Je sais, je sais, les pauses entre les chapitres se font de plus en plus longues. Cependant, je n'abandonne pas! Je ne vous oublie pas non plus, croyez moi, et je m'en veux de ne pas pouvoir satisfaire vos demandes de publier plus rapidement, mais la vérité est qu'il est difficile pour moi de faire mieux. Croyez-moi, si je pouvais passer tout mon temps à écrire, je le ferais! C'est un rêve de pouvoir vivre de mon écriture, mais ce n'est pas le cas (encore!). D'ici là, soyez rassuré que je n'ai pas l'intention d'abandonner cette fiction. Lorsque je fais une promesse, il me tient à cœur de la tenir, que ce soit à mes proches ou à vous, gens de l'internet, qui attendez patiemment la suite.
Merci encore de votre fidélité!
Chapitre 48
Une drôle de coïncidence
Darcy se pinça l'arête du nez avec un grognement. Il avait très peu dormi dans la dernière semaine et la fatigue commençait à se faire ressentir. Le voyage à cheval de Londres à Pemberley avait été pénible et froid; impossible de faire le chemin en voiture sans que cela ne prenne le double du temps vu la condition des routes. De nombreux arrêts avaient été nécessaires pour qu'il puisse se réchauffer et changer de monture, mais il avait finalement passé les grilles de son domaine après trois jours, complètement éreinté et endolori.
Il s'était mis au travail aussitôt. Après avoir pris connaissance en détail de la situation par son agent, il avait priorisé la mise en place d'un camp de fortune pour les survivants n'ayant pu trouver famille, ami ou voisin pouvant les loger. Il ordonna que des repas chauds soient servis midi et soir et laissa la responsabilité de commander les provisions nécessaires à Mrs Kent, la cuisinière. Il avait été heureux d'apprendre que le Dr Baker faisait déjà des rondes tous les jours pour vérifier la condition des blessés et qu'il attendait son nouvel apprenti d'un jour à l'autre, ce qui allégerait de beaucoup sa charge de travail.
Vint ensuite le temps pour Darcy de se rendre sur place pour constater l'étendue des dégâts. La rivière étant toujours haute, il ne lui avait pas été possible de s'approcher autant qu'il l'aurait voulu, mais ce qu'il avait vu lui avait serré douloureusement le cœur. Ce qui avait été une vallée fertile et verdoyante n'était plus qu'une vaste plaine inondée dont les rives étaient jonchées de débris de bois, de métal, de foin et autres effets personnels. Le courant emportait encore par-ci par-là les restes de maisons, granges ou autres bâtiments, un spectacle impressionnant et inquiétant à la fois. Il avait longé la plaine sur quelques miles pour finalement constater la raison pour laquelle les eaux ne redescendaient pas plus rapidement; les débris s'étaient accumulés et bloquaient le cours d'eau naturel, obligeant encore plus de familles à quitter leur domicile afin de trouver refuge ailleurs. Il était encore trop dangereux de s'aventurer dans les eaux tumultueuses, mais maintenant que la pluie avait laissé place au soleil, le débit commençait enfin à ralentir.
Darcy s'était pincé les lèvres d'insatisfaction en voyant les tentes de tissus épais dans la clairière qu'il avait choisie pour monter le camp. Malgré ses bonnes intentions, il n'avait pas pu faire mieux que ces habitations temporaires dans lesquelles le vent s'engouffrait. Il avait fait livré du bois pour que chaque famille ait assez de combustibles pour se chauffer nuit et jour, mais il savait que cela ne suffisait pas. Darcy voyait la désolation dans le visage des victimes et savait que malgré ses efforts, il devait faire plus. Mais comment? Il consacrait presque toutes ses heures de la journée à courir à droite et à gauche et très peu de ce temps était consacré au repos. Il avait bien vite réalisé que ce rythme le rendait de moins en moins efficace et qu'il commençait à avoir du mal à se concentrer. De plus, de poignantes migraines avaient commencé à se manifester, mais cela lui semblait bien peu comparé à l'inconfort des malheureux forcés de dormir sous des tentes en plein mois d'avril. Il regretta bien vite d'avoir refusé que sa femme l'accompagne, non seulement pour ses capacités à gérer efficacement toutes sortes de situations, mais surtout pour le réconfort qu'elle savait lui apporter dans les moments difficiles.
