Bonjour à toutes! Voici enfin le prochain chapitre et je dois vous avouer que je suis plutôt fière du travail accomplis, surtout de cette ampleur. J'ai reçu un commentaire lors de la dernière publication que mes chapitres étaient trop courts et je voulais juste répondre à cette personne que j'étais tout à fait d'accord! J'aimerais vraiment qu'ils aient le double de longueur, mais vous auriez alors probablement à attendre le double de temps…Cependant, j'ai fait un effort pour que celui-ci soit particulièrement long! J'espère qu'il vous plaira, même si tous les sujets ne sont pas roses…Par contre, cela se termine sur une bonne note, une réunion de nos deux amoureux préférés! Avec une scène coté légèrement M… Je ne vous en dis pas plus! Bonne lecture….;)

Chapitre 43

Georges Wickham

Darcy se tenait devant la porte d'un appartement miteux situé dans un des quartiers pauvres de Glasgow. L'odeur ambiante était si putride qu'il avait du mal à respirer; les deux côtés du pavé de pierre étaient bordés par un sillon peu profond où se mélangeaient restes de tables, contenus de pots de chambre, carcasses d'animaux et bien d'autres choses sur lesquelles il n'osa pas s'attarder sous peine de renvoyer son petit-déjeuner. Les gens abondaient en ce début d'après-midi ensoleillé et les conversations, cris des enfants et sollicitations des marchands se mélangeaient en une cacophonie étourdissante. Pourtant, Darcy ne pouvait entendre que son cœur battant à ses tempes alors qu'il se tenait immobile au milieu de la foule, paralysé sur place par la peur de ce qui se trouvait de l'autre côté du bois abîmé.

Il ne pouvait expliquer le malaise qui l'habitait depuis qu'il avait reçu la lettre de Wickham. En fait, plus il avait avancé dans son itinéraire, plus ce sentiment s'était accentué jusqu'à l'empêcher de dormir complètement. Il n'arrivait pas à se convaincre que Wickham lui avait envoyé cette broche afin de renouer avec lui; tout deux savaient que trop de choses s'étaient produites pour que cela soit possible. Il ne croyait pas non plus qu'il souhaitait lui demander de l'argent car si tel avait été le cas, il aurait vendu la broche avant de s'abaisser à lui demander de l'aider financièrement à nouveau. Darcy aurait presque préféré que ce soit la raison derrière cette étrange requête; à voir l'endroit où il se trouvait, il craignait plutôt le pire.

-'Eh ben, vous cognez ou quoi? Elle s'ouvrira pas tout' seule ste porte.' S'exclama un jeune garçon qui l'observait d'un drôle d'air. Ses vêtements étaient atrocement sales, tout comme son visage, et il ne portait pas de chaussures.

Une femme apparut soudainement à ses côtés, rattrapant l'enfant par le bras. 'Déranges pas, Blaine. Laisse le m'sieu tranquille. Pardonnez son insolence, c'te crapule aime bien faire son fin plutôt que d'travailler.'

-'Connaissez-vous l'homme qui habite ici?' demanda rapidement Darcy alors qu'elle tournait les talons, tenant son fils par le collet.

-'Le Sassenach? Pas personnellement, mais j'lui apporte d'quoi manger quand j'peux. La charité chrétienne, vous voyez. Il sort pu d'chez lui depuis quelques s'maines déjà. Il doit pu lui en rester long.'

Son accent écossais si fort que Darcy avait du mal à la comprendre. 'Est-il malade? Est-ce qu'un médecin a été appelé?'

Elle leva le menton en le jaugeant du regard. 'Personne a les moyens pour ça ici, m'sieu. J'ai fait s'que j'ai pu pour lui, maintenant c'est entr' les mains d'Dieu.'

Le maitre de Pemberley se sentit soudainement embarrassé en réalisant qu'il détonnait incroyablement du reste du monde à cet endroit. Alors que la pauvreté régnait en chef dans le quartier, Darcy devait être tout un spectacle avec son habit de voyage impeccablement ajusté et brossé, son chapeau à la dernière mode ainsi que ses bottes brillantes de cire. Ce qu'il portait sur son dos en ce moment pourrait facilement nourrir une famille pendant une année entière.

-'Veuillez me pardonner, madame, j'espère ne pas vous avoir manqué de respect. Vous êtes très aimable d'avoir pris soin de lui pendant mon absence et je vous en suis très reconnaissant.'

Elle s'adoucit légèrement, remontant le panier qu'elle tenait contre sa hanche, prête à repartir. 'J'tardrais pas si j'tais vous.'

Darcy l'interpela à nouveau. 'Puis-je avoir l'audace de demander l'aide de votre garçon pour un service? Rémunéré, bien sûr.'

Les yeux de la femme s'écarquillèrent en voyant les pièces qu'il sortit de sa poche et d'un coup de tête indiqua à son fils qu'il pouvait les prendre.

-'Prends ma carte et trouve un médecin.' dit-il en s'agenouillant devant l'enfant. 'Et dis lui qu'il sera largement compensé pour son déplacement. Tu auras droit à d'autres pièces à ton retour.'

-'Va d'l'autre côté de la rivière, Blaine.' Ajouta sa mère. 'Ramène pas un des charlatans du quartier.'

Le petit approuva d'un coup de tête et s'élança aussitôt au bout de la rue. Darcy prit une grande inspiration; il ne pouvait plus repousser le moment maintenant.

-'Entrez tout simplement.' Lui indiqua la femme en voyant qu'il levait le bras pour cogner. 'S'il est mort, faites-nous signe. L'vieux McCain veut la place, y s'ra content d'l'avoir et moi j'serai contente qui s'trouve une autre place que ma cuisine pour dormir.'

Sur ces mots, elle lui tourna le dos et se perdit dans la foule. Darcy la regarda disparaitre avant de reporter son attention sur la porte, plus nerveux que jamais.

Il s'était attendu, vu le quartier dans lequel il se trouvait, à ce que l'appartement en question soit en-dessous des normes de ce qu'il fréquentait habituellement. Cependant, il ne s'était pas préparé à ce qu'il soit non seulement minuscule, mais d'une insalubrité sans précédent. L'étroit corridor d'entrée était sombre et sentait la moisissure, le papier peint déchiré tombant en longs lambeaux contre les murs. Le plancher était couvert de poussière et d'excréments d'animaux et des rats s'enfuirent en couinant dès qu'il ouvrit la porte. Si l'odeur extérieure avait été pénible, celle qui régnait à l'intérieur était infernale. Cette fois Darcy se couvrit le nez avec son mouchoir et dû se faire violence pour ne pas rebrousser chemin. Il avança de quelques pas, ses yeux s'ajustant à l'obscurité, et déboucha bientôt dans l'unique pièce de l'appartement. Elle était meublé très simplement; un lit étroit d'un côté, une table et une chaise de l'autre. Partout régnait un désordre chaotique de linges et vêtements souillés, de nourriture en décomposition, de bouteille de vin vides et de cartes à jouer. Il y avait un pot de chambre plein dans le coin et aucune fenêtre pour ventiler l'endroit.

-'Fitzwilliam…'

La pénombre ne l'avait pas fait remarquer la silhouette dans le lit auparavant. Aussitôt qu'il entendit son nom, Darcy la repéra sous une mince couverture et il sursauta violemment lorsque ses yeux tombèrent sur ce qui devait être Wickham. Les joues creuses et les traits émaciés, il n'avait que la peau sur les os. Ses cheveux étaient longs et sauvages et sa mâchoire, habituellement rasée de près, était recouverte d'une barbe de plusieurs semaines. Même dans la noirceur, Darcy pouvait deviner le teint grisâtre de sa peau.

En s'approchant un peu, il remarqua que la manche gauche de sa chemise était tachée de rouge clair et sombre. Sous le choc, il ne put détourner le regard du corps ravagé de son ancien ami, peinant à reconnaitre ses traits.

-'Georges?'

Le soulagement sur le visage de ce dernier était évident. 'Je savais…que tu viendrais.'

Il avait du mal à parler. Chaque respiration était enrouée, comme si ses poumons étaient couverts de goudron. Il se mit alors à tousser et, peu après, cracha du sang dans un mouchoir.

-'Seigneur…' Murmura Darcy, réalisant la gravité de son état. 'Que s'est-il passé, Georges? Comment as-tu atterri ici?'

L'homme eut un rictus qui déforma son visage en une grimace. 'Trop de boisson, trop de jeux, trop de femmes…pas assez de cervelle.'

Darcy était abasourdi. Il avait toujours su que les habitudes de Wickham finiraient par le rattraper, mais jamais il n'aurait cru que cela le conduirait à un point aussi bas.

