Bonne année! Comme première résolution, je promets de ne plus jamais faire de promesses sur ma capacité à délivrer un chapitre dans un délai donné! Encore une fois, j'ai surestimé mon temps libre et ma motivation… Enfin…mieux vaut tard que jamais?
Chapitre 42
Résilience
« L'IRLANDE AGITÉ »
Darcy reposa son journal sur ses genoux croisés. Il avait suivi attentivement les développements à ce sujet dans les derniers mois et ne put s'empêcher de pousser un long soupir; l'Acte d'Union n'avait pas eu l'effet escompté aux yeux de son créateur, William Pitt, et avait vu le Premier Ministre quitter son poste en signe de protestation. Le refus du roi d'accorder l'Émancipation Catholique aux irlandais avait créé un mécontentement grandissant chez leur voisin. Darcy ne pouvait les blâmer; il avait beau être un Protestant affirmé, il ne pouvait condamner une personne de vouloir pratiquer sa religion de manière différente que la sienne. Ne priaient-ils pas tous le même Dieu?
-'Pourquoi ce visage long, Darcy?'
Le maitre de Pemberley agita brièvement le journal en signe de réponse, conscient que plusieurs des membres de son club était à l'écoute maintenant. 'Je crains que nous n'ayons pas fini d'en entendre parler.'
-'Encore ces satanés irlandais?' grogna l'homme sur sa droite qui, vin de Madère en main, peinait à rentrer dans son fauteuil rembourré. 'Quand vont-ils comprendre qu'ils ont perdu la guerre il y a plus de deux siècles et qu'ils doivent se soumettre à la supériorité britannique?'
-'Ne vous battriez-vous pas vous aussi, Mr Levitt, si votre pays se faisait envahir par des étrangers et que l'on vous imposait leurs lois, religion et pouvoir?' rétorqua calmement Darcy. 'Si l'on vous prenait vos terres pour les donner à d'autres et que l'on vous disait que vos enfants n'hériteraient de rien d'autre que de ces chaines oppressantes?'
-'Qui voudrait être irlandais de toute manière?' répondit l'autre d'un air dédaigneux. 'C'est une chance pour eux de rejoindre la plus grande élite de l'Europe et ils s'entêtent à rester à l'âge de pierre. Ce n'est donc pas une question d'oppression, mais d'intelligence. S'ils ne sont pas assez intelligents pour constater notre supériorité, ils ne méritent pas de posséder ou diriger quoi que ce soit. Ce serait inviter le chaos que de les laisser entrer le parlement! Vaux mieux que toutes les décisions se fassent ici, à Londres, là où de vrais hommes peuvent prendre des décisions sensées.'
Mr Potts, un petit homme maigrelet, fronça les sourcils. 'J'avoue ne pas approuver leur dévotion aux effigies, aux saints et aux rituels étranges que comportent leurs messes, mais je ne suis pas certain de pouvoir me ranger à votre opinion, Levitt. Vous parlez de l'Irlande comme si ses habitants n'étaient rien d'autre que des hommes des cavernes sans capacité à réfléchir et qu'ils devraient nous remercier de les avoir envahi.'
-'Ils devraient! Après tout, qui avait entendu parler de ces gorilles avant que nous les mettions sur la carte, hein?'
-'Ils ont des monastères qui rivalisent l'ancienneté des nôtres et qui ont une réputation à travers l'Europe depuis des siècles.' commenta Mr Swire, un vieillard barbu à la voix rocailleuse.
-'Pourquoi octroyer des droits que l'on refuse même à nos compatriotes en sol britannique?' dit un autre avec ferveur. 'Aucun catholique n'est au parlement de Londres; accorder l'émancipation en Irlande ne ferait qu'allumer des feux déjà précaires ici même.'
Il y eu plusieurs murmures autour d'eux et Mr Levitt prit confiance devant ce support. 'Marquez mes mots, messieurs! William Pitt était fou de songer que l'Émancipation serait la solution à une union entre l'Angleterre et l'Irlande. Donnez un peu de liberté aux irlandais et ils se retourneront aussitôt pour mordre la main de celui qui l'a nourrit.'
