ne pas pouvoir vous remercier de vos beaux commentaires en privé et/ou vous rassurer que je fais mon possible pour publier rapidement les chapitres! Je suis très heureuse de lire votre ressenti et vos commentaires, je ne prends aucunement offense des critiques constructives que je reçois, cela m'aide au contraire à m'améliorer : )
Pour celles qui se le demande, j'ai encore beaucoup de chapitres en tête...et par beaucoup je parle d'une bonne quinzaine au moins! La fin n'est pas proche, mes chères lectrices...vous en avez encore pour un moment! J'espère pouvoir publier plus souvent et ne pas vous faire attendre trop longtemps entre chaque chapitre.
P.s. J'espère qu'il n'y a pas trop de fautes dans ce chapitre, je l'ai relu et travaillé tellement de fois que je ne vois plus très clair !