Le troisième jour après son arrivée, une voiture arriva tôt dans l'avant-midi alors qu'il s'apprêtait à partir à cheval pour vérifier à nouveau le niveau de la rivière. Son cœur s'emballa, espérant presque que Lizzie ait désobéi à ses ordres, mais lorsque la porte s'ouvrit c'est une jeune femme à la chevelure rousse qui descendit.
-'Vivianne!'
Cette dernière fit aussitôt une révérence, les joues rouges d'embarras. 'Vous semblez surprise de me voir, Fitzwilliam. J'ai écris à Elizabeth pour annoncer ma venue, mais comme il n'y avait personne à Bristol pour m'accueillir j'ai pris la liberté de me rendre jusqu'ici. Ai-je mal fait?'
Elle jeta un coup d'œil à la voiture, où un des domestiques s'occupait déjà de dénouer les ceintures qui retenaient ses bagages.
-'Non, bien sûr que non.' se ressaisit Darcy en se rappelant soudainement qu'Elizabeth lui avait confié la tâche d'envoyer une escorte. 'J'ai été très pris dans les derniers jours, une situation particulière est arrivée et je crains avoir oublié les engagements que j'avais pris à votre égard. Pardonnez-moi cette honteuse négligence.'
-'Rien de grave, j'espère.'
-'Rien de très gai, malheureusement.'
La jeune fille jeta un coup d'œil à nouveau vers ses deux coffres, puis vers la route d'où elle était arrivée. 'Puis-je avoir l'audace de demander à ce que l'on me conduise à ma chambre? Avec mes effets, si cela est possible. Le chemin a été long.'
-'Tout naturellement. Venez, Mrs Reynolds ici présente vous conduira à votre chambre. Et donnez moi toutes les notes que vous avez contractées depuis votre arrivée en Angleterre, je les règlerai dès mon retour. Je dois quitter pour l'instant, mais je serai de retour cet après-midi.'
-'Oh, non, ne vous sentez pas obligé de –'
-'J'insiste, Vivianne. Cela me semble la moindre des choses pour réparer mon étourderie.' Il jeta un coup d'œil derrière elle, dans la voiture vide. 'N'avez-vous pas d'escorte?'
La teinte de ses joues s'approfondit. 'Je…Non. Je suis seule.'
Darcy fronça les sourcils, mais ne souleva pas l'étrangeté de la chose. Ses pensées furent interrompues par les grognements des valets qui, sous le poids du plus gros coffre, peinait à se redresser. Vivianne observa leurs gestes comme une louve surveille ses petits et s'exclama brusquement lorsque l'un d'eux perdit sa poigne, laissant tomber sa charge lourdement.
-'Attention!' Elle se racla discrètement la gorge et ajouta, plus posée : 'S'il-vous-plaît, soyez prudent avec celui-ci, il contient des biens très précieux.'
Les deux pauvres hommes peinèrent à transporter le bagage à l'étage, où Mrs Reynolds avait prestement fait préparer une chambre. Vivianne suivit le petit groupe et Darcy la regarda partir, habité par un étrange pressentiment. Trop préoccupé par tout ce qu'il avait à faire, il chasse ses doutes de ses pensées et se dirigea vers les écuries.
À peine était-il revenu cet après-midi là qu'une nouvelle voiture se présenta dans l'allée principale suivit de plusieurs cavaliers. Étonné d'autant d'activité en si peu de temps – et en plein mois d'avril de surcroît – il attendit, las, que le nouvel arrivant se présente. Il dû faire un grand effort pour ne pas grincer des dents en voyant le chef des Forces Armées en Irlande descendre avec quelques-uns de ses hommes.
-'Que puis-je faire pour vous, Mr Levitt?' demanda le maitre de Pemberley en se redressant fièrement.
-'Nous sommes sur la piste d'un fugitif, Mr Darcy, et tout porte à croire qu'il se trouverait sur vos terres.'
-'Un fugitif? Quel genre de fugitif?'
-'Nous avons décimé un groupe de rebelles fabriquant secrètement des armes pour une prochaine rébellion. L'un d'eux s'est échappé et a pris le bateau jusqu'à Bristol avant de prendre une voiture jusqu'ici, de toute apparence.'
-'Vous devez faire erreur, Mr Levitt. Pourquoi diable viendrait-il sur mes terres?' Il n'avait même pas fait d'efforts pour cacher son impatience.
Le vieil homme plissa les yeux. 'Vous êtes connu pour votre pacifisme envers ces criminels, Mr Darcy. Cela fait de vous un potentiel complice.'
Darcy eut un rictus. 'Parce que j'ai de la compassion je suis un suspect? N'est-ce pas plutôt votre dédain de ma personne qui vous pousse à trouver des poux là où il n'y en a pas?'