Darcy avait du mal à contenir son agacement. 'Une union entre l'Irlande et l'Angleterre pourrait être très profitable, mais il y aura toujours de la résistance tant et aussi longtemps que l'on agira comme des conquérants. Nous avons beau être en situation de pouvoir, nous n'arriverons à rien si l'on s'entête à vouloir les contrôler jusque dans le cœur de leur maison.'
-'Mr Darcy, dois-je en conclure que vous avez tourné le dos à l'Angleterre?' répliqua Mr Levitt d'un air amusé. 'Allez-vous réellement prendre leur parti plutôt que celle de votre patrie?'
Darcy vida sa coupe de brandy, plus pour se donner le temps de se calmer que pour se donner courage. Il était toujours dangereux de parler trop ouvertement de ses opinions en public, surtout avec des gens comme Mr Levitt, qui était proéminent dans le cercle gouvernemental. La haine de ce dernier se traduisait non seulement par les nombreux débats qu'il aimait créer dans ses cercles sociaux, mais également dans ses actions drastiques en tant que Chef des Forces Armées en Irlande.
-'Aucunement, j'ai les intérêts de mon pays en avant-plan. Cependant, la compassion nous est enseigné à l'église dès notre plus jeune âge; ne devons-nous donc pas essayer de les comprendre plutôt que de les juger et de les condamner?'
L'homme éclata de rire. 'Mr Darcy, votre idéalisme me surprend! Je ne vous croyais pas aussi sentimental. Que nous direz-vous ensuite? Que vous approuvez l'abolition de l'esclavage?'
La tension monta dans la pièce. Ce sujet divisait une grande partie des hommes du club et de raviver cette conversation était comme inviter la guerre.
-'Je ne m'en cache pas, comme vous le savez très bien.'
-'Qu'avez-vous donc contre le pouvoir, Mr Darcy? Contre la conformité et la tradition? N'est-ce pas un manque de respect envers vos ancêtres que de refuser de suivre leurs coutumes?'
-'N'est-ce pas un manque d'évolution de prendre la tradition comme excuse pour continuer à perpétuer des abominations?'
Mr Levitt se redressa dans son fauteuil, heurté dans sa fierté, et le regarda d'un air mauvais. 'Je crains que cette conversation reflète la faiblesse de votre esprit, Mr Darcy; ce ne serait pas la première fois qu'il s'abaisse et trompe votre jugement.'
Darcy eut un sourire froid devant l'insulte voilée envers sa femme. 'Je crains que nos opinions divergent sur ce point et qu'il n'y ait aucun moyen de réconciliation. Agissons donc en gentlemen et ne prolongeons pas le malaise chez nos collègues. Bonne journée, Mr Levitt.'
Sur ces mots, il se leva, s'inclina légèrement, et quitta le club sans se retourner.
Darcy marcha d'un pas rapide et brusque dans les rues de Londres, animé par la colère qui bouillait en lui. Pourquoi s'entêtait-il à visiter ce club alors qu'il détestait y aller? Comment avait-il pu croire que de passer l'avant-midi à cet endroit serait mieux que l'atmosphère lourde qui régnait chez lui? Depuis qu'ils étaient revenus du bal la veille, plus rien n'était pareil. Le silence avait remplacé les conversations animées et aucune des femmes de la maison n'était descendue pour le petit-déjeuner ce matin. Qu'avait-il bien pu se passer pour que Kitty, habituellement si souriante et joyeuse, décide de garder le lit sans vouloir voir ni parler à qui que ce soit? Il ne fallait pas être diplômé d'Oxford pour savoir que quelque chose de grave s'était produit. Selon Georgiana, Kitty était la cavalière de Lord Escott lorsqu'elle a brusquement quitté la piste de danse. Avait-il eu des propos déplacés? Avait-il agi en gentleman? Darcy ne pouvait s'empêcher de s'inquiéter; sa plus grande crainte, et la plus probable explication, était que Lord Escott avait choisi ce moment très public pour rappeler l'inéligibilité de la jeune fille en tant que future maitresse de Mereworth Castle. Pour quelle autre raison aurait-il prit le temps de danser avec elle?
