Enfin de retour! Après quelques mois d'absence dû en autres à des problèmes de santé, voici enfin le nouveau chapitre. Sans plus tarder, découvrez les aventures de Lydia pendant sa Saison à Londres!
Chapitre 47
Lydia à Londres
(Darcy)
Avril 1802, Darcy House, Londres
Darcy se préparait pour le repas du soir lorsqu'Elizabeth fit irruption dans leur chambre. Il renvoya Troy d'un signe de tête lorsqu'il vit son expression et sa femme explosa dès que la porte se ferma derrière le valet.
-'Lydia participe à la Saison pour la première fois de sa vie et déjà elle s'est taillée une réputation scandaleuse!' s'exclama-t-elle rageusement. 'Deux mois que nous sommes à Londres et déjà la moitié de la Société nous évite pour ne pas avoir à être associée avec elle. L'an passé, Georgiana et Kitty étaient sollicitées de toute part alors que cette année, c'est à peine si elles ont pu sortir leurs souliers de danse. Autant plier bagage et quitter la ville!'
Darcy soupira discrètement; ce n'était pas la première fois que sa charmante épouse perdait patience au sujet de sa cadette. 'Que s'est-il passé cette fois?'
Elizabeth jeta son chapeau sur sa commode avec un peu plus de force que nécessaire. 'Oh, seulement l'inévitable; elle a enfreint toutes les règles de bienséance et s'est ridiculisée publiquement devant tout Hyde Park. Nous avons rencontré Mr Parker lors de notre promenade et elle s'est précipitée vers lui en criant son nom, s'est emparée de son bras sans même faire la révérence et a flirté avec lui ouvertement. Elle se frottait contre lui comme si elle était une vulgaire femme des bas quartiers!' Lizzie s'effondra sur la chaise près du foyer, l'énergie lui manquant soudainement. 'Et comme si ce n'était pas déjà assez embarrassant, Lydia s'est imposée aussitôt qu'il a mentionné qu'il comptait inviter son oncle au théâtre ce vendredi. Elle lui a même donné l'ordre de venir la chercher en voiture.'
-'Et Mr Parker?'
-'Si tu avais pu voir l'embarras sur son visage! Comment pouvait-il refuser devant tant d'insistance? En bon gentleman, il a accepté bien entendu.'
-'Il ne tombera pas dans le piège de ta sœur. Le malaise que sa présence provoque dès qu'elle s'approche de lui est assez pour me dire qu'il n'a aucune intention de répondre à ses avances.' La rassura Darcy en s'agenouillant devant elle pour l'aider à enlever ses bottes. 'Il est seulement trop bien éduqué pour lui demander de garder ses distances.'
-'Ne voit-elle pas que cela est une cause perdue? Aucun homme ayant un peu de sens ne voudra l'épouser. Elle ne réussira jamais à se mettre la bague au doigt en agissant en dévergondée.'
-'Je sais qu'il est difficile pour toi de fréquenter ta sœur, mais ce n'est que pour une courte période de temps. Une fois la Saison terminée, elle sera de retour à Longbourn.'
Elizabeth eut un rictus sombre. 'Si elle ne fait pas sa sangsue en s'imposant à Jane encore une fois. Ou à Oncle et Tante Gardiner. Ah, si seulement papa pouvait lui imposer son retour! Tu sais ce qu'il m'a répondu lorsque je lui ai écrit que Lydia serait mieux dans le Hertfordshire?'
-'Qu'il n'était pas responsable d'elle et que l'influence de ses grandes sœurs ne pouvait que lui faire du bien.' Récita Darcy, à qui elle avait mentionné ce fait plus d'une fois déjà. 'Lizzie, il faut composer avec la présence de Lydia, qu'on le souhaite ou non. Ton père n'a pas de pouvoir sur elle; en tant que veuve, elle est libre de se rendre où elle le souhaite. Maintenant,' ajouta-t-il d'un ton dogmatique, posant une main sur son ventre rebondi. 'Inspire profondément et essaie de te calmer un peu. Ce n'est pas bon ni pour toi ni pour le bébé de t'énerver ainsi.'
Elle obéit à contrecœur, posant une main sur la sienne. 'Elle me rend folle.'
Darcy aurait aimé que la réaction de sa femme ne soit rien d'autre que le résultat de ses hormones, mais la vérité était qu'elle n'avait pas tort au sujet de la réputation de Lydia. Sa belle-soeur était comme une lionne restée trop longtemps en cage; maintenant libérée, elle se jetait sur toutes les proies qui croisaient son chemin. Il avait lui-même été témoin de commentaires à son sujet, dont certains il n'avait pas osé répéter à sa femme. Si ces rumeurs étaient véridiques ou non, il ne pouvait pas le savoir. Cependant, il avait du mal à croire que Lydia puisse être insouciante au point de se compromettre sans avoir quelque chose de substantiel en retour. Lizzie, Jane et Kitty voyaient encore en elle la jeune écervelée avec laquelle elles avaient grandi, mais cela n'était pas son cas. Darcy avait pu l'observer dans les dernières semaines et en était venu à la conclusion que ses gestes et actions n'étaient pas le résultat de son impulsivité; au contraire, tout semblait incroyablement calculé. Comme une araignée elle tissait sa toile, lentement, ne gardant dans ses filets que ceux pouvant lui apporter quelconque utilité.
Darcy aida Elizabeth à se relever et dégrafa sa robe. 'Au moins elle ne dort pas à Darcy House. Tu n'as pas à la voir à tous les jours.'
-'Heureusement, car l'une de nous deux finirait à la prison de Newgate.'
-'Je crois que c'est Winter's Tale qui est à l'affiche à Drury Lane ce vendredi. L'invitation s'étendait-elle à vous toutes?'
-'Jane a décliné, mais Kitty n'a pas d'autre choix que de suivre Lydia. Georgiana a également accepté alors j'imagine que nous ne pouvons pas la laisser y aller seule.'
-'Nous?'