-'Si vous êtes innocent vous n'aurez donc aucune objection à ce que l'on fouille votre demeure et questionne votre personnel?'
-'Demandez à qui vous voulez, mais nul n'a vu ce fugitif dont vous parlez. La seule personne qui ait passé les portes de Pemberley aujourd'hui est la fille d'un des meilleurs amis de mon père, Miss Vivianne Calbert.'
Une étincelle d'intérêt s'alluma dans les yeux du vieil homme. 'La fille de Mr Henri Calbert, de Cork? Intéressante coïncidence.'
Darcy ne voyait pas en quoi ces deux informations pouvaient être reliées et ressentit le besoin de défendre sa nouvelle invitée. 'La visite de Miss Calbert est prévue depuis un moment déjà.'
-'En avril?'
-'Vous-même disiez que la situation est précaire en Irlande; si les rebelles possèdent un plan et qu'un nouveau soulèvement est sur le point de se produire, pouvez-vous vraiment critiquer ou même douter d'un père qui souhaite protéger sa fille? Je connais les inquiétudes de Mr Calbert, il m'en a fait part lui-même lors de ma visite en Irlande il y a un peu plus de deux ans.'
Mr Levitt fit une moue, clairement mécontent de la logique de cette réponse. 'Peut-être, mais vous ne pouvez nier l'étrangeté de la situation. Votre invitée est de Cork et notre fugitif s'est enfui de Cork. Les traces mènent à Pemberley, la même destination que Miss Calbert. Devant de telles coïncidences, je me dois de questionner votre invitée.'
Darcy serra la mâchoire. 'À quelle fin? Elle vint de parcourir la moitié de l'Angleterre, ne peut-elle pas se reposer? Prenez n'importe qui à témoin, ils vous diront tous que Miss Calbert est arrivée seule.'
-'Oh, ne vous inquiétez pas, j'ai l'intention de les questionner également.'
Darcy se retint de soupirer d'exaspération. 'Vous êtes chez moi, Mr Levitt, ne l'oubliez pas. Vous avez ma parole de gentilhomme que Miss Calbert est innocente et que je ne loge pas un rebelle sous mon toit.'
-'Peut-être, Mr Darcy, mais ceci est de routine. Vous ne pouvez me blâmer de vouloir faire mon travail. Elle a peut-être vu ce fugitif; êtes-vous certains qu'il n'y avait aucun autre occupant dans la voiture qui l'a emmené jusqu'ici? Peut-être s'est-il caché sur la route et qu'il s'est échappé avant de passer les grilles.'
Darcy devait se débarrasser de lui le plus rapidement possible, sous risque de lui-même se retrouver devant les tribunaux pour coup porté sur un représentant de la justice. 'Vous êtes libres de faire le tour de mon domaine si cela vous semble nécessaire; je peux seulement garantir ce qui se passe entre les murs de ma maison. Cependant, je dois vous avertir que nous avons eu une tragédie dans les derniers jours et que nous sommes tous très occupés à essayer de mettre de l'ordre. N'importunez pas mes hommes, Mr Levitt. Fouillez tant que vous voulez, mais laissez-nous faire notre travail.' Il savait que la bienséance aurait voulu qu'il l'invite à rester pour la nuit, mais il ne se sentait pas la force d'être courtois. 'Lambton est à cinq miles d'ici; je vous conseille l'Auberge du Taureau, vous y recevrez un excellent service.'
Mr Levitt bomba son torse, insistant encore une fois. 'L'interrogatoire ne prendra que quelques minutes, Mr Darcy. Je ne veux que quelques mots avec Miss Calbert. Ou m'empêchez-vous de la voir par crainte qu'elle n'en sache plus que vous ne voulez laisser croire?'
Darcy grommela intérieurement; il n'y avait qu'un seul moyen de se débarrasser de lui. 'Soit, si cela est nécessaire à laver mon honneur et le sien, je vais la quérir. Vous réaliserez bien vite que vous regardez au mauvais endroit et que tout ceci est d'un profond ridicule.'
Mr Levitt et ses hommes le suivirent à l'intérieur et furent dirigés vers le salon. Pour ne pas éveiller de soupçon, il n'alla pas quérir Vivianne lui-même, mais envoya Mrs Reynolds. Lorsque la jeune femme se présenta, elle s'arrêta brusquement devant le groupe qui l'attendait, son visage soudainement pâle. Darcy l'invita à prendre place près du foyer, là où la chaleur était la plus agréable, et lui expliqua la situation.