-'Pourquoi ne m'as-tu pas contacté avant?' murmura-t-il, complètement désemparé. 'Je t'aurais aidé.'

-'Comment aurais-je pu?' répondit Wickham avec un air sombre. 'Même maintenant je me demande pourquoi tu es là. Tu aurais eu tous les droits de m'ignorer…'

Darcy sortit la broche de sa poche. 'Une promesse est une promesse.'

-'Toujours aussi honorable.' L'ombre d'un sourire se dessina sur les lèvres sèches du malade. 'Tu as toujours été le meilleur de nous deux, Fitz.'

-'Ne dis pas cela.'

-'Ce n'est que la vérité…Tu sais, lorsque nos jours sont comptés, il est incroyable de voir la vitesse à laquelle on découvre l'humilité. J'ai vécu comme si j'étais invincible et maintenant je paie le prix de ma stupidité. J'ai gâché tout ce qu'il y avait de bien dans ma vie. J'ai abusé de la confiance des gens, de leur naïveté, de leur gentillesse. Je n'ai pensé qu'à moi pendant toutes ces années, à mon propre bonheur, mes propres envies, mes propres besoins…L'humilité…chaque homme est humble devant la mort. Humble et remplis de regrets.'

Darcy avala avec difficulté. Il ne savait que dire face à ces aveux; il connaissait trop bien ces sentiments pour ne pas savoir à quel point ils pouvaient faire mal. Il n'avait qu'à penser à sa fille, qui lui avait été enlevé beaucoup trop tôt, pour ressentir l'acuité de ces mots.

-'Nous faisons tous des erreurs.' Commenta finalement Darcy. 'Nous avons tous des regrets.'

-'Même le grand maître de Pemberley?'

-'Surtout lui.'

Un silence s'installa entre eux. Wickham tenta de se relever sur ses oreillers, mais peinait à y arriver. Lorsque Darcy fit un mouvement pour l'assister, il leva la main pour l'arrêter.

-'Ne t'approche pas…Il vaut mieux que tu ne me touches pas.' Il fit une pause avant d'ajouter. 'Fitz…Je t'ai envoyé cette broche pour une raison.'

Darcy attendit.

-'De toutes les choses que j'ai faite…de toutes les erreurs que j'ai commises…aucune ne me tourmente plus que la manière dont je t'ai traité. Tu es mon plus vieil ami, nous avons été comme des frères, et j'ai effrontément abusé de toi. J'ai profité de la naïveté de Georgiana, de ton sens de l'honneur et même de ton amour envers Elizabeth. Jamais je n'aurais dû convoiter ton argent. Jamais je n'aurais dû magouiller pour que tu payes mes dettes à ma place en échange de la main de Lydia. J'étais dévoré par l'avidité, l'envie et la colère et je t'ai fait payer le prix de ma propre incapacité à être un homme responsable.'

Darcy soupira. 'Georges…Tu avais tout pour être heureux. Tu t'es élevé en société grâce à la générosité de mon père et j'étais prêt à supporter n'importe quelle entreprise que tu aurais voulu poursuivre, à t'aider à faire ta propre fortune…mais dès Oxford tu as commencé à vivre au-dessus de tes moyens, à te faire des ennemis, à négliger tes études. Tu t'es transformé en quelqu'un d'autre, une personne qui ne rejoignait pas les principes et les valeurs que nous avons appris tous les deux à Pemberley. Je me suis longtemps accroché à l'amitié que nous unissais, mais je me devais de nous protéger, Georgiana et moi, du chemin de destruction que tu semais. Je n'avais pas le choix.'

Wickham ferma les yeux sur sa honte. 'Je sais...Je n'ai que moi à blâmer. La vie est ironique…alors que j'ai cherché pendant tant d'années à remplir ce vide en moi par tous les plaisirs possibles, ce sont ces plaisirs qui vont me tuer.' Après un moment, il tourna à nouveau son visage vers Darcy. 'Je t'ai fait du mal alors que tu ne le méritais pas. J'ai craché sur notre amitié par égoïsme et j'en suis désolé. Je veux mourir en paix, Fitz, c'est tout ce que je souhaite, et je n'aurais pas pu partir l'esprit tranquille si je n'avais pas pu te demander pardon.'

Darcy avait du mal à endurer ce discours. La conviction de sa mort imminente était difficile à accepter et malgré sa rancune, il ne pouvait lui en vouloir au point de lui refuser cette dernière requête. Quoi qu'il ait fait, Wickham ne méritait pas de mourir honteusement dans un appartement miteux, seul et délaissé. Et il ne méritait surtout pas de quitter ce monde l'esprit troublé.

-'Tu es tout pardonné, Georges.' Répondit Darcy, surpris de la sincérité de ses mots et du bien qu'ils lui faisaient. 'L'eau coule sous les ponts; considère celui de notre amitié comme réparé.'

Le soulagement de Wickham était palpable; soudainement on aurait dit qu'il respirait plus légèrement, comme si sa poitrine n'était plus comprimée par le poids de ses remords. Puis son visage s'assombrit à nouveau.

-'Lydia…' commença-t-il avant de se mettre soudainement à tousser.

Darcy chercha une carafe d'eau des yeux, mais n'en trouva aucune. Wickham se reprit après quelques instants, à bout de souffle.

-'Lydia et moi…c'était perdu d'avance…' croassa-t-il enfin. 'Jamais je n'aurais dû l'épouser. Je n'ai vu que les gains et non l'incroyable misère que nous allions vivre…Si tu savais comme elle est perfide et maligne. Elle est tout sauf naïve, Fitz. Je n'ai jamais connu une femme si jalouse et avide d'attention. Dès que notre argent a été dilapidé, elle est devenue une vraie harpie. Et elle déteste Elizabeth plus que tout : si je peux t'offrir un conseil, c'est de ne pas les laisser seules toutes les deux. Cette sorcière utilise ses mots comme une arme et elle est bien acérée.'

-'Est-ce pourquoi tu es parti?'

-'Nous ne pouvions plus nous tolérer. Elle me narguait à tous les jours, me traitait de tous les noms possibles, me menaçait constamment. Elle a même tenté de se blesser afin de prétendre que je la maltraitais. Je lui ai alors donné un choix; soit elle acceptait qu'on reprenne à zéro loin de l'Angleterre afin de faire fonctionner notre mariage, soit je quittais pour toujours en la laissant vivre de la charité de sa famille. Nul besoin de te dire quel a été son choix.'

-'Elle savait que tu allais partir?' s'exclama Darcy, stupéfait.

-'Elle m'a même aidé à faire mes valises.'

Le maitre de Pemberley encaissa cette information avec confusion. Lydia savait? Elle jouait donc la comédie depuis le début?

-'Elle ne s'en vante pas, en tout cas.'

Wickham eut un rictus. 'Ha! Pourquoi ne suis-je pas étonné? Elle dit à tout le monde que je l'ai abandonné, c'est cela? Pathétique.'

Darcy hésita. 'Souhaites-tu que je lui transmette un message?'

-'Non. Et surtout, ne lui donne pas d'argent. Elle est comme une sangsue; elle en veut toujours plus et elle ne s'arrêtera à rien pour obtenir ce qu'elle souhaite. Je n'ai rien à lui laisser et rien à lui dire excepté ceci : je suis enfin libéré.'

-'Et Edwina?'

Georges cligna des yeux comme s'il avait oublié qu'il avait une fille. 'Je n'ai pas…songé à elle.' Il secoua la tête d'un air triste. 'Pauvre enfant…un père absent et une mère qui la déteste. Elle serait bien mieux orpheline.'

Darcy reçut ces mots comme un coup de poing. Comment une mère pouvait-elle détester son enfant? Et quel enfer cela devait être pour Edwina de ne pas recevoir d'amour de la personne qui devait l'aimer le plus au monde! Son premier réflexe fut de songer à l'amener à Pemberley, mais aussitôt cette pensée formée il su qu'elle était impossible à mettre en place. Il ne pouvait tout de même pas enlever la garde de l'enfant à sa mère, surtout lorsque cette dernière se plaisait à faire du chantage avec sa fille. Bien malgré lui, ses pensées dérivèrent à nouveau vers Anne. Lui qui donnerait absolument tout pour la prendre dans ses bras même pour seulement une minute, il avait du mal à accepter que deux parents puissent si peu se soucier du bien-être de leur propre enfant.

Darcy se promit alors de s'assurer du bien-être d'Edwina, matériellement parlant du moins. Il ne pouvait peut-être pas la prendre sous son aile, mais il pouvait s'arranger avec Mr Bennet pour qu'elle ne manque de rien. Lorsque Darcy reporta son attention sur Wickham, il vit que ce dernier peinait à garder les yeux ouverts.