-'Tu ne crois tout de même pas que je vais y aller sans toi.' Répondit Elizabeth avec un éclat de malice dans les yeux. 'Si j'ai à supporter une soirée en compagnie de ma sœur et de cet affreux Lord Gillingham, ce ne sera certainement pas en solo.'
Darcy haussa les sourcils. 'N'ai-je pas mon mot à dire?'
Elle se mit sur la pointe des pieds pour l'embrasser, un petit sourire aux lèvres. 'Non.'
Il capitula; il connaissait trop bien sa femme pour croire qu'il avait une chance de s'en sortir. 'Sorcière.'
-'Et moi qui croyait que c'était toi qui faisait de la magie.' Lui susurra-t-elle en tirant son nœud de cravate fraîchement noué.
Ils furent interrompus par la fenêtre qui s'ouvrit brusquement sous le coup d'une forte bourrasque de vent. Darcy se précipita pour la refermer, notant une fois de plus la pluie torrentielle qui durait depuis plusieurs jours déjà.
-'Je n'aimerais pas être sur la route par un temps pareil.' Commenta Elizabeth en jetant un coup d'œil. 'Toute l'Angleterre se trouvera coincée dans la boue si la tendance se maintient.'
-'Hm.'
-'Que se passe-t-il, Will?'
Darcy s'assura que le loquet était bien en place. 'J'espère que le Derbyshire a été épargné.'
-'Tu penses au barrage, n'est-ce pas?'
-'J'ai un mauvais pressentiment, Lizzie.' Dit-il après un moment. 'Il ne m'a pas quitté depuis la fin des travaux.'
Sa femme passa ses bras autour de sa taille. 'Tu as pourtant engagé les meilleurs ingénieurs.'
-'Aucun homme n'est à l'abri du malheur.' Darcy apposa un baiser sur le dessus de sa tête. 'Oublie tout cela. Ce ne sont que des cogitations et je ne veux pas que tu t'inquiètes. Tu as déjà bien à faire et à penser.'
La pluie se poursuivit plusieurs jours encore. Le vendredi, alors que Darcy était fin prêt pour leur sortie au théâtre, il fut soulagé de voir enfin un éclairci dans les nuages. Le ciel était même dégagé lorsqu'il aida Elizabeth et Georgiana à monter dans la voiture et c'est l'esprit un peu plus léger qu'il donna l'ordre au cocher de se diriger vers Covent Garden.
-'J'ai si hâte de voir cette pièce!' s'exclama la jeune Darcy, incapable de contenir son excitation. 'Il y a si longtemps depuis que nous avons été au théâtre.'
-'Il y a longtemps que tu es sortie tout simplement.' Commenta Lizzie, dont l'humeur se détériorait au fur et à mesure qu'ils se rapprochaient du point de rencontre.
Darcy posa une main sur la sienne pour l'encourager silencieusement. Il ne partageait pas la conviction de sa femme que la soirée allait être un fiasco; en fait, il avait plutôt hâte d'assister à la représentation. Après tout, la majorité du temps serait passé dans le silence à regarder la pièce et très peu à discuter. Quel risque y avait-il qu'une dispute éclate?
La loge de Lord Gillingham était spacieuse et les sièges furent subtilement déterminés de manière à ce que Lydia et Lizzie soit à l'opposé l'une de l'autre. La cadette Bennet prit place entre Mr Parker et Lord Gillingham, s'isolant ainsi des coups de coude et murmures réprobateurs de Kitty. Cela lui permit donc de passer la majorité de la première partie du spectacle à souffler aux oreilles de ses voisins, camouflant à peine ses rires et remarques désobligeantes.
Darcy avait tort, cependant; les choses se corsèrent à l'entracte. Par contre, ce ne fut pas Lydia qui posa problème, mais une toute autre personne. La salle où les rafraîchissements furent servis était bondée de gens et un certain temps se passa avant que Darcy atteigne la table où les verres de cristal s'alignaient par dizaines. C'est à ce moment qu'il entendit une voix familière. Trop familière.
-'Notre dernière offensive dans le comté de Cork a été très fructueuse. Ils préparaient des armes pour un nouveau soulèvement, mais les flammes ont rapidement montré à ces rebelles qui étaient les maîtres en Irlande. Les principaux leaders seront probablement exécutés la semaine prochaine et ceux encore en cavale ne tarderont pas à se faire trainer de force devant la justice afin de subir le même sort.'
-'On dit que Robert Emmet planifie de retourner en Irlande.'
Mr Levitt grogna un rire. 'S'il le fait, messieurs, soyez sûrs que nous serons à ses trousses. S'il souhaite rester en vie, il ferait mieux de faire de la France son nouveau pays.'
-'Et Hope?'
Le chef des Forces Armées en Irlande eut un air de dégoût. 'Il se cache comme le lâche qu'il est. Les Irlandais sont assez fous pour risquer leur vie en le dissimulant, mais mes hommes finiront bien par le trouver et par condamner quiconque sera de ligue avec lui.'
-'Ils ne peuvent sûrement pas croire qu'il y ait quelconque espoir maintenant? Pas après l'écrasante défaite qu'ils ont subit en '98.'
Mr Levitt gonfla le torse, son ventre proéminent tirant dangereusement sur les boutons de son veston. 'Ils sont naïfs. Ils regardent les États-Unis et la France et souhaitent faire de même, mais ils ne comprennent pas que toute tentative de libération sera vouée à l'échec. Ils sont sous les ordres de l'Angleterre, la plus grande puissance du monde.'
Les mots sortirent avant même que Darcy ait pu s'en empêcher. 'Les États-Unis ont pourtant réussi à se départir de son autorité.'
Il regretta aussitôt avoir parlé; les têtes se tournèrent vers lui et Mr Levitt roula les yeux sans chercher à être subtil. 'Mr Darcy. Pourquoi ne suis-je pas surpris de votre commentaire et, plus encore, de votre ignorance sur le sujet? Les Américains ont la réputation d'être idéalistes, rêveurs. Nul doute que la vie sauvage et le manque de raffinement ont vu les générations suivant nos bons colons anglais nourrir l'illusion qu'ils pouvaient fonctionner comme République. Cela ne durera pas, gentlemen, marquez mes mots! Tout le monde sait que seule la monarchie peut prévaloir pour le bon fonctionnement de n'importe quel pays.'