Darcy rentra chez lui d'un pas plus lent maintenant, l'air songeur. Il ressentait une grande sympathie envers Kitty, qui était tombé dans le piège de s'intéresser à un homme hors de sa portée. Si ses doutes s'avéraient véridiques, il lui semblait injuste que ce soit elle qui ait dû endurer une telle humiliation alors qu'elle n'avait pas été l'auteure des attentions prodiguées. Il arriva enfin devant sa maison et, alors qu'il s'apprêtait à gravir les escaliers, se fit interpeler.
-'Mr Darcy!'
Il fit volte-face en sursautant et vit Lord Nathaniel qui attendait sur le trottoir. Visiblement mal à l'aise, le jeune homme toucha brièvement son haut de forme avant d'expliquer la raison de sa présence.
-'Je suis désolé de vous déranger, mais pourriez-vous me rendre le service de donner cette lettre à Miss Bennet?'
Il lui tendit une enveloppe où le nom de sa belle-sœur figurait dans une calligraphie impeccable. Darcy ne chercha pas à la prendre; il fixa son interlocuteur droit dans les yeux en espérant que sa désapprobation soit visible.
-'Pourquoi ne lui donnez-vous pas vous-même?' dit-il d'une voix dure. 'Vous êtes à quelques pas de ma porte; je suis certain que Miss Bennet apprécierait que vos excuses soient faites en personne.'
Le visage de Lord Nathaniel perdit un peu de ses couleurs. 'Elle vous a raconté ce qui s'est passé?'
-'Non.' Avoua Darcy après quelques secondes. 'Mais j'en sais assez pour deviner ce qui s'est produit et donc savoir que vous avez contribué, si ce n'est pas volontairement alors inconsciemment, à heurter sa réputation.'
-'Cela n'était nullement mon intention!' s'écria le jeune homme, visiblement ébranlé. 'Je vous en prie, Mr Darcy, vous devez me croire. Je ne savais pas que mes parents désapprouveraient mon intérêt pour Miss Bennet. J'ai agi sans réfléchir, sans penser aux conséquences. J'appréciais seulement sa compagnie!'
-'Donc vous ne lui avez rien promis?'
-'Non, aucun accord ni aucune promesse ne nous liait. Mes parents sont intervenus avant que cela puisse se faire.'
-'Était-ce votre intention?'
Cette fois, Lord Nathaniel hésita. 'Nous nous connaissons à peine, Miss Bennet et moi. Je ne pensais pas faire de mal en cherchant à la connaitre un peu mieux.'
Darcy soupira. Il ne pouvait nier voir du réel remord dans le visage de son interlocuteur.
-'Et quelles sont vos intentions maintenant?' demanda-t-il, soudainement las.
-'Je crains devoir abandonner toutes intentions, Mr Darcy, peu importe la sincérité de mes sentiments envers Miss Bennet. Je me dois d'obéir à mes parents, de penser à ma position et mes responsabilités; certainement, vous pouvez comprendre.'
Darcy haussa les sourcils. 'Dois-je vous rappeler que j'ai épousé Mrs Darcy malgré l'opinion populaire qui s'opposait à notre union?'
Le jeune homme rougit. 'Je ne suis pas aussi brave que vous…. Ni libre de choisir, comme vous l'étiez. Poursuivre sur cette route équivaudrait à perdre mon héritage; mes parents m'ont formellement interdit d'approcher Miss Bennet à nouveau sous peine de me destituer. Ainsi, je me dois de réitérer ma demande et de vous demander de lui remettre cette lettre en mon nom. Je me dois de quitter, je ne devrais même pas être ici.'