-'Tu devrais dormir un peu. Je serai là à ton réveil, ne t'inquiète pas.'

Le malade poussa un long soupir. 'Peut-être juste quelques minutes…'

Darcy prit l'unique chaise et s'installa près du lit. Comme il ne savait pas quoi faire pour passer le temps, il pria pour l'âme de cet homme avec qui il avait grandit et remercia le ciel d'être arrivé à temps. Il pria également pour que son ami ne s'éteigne pas avant qu'il ait pu lui rendre un peu de sa dignité; il était hors de question qu'il le laisse mourir ainsi, dans la pauvreté et saleté la plus totale. Les minutes passèrent et, au bout de plus d'une demi-heure, on cogna enfin à la porte. Wickham se réveilla en sursaut; la sueur perlait sur son front et ses yeux fiévreux avaient du mal à faire le focus. 'Ils m'ont trouvés.' Murmura-t-il d'une voix pâteuse, tentant tant bien que mal de se lever. 'Ils m'ont trouvés. Ils m'ont trouvés…'

Le maitre de Pemberley le calma aussitôt. 'Ce n'est que le médecin que j'ai envoyé quérir. Prépare toi, tu ne resteras pas ici.'

-'Q-quoi?'

Mais Darcy était déjà à la porte et l'ouvrit pour y découvrir un jeune homme à peine plus âgé que lui. Ce dernier sembla rassuré par l'apparence impeccable de son interlocuteur.

-'Merci d'être venu, Dr…?'

-'Je suis Mr Hewson, l'apprenti du Dr Roddick. Vous êtes bien Mr Darcy?'

-'Oui. Entrez, je vous en prie.' Il fit un pas de côté pour le laisser passer. 'Je sais que la situation semble quelque peu étrange, mais j'aimerais que vous preniez les dispositions nécessaires pour que cet homme soit transporté à l'auberge des Trois Montagnes dans les plus brefs délais et que tous les soins possibles lui soit prodigués. Par ici, je vous prie.'

L'apprenti n'eut pas à examiner Wickham longtemps; en quelques minutes seulement il était de retour aux côtés de Darcy, l'air sérieux. 'Si vous voulez le bouger, il vaudrait mieux le faire le plus rapidement possible. La fièvre est haute, le pouls est faible, les poumons sont obstrués…si je ne me trompe pas, nous avons affaire à une consomption avancée.'

-'Alors faisons vite.'

En quelques heures seulement ils avaient quitté le quartier miteux pour celui beaucoup plus aisé de Torngate Street, où l'auberge des Trois Montagnes accueillit le malade avec une certaine réticence. Un règlement généreux fut offert et aussitôt les tons changèrent et les attentions se multiplièrent. Wickham fut installé dans la meilleure chambre, puis lavé, rasé et coiffé par un homme qui fit de son mieux pour ne pas démontrer son dégoût. Darcy fut choqué de voir l'étendu des dommages que Wickham présentait maintenant qu'il était hors de la pénombre de sa chambre. De nombreux abcès grisâtres recouvraient son cou et son torse, et ses dents, autrefois si blanches, étaient noires et odorantes.

Dr Roddick se présenta en fin de soirée et entreprit d'examiner lui-même le malade avant de rendre son propre verdict.

-'Grande Vérole.' Grogna le vieil homme en se lavant les mains dans la bassine près de la porte, loin des oreilles indiscrètes. 'Heureusement pour lui, si on peut dire cela, ce sera la consomption qui l'aura avant.'

Darcy hocha brièvement la tête; il avait entendu parler du sort réservé à ceux qui attrapait cette maladie transmise par les femmes de joie. De véritables histoires d'horreur.

-'Pouvez-vous faire quoi que ce soit pour lui?'

Dr Roddick lui tendit une petite bouteille. 'Donnez lui ceci; cela lui assurera un meilleur passage de l'autre côté. Je serai de retour demain, si cela vous convient. D'ici là, assurez-vous de faire vos adieux car je crains que ma prochaine visite sera pour emporter son corps vers sa tombe.'

Darcy avala avec difficulté. 'Merci, docteur.'

Il attendit que le médecin quitte la chambre avant de se reprendre et d'offrir à son vieil ami un sourire qu'il espérait assez crédible pour cacher ce qu'il savait. 'C'est beaucoup mieux ici, non?'

-'Je ne voulais…que ton pardon…' murmura Wickham, dont l'état avait empiré pendant son transport. 'J'ai l'impression…de profiter de toi…encore une fois.'

-'Balivernes.'

-'Tu as toujours été le meilleur…de nous deux, Fitz.' Répéta le mourant dans un murmure. 'Toujours…'

-'Ne parle pas si cela t'épuise, Georges. Repose-toi.'

Il secoua la tête. 'Non, non…Je ne veux pas être seul…'

Darcy sentit sa gorge se serrer. 'Je ne quitterai pas ton chevet une minute. Tiens, bois, cela te soulagera.'

Wickham obéit sans rechigner puis se laissa tomber sur ses oreillers de plumes, ses paupières s'alourdissant rapidement. 'Parle moi…parle moi de Pemberley…'

Darcy sortit la petite broche en or de sa poche et, après l'avoir posé dans le creux de sa paume, referma les doigts frêles par-dessus. Un léger sourire se dessina sur les lèvres de Wickham.

-'Par quoi commencer? Ah…je sais. Je me rappelle la première fois où on s'est rencontré. On avait six ans, tu te souviens? Tu étais blême tant tu étais nerveux. Lorsque tu m'as vu, tu m'as salué comme si j'étais le roi d'Angleterre et cela avait bien fait rire mon père. C'était un soir d'été et il faisait encore chaud comme au milieu de l'après-midi. Le ciel semblait avoir pris feu tellement il était coloré. Je t'ai amené près de l'étang, où on a regardé les grenouilles…'

Bercé par les souvenirs que Darcy raconta pendant plusieurs heures, Wickham oscilla entre la conscience et l'inconscience. Tard dans la nuit, le son de son souffle encombré s'arrêta et, dans un dernier soupir, il s'éteignit.

Darcy fut le seul à assister à la mise en terre et c'est le cœur lourd qu'il reprit la route pour l'Angleterre. Il souhaitait plus que jamais avoir Elizabeth à ses côtés, mais il savait qu'il devait d'abord faire le voyage jusqu'à Longbourne pour faire part de la nouvelle à Lydia. Un détour à Carlton prendrait plusieurs jours et il savait que Lizzie insisterait pour l'accompagner si elle savait à quel point le décès de Wickham l'avait affecté. Darcy se résolut donc à s'arrêter à Londres, où il savait Richard encore à sa résidence pour quelques jours.

Ce dernier l'accueillit avec surprise, mais réalisa rapidement que l'esprit de son cousin était tourmenté. Sans attendre, il le conduisit dans son boudoir où il lui servit une liqueur forte. Darcy prit place sur un fauteuil, l'air sombre.

-'À voir ta tête, je crains que ta visite ne soit pas une simple courtoisie.'

-'Non. J'étais en Écosse il y a quelques jours à peine. J'ai besoin de…de…'

Richard comprit tout de suite. 'Que s'est-il passé? Pour que tu ressentes le besoin de te confier, cela doit être plutôt grave.'

Darcy soupira en se passant une main dans le visage. 'C'est Wickham. Il est mort.'

Il entreprit alors de raconter les évènements des dernières semaines, commençant par la broche en or qu'il avait reçue et terminant par les visions qui le hantaient encore de Georges Wickham dans un cercueil poli.

-'Il était pénible de le voir ainsi.' Acheva-t-il finalement, tournant son verre du bout des doigts. 'Malgré tout ce qu'il a fait, tout le mal qu'il m'a causé…Il a été notre ami, Richard. Il a grandit avec nous. J'ai l'impression qu'une partie de mon enfance est parti avec lui.'

Encore un peu surpris de l'histoire qu'il venait d'entendre, son cousin hocha lentement la tête. 'J'avoue avoir entretenu des sentiments plutôt négatifs envers lui dans les dernières années, mais après ton récit…je me sens incapable de lui en vouloir. Quelle horrible fin…'

-'Ses yeux…J'avais l'impression de retrouver mon ami d'autrefois, celui avec qui j'ai partagé des années de complicité, comme si après tout ce temps il refaisait enfin surface. Je ne peux m'empêcher de me demander…Aurais-je pu faire plus? L'ai-je abandonné trop vite? Avait-il un tel mal de vivre qu'il ne pouvait se dérober du chemin qu'il a emprunté?'