-'Les Pays-Bas ne vivent-ils pas sans roi depuis 1581? Et ne sont-ils pourtant pas parmi les meneurs économiques et maritimes sur le Continent?'
-'Je ferais très attention si j'étais vous, Mr Darcy, sous peine d'être perçu comme un anarchiste.'
Le maitre de Pemberley lui fit un sourire glacial. 'Vous n'avez pas à craindre mon support pour la Couronne; je serai et resterai toujours un monarchiste. Cependant, je crois qu'il y a plus que des enfantillages derrière le mécontentement d'un peuple qui renverse l'autorité pour instituer un nouveau gouvernement. Je n'approuve pas, mais ma place n'est pas de juger. Ce rôle revient à Dieu.'
Il inclina la tête et quitta le groupe, en colère contre lui-même. Pourquoi avait-il encore une fois cherché à remettre cet homme à sa place? Pourquoi n'avait-il pas ignoré ses propos dès qu'il avait eu les verres de punch en main? Darcy arriva juste au moment où Kitty, ayant mené Lydia à l'écart, semblait raisonner sa petite sœur. Cette dernière ne semblait pas impressionnée par la lecture qu'elle recevait.
-'Oh, vraiment, Kitty! Parfois je me demande ce qu'ils t'ont fait pour que tu deviennes aussi rigide qu'un balai. Si tu ne souhaites pas t'amuser, tant pis pour toi, mais je ne me priverai certainement pas d'être moi-même pour satisfaire ta personnalité sensible.'
Voyant une opportunité dans l'arrivée de son beau-frère, elle tourna les talons et rejoignit Mr Parker et son oncle. Kitty ne tenta même pas de la suivre; elle se pinça l'arrête du nez en soupirant. Darcy fronça les sourcils en remarquant le teint grisâtre de sa peau et les tourments dans ses yeux.
-'Pourquoi ne pas venir à Darcy House?' proposa-t-il gentiment. 'Ce serait quelques jours de repos bien mérités.'
-'Si elle est capable d'agir ainsi alors qu'elle est sous ma surveillance, je n'ose imaginer ce qu'elle pourrait faire si je n'étais pas là pour la restreindre.'
-'Cela ne vaut pas la peine de risquer votre santé. Vraiment, vous me semblez épuisée, Kitty.'
Elle força un sourire en redressant les épaules. 'Merci de votre considération, Mr Darcy, mais je me dois de rester avec elle.'
Elle prit le même chemin que sa sœur avant qu'il n'ait pu ajouter quoi que ce soit. Il poussa un long soupir et rejoignit Lizzie, qui prit sa coupe avec soulagement. Il faisait chaud et le petit éventail qu'elle tenait à la main n'était pas suffisant pour la rafraichir. Darcy indiqua Georgiana et Mr Parker d'un discret geste de la tête.
-'Je te l'avais dit; ta sœur n'a aucune chance.'
Lizzie eut un petit sourire en voyant sa belle-sœur et son prétendant un peu à l'écart, plongés dans une conversation qui occupait toute leur attention. 'Peut-être est-ce la raison pour laquelle Lydia ne porte pas son air condescendant ce soir.'
-'Tu sembles en tirer une grande satisfaction.'
Elizabeth s'éventa coquettement. 'Je ne vois pas ce que vous voulez dire, Mr Darcy.'
-'Oh, vous savez très bien, Mrs Darcy. Je connais ce regard. Est-ce une si grande victoire?'
Sa femme baissa la voix. 'Plus Lydia le presse, plus Mr Parker sera enclin à rendre les choses officielles avec Georgie. Ainsi, elle réalisera que son acharnement n'aura servi à rien.'
Darcy n'avait pas pensé à cela. 'Crois-tu qu'il fera sa demande sous peu?'
-'Oh, ne t'inquiète pas, Will. Rien ne les oblige à se marier dès qu'ils se fiancent et Georgiana ne voudra certainement pas quitter Pemberley avant la naissance de son neveu ou de sa nièce. Ce n'est pas parce que nous n'avons pas pu attendre que cela est le cas de tous les jeunes couples dont l'ambition est le mariage. Ah, le spectacle est sur le point de recommencer.'
Les gens commençaient à passer les portes pour retrouver leurs sièges. Alors qu'ils s'apprêtaient à faire de même, Lord Gillingham refusa de les suivre.
-'Je ne sais pas comment tu as réussi à me convaincre de venir ici, neveu, mais je n'ai pas l'intention d'endurer un tel cirque plus longtemps. La voiture ne devrait pas tarder à être avancée. Dire que j'ai repoussé ma partie de carte à demain pour être ici ce soir.'
Lydia approuva vivement de la tête. 'Vous avez tout à fait raison, Lord Gillingham. Une partie de carte aurait été nettement plus amusante que cette pièce ennuyeuse.'
-'Pourquoi avoir insisté pour l'invitation alors?' grommela Lizzie.
-'Pour la compagnie, bien sûr.' Répondit-elle avec un clin d'œil aux concernés.
Un des employés du théâtre apporta manteau et chapeau et Lord Gillingham se laissa vêtir. 'Si vous préférez retourner chez votre sœur, Mrs Wickham, je peux faire le détour.'
-'Oh, le feriez-vous? Ce serait si gentil. Venez vous, Mr Parker?'
-'Je me dois de décliner; je préfère rester pour voir le reste de la pièce.'
Lord Gillingham claqua des doigts. 'Vous, là. Apportez la cape de cette jeune femme.'
-'Et la mienne, s'il-vous-plaît.' Kitty s'empressa d'ajouter. 'Inutile de faire le détour plus d'une fois; je rentre avec toi, Lydia.'