Darcy serra les dents pour contenir son mécontentement. Cependant, pouvait-il réellement être surpris de la tournure des évènements? Il connaissait la réputation de la famille Escott; il connaissait leur fierté et leur vanité. Avant de rencontrer Lizzie, il était presque comme eux, à songer au mariage en ne considérant que les candidates de son rang. Il avait cru, à tort, qu'un mariage réussi résidait surtout dans l'association de deux personnes possédant le même statut social.
-'Je lui remettrai votre lettre.' Décida Darcy en tendant finalement la main. 'Mais sachez que vous avez fait plus de dommages que vous ne pensez, Lord Nathaniel.'
La réaction de Kitty avait été pénible à supporter. Elle avait prit la lettre avec une certaine hésitation puis avait pâli en lisant les mots qu'elle contenait. Les larmes aux yeux, elle s'était rapidement excusée avant de disparaitre à l'étage. Georgiana partit aussitôt à sa recherche, mais comme elle fut incapable de la retrouver elle s'enferma dans la salle de musique, laissant Darcy et Lizzie seuls dans le petit salon.
Elizabeth se lova alors dans les bras de son mari et afficha un air penaud. 'Je n'aurais jamais dû l'encourager. Tout ceci est de ma faute; si je ne l'avais pas taquiné, Kitty n'aurait pas eu à vivre tout ceci. Elle refusait de croire qu'il s'intéressait à elle avant que je lui fasse remarquer. Sa tête n'oubliera jamais ce rejet…Il sera à jamais gravé sur son cœur.'
Il la serra un peu plus fort contre lui. 'Ne sous-estime pas sa force. Elle est plus solide que tu ne le penses.'
-'Espérons que tu as raison.'
-'J'ai toujours raison.'
Cela la fit sourire et Darcy en profita pour changer de sujet. 'J'ai pensé à Vivianne aujourd'hui et à la promesse qu'on lui a fait il y a presque deux ans maintenant. Je crois qu'il est temps de lui écrire et de l'inviter à Pemberley pour un séjour prolongé.'
Elizabeth posa une main contre sa bouche. 'Oh, j'avais complètement oublié.'
-'Ne t'inquiète pas, Vivianne comprend qu'après….Enfin, que nous n'étions pas disposé à respecter notre engagement dans l'immédiat.'
-'Tu as raison, il est temps.' Approuva sa femme en hochant la tête. 'Dès notre retour à Pemberley.'
Darcy n'osa pas lui demander quand elle serait prête à revenir dans leur maison. Les plans étaient de se diriger vers Carlton où ils passeraient l'été et une bonne partie de l'automne. Bingley organisait une semaine de chasse en octobre et Elizabeth avait promis son aide à Jane. Il l'avait encouragé, voyant le bien que cela lui faisait d'être occupée, mais surtout parce qu'il allait souvent devoir s'absenter vers la fin de l'été afin de remplir ses fonctions à Pemberley. Même si elle semblait prendre du mieux, Darcy se sentait plus à l'aise de la savoir avec sa sœur lorsqu'il n'était pas là.
Leur moment de solitude fut interrompu par le courrier de l'après-midi. Parmi les lettres qu'il reçu, Darcy reconnut tout de suite l'écriture de l'homme qu'il avait engagé afin de retrouver Wickham. Il l'ouvrit sans tarder et, à son plus grand étonnement, y trouva seulement une adresse.
-'Que se passe-t-il?' demanda Lizzie en voyant son air.
-'Je ne suis pas certain.' Répondit-il lentement. Puis, sentant que l'enveloppe était encore lourde, jeta un coup d'œil à l'intérieur. Il vit alors une broche d'or en forme d'aigle et caressa la surface lisse avec son pouce.
-'Qu'est-ce que c'est?'
Darcy fronça les sourcils. 'Une promesse de mon enfance que je pensais perdue à jamais.' Voyant que sa femme attendait plus d'explications, il ajouta : 'Lorsque j'étais jeune, je me suis entêté à monter sur la plus haute branche d'un arbre pour prouver que j'étais le meilleur grimpeur. Wickham n'a pas voulu me suivre jusque là et m'a supplié de redescendre en clamant que c'était dangereux. Je ne l'ai pas écouté et ce qui devait arriver arriva : la branche s'est cassé et je suis tombé. Il m'a rattrapé de justesse par le bras. Sans son intervention, la chute m'aurait assurément brisé la nuque. Je lui ai alors promis de lui remettre la pareille un jour et ceci était mon gage.'