Richard leva aussitôt la main. 'Fitz, non. Je refuse que tu prennes le blâme. Tu as fait ce que tu pouvais pour Wickham; tu n'étais pas responsable de lui. Il était un homme, pas un enfant. Tu ne peux pas prendre sur tes épaules les mauvais choix qu'il a fait dans sa vie.'

-'Peut-être…'

Il insista. 'Assurément. Darcy, promets moi que tu ne songeras pas à lui comme un martyr; il était tout sauf cela. J'ai un profond respect pour le camarade qu'il était lorsque nous étions enfants et je devrai, moi aussi, faire le deuil de cette vieille amitié. Cependant, je ne peux respecter l'homme qu'il est devenu et je ne peux te laisser croire que tu as quoi que ce soit à te reprocher. Tu n'es pas celui qui l'a poussé à vivre une vie de débauche. Tu dois me le promettre, Fitz. Tu ne quitteras pas cette pièce avant de me l'avoir promis. Ne m'oblige pas à sortir ma grosse voix autoritaire.'

Darcy ne put s'empêcher de sourire. 'Je suis prêt à parier que tes enfants redouteront cette menace dans quelques années.'

Ce qu'il avait voulu comme une blague anodine eut l'effet inverse sur le nouvel Earl. Ce dernier s'éclaircit la gorge avant de prendre une gorgée de sa boisson, évitant son regard.

-'Que se passe-t-il?' demanda Darcy, aussitôt alerte. 'Que ne me dis-tu pas?'

Richard hésita un moment, puis soupira avant de lui avouer : 'Il n'y aura pas d'enfants, Fitz. Ma lignée ne se terminera pas avec la chair de ma chair; j'ai choisi de la laisser s'éteindre.'

-'Quoi?'

-'Je ne voulais pas t'en parler parce que j'hésite à aborder le sujet des enfants avec toi depuis…Enfin. C'est impossible pour nous, c'est tout.'

Darcy n'arrivait pas à comprendre. 'Mais…il est trop tôt pour vous déclarer forfait. Vous vous êtes mariés i peine un an.'

-'Tu sais aussi bien que moi que la santé d'Anne est précaire. Je crains qu'une grossesse ne l'achève et je ne crois pas pouvoir vivre avec cela sur la conscience. Je ne suis pas égoïste au point de risquer la vie de ma femme pour le titre dont j'ai hérité. Je sais que c'est ce qui est attendu de nous, mais je n'arrive pas à mettre les conventions par-dessus sa vie. De plus…' Il s'éclaircit la gorge à nouveau, visiblement mal à l'aise. 'Je suis incapable de l'approcher de cette manière. La seule idée d'avoir à faire mon devoir avec elle me rend aussi froid que de la glace. J'ai dû boire une bouteille de vin complète lors de notre nuit de noce pour supporter la consommation de notre mariage et des jours durant j'ai eu l'impression d'être une personne horrible. Je ne peux me résoudre à être un époux en ce sens; toute idée de relation intime avec Anne me semble comme de l'inceste.'

Darcy enregistra la nouvelle lentement. 'Et Anne dans tout cela?' demanda-t-il finalement.

-'Elle partage chacune de mes pensées. Si tu avais vu son visage de dégoût…' Richard frissonna. 'Elle a pleuré tout le peu de temps que ça a duré. Et le stress que cela a provoqué par la suite…Elle était terrifiée à l'idée qu'un enfant ait été produit par cette seule nuit horrible et le soulagement dans ses yeux lorsqu'elle a été certaine qu'il n'y aurait pas de bébé a été la dernière chose pour nous convaincre que nous ne pourrions pas nous y résoudre. Nous avons donc convenu que nous serions mari et femme de nom seulement, pour les apparences, et cela nous convient parfaitement.'

-'Mais seras-tu capable de vivre ainsi?'

Les joues de Richard se teintèrent légèrement. 'Si tu fais allusion au fait que la…pression… pourrait peut-être devenir insupportable, Anne a proposé de…de…'

-'De?' insista Darcy en fronçant les sourcils.

-'De me trouver une maitresse. Je lui ai dit non, bien évidemment.' Ajouta-t-il rapidement en voyant l'air surpris de son cousin. 'Mais…

-'…Mais?'

Richard soupira. 'Tu me connais, Fitz. Je ne suis pas habitué de devoir me censurer. Jusqu'à maintenant j'ai été fidèle, mais je ne crois pas être capable de vivre jusqu'à la fin de mes jours sans chaleur humaine. Je sais que tu n'approuves pas.'

-'Ce que j'en pense n'a aucune importance. Tu es celui qui aura à vivre jusqu'à la fin de ta vie avec cette situation, pas moi. De plus, Anne n'est pas une épouse typique et vous vous connaissez assez tous les deux pour être complètement honnête l'un envers l'autre. La dynamique que vous choisissez n'est pas de mes affaires, ni celles de personne d'ailleurs.'

Richard eut un petit sourire. 'J'imagine que tu n'as jamais eu à te poser cette question, peu importe la…pression. Comment va Elizabeth d'ailleurs?'

Le maitre de Pemberley savait ce que son cousin insinuait. 'Il y a encore du chemin à faire.'

-'Ahhh, je vois. Et bien, buvons à notre santé! À notre abstinence qui nous garde au chaud alors que notre draps restent froids.' Il fit une grimace après avoir calé son verre, une main sur l'estomac. 'Seigneur, je deviens vieux. Je crois que je vais sonner pour une tisane à la menthe.'

Darcy ne put s'empêcher de rire. Richard avait toujours eu le don d'alléger les situations inconfortables. 'Je me rappelle l'époque où une bouteille comme celle-ci ne te faisait pas peur.'

-'On ne peut éviter les années!' Puis, changeant de sujet, il lui demanda : 'J'imagine que tu dois te rendre à Longbourne, maintenant?'

-'Oui, je dois annoncer la nouvelle à Lydia. J'espère pouvoir régler tout ceci en un temps record et être sur la route de Carlton le plus tôt possible.'

-'Comment penses-tu qu'elle réagira?'

Darcy poussa un long soupir. 'Vu comment les choses se sont terminées entre eux, j'ai presque peur de la voir crier de joie.'

Le Herdforshire lui faisait toujours un drôle d'effet. C'était à cet endroit que tout avait commencé; c'était à Merryton, lors de l'assemblée de Sir Lucas, qu'il avait rencontré Elizabeth. C'était à Netherfields que ses sentiments avaient commencés à changer à son égard, lorsqu'elle était apparue soudainement à travers les arbres avec ses joues rougies par l'exercice. C'était au bal de Bingley qu'il avait su, après s'être promis de ne pas tomber amoureux d'elle, que ses tentatives seraient vaines. Ils s'étaient fiancés et mariés ici, unissant leur vie après une longue année à tergiverser entre le déni et le désir. Cette région, qui autrefois lui semblait l'hôte d'une société plutôt sauvage et isolée, était aujourd'hui le berceau de souvenirs précieux et cela lui rappelait cruellement à quel point Elizabeth lui manquait.

Il lui était également étrange de pénétrer dans la maison des Bennets sans Lizzie pour l'accompagner. Il avait pris soin d'annoncer son arrivée par messager alors qu'il était encore à Londres, mais cela n'empêcha pas sa belle-famille de sembler quelque peu surpris de sa présence. Un malaise régnait dans le petit salon alors qu'ils étaient tous assis, silencieux, à attendre que la raison de cette visite en solitaire se fasse connaître.

-'Comment allez-vous, Mrs Bennet?' demanda Darcy pour briser la glace. Il réalisa aussitôt que cette marque de politesse habituelle était la pire erreur qu'il aurait pu commettre en présence de sa belle-mère.

-'Oh, mal, mal!' S'exclama la vieille femme d'un air dramatique. 'Mes nerfs, vous voyez. J'endure comme je le peux, j'ai une résilience sans pareille vous savez, mais personne ne peut comprendre le calvaire que je subi sur une base quotidienne. Et puis, sans toutes mes filles autour de moi, je me sens délaissée comme jamais.'

Mary se racla subtilement la gorge. 'Vous m'avez, Mère, ainsi que Lydia. Et Edwina, bien sûr.'

Mrs Bennet poussa un soupir d'exaspération. 'Comment peux-tu considérer la compagnie d'une enfant comme un réconfort? Les enfants sont bruyants et aggravent mes nerfs. Oh, si seulement Lydia n'avait pas été abandonnée par cet affreux Mr Wickham! Elle serait bien installée dans une maison avec son enfant à faire sa vie plutôt que de se morfondre de tristesse dans la demeure de ses parents!'