Cette dernière haussa les épaules. 'Il faut pardonner ma sœur, Lord Gillingham. Elle semble déterminée à me couver telle une mère poule avec son poussin. J'imagine qu'être vieille fille apporte son lot de temps libre et qu'elle n'a rien de mieux à faire.'
Kitty rougit jusqu'à la racine de ses cheveux et Darcy secoua la tête en direction de Lizzie lorsqu'elle ouvrit la bouche pour répliquer. Drury Lane n'était pas la place idéale pour régler ses comptes.
-'Allons, nous ne voulons pas être en retard pour le reste de la représentation.' Déclara-t-il en exerçant une légère pression dans le dos de sa femme pour l'inciter à retourner à la loge. 'Bonne soirée, Lord Gillingham. Mrs Wickham. Miss Bennet.'
Un tel geste ne resta pas sans conséquence. Elizabeth eut la patience d'attendre qu'ils soient dans l'intimité de leur chambre pour lui exprimer son mécontentement.
-'Pourquoi m'as-tu empêché de lui dire ma façon de penser? Lydia a le droit de dire ce qu'elle veut de qui elle veut, d'insulter Kitty devant tout le monde et je devrais rester de marbre?'
-'Je sais que tu aimerais lui dire ses quatre vérités, mais le moment était mal choisi.' Répondit patiemment Darcy. 'Peut-être devrions-nous limiter nos visites pour les prochaines semaines, je crois qu'une pause ne vous ferait pas de tort à toutes les deux.'
-'Une vie entière ne sera pas suffisante.'
Darcy n'ajouta rien. Où Lydia était concernée, Elizabeth avait bien du mal à ne pas être radicale. Il se dirigea vers la commode et remarqua que la poste du soir y avait été déposée.
-'Celle-ci est pour toi.' Dit-il, puis fronça les sourcils en voyant l'auteure de la lettre. 'De Vivianne.'
-'Oh, j'avais complètement oublié!' s'exclama Lizzie et elle fronça les sourcils après quelques secondes de lecture. 'Elle dit qu'elle sera en Angleterre d'ici une semaine. C'est étrange…pourquoi si rapidement? Les mers sont encore agitées à ce temps de l'année, alors pourquoi ne pas attendre mai ou juin avant de traverser? Will?'
Darcy avait le regard rivé sur la lettre de son régisseur qu'il venait juste d'ouvrir.
-'Les pluies torrentielles ont alimenté la rivière à un niveau critique.' Réussit-il enfin à dire après un moment. 'Le barrage n'a pas pu supporter la pression.'
Elizabeth pâlit. 'Le barrage a cédé? Quand?'
-'« L'inondation a touché les fermes longeant la rivière sur environ deux miles et le niveau de l'eau n'est toujours pas descendu après trois jours. »' récita Darcy, encore sous le choc. 'Je dois retourner à Pemberley. Dès demain.'
-'Je viens avec toi.'
-'Non. Je suis désolé, Lizzie, mais je dois y aller seul.
-'Je ne resterai pas ici alors que notre domaine est en crise. Pemberley est ma maison aussi.' Insista sa femme.
-'Les routes sont endommagées et difficilement praticables; il serait plus sécuritaire pour toi de rester ici. Je dois voyager rapidement.'
-'Alors je suivrai derrière toi.'
Darcy passa une main sur son visage fatigué. Il n'avait pas le temps d'argumenter avec elle.
-'Je dois me préparer. S'il-te-plait, Lizzie, soit raisonnable. Lorsque les choses se seront stabilisées j'enverrai quelqu'un vous chercher Georgiana et toi, mais pour le moment ma priorité est de me rendre le plus vite possible à Pemberley. Il y a tant à faire que je ne sais même pas par où commencer.'
-'Mais Pemberley a besoin de moi maintenant, pas dans une ou deux semaines!'
-'Ce sera une courte nuit pour Troy, je le crains.' Commenta Darcy, ignorant les mots de sa femme involontairement. 'Je partirai dès l'aube.'
Elizabeth pinça les lèvres en signe de désapprobation. 'Tu m'avais promis, Will. Tu m'avais promis de ne plus me garder à l'écart.'
Darcy soupira lourdement. 'Ce n'est pas mon intention, Lizzie, mais je pense à toi et à notre enfant. Je te promets que dès que les routes seront praticables tu pourras venir me rejoindre.'
(-*-)
(Kitty)
-'Impossible.' murmura Kitty, estomaquée. 'Mais…je croyais que les ingénieurs du projet était les meilleurs du pays.'
Lizzie et Georgiana s'étaient présentées tôt le lendemain pour partager la nouvelle.
-'Deux ingénieurs qui ne voyaient pas les choses de la même façon, apparemment.' La maitresse de Pemberley soupira, acceptant avec gratitude la tasse de thé que Jane lui offrit. 'Will craignait que cela se produise et ce, depuis le début.'
-'Y a-t-il des blessés?'
-'Nous ne savons pas encore. Mon frère est parti à la première heure ce matin.' Répondit doucement Georgiana. 'Nous en saurons plus d'ici une semaine je suppose, si les messagers ne sont pas retardés par la condition des routes.'
-'Et nous sommes coincées à Londres alors que nous pourrions être utiles à Pemberley.' Ajouta Elizabeth d'un ton maussade. 'Avec l'ordre strict de ne pas bouger de Londres.'
Kitty cligna plusieurs fois les paupières, encore sous le choc. L'inondation avait affecté le coin de Pemberley qu'elle préférait et elle avait du mal à croire qu'il ne serait plus jamais comme avant.
Georgiana baissa la tête; tout comme Lizzie, elle acceptait mal la décision de Darcy de les laisser derrière. 'Et toutes ces familles dans le besoin...J'espère que Mrs Reynolds ne sera pas dépassée par la charge de travail.'
Lydia fit son apparition dans la pièce à ce moment, l'air goguenard et les yeux vitreux. L'odeur qui émanait d'elle était si forte qu'Elizabeth eut un haut-le-cœur.