Elizabeth leva la tête vers lui. 'Est-ce pour cette raison que tu t'entêtes à lui venir en aide contre ton propre gré? Parce que tu as l'impression que tu lui dois quelque chose?'
-'Peut-être.'
-'Pourquoi penses-tu qu'il t'envoie cela maintenant?
Darcy haussa les épaules. 'Probablement parce qu'il a un service à me demander.'
Lizzie afficha un air outré. 'Un autre? Ne trouve-t-il pas que tu en as fait assez pour lui déjà? Quel culot de penser que tu lui es encore redevable!'
-'Je n'arrive pas à croire qu'il l'ait gardé tout ce temps.' Murmura-t-il, ignorant les paroles de sa femme. 'Elle a une certaine valeur…J'étais convaincu qu'il l'avait vendu afin de se renflouer les poches.'
Elizabeth soupira. 'Je connais ce regard. Tu es déterminé à y aller, n'est-ce pas? Tu vas aller à sa rencontre et lui donner tout ce qu'il souhaite, comme les deux dernières fois où il t'a soutiré de l'argent afin de régler ses dettes et financer ses débauches.'
Darcy ne répondit pas. Elle ne pouvait pas comprendre le lien qui l'unissait à Wickham bien malgré lui. Certes, il avait toujours senti qu'il avait une dette envers cet homme, mais ce n'était pas que cela. Lizzie n'avait pas connu l'enfant avant l'homme ni les jeunes années où ils avaient été inséparables. Il conservait de bons souvenirs de son enfance grâce à lui et malgré les évènements des dernières années, il savait qu'il se sentirait toujours responsable de Wickham. De plus, il avait un drôle de pressentiment, comme si quelque chose le poussait à aller à sa rencontre.
-'Je vais aller vérifier où se situe cette ville.' Dit-il en se levant.
Elizabeth n'insista pas, mais sa désapprobation était claire sur son visage. 'Dois-je en conclure que tu ne feras pas le voyage jusqu'à Carlton avec nous?'
Il apposa un long baiser sur ses lèvres pour chasser sa moue. 'Je vous rejoindrai dès que ce sera possible.'
Il lui fallut toute sa volonté pour ne pas l'approfondir. Il devenait de plus en plus difficile de résister aux charmes de sa femme et c'est avec l'envie d'un bain froid qu'il quitta la pièce pour se mettre au travail.
L'information qu'il cherchait se trouvait dans un livre de sa bibliothèque. Lorsqu'il entra dans la pièce, il remarqua aussitôt que les rideaux des trois grandes fenêtres avaient été tirés excepté un seul. L'épais tissu de velours vert foncé avait perdu sa corde torsadée et Darcy s'approcha pour la rattacher lorsqu'il remarqua que Kitty était cachée derrière.
Tout deux sursautèrent à la vue de l'autre.
-'Mr Darcy!'
-'Kitty!' Il recula de quelques pas, confus et quelque peu honteux d'être l'intrus dans cette histoire. 'Je ne vous avais pas vu. Si j'avais su que vous étiez ici, je n'aurais pas osé vous déranger.'
Il remarqua alors la lettre dans sa main; usé, le papier semblait avoir été roulé en boule et déplié plusieurs fois. Sa belle-soeur suivit son regard et eut l'air soudainement gênée. 'J'avais seulement besoin de solitude pour digérer…tout cela.'
Darcy se serait habituellement excusé et serait sorti de la pièce pour lui laisser un peu d'intimité, mais quelque chose en lui le poussa à rester. En observant son visage triste et sa mine défaite, il sentit un sentiment protecteur s'emparer de lui. Cela lui rappelait tellement le regard de Georgiana lorsqu'elle avait appris que Wickham ne l'avait charmé que pour son argent qu'il ne put s'empêcher de s'asseoir sur la chaise près d'elle et de lui demander :
-'Souhaitez-vous en discuter?'