Mary pinça les lèvres pour contenir ses commentaires; Mr Bennet roula les yeux. Cependant, la matriarche ne s'arrêta pas là.

-'Et puis, comment pourrons-nous subvenir à ses besoins après notre mort? Qu'adviendra-t-il de nos filles lorsqu'elles n'auront plus parents? Les Collins se feront un plaisir de les jeter dehors et elles se retrouveront sans le sous, dans la rue. Juste y penser, je sens un malaise survenir!'

Elle s'éventa rapidement le visage, sa respiration saccadée. Mary lui apporta aussitôt de l'eau, que sa mère repoussa d'un geste brusque. 'Pas maintenant, fille! Ne vois-tu pas que ce sont mes sels dont j'ai besoin?'

Mr Bennet détourna l'attention de sur sa femme en s'adressant à leur invité, ignorant d'une manière nonchalante la crise de Mrs Bennet. 'Avez-vous fait bon voyage, Mr Darcy? Comment se porte notre Lizzie?'

-'Bien, aux dernières nouvelles.' Répondit le maitre de Pemberley, content de changer d'interlocuteur. 'J'ai malheureusement dû m'absenter pour affaires dans les dernières semaines, mais elle se trouve présentement à Carlton avec Georgiana et Kitty.'

-'Oh, Kitty!' s'exclama Mrs Bennet, oubliant complètement son malaise. 'A-t-elle rencontré de charmants jeunes hommes à Londres cet hiver? A-t-elle un bon prospect?'

Darcy se força à sourire; pour rien au monde il ne lui aurait révélé l'histoire avec Lord Nathaniel. Un seul mot et le pays au grand complet serait au courant de son humiliation. 'Je crains devoir répondre dans la négative. Cependant, sa compagnie a été très prisée.'

Mrs Bennet sembla satisfaite. 'Ah, c'est mieux que rien. Elle n'est pas jolie comme Jane ou Lydia, mais elle devrait s'en sortir modérément bien. Il doit bien avoir des hommes qui ne sont pas trop difficiles.'

Darcy cacha l'agacement que cette remarque provoqua en lui et s'efforça à rester courtois. Après quelques minutes interminables de conversation futile, il se tourna enfin vers son beau-père.

-'Mr Bennet, puis-je m'entretenir avec vous un instant? En privé.'

-'Bien sûr, bien sûr.' S'exclama le vieil homme avec enthousiasme. 'Passons à mon bureau, voulez-vous?'

Ils quittèrent la pièce prestement et ce n'est qu'une fois assis face à l'autre dans le bureau que Darcy se détendit un peu. Mr Bennet se laissa tomber sur sa chaise avec un long soupir. 'Un verre?' lui demanda-t-il en indiquant les carafes en cristal. 'Je sais qu'il n'est que dix heures, mais je crains en avoir besoin après un si long moment en compagnie de ma femme.'

Il joignit le geste à la parole, mais Darcy refusa l'offre.

-'Mr Bennet, je ne vais pas passer par quatre chemins. Ma visite a un but précis – plusieurs, pour être franc – et je crains que le principal ne soit pas une nouvelle très réjouissante.'

-'Oh?'

-'Je reviens tout juste de l'Écosse, où j'ai retrouvé Mr Wickham. Et il…'

Il s'arrêta, soudainement prit d'une émotion qu'il tenta de dissimuler en se raclant la gorge. 'Wickham est mort, il y a près de deux semaines maintenant. J'étais sur sa trace depuis un moment et j'ai pu être présent pour entendre ses dernières volontés.'

-'N'avait-il pas de testament?' demanda Mr Bennet en fronçant les sourcils. 'Qu'a-t-il laissé à Lydia?'

-'En fait, il semblerait…qu'il n'ait rien à laisser à Lydia. Seulement une pension pour Edwina.'

-'Vraiment? Vous me voyez surpris. Il pourvoit pour sa fille et non sa femme?'

-'D'après ce que j'ai compris…ils ne se sont pas laissés sur de très bons termes. Et mes instructions étaient claires; l'argent ne va qu'à Edwina et non à Lydia. J'aurais besoin de votre parole pour ceci, Mr Bennet.'

Ce dernier regarda son gendre d'un œil suspicieux. 'Il n'a rien laissé, n'est-ce pas? Vous prenez encore sur vos épaules les responsabilités de cet homme.'

-'Je ne vois pas de quoi vous voulez parler.'

-'À votre guise, je ne vous presserai pas plus.' Répondit son beau-père en levant les mains. 'J'ai souvent réalisé que le moins j'en sais, le mieux je me porte. J'imagine que vous vous êtes occupés de ses funérailles? Avait-il des dettes?'

-'Je me suis assuré qu'il ait un départ digne de l'homme qu'il a déjà été, il y a très longtemps. Son nom ne sera pas souillé, que ce soit en Angleterre ou en Écosse.'

Mr Bennet parut satisfait de sa réponse. 'Vous me sauvez de bien des tracas, Mr Darcy.'

-'Il ne reste qu'à prévenir Lydia de son nouveau statut, mais avant de la faire venir, j'aimerais m'entretenir d'un autre sujet avec vous. Comme vous savez, Kitty est en visite depuis quelques mois déjà. Elizabeth et moi aimerions lui offrir une place permanente dans notre maison. Devenir, en quelque sorte, ses tuteurs.'

Son beau-père haussa les sourcils.

-'Et…Je me demandais si vous consentiriez à ce que j'ajoute à la dot de votre fille. Mon intention est nullement de vous offenser,' ajouta rapidement Darcy. 'Nous la considérons maintenant comme un membre à part entière de notre famille et nous aimerions l'aider comme nous le pouvons. Je crains cependant que le cercle dans lequel nous évoluons soit très…exigeant et que ses chances soient…limitées par sa situation présente.'

Mr Bennet afficha un petit sourire. 'Vous vous exprimez avec beaucoup de tact, Mr. Darcy.' Il l'observa quelques instants avant d'ajouter : 'Vous savez, quand vous êtes venu me demander la main de ma chère Lizzie, j'ai cru qu'elle vous refuserait aussitôt. Vous imaginez ma surprise quand elle a non seulement accepté, mais qu'elle a ajouté qu'elle souhaitait ce mariage basé sur ses sentiments. Je serai franc : vous n'avez pas laissé une très bonne impression ici. Vous avez la réputation d'être un homme hautain et froid et j'ai longtemps adhérer à ces préjugés. Cependant, je dois avouer que plus j'apprends à vous connaître, plus je suis rassuré que ma fille ait fait le bon choix. Les belles paroles et les apparences sont bien souvent trompeuses, mais les gestes, eux, parlent d'eux-mêmes.' Mr Bennet croisa les doigts devant lui sur son bureau, l'air sérieux maintenant. 'Mr Darcy…êtes-vous bien certain de vouloir gérer une adolescente? J'ai conscience que vous avez eu votre jeune sœur sous votre tutelle depuis la mort de vos parents, mais est-ce vraiment un bon investissement que de miser sur Kitty?'

-'Ce n'est pas une question d'investissement, mais de mérite. Je crois sincèrement que Kitty mérite de mettre toutes les chances de son côté afin de faire un bon mariage. Je ne demande pas de vous enlever tous vos droits, cependant je suis prêt à prendre toutes les responsabilités, financières et personnelles, si cela vous convient.'

-'Si je comprends bien, vous voulez la liberté de décider à ma place sans qu'elle ait à demander la permission pour quoi que ce soit.'

-'Pas pour tout, bien évidemment. Si une demande en mariage venait à se présenter, vous seriez le premier à être consulté. De plus, je tiens à être clair sur le fait que je ne la tiens pas prisonnière à Pemberley; si vous souhaitez son retour à Longbourne, je lui assurerai une escorte en bonne et due forme.'

-'Et ses allocations?'

-'À votre guise. Vous pouvez continuer à lui verser ou me laisser le soin de lui fournir.'

-'Mr Darcy…' Commença lentement le vieil homme, les sourcils froncés. 'C'est une offre très généreuse, mais comprenez qu'elle reflète mal sur ma réputation.'

-'Je comprends très bien, Mr Bennet.'

-'Cependant…' ajouta-t-il après un moment. 'Je ne suis pas fier au point de renier les chances de ma fille de faire une meilleure vie. Un autre homme l'aurait peut-être fait, mais je ne suis pas de ceux qui se soucient de ce que les gens diront. À mon âge, je ne souhaite que la paix et je ne peux nier que de me délaisser de mes responsabilités envers Kitty serait un poids de moins sur mes épaules.'