-'Jane, tu devrais renvoyer l'incompétente domestique qui a osé s'introduire dans ma chambre alors que je dormais paisiblement.' Maugréa-t-elle en s'échouant sur un des canapés.
-'Elle doit avoir cru que tu étais déjà descendue avec nous.' S'excusa Jane, éternellement patiente. 'Je lui dirai de faire plus attention la prochaine fois.'
-'Oh, je lui ai dit ma façon de penser, ne t'inquiète pas. Et maintenant j'ai la migraine. Sonne la cloche, Kitty. J'ai besoin d'un café. Fort.'
Cette dernière serra les dents, mais obéit. Elle avait découvert assez rapidement que le mieux pour éviter que les choses ne dégénèrent était de faire comme Lydia le souhaitait.
-'Que c'est ennuyant ici.' Soupira Lydia après seulement quelques secondes de silence. 'Moi qui croyait que la Saison était l'occasion de danser, rire et manger à outrance.'
-'À qui la faute?' marmonna Elizabeth sous son souffle.
-'Jane, pourquoi est-ce si clair dans cette pièce? Ferme les rideaux.'
-'Nous avons besoin de la lumière pour broder.' Protesta Kitty, dont le travail était resté intouché depuis l'arrivée des Darcy. Elle préparait une couverture pour le bébé, mais la fatigue qui l'harassait depuis quelques temps affectait sa précision. En fait, elle était certaine qu'elle allait devoir recommencer à zéro.
-'Pourquoi s'adonner à une activité aussi insipide? Mr Darcy a dix milles livres par an, sûrement il peut débourser pour une layette convenable pour ton rejeton, Lizzie.'
-'Je préfère confectionner la layette de mon bébé moi-même et j'apprécie toute l'aide que je reçois.'
-'Quelle perte de temps.'
-'Rien ne t'oblige à rester.'
-'Dis tout de suite que tu ne veux pas de moi ici.'
-'Je ne veux pas de toi ici.'
-'Lizzie. Lydia.' Les gronda doucement Jane. 'Si tu préfères un peu d'ombre, nous pouvons déplacer une chaise dans le coin là-bas. En ce qui concerne les soirées, je n'ai pas de contrôle sur cela, tu le sais bien.'
-'Ughhhhhhhhh, qu'est-ce que je m'ennuie! Je veux danser! Manger! Boire! Pourquoi Mr Parker n'a-t-il pas honoré la promesse de son oncle? Kitty, tu te souviens qu'il avait promis de nous inviter pour sa soirée de cartes, n'est-ce pas? Mr Parker était supposé envoyer un mot afin de nous dire l'heure.'
Kitty soupira lourdement. 'Je me moque bien si Mr Parker honore sa promesse ou non. Qui voudrait passer une soirée avec ces vieux boucs rabougris?'
Les yeux étonnés de ses sœurs se tournèrent vers elle et Lydia éclata de rire.
-'Et bien, il semblerait que Miss Katherine Bennet a une colonne après tout!'
-'Pas seulement une colonne, mais un cœur aussi.' Intervint vivement Lizzie. 'Si tu te souciais un peu moins de ta petite personne tu réaliserais que le temps n'est pas à la fête aujourd'hui.'
Lydia passa chacune des femmes présentent dans la pièce sous son regard perçant. 'Quoi? Que s'est-il passé?'
-'Il y a eu un accident à Pemberley. Une inondation.' Jane se proposa d'expliquer. 'Nous n'avons pas beaucoup de détails, mais les choses semblent graves.'
-'Et c'est pour cette raison que vous avez toutes cet air d'enterrement? Ciel, je pensais que quelqu'un d'important était mort.'
Elizabeth se leva d'un trait, les yeux remplis d'une rage qu'elle ne tenta pas de contrôler. 'N'as-tu donc aucun respect? On parle de dizaines de gens, peut-être une centaine, qui ont perdu leurs maisons et tout ce qu'ils possédaient!'
-'Des fermiers.' Spécifia sa cadette d'un air obstiné. 'Sur des terres appartenant aux Darcy. Ils n'ont rien perdu si rien ne leur appartenait de prime abord.'
-'Des humains.' Rectifia Lizzie entre les dents. 'Des humains qui méritent qu'on les traite comme il se doit, malgré leur rang et leur profession. Sans eux, aucune de nous ne pourrait profiter des privilèges de notre rang. Sans eux, la bourgeoisie et l'aristocratie ne pourraient survivre.'
Lydia eut un rictus. 'On croirait entendre une républicaine.'
-'Ne mélange pas la politique avec le fait de posséder des manières et du respect. Mais je ne devrais pas être surprise que tu ne montres pas quelconque empathie, ce sont deux choses qui te sont complètement étrangères.'
-'Tu es à la tête de Pemberley depuis cinq minutes et tu agis comme si ces gens avaient quelconque valeur à tes yeux.' S'exclama la cadette Bennet avec dédain. 'Ne fais pas l'hypocrite; je suis prête à jurer que tu ne connais pas le nom de ces pauvres victimes que tu sembles tant plaindre.'
Avant que les choses ne dégénèrent, Kitty s'interposa. 'Lydia, tu as reçu un paquet ce matin. Allons trouver Mrs Fraser pour savoir où elle l'a déposé. '
Le visage de la jeune femme s'illumina aussitôt. 'Ciel! Déjà? Oh, il me tarde de voir ma commande!''
Kitty s'empressa de pousser sa jeune sœur hors de la pièce. Lorsqu'elles furent dans leur chambre avec le dit paquet en main, elle ne put s'empêcher de la gronder.
-'Pourquoi cherches-tu toujours à la provoquer?'
-'Qui? Lizzie? C'est elle qui me provoque, toujours à me critiquer.'
-'Et toi alors?'
Lydia roula les yeux. 'Toujours à la défendre, ta précieuse grande sœur qui t'a prise sous son aile et transformée en un chien fidèle. Tu es si superficielle, Kitty.'