Cette dernière eut un petit sourire qui ne rejoignit pas ses yeux. 'Je crains que rien ne puisse effacer la profonde mortification que je ressens en ce moment. Je n'arrive pas à croire que Lydia avait raison.'
-'Lydia?'
-'Juste avant mon départ, elle m'a dit que j'étais bête de penser que je pouvais appartenir à cette famille et que jamais la société ne m'accueillerait à bras ouvert. J'ai été stupide de croire que je pourrais trouver l'amour ici. Je n'aurais pas dû croire que je pouvais moi aussi avoir droit à un conte de fée.'
Elle lui tendit la lettre et, surprit, Darcy la prit afin de lire ce qu'il y avait d'écrit.
Très chère Miss Bennet,
Je crains avoir été trop démonstratif dans mes attentions et, bien qu'elles étaient sincères, je ne peux malheureusement leur donner de suite. Hélas, mes parents m'ont rappelé mon devoir envers ma famille et je ne peux me soustraire à leurs souhaits. Je vous prie donc de m'oublier, si cela vous est possible, puisqu'il est peu probable que nous nous revoyons un jour. Je vous souhaite le meilleur,
Sincèrement,
Lord Nathaniel E.
Darcy replia la lettre et la lui rendit. 'J'aurais dû vous prévenir, Kitty. Lord et Lady Escott n'accepteraient jamais que quiconque sous leur station épouse leur fils, peu importe ses sentiments. Je suis désolé.'
Kitty haussa les épaules d'un air faussement détaché. 'Je m'en remettrai.'
Il hésita un moment avant de demander : 'L'aimez-vous?'
-'Je ne sais pas… Si je l'ai aimé, ce sentiment est rapidement disparu maintenant que j'ai lu cette lettre. Elle me semble si…froide. Pourtant, j'ai vraiment cru….Enfin. De toute manière, comment puis-je aimer un homme qui se laisse influencer par sa famille et abandonne si facilement?'
-'Un homme qui n'est pas prêt à se battre pour la femme qu'il aime ne la mérite pas.' Commenta Darcy en pensant à l'adversité à laquelle il avait eu à faire face lorsqu'il avait décidé d'épouser Elizabeth.
-'Je crois que je me suis laissé emporter par la Saison, par ses beaux mots et par l'incroyable chance que j'ai de vivre tout ceci. Si je cherche au plus profond de moi…je crois que ce n'est pas lui que j'aimais, mais plutôt que, pour la première fois de ma vie, j'étais importante aux yeux de quelqu'un.' Kitty déchira l'un des coins de sa lettre. 'En toute honnêteté, je me sens surtout désillusionnée. J'ai cru à un rêve impossible et j'ai l'impression d'avoir été très naïve. Comment ai-je pu croire que j'aurais pu m'élever à ce point? Que j'aurais pu me fondre dans cette vie comme si j'y avais toujours appartenue? Je ne suis pas de ce monde et je dois y faire face si je ne me veux pas me retrouver avec un cœur brisé, comme cela aurait très bien pu se produire avec Lord Nathaniel.'
-'Il n'est pas le seul homme éligible de tout l'Angleterre. Ce n'était que votre première Saison, Kitty, et je suis convaincu que vous trouverez un homme digne de vous avant longtemps.'
-'Quelles sont mes chances si je continue à évoluer dans votre cercle social où mon origine modeste est considérée comme un sérieux défaut?' répliqua-t-elle d'un air sombre. 'Jamais je ne serai assez pour eux.'
Darcy n'osa pas admettre qu'elle avait raison. 'Je ne perdrais tout de même pas espoir. Vos sœurs ont fait un mariage d'amour malgré ce détail; vous le pouvez aussi.'