Darcy resta muet un moment. Il ne s'était pas attendu à ce que ce soit si facile. 'Donc, vous acceptez ma demande?'

Son beau-père tendit la main. 'Je suis convaincu que vous vous embarquez dans une entreprise qui se prouvera être plus compliquée que vous le pensiez, mais je ne vous retiendrai certainement pas puisque je suis celui qui en profitera le plus. Je vous donne mon accord; je sais qu'elle sera entre de meilleures mains que si elle restait à Longbourne.'

Ils entendirent un cognement à la porte d'entrée et quelques voix étouffés à travers la porte. Hills interrompit alors l'entretien des deux hommes en annonçant une certaine Miss Beauvois et Mr Bennet se leva prestement lorsque la femme entra dans la pièce. Voyant que le maitre de la maison n'était pas seul, elle sursauta légèrement.

-'Oh, vous avez de la compagnie.' S'exclama-t-elle en rougissant. 'Je suis désolée, si j'avais su que ce moment n'était pas opportun, je ne me serais pas permise de vous déranger.'

-'Miss Beauvois, un plaisir de vous revoir.' dit le maitre de la maison en l'invitant à entrer. 'Vous ne dérangez pas le moins du monde. Dites-moi, vous n'avez pas déjà terminé? Ciel, je ne vous l'ai prêté qu'avant-hier!'

Darcy remarqua alors le livre qu'elle tenait dans ses mains. Intrigué, il l'observa un peu plus attentivement alors que les deux poursuivaient leur conversation. Elle devait être dans la trentaine, avec des cheveux bruns simplement coiffés et de grands yeux marron. Sa tenue était sobre, presqu'austère, et son chapeau ne présentait aucun ornement excepté un simple ruban bleu nuit.

-'Mr Darcy, je vous présente Miss Jacqueline Beauvois. Elle est nouvellement arrivée à Merryton; elle est la sœur de notre nouveau pasteur.'

-'Enchantée de faire votre connaissance, Mr Darcy. Mrs Bennet m'a beaucoup parlé de vous.'

Il s'inclina poliment. 'Moi de même, Miss Beauvois. Vous avez un intérêt pour Shakespeare?'

-'Oh, j'ai un intérêt pour tous les livres.' Répondit-elle avec un sourire. 'Mr Bennet a été généreux de me permettre de lui en emprunter, il a une vaste collection. Notre bibliothèque n'est pas aussi intéressante; mon frère est convaincu qu'une vie simple et sans trop de possessions terrestres nous rapproche de Dieu.'

-'Pasteur Edward est un fervent défenseur du code moral. Mary et lui s'entendent à merveille.' Ajouta Mr Bennet avec une petite étincelle moqueuse dans les yeux. 'Souhaitez-vous un nouveau livre, Miss Beauvois?'

-'Volontiers, mais je dois d'abord m'entretenir avec Mary. Est-elle occupée?'

-'Elle est en compagnie de sa mère dans le petit salon, donnez moi un instant, je vais vous y conduire.' Mr Bennet lui ouvrit la porte du bureau et se tourna ensuite vers Darcy, baissant la voix avec un air de conspiration. 'Bien qu'il jure qu'il ne prendra pas femme, je crois que Mary ne le laisse pas indifférent. Enfin, nous verrons bien ce que l'avenir nous réserve! Je crains devoir vous laisser le soin d'annoncer la nouvelle à ma fille, Mr Darcy.'

Lydia fut appelée et arriva après quelques minutes. Voyant que c'était Darcy qui l'attendait, seul, elle prit place sur la chaise qu'il lui indiqua en l'observant d'un air prudent. Il prit son temps; maintenant qu'il savait la vérité sur le départ de Wickham, il voyait sa belle-sœur sous un nouveau jour.

-'Lydia.' Commença-t-il gravement. 'Comme vous le saviez peut-être, cela fait plusieurs mois que mes hommes sont sur la piste de Mr. Wickham.'

Elle afficha un air désintéressé. 'Je ne serais pas surprise qu'il soit parti pour l'Amérique ou l'Australie. Avant de m'abandonner si brusquement, il avait des lubies insensées de quitter le pays pour se rendre au milieu de nulle part. Ce n'est pas la peine de le chercher, vous ne le retrouverez pas.'

Il garda ses yeux bien fixés sur elle, prenant note de toutes ses mimiques. Elle paraissait détendue, mais quelque chose dans sa manière de se tenir lui disait qu'elle était anxieuse de connaitre la suite.

-'Nous l'avons retrouvé en Écosse.' Dit-il finalement et observa les couleurs se drainer légèrement de son visage.

-'Oh?'

-'Oui, à Glasgow.'

Lydia se redressa légèrement, alerte. 'C'est…c'est une bonne nouvelle. Vous lui avez parlé? Il va revenir?'

-'Malheureusement, je crains que cela ne soit pas possible.'

Une lueur d'espoir, qu'elle dissimula sous une fausse moue de déception. 'Oh.'

-'Je suis arrivé à temps pour entendre ses dernières volontés, mais je crains qu'il était trop tard pour faire quoi que ce soit pour lui. Je suis désolé.'

Lydia se figea. 'Vous voulez dire qu'il est…mort?'

-'Mes plus sincères condoléances.'

Les traits de son visage tressaillirent et elle se leva subitement pour lui tourner le dos, la main sur la bouche. Si elle pleurait ou riait, Darcy ne pouvait le voir. Il ne fit aucun mouvement pour la consoler; il attendit patiemment qu'elle soit prête à lui parler à nouveau.

-'Et quelles étaient ses dernières volontés?' demanda-t-elle au bout d'un moment, tournant vers lui une expression neutre. 'Des excuses?'

Darcy nota qu'elle ne chercha pas à savoir les circonstances de la mort de son mari et fut tenté de répondre les mots que Wickham lui avait transmis, mais se retint juste à temps. 'Des arrangements, pour Edwina.'

Cette fois, sa belle-soeur eut un air offensé. 'Edwina? Et moi alors?'

-'Il ne m'a pas donné d'instructions en votre nom.'

-'Et que lui laisse-t-il? Il n'avait pas un sou en poche.'

-'Il semble que la fin de sa vie ait été plus clémente quant à ses finances. Il a été capable de sécuriser une allocation mensuelle pour votre fille.'

Les yeux de Lydia s'illuminèrent. 'Vraiment? De combien parle-t-on?'

-'Assez pour assurer le bien-être d'Edwina pour de longues années à venir.'

Darcy remarqua la fébrilité qu'elle tenta de contrôler et ne se laissa pas duper par sa voix mielleuse. 'Et à partir de quand cela serait-il effectif? Comme Edwina est trop jeune, je serai responsable de ces allocations, n'est-ce pas? Je suis sa mère, après tout.'

Il secoua la tête. 'Mr Bennet en sera responsable. Il sera le seul à pouvoir approuver la dépense de cet argent. Ce n'est pas moi le responsable de ces arrangements, je ne fais que délivrer les messages.'

La jeune fille pinça les lèvres, les yeux soudainement sombres de colère. 'Tout ceci est complètement ridicule. J'étais sa femme!'

-'J'ai les mains liées. Mes instructions étaient claires.'

Elle poussa un cri d'indignation. 'Quel salaud! Même dans la mort il est persuadé qu'il peut me ruiner? Ha! C'est ce que nous verrons.'

Sur ce elle tourna les talons et sortit de la pièce avec beaucoup de brouhaha. Darcy soupira longuement; il n'était pas surpris du manque de dignité dans la réponse de sa belle-sœur, mais il ne pouvait s'empêcher de ressentir un certain malaise. Ce sentiment s'amplifia lorsqu'il prit congé de sa belle-famille; alors qu'il enfourchait son cheval, il jeta un dernier coup d'œil vers la résidence familiale et remarqua la silhouette de Lydia dans la fenêtre à l'étage. Il ne put s'empêcher de frissonner en voyant qu'elle n'affichait pas un air triste ou frustré, mais un sourire malicieux.

- (*-*)-

(Elizabeth)

-'À moi! À moi!'

Charlie sautillait à ses pieds en ouvrant grand les bras, les yeux plein d'espoir. Ses boucles rouquines rebondissaient à chacun de ses petits sauts et Elizabeth ne put s'empêcher de rire.

-'Dans une petite minute, d'accord? Je dois laisser Beth à ta maman d'abord.'

Sa nièce fut offensée de cette idée; dès que Lizzie tenta de la redonner à sa mère, elle s'agrippa à sa robe en chignant. Le seul moyen pour contenter tout le monde fut alors qu'elle les prenne tous les deux dans ses bras.