Elle ne répondit pas; en fait, Kitty perdait en énergie et volonté depuis quelques temps. Sa cadette s'épanouissait aux dépends de Jane et Bingley alors que de son côté Kitty sentait sa santé se fragiliser. Elle ne dormait plus la nuit, souffrait de migraines atroces et de crises de panique qu'elle peinait à contrôler. Et même si elle savait très bien l'impact de ses paroles et de ses actions, Lydia s'amusait à la faire tourner en bourrique à chaque occasion qui se présentait. C'était comme livrer bataille sur plusieurs fronts contre une armée dix fois plus forte; Kitty ne faisait que retarder l'inévitable.
Le paquet en question contenait deux éléments. Le premier était une robe toute simple de mousseline blanche et le deuxième un petit sachet opaque que Lydia déposa aussitôt dans sa malle.
-'Qu'est-ce que c'est?'
-'La curiosité a tué le chat.' Répondit Lydia avec un sourire mystérieux. 'Oh, cesse de froncer les sourcils ainsi, Kitty. Ce n'est que pour mes maux de tête. Ah, c'est exactement ce que j'ai demandé!'
La jeune fille souleva sa nouvelle tenue de la boite; le tissu était si fin qu'il semblait presque transparent.
-'Tu as payé pour cela?' s'exclama Kitty, bouche-bée. 'Elle tombera en lambeaux avant même que tu puisses la porter.'
-'Balivernes. J'ai vu des gravures et ceci est la dernière mode à Paris. Les françaises ne jurent que par ce style.'
-'Mais tu es anglaise.'
Lydia soupira d'agacement. 'Vraiment, Kitty, parfois je me demande si nous avons réellement les mêmes parents. Je serai l'une des premières à porter cette mode à Londres et l'an prochain toutes les femmes suivront mon exemple, tu vas voir.'
-'Pas moi en tout cas.' Répondit sa sœur avec une grimace. 'J'aurais l'impression d'être complètement nue.'
La cadette Bennet éclata de rire. 'C'est bien l'idée!'
L'invitation de Lord Gillingham arriva dans l'après-midi, au grand dam de Kitty. Mr Parker viendrait les quérir à sept heures tapantes et Lydia passa un temps déraisonnable à parfaire son allure, prenant un soin particulier à sa coiffure et aussi – au désarroi de Kitty – à son maquillage. Cependant, cette extravagance ne fut rien comparée au choc qui l'attendait lorsqu'elle enfila sa nouvelle robe. Non seulement le tissu était d'une minceur déconcertante, mais son jupon commençait sous sa poitrine et sans corset, cela ne laissait absolument rien à l'imagination.
-'Tu ne vas tout de même pas porter cela!' s'exclama Kitty en rougissant furieusement.
Lydia ajouta un châle qu'elle jeta de manière nonchalante autour de ses épaules. 'Je veux qu'on se rappelle de moi ce soir. Si cette tenue ne donne pas l'effet escompté alors c'est qu'il est temps de changer mon affection.'
Kitty n'avait pas de mots pour décrire ce qu'elle ressentait; en fait, elle était si choquée qu'elle n'arrivait pas à penser du tout. 'Mais…Mr Parker ne s'intéresse nullement à toi. Penses-tu vraiment qu'il apprécia un tel…exhibitionnisme?'
Lydia haussa les épaules. 'Nous verrons bien.'
Pour contrer l'humiliation qu'elle ressentait à apparaître aux côtés de Lydia, Kitty opta pour une robe d'un bleu foncé bien opaque dont le décolletage était plus que modeste. Un dernier regard dans le miroir lui confirma ce qu'elle soupçonnait; ses traits étaient tirés et pâles, sa peau d'une teinte maladive. Elle ignora l'épuisement qui l'habitait, enfila sa cape et monta dans la voiture pour prendre la route de la résidence de Lord Gillingham.
À son grand soulagement, il n'y avait que très peu de personnes chez Lord Gillingham, mais ce sentiment se transforma bientôt en mortification lorsqu'elle réalisa qu'elles étaient les deux seules femmes du groupe. Mr Parker détourna les yeux dès que Lydia se débarrassa de sa cape, mais Lord Gillingham et ses invités ne s'empêchèrent pas de se délecter de la vue, ce qui sembla plaire à la principale concernée. Les hommes lui cédèrent rapidement la place pour l'inclure à leur table de jeu et soudainement l'atmosphère se transforma, comme si le soleil lui-même venait d'illuminer le salon.
Si Kitty avait su quel genre de soirée cela allait être, jamais elle n'aurait osé y venir. Elle resta à l'écart, bien loin des blagues salaces et des commentaires peu subtils, avec pour seule compagnie le chien du propriétaire. Lydia, quant à elle, semblait tout à fait dans son élément, s'assurant que les verres n'étaient jamais vides et allant même jusqu'à allumer les cigares pour eux, assise sur leurs genoux. Elle flirtait sans retenue, soulevait les éclats de rire avec son humour douteux et se complaisait dans les regards appréciateurs de son public. Elle murmurait sans cesse à l'oreille de l'un et l'autre et ses yeux – Ciel! Ce regard! – brûlant et prometteur, ne donnant aucune ambiguïté sur ses pensées.
Des heures durant elle conserva leur attention, déployant tous ses charmes pour les attirer à elle tout en les gardant à distance. Kitty aurait pu voir cela comme de l'art si elle n'avait pas été aussi horrifiée par son comportement, digne de la plus grande courtisane de Londres. Elle tirait cependant au moins une satisfaction de toute cette situation et c'était que Mr Parker ne mordait pas du tout à l'appât que la jeune veuve avait lancé. Il faisait tout pour éviter de la regarder ou de lui parler et à un moment il décida même de tenir compagnie à Kitty et ce fut le premier, et le seul, à lui adresser la parole de toute la soirée.
-'Puis-je vous offrir quoi que ce soit, Miss Bennet?'
La jeune femme secoua la tête. 'Non, merci, Mr Parker. Ne vous dérangez pas pour moi.'
Il prit place sur la chaise opposée à elle. 'Je crois que nous sommes tous les deux dans une position délicate; notre présence est requise, pour différentes raisons, mais notre envie d'être ailleurs est la même.'