-'Je ne sais pas comment je ferai pour me présenter devant tout le monde maintenant que tout ceci est arrivé.' Soupira la jeune fille. 'J'ai fait un spectacle de moi-même hier en me sauvant ainsi. J'ai si honte, j'ai l'impression que je ne pourrai plus jamais faire face à qui que ce soit.'
-'Les mauvaises langues feront quelques commentaires, cela est inévitable, mais bientôt une nouvelle cible vous enverra aux oubliettes. Nous vivons dans un monde où il est difficile de naviguer et où aucun de vos pas ne sera le bon de toute façon. Autant mieux construire une bonne carapace dès maintenant; prenez ceci comme un apprentissage. C'est ce que j'ai fait, lorsque Lizzie m'a refusé la première fois.'
-'Elle vous a refusé?' s'étonna Kitty.
Darcy ne put s'empêcher de rire. 'Elle n'a rien raconté? Eh bien oui, elle m'a refusé, et avec raison vu le pauvre discours que je lui ai livré. Je me souviens que mon premier sentiment a été une grande atteinte à ma fierté; puis je me suis remis en question ainsi que le monde dans lequel je vivais. J'ai appris beaucoup plus sur moi dans cette période de ma vie que toutes les années de mon existence combinées. Sans ce rejet, je ne serais pas devenu l'homme que je suis aujourd'hui. J'ai ouvert les yeux sur beaucoup de choses vis-à-vis le milieu dans lequel j'ai grandi et j'ai appris l'humilité et le respect, qualités que je croyais posséder, mais qui en fait me manquaient cruellement.'
Il observa sa belle-sœur avec un sourire compatissant en voyant qu'elle réfléchissait à ses propos, un pli de concentration sur le front.
-'La morale de cette histoire,' poursuivit-il gentiment. 'Est que je suis devenu un homme meilleur grâce à ce rejet. Je m'en suis servi comme outil pour améliorer la personne que je suis. Je suis sûr que vous pouvez en faire autant. Je suis sûr que vous pouvez prendre cette expérience et en tirer l'important, sans qu'il vous détruise.'
Kitty était, à sa manière, une combattante. Elle n'était pas vive et d'attaque comme sa chère Lizzie, mais calme et posée, l'exemple parfait de la résilience.
-'Merci, Mr Darcy.' Elle afficha un air déterminée et se leva, ravivée dans sa confiance. 'Maintenant, si vous voulez bien m'excuser, je dois retrouver Georgie. Je n'ai pas été très juste envers elle.'
-'Elle vous pardonnera. Elle est dans la salle de musique en train d'épuiser son répertoire de partitions mélancoliques.'
Darcy la regarda quitter la pièce et il lui sembla que ses pas étaient plus légers. Content d'avoir été utile, il se concentra alors à la tâche qu'il s'était imposé et sortit un livre sur l'Écosse afin de faire l'ébauche du trajet de son prochain voyage.
(-*-)
Pour répondre à la question de Pixiel, qui me demandait si je m'inspirais de l'histoire de Doddy, je crois que ce chapitre répond un peu à la question puisque Kitty ne terminera pas avec Lord Nathaniel : ) Pour être honnête, je n'ai pas lu l'histoire de Doddy au complet donc je ne sais pas ce qui s'est passé avec Kitty alors s'il y a la moindre ressemblance, ce n'est qu'une coïncidence : )
J'ai ajouté un peu d'histoire sur l'Irlande, mais il est difficile de condenser des évènements si importants en deux pages alors je suis resté très générale. Aussi, je crois avoir inventé le titre de Mr Levitt… mais c'est pour une raison particulière! À suivre!
Merci à tous pour vos beaux reviews, ça me fait chaud au cœur de voir que malgré mes longues périodes d'absence, vous êtes toujours aussi fidèles et que l'histoire vous plait tout autant. C'est si encourageant! Je ne promets pas de date pour le prochain chapitre car je sais que je n'arriverai pas à respecter l'échéance, mais MERCI de votre patience, je sais que je vous en demande beaucoup! À bientôt !