Jane eut l'air gêné. 'Oh, Lizzie, ne te sens pas obligée de leur obéir au doigt et à l'œil. Si j'avais su qu'ils seraient aussi demandant, j'aurais demandé à Nanny de les amener un peu plus tard, après leur promenade.'

Elizabeth posa deux baisers sur leurs joues. 'Et manquer de si précieux moments avec eux? Ne t'inquiète pas, cela ne me dérange pas. Et puis, mon rôle en tant que tante est de faire plaisir à mon neveu et ma nièce, non? Qu'en penses-tu, Charlie?'

-'Je veux mon cheval!' s'exclama l'enfant en pointant le jouet sur le plancher. L'attention de ce dernier était aussi volatile qu'une feuille au vent.

Elle le posa et il se dandina rapidement vers son cheval de bois. Beth observa la scène de ses grands yeux bleus pendant un moment puis se laissa finalement tenter par les hochets sur le sol, fascinée par les cliquetis qu'ils produisaient. Elizabeth en profita pour faire une pause et prit place près de sa sœur. Le tableau devant ses yeux la remplissait de bonheur et lui brisait le cœur en même temps; d'un côté elle était heureuse d'apprendre à connaitre les enfants de Jane et éprouvait une affection grandissante à leur égard. D'un autre il lui rappelait ce qu'elle manquait, ce qu'elle n'aurait jamais l'occasion de vivre avec Anne. Elle avait redouté sa venue à Carlton surtout à cause de sa nièce, nommée en son honneur, qui lui rappelait tellement sa fille. Sa première réaction en la voyant avait été d'en avoir le souffle coupé; Anne aurait été en âge de jouer elle aussi. Elle aurait eu son petit caractère bien à elle et ses jouets préférés. Ses craintes avaient été de courte durée cependant. En voyant à quel point Beth ressemblait à Jane tant au niveau de son caractère que de son apparence, il avait été plus aisé que prévu pour Lizzie de faire abstraction de sa tristesse. De plus, comment ne pas tomber sous le charme de ce petit ange qui cherchait le confort de ses bras dès qu'elle l'apercevait?

Contrairement à ce qu'elle avait pensé, cela lui fit un bien fou de passer du temps avec les enfants, à écouter les histoires de l'ainé et à observer l'évolution de la cadette. Charlie, plus indépendant que sa soeur, aimait lui montrer ses jouets et particulièrement les chevaux en bois dont il faisait collection. Sa filleule, douce et réservée, ne se départissait jamais de la petite poupée de chiffon qu'elle lui avait offerte et s'intéressait bien plus aux gens qu'aux jeux. Avide d'affection, elle était rarement laissée à elle-même et ce n'était pas les bras qui manquaient pour la satisfaire.

Elizabeth apprivoisa la paix tout doucement et se surprit même à rire et s'amuser comme elle l'aurait fait auparavant. Plus étrange encore, elle accueillit un sentiment qu'elle n'aurait pas pensé ressentir avant un long moment : elle avait envie d'un autre enfant. Lorsqu'elle réalisa que cette envie avait prit de l'ampleur au détriment de sa peur, elle sut alors qu'elle avait enfin tourné la page d'un chapitre pénible de sa vie. Son premier geste fut d'envoyer Abby à Pemberley afin qu'elle lui rapporte les tenues de sa garde-robe habituelle. Elle délaissa les teintes du deuil pour celles de la vie et soudainement le monde aussi lui sembla en couleurs. Elle s'émerveilla à nouveau de la nature et de ses beautés. Elle se délecta de ses plats préférés et des fruits sauvages qu'elle trouvait sur son chemin lors de ses nombreuses promenades. Elle apprécia les conversations, les lectures et les activités qui maintenant ponctuaient son quotidien. Enfin, elle respirait sans contrainte. Enfin, son esprit était libre.

La seule ombre sur ce bonheur était l'absence de Darcy. Il avait dû prolonger son voyage de plusieurs semaines et ne semblait pas pouvoir lui donner de date précise quant au moment de son arrivée à Carlton. Elle avait reçu de nombreuses lettres de sa part, d'abord provenant de l'Écosse, puis de différents points en Angleterre avant de signer de Pemberley. Heureusement pour Elizabeth, son époux ne négligeait jamais de donner des détails dans sa correspondance et lui demandait même son avis sur les problèmes qu'il rencontrait sur leur domaine. Les nombreuses heures passées à lui répondre l'aidait à patienter, mais n'éradiquait pas le besoin qu'elle ressentait de l'avoir près d'elle. Au contraire, il enhardissait le désir qu'elle tentait tant bien que mal de contrôler. Car ce n'était pas seulement ses pensées qui s'étaient éveillées dans les derniers temps, mais aussi son corps et Lizzie fut étonnée de la force avec laquelle cela l'affecta. Alors que juillet était entamé et que les chaleurs de l'été transformaient le paysage en un luxuriant havre de paix, elle se surprit à rêver de plus en plus à son mari. Le soir, lorsqu'elle fermait les yeux, elle ne pouvait empêcher les images de se former dans son esprit, des images qui la faisaient souvent rougir pendant plusieurs jours. Un matin, alors qu'elle se dirigeait vers le boisé au sud de la propriété, Elizabeth fut heureuse de la solitude que lui offrait sa promenade quotidienne. Elle avait passé une nuit particulièrement éprouvante où elle s'était réveillée à maintes reprises, convaincue que Darcy l'avait rejointe dans son lit, pour ensuite réaliser avec amertume que ce n'était pas les mains de son époux, mais les siennes qui parcourait son corps sans gêne. Jamais elle n'avait ressenti un désir aussi vif que celui qui la hantait à ce moment et, incapable de faire face à qui que ce soit, elle s'était éclipsée à la première occasion.

Maintenant hors de vue, s'enfonçant plus creux dans la forêt, Elizabeth se dirigea vers son endroit préféré, une petite clairière qu'elle avait découverte peu de temps après son arrivée à Carlton. La canopée s'ouvrait pour baigner l'endroit de soleil et la couverture du sol était épaisse et confortable. Une fois rendu, elle enleva son chapeau et dénoua la tresse qu'elle avait rapidement faite avant de partir afin de libérer son épaisse chevelure sombre. Elle s'allongea dans l'herbe et, fermant les yeux, se laissa bercer par le bruit des feuilles dansant dans le vent.

Elle n'avait pas eu l'intention de s'endormir. Cependant, l'accumulation de fatigue due aux nuits saccadées qu'elle avait passées dernièrement eut raison d'elle et bientôt son esprit dériva dans un autre monde. Tout d'abord ses rêves furent anodins; elle rêva de l'eau bleue de la mer Celtique et des plaines verdoyantes de l'Irlande; de Longbourne et de ses endroits préférés sur le domaine familial; elle rêva également d'une biche d'or, qu'elle tenta de caresser avec précaution. Alors que ses doigts touchaient la fourrure étincelante, l'animal prit la fuite en la laissant seule dans la clairière. Soudainement, les choses prirent une tournure beaucoup plus familière; là où la biche avait disparue se tenait Darcy, ne portant rien d'autre que son pantalon. Il avança lentement vers elle, un petit sourire aux lèvres, et elle l'observa sans retenue. Comme chaque fois qu'il apparaissait dans ses songes, la seule vue de son époux alluma le feu en elle et cette fois il fut si fort qu'elle inspira brusquement, complètement paralysée par sa puissance. Lorsqu'il fut à sa hauteur, Darcy tendit la main pour toucher les boucles brunes qui cascadaient autour de son visage.

Les mots n'étaient pas nécessaires pour faire comprendre ses pensées. Bientôt, sa bouche fut sur la sienne et Lizzie se sentit fondre dans son étreinte. Ses lèvres étaient chaudes et tendres, ses baisers lents et délicieux. Les mains qu'il posa sur elle la firent frissonner; de tous ses rêves, jamais elle n'avait vécu avec autant d'authenticité un tel moment.

Il lui fallut quelques instants pour comprendre que ce n'était pas un rêve. Même lorsque leurs bouches se séparèrent et qu'il plongea son regard dans le sien, elle ne pouvait croire qu'elle était maintenant éveillée. Elle caressa son visage et, voyant qu'il ne disparaissait pas sous le contact, cligna plusieurs fois des yeux.

-'Bonjour, Belle au bois dormant.'

Son cœur fit un bond dans sa poitrine. 'Will?'

-'T'attendais-tu à un prince charmant?'

Ce n'était pas son imagination qui lui jouait des tours; Darcy était bien là, agenouillé au-dessus d'elle, encore couvert de poussière de la route.