-'Je crains que ma place ne soit pas dans ce genre de soirée.'
Mr Parker soupira. 'Si je pouvais m'éclipser je le ferais, mais mon oncle m'oblige à rester. Il semble déterminé à m'instruire sur les…avantages…qui viennent avec le titre de baron.'
-'Ne repart-il pas pour la Grèce ce printemps?'
-'Oui et le plus tôt sera le mieux selon lui. Ce n'est qu'une question de semaines maintenant.'
-'Vous devez appréhender le rôle que vous aurez à remplir lors de son départ.'
Mr Parker prit une grande inspiration. 'J'ai eu plusieurs années pour me préparer, mais nul n'est vraiment prêt jusqu'au jour où le poids de son héritage pèse réellement sur ses épaules.'
-'Au moins, vous avez un héritage.' Commenta doucement Kitty, songeant à sa propre situation.
-'Je suis désolé pour ce qui s'est passé avec Lord Nathaniel.' Dit alors le jeune homme, empathique. 'Croyez-moi lorsque je vous dis que ce ne fut pas une décision facile pour lui. Au final, il a fait passer son devoir avant son cœur.'
Kitty hocha lentement de la tête. 'Je ne conserve aucune rancune envers Lord Nathaniel. Je ne peux proclamer connaitre la difficulté de sa position, mais je comprends sa décision. Je n'aurais pu lui demander de choisir; cela aurait été trop cruel.'
-'Alors vous croyez que le devoir doit toujours prôner sur le cœur?'
Kitty fut surprise de la question. 'Non…Enfin, je ne sais pas.'
Ils restèrent silencieux pendant un moment, puis Mr Parker changea de sujet. Il ne semblait pas pressé de retourner à la table de jeu, où les éclats de rire périodiques de Lydia pouvaient se faire entendre.
-'J'ai su la nouvelle concernant Pemberley. Y a-t-il quoi que ce soit que je puisse faire? S'il-vous-plaît, transmettez aux Darcy mes regrets concernant ce terrible évènement.'
-'Ce sont ces moments qui me rappellent à quel point je suis petite et insignifiante face à tant de choses. Il me semble hypocrite et irrespectueux de rester ici à profiter de Londres alors que Pemberley est en crise. Cependant, Mr Darcy refuse de laisser ma sœur faire la route seule et il ne pouvait se permettre d'attendre pour l'accompagner. Même s'il envoie la voiture dans les prochaines semaines, aucune de nous ne sera à Pemberley avant la fin du mois. Nous nous sentons toutes terriblement impuissantes.'
-'Peut-être pourrais-je –' commença-t-il, mais fut interrompu par l'un des invités.
-'Joins-toi à nous pour cette prochaine partie, Nicolas! Si tu ne viens pas à la rescousse de ton vieil oncle, bientôt tu n'auras plus rien à ton nom!'
Les éclats de rire fusèrent autour de la table et Lydia se chargea de remplir à nouveau les coupes.
-'Si vous m'écoutiez un peu, Lord Gillingham, vous ne seriez jamais perdant.' Lança-t-elle d'un air coquet. 'On m'a souvent dit que j'avais un talent particulier; mes mains sont toujours fortes.'
Le baron haussa un sourcil amusé. 'Vraiment? Et ce talent s'applique seulement aux cartes?'
Lydia se pencha pour susurrer quelque chose à son oreille et les coins de sa bouche se soulevèrent en un sourire conspirateur. Les mains de Kitty recouvrirent son visage pour camoufler sa honte. Mr Parker s'éclaircit la gorge, mal à l'aise, déclinant poliment l'invitation de son oncle.
-'Êtes-vous sûr, Mr Parker?' ronronna Lydia. 'J'ai du mal à croire que la compagnie de ma sœur puisse être d'un quelconque intérêt. J'ai souvent cru que sa place devait être dans un couvent; elle a certainement l'accoutrement et la personnalité pour.'
Kitty sentit les larmes lui monter aux yeux. Comment pouvait-elle être aussi cruelle? Comment pouvait-elle prendre autant de plaisir à l'humilier?
La moquerie sembla plaire à tout le monde excepté Mr Parker. Il inclina sa tête respectueusement, mais refusa l'invitation. 'Bien au contraire, Mrs Wickham. Je peux vous assurer que nous passons un très bon moment.'
Cette dernière renifla un rire, portant sa coupe à ses lèvres pour boire une grande gorgée de vin. Le dernier regard qu'elle jeta à Kitty lui glaça le sang, comme une promesse que cela ne se terminerait pas là. Son cœur se mit à battre douloureusement; Kitty était-elle vouée à être tourmentée jusqu'à ce qu'elle abandonne?
-'Miss Bennet, êtes-vous souffrante?'
Elle ne put répondre, soudainement prise de vertiges. Son souffle se fit superficiel, comme si sa poitrine était subitement comprimée dans un corset trop serré. Une panique la priva de tous ses sens et Mr Parker la rattrapa juste avant qu'elle ne heurte le sol, incapable d'échapper à noirceur qui s'empara de son esprit.
Kitty ne reprit conscience que lorsqu'elle fut allongée sur un lit dans l'une des chambres d'invités.
-'Miss Bennet? M'entendez-vous?'
La jeune fille hocha faiblement de la tête. Son corps était lourd comme si on lui avait coulé de l'acier dans les veines.
-'Le médecin sera ici sous peu.' La rassura doucement Mr Parker. 'Tenez, buvez un peu d'eau.'
Il l'aida en portant la coupe à ses lèvres, puis elle se laissa retomber contre les oreillers. Elle avait toujours du mal à respirer, sa poitrine dans un étau invisible, et le souvenir du regard de sa sœur la fit tressaillir. Elle ne put retenir les larmes qui coulèrent sur ses joues, brûlantes contre sa peau glacée.
Kitty comprit alors qu'elle avait atteint sa limite; elle avait perdu.
-'Je veux rentrer chez moi.' Murmura-t-elle entre deux sanglots. 'Je veux quitter Londres.'
Mr Parker prit sa main dans les siennes, son visage empreint d'inquiétude. 'Bien sûr, Miss Bennet. Je suis à votre disposition. Nous pouvons quitter pour Longbourn dès que vous serez remise sur pieds.'
Kitty secoua la tête. 'Pas Longbourn. Pemberley.'
Le docteur resta un moment à son chevet et déclara un cas de mélancolie. Kitty ne s'opposa pas à ce diagnostic; en fait, elle n'avait pas la force de réfléchir à la signification de ces mots. Elle était seulement soulagée de ne plus sentir ce poids sur ses poumons, un poids qui s'était lentement dissipé depuis la promesse de Mr Parker de l'accompagner, elle et ses sœurs, à Pemberley. Une dose de laudanum plus tard, Kitty sentit son esprit s'embrouiller dans un étrange mélange de sommeil et d'éveil. Mr Parker avait quitté la pièce pour la laisser se reposer, mais soudainement elle réalisa que quelqu'un d'autre s'était assis dans la chaise qu'il avait occupé.
-'Lydia?' murmura-t-elle d'une voix pâteuse, incertaine si son imagination lui jouait des tours. Elle cligna des yeux et l'image de sa sœur se précisa.
-'Il semble que je te dois des remerciements.' Commenta cette dernière joyeusement, un petit sourire aux lèvres.
Kitty fronça les sourcils. 'Que veux-tu dire?'
-'Sans ta petite scène, Lord Gillingham nous aurait fait reconduire chez Jane et la prochaine partie de mon plan aurait eu à attendre encore un moment. Grâce à toi, les choses iront beaucoup plus vite que je l'avais prévu.'
-'Quoi?'
-'Maintenant que j'ai l'excuse de rester à ton chevet, je peux passer la nuit ici sans éveiller de soupçons.'
Lentement, très lentement, Kitty comprit où elle voulait en venir. 'Tu ne peux pas…Lydia, c'est un risque trop élevé…'
Sa sœur se pencha vers elle, une lueur espiègle dans les yeux. 'Je ne perds jamais, Kitty. Tu crois que je n'ai rien tiré de mes années avec Wickham? Je ne joue pas tant que je ne suis pas sûre de gagner.'
-'Mr Parker…ne voudra jamais de toi.'
Sa cadette eut un petit rire. 'Qui a parlé de séduire ce virtueux Mr Parker?'
Kitty plissa les yeux. 'Lord Gillingham?'
Lydia se leva pour aller observer son reflet dans le miroir pleine-grandeur. Ses doigts replacèrent quelques mèches de ses cheveux puis elle déposa son châle sur la chaise. Elle était l'image même d'une tentatrice. 'Certes, il est aussi vieux que papa, mais il est riche.'
-'Mais…Lydia, jamais il ne t'épousera.'
-'Qui a parlé de mariage?'
Kitty sentit son esprit devenir un peu plus clair. 'Tu ne peux pas considérer cela.'
-'Cela me semble un sacrifice raisonnable pour tout ce que cela pourrait m'apporter. Et puis, il n'est pas comme les autres. Il cherche à s'amuser, à profiter de la vie. Il me comprend. Après ce soir, il ne pourra plus se passer de moi. Je serai celle qui le divertit, qui le replonge dans sa jeunesse.'
Le laudanum l'empêchait de réfléchir correctement. 'Et s'il profite de toi puis te rejette? Et si tu tombes enceinte?'
-'Tu crois que je n'ai pas songé à tout cela?' répondit-elle avec agacement. 'Il part pour la Grèce d'ici peu, non? Il emportera avec lui tout souvenir ou rumeur de ce qu'il s'est passé. Et je ne tomberai pas enceinte.'
-'Tu ne peux pas décider de cela; seul Dieu le peut.'
Le rire de sa sœur résonna dans ses oreilles et elle frissonna. 'Oh, Kitty, tu es si naïve. Tu ne peux tout de même pas croire qu'il n'y a aucun moyen de prévenir une grossesse.'
Elle prit la direction de la porte et Kitty sentit la panique revenir en songeant à ce qu'elle s'apprêtait à faire. Elle tenta de se lever pour la retenir, mais son corps n'obéit pas. Elle s'affaissa contre ses oreillers, trop épuisée pour empêcher Lydia de ruiner sa vie.
-'Bonne nuit, très chère sœur.'
La porte se referma doucement derrière elle. Kitty abandonna toute tentative de se battre contre l'inconscience et se laissa dériver. Si Lydia souhaitait détruire le peu de réputation qui lui restait, elle ne l'en empêcherait plus. Sa petite sœur, celle qui avait partagé quinze années de sa jeunesse, n'était plus. Elle ne connaissait pas cette sorcière qui ne cherchait qu'à se satisfaire elle-même et après tant d'énergie dépensée à essayer de la sauver, il était maintenant temps pour Kitty de la laisser partir. En choisissant ce chemin, Lydia venait de couper le dernier fil la liant à sa famille. À partir de maintenant, elle naviguerait dans la vie sans l'aide de ses sœurs.
Kitty soupira de soulagement. Enfin, elle ne se ferait plus intimider et humilier. Enfin, elle était libre.
(-*-)
Voilà! Je l'ai fait un peu plus long que d'habitude pour compenser l'interminable attente que vous avez eu à subir! J'espère que ce chapitre vous a plu; en tout cas, moi j'ai apprécié explorer le côté plus sombre de Lydia. Pour moi elle est le summum de la « mean girl » !
J'ai réalisé en faisant quelques recherches que je n'écris pas toujours Gillingham de la même manière et je m'en excuse! Alors je fixe l'épellation comme ci-haut.
Je ne peux promettre un autre chapitre sous peu, mais je sais que je ne prendrai pas 6 mois pour l'écrire. Désolée encore de l'attente si longue, à bientôt j'espère!
Un énorme merci à Axelines14 pour son travail de Beta Reader!