Elle se jeta dans ses bras aussitôt. 'Je commençais à croire que tu ne reviendrais jamais! Les dernières semaines ont été un vrai supplice.'

Darcy la repoussa doucement afin de la regarder dans les yeux. 'Était-ce si pénible?'

-'Oh non, pas dans ce sens. Jane et Charles ont été des hôtes exemplaires. Sans eux, je serais devenue folle je crois. Mais tu m'as manqué, terriblement.'

-'Tu m'as manqué aussi, plus que je ne peux l'exprimer.' Puis, l'observant plus attentivement : 'Il y a quelque chose de changé en toi.'

Elizabeth sourit. 'Tout, je dirais. Tu avais raison; Anne n'aurait pas souhaité que nous vivions dans l'ombre. Nous devons profiter de la vie, en son honneur.'

Le soulagement sur le visage de son mari lui fit chaud au cœur. Elle se retrouva une fois de plus dans ses bras et il la serra plus fortement cette fois.

-'Tu ne peux savoir combien je suis heureux de t'entendre dire ces mots.' Murmura-t-il contre ses cheveux. 'Je m'inquiétais tellement pour toi.'

-'Et moi pour toi. Tu as été parti si longtemps.'

Darcy poussa un long soupir en prenant place à ses côtés et elle se blottit contre son torse. 'Ce que je croyais être l'histoire d'une semaine ou deux s'est révélé être un travail de presque deux mois. Chaque jour apportait son nouveau lot de problèmes et je ne pouvais me désister. Même en ce moment je devrais être à Pemberley à superviser les travaux du nouveau barrage. Cependant, je n'en pouvais plus d'être loin de toi.'

-'Le nouveau barrage?'

-'L'ancien a subi d'importants dommages l'an passé et la reconstruction a tardé. Il semble qu'il y ait certains problèmes avec les plans; les ingénieurs ne semblent pas s'accorder sur l'exactitude des calculs.'

Elizabeth fronça les sourcils. 'Auront-ils fini à temps?'

-'J'espère. Un autre hiver comme le dernier et nous aurons de gros problèmes.'

-'Et quelles sont les nouvelles de la ferme Willow Creek?'

Le visage de Darcy s'assombrit. 'Elles sont mauvaises. Il est difficile de voir un endroit avec un potentiel d'abondance aussi grand être négligé à ce point. Le vieux Gregory était un excellent fermier, mais je crains que son fils n'a pas hérité de la discipline de son père. J'ai été bafoué de l'état des lieux. Il en est à son deuxième avertissement déjà et rien n'a changé; il ne démontre aucun intérêt à améliorer ses pratiques ni à augmenter ses rendements. S'il continue sur cette route, je n'aurai pas le choix de l'évincer. Je ne peux me permettre de laisser une des plus prometteuses fermes de Pemberley tomber en ruines.'

-'Ce ne sera pas facile pour toi…'

-'Il n'est jamais facile d'annoncer à un homme que les terres qui ont été cultivées par les trois dernières générations de sa famille lui seront enlevées. J'ai l'impression que je l'arracherais de ses racines. Les Gregorys ont été fidèles aux Darcys depuis si longtemps…il me sera pénible d'agir si rien ne change et que je dois sévir.'

-'Espérons alors que tu n'auras pas à le faire.' Elle changea alors le sujet en songeant soudainement à la nouvelle qu'il lui avait annoncé quelques semaines auparavant. 'Au fait, je voulais te remercier en personne d'avoir demandé à mon père que Kitty reste à Pemberley. Elle était bien heureuse de savoir qu'elle n'aura pas à retourner à Longbourne tout de suite. Quoi? Que se passe-t-il?'

Elizabeth remarqua l'hésitation dans son regard. Lorsqu'il répondit, Darcy semblait nerveux de sa réaction. 'Je n'ai pas seulement demandé à ce qu'elle reste à Pemberley. J'ai pris la liberté de faire la requête pour que nous soyons ses tuteurs. Il me semblait plus aisé de ne pas avoir à toujours demander la permission pour chaque voyage, activités ou demandes monétaires. Ainsi, nous pouvons agir comme bon nous semble, sans restreintes ni obligations. Excepté en ce qui concerne une demande en mariage, bien sûr, où Mr Bennet aura le premier et dernier mot.'

Elizabeth se redressa brusquement afin de mieux le regarder. 'Tu as demandé à mon père de prendre Kitty en charge? Complètement?'

-'Oui…Ai-je mal fait?' s'inquiéta-t-il soudainement en voyant son air. 'Je pensais que cela te ferait plaisir. Nous en avons parlé si souvent, je croyais que c'était ce que nous voulions?'

-'Mal fait? Will!' souffla-t-elle, abasourdie de la générosité de son mari. 'Tu offres une change inouïe à ma sœur, comment cela pourrait-il ne pas me faire plaisir?'

Soulagé, Darcy l'attira à lui à nouveau. 'Une histoire comme celle de Lord Nathaniel ne se reproduira plus. Elle est notre protégée maintenant, nous pouvons lui offrir des prospects beaucoup plus intéressants. Je ne peux lui réserver la même dot que celui qu'aura Georgiana, mais ce sera assez pour que les cavaliers se jettent à ses pieds.'

Lizzie secoua la tête, toujours sous le choc. 'Chaque fois que je pense que je ne peux t'aimer plus, la vie me prouve que j'ai tort.'

Darcy lui sourit tendrement. 'Je te décrocherais la lune, si je le pouvais.'

-'Je n'ai pas besoin de la lune, mais… il y a bien une chose que j'aimerais et que toi seul peut m'offrir.'

-'Demande et tu recevras.'

Elle fut étonnée de l'aisance avec laquelle elle prononça ces mots. 'J'aimerais avoir un autre enfant.'

Darcy fut si surpris qu'il en fut muet pendant un moment.

-'Je n'ai plus envie de vivre dans la peur, Will. J'ai envie de voir nos enfants grandir et de les aimer aussi fortement que j'en suis capable. Pendant ton absence, à m'occuper de Charlie et Beth, j'ai réalisé que j'ai plus peur de ne pas voir ces rêves se réaliser que de revivre ce drame à nouveau. Il est temps pour nous d'avancer, de tourner la page sur ce chapitre de notre vie et d'en commencer un nouveau.'

La voix de son époux était empreinte d'émotion. 'Maintenant c'est toi qui me fait le plus beau des cadeaux.'

Il attira sa bouche à la sienne et Lizzie savoura ce baiser, tout d'abord léger et tendre, puis plus pressant et fiévreux. Elle avait oublié à quel point son odeur était enivrante, combien il était délicieux d'être dans ses bras et de sentir son corps contre le sien. Encouragé par sa réceptivité, Darcy l'allongea doucement contre le sol et se déplaça au-dessus d'elle, augmentant la surface de contact entre les deux. Cette proximité était intoxicante; sans même réfléchir à ce qu'elle faisait, Elizabeth dénoua sa cravate et ouvrit sa chemise afin de glisser ses doigts sous le tissu, là où elle pouvait enfin toucher sa peau. Darcy ne protesta pas face à ce geste audacieux; en fait, il l'encouragea en se débarrassant des vêtements qui encombraient le chemin. Il la couvrit de baisers brûlants, sur sa bouche, son cou et sa poitrine, ses mains soulevant sa robe légère en coton, explorant lui aussi un territoire qui lui avait été hors d'atteinte pendant si longtemps.

Leur besoin l'un de l'autre était trop pressant pour songer à arrêter. Peu leur importait qu'ils soient au milieu de la forêt, couché sur un tapis d'herbes et de fleurs, baignés par les rayons du soleil. Peu leur importait de ne pas avoir le confort de leur lit ou l'intimité des grands murs de leur chambre. Ils se retrouvaient après une longue année où ils s'étaient perdus, redécouvrant leurs corps si inconnus et familiers à la fois.

-'Es-tu certaine?' lui murmura-t-il alors d'une voix rauque. Ses yeux reflétaient le même brasier qui la consumait.

Elle n'hésita pas une seconde. 'Oh oui.'

Darcy poussa un grognement de désir qui la fit frissonner et elle le guida à elle avec une impatience qu'il s'empressa de satisfaire.

(*-*)

Je ne peux promettre des chapitres aussi longs que celui-ci les prochaines fois, mais je vais faire mon possible pour les rallonger sans espacer les publications. J'espère que vous avez apprécié les retrouvailles de Lizzie et Darcy, il était plus que temps!

Merci à toutes pour les reviews, je suis touchée et émue du support que je reçois pour cette fic! De savoir que ce que j'écris rejoins des gens est un grand accomplissement pour moi et me rend fière du travail que j'accomplis : )

À bientôt!