-'Un fugitif?' s'étonna-t-elle alors, ouvrant grand ses yeux verts. 'En quoi cela me concerne-t-il?'
-'Plusieurs sources croient avoir vu cet homme en votre compagnie.'
Elle les regarda à tour de rôle, un air innocent sur le visage. 'En ma compagnie? Messieurs, vous devez faire erreur sur la personne, je n'étais pas accompagnée.'
-'Vous étiez seule?'
Elle rougit et Darcy s'interposa aussitôt. 'Cela est mon erreur, messieurs. Dû aux évènements qui se sont produits ici, j'ai malheureusement négligé d'envoyer ma voiture et un de mes hommes pour quérir Miss Calbert.'
Mr Levitt tenta de camoufler son impatience. 'Plusieurs témoins disent vous avoir vu avec un homme, lors de votre voyage.'
-'Mais…Mr Levitt, j'ai voyagé par diligence jusqu'à Lambton. Des hommes, il y en eut plusieurs qui ont partagés ma route.'
-'Nous avons des témoignages comme quoi vous avez été vu en train de vous adresser à lui.'
-'J'ai parlé avec quelques-uns d'entre eux, bien sûr. Est-ce un crime de converser avec ses compagnons de voyage?'
-'Bien sûr que non.'
-'Alors pourquoi vous acharnez vous à me faire peur, Mr Levitt?' s'exclama-t-elle, ses yeux se remplissant de larmes. 'Peut-être me suis-je adressée à ce fugitif, mais si je l'ai fait, ce n'est pas en connaissance de cause. N'est-ce pas déjà difficile d'avoir à se débrouiller seule dans un pays qui m'est inconnu, dois-je aussi me méfier de tous ceux qui ont croisé ma route? Et puis ces rebelles sont la raison pour laquelle mon père a devancé ce voyage, pensez-vous que je prendrais sous mon aile un des responsables de l'agitation qui secoue mon comté en ce moment?'
Darcy lui tendit un mouchoir, furieux contre cet homme qui s'acharnait à harceler une personne complètement innocente. Vivianne le prit avec reconnaissante et tamponna le coin de ses yeux avant d'ajouter :
-'Pardonnez-moi. Pour vous dire la vérité, je suis si perdue et fatiguée que j'aurais pu partager le trajet avec le roi d'Angleterre sans que je ne m'en rende compte.'
-'Mais –'
-'Mr Levitt,' s'interposa durement Darcy. 'Comme vous voyez, vous ne vous adressez pas à la bonne personne. Je ne vous empêcherai pas de faire le tour de mes terres pour tenter de le retrouver, mais je vous prierais de laisser Miss Calbert tranquille. Visiblement, elle n'a rien à voir avec toute cette histoire.'
Les hommes se consultèrent du regard puis, après un moment de silence, leur chef trancha. 'Nous commencerons les recherches à l'instant. Désolée de l'inconvénient, Miss Calbert. Mr Darcy.'
Darcy ne les suivit pas jusqu'à la porte. Quelle histoire! Comme s'il n'avait pas déjà assez sur son assiette, il fallait que ce vieil asticot le mêle à des histoires sans bon sens. Pourquoi est-ce qu'un fugitif traverserait l'Angleterre pour venir se réfugier à Pemberley? Cela n'avait aucune logique.
Il se tourna vers Vivianne, encore assise dans le fauteuil. 'J'espère que vous me pardonnez l'épreuve que vous avez eu à subir, Vivianne, je ne pouvais faire autrement. Il valait mieux le laisser vous interroger à l'instant afin qu'il vous supprime de sa liste de suspect le plus tôt possible. Vous pouvez être tranquille maintenant, vous n'avez rien à vous reprocher.'
-'Je comprends, Fitzwilliam.'
Était-ce lui ou semblait-elle encore nerveuse? Ses doigts tenaient toujours le mouchoir et Darcy remarqua que ses mains tremblaient.
-'Êtes-vous souffrante?'
Elle secoua la tête, camouflant l'évidence de son anxiété en se levant. 'En fait, seriez-vous terriblement offensé si je prenais mon repas dans ma chambre ce soir? Toutes ces émotions…'
Il ne lui laissa pas le temps d'en dire plus. 'Bien sûr, Vivianne, vous avez besoin de vous reposer. Je ferai en sorte que votre repas soit monté à votre chambre, à moins que vous ne préfèreriez qu'un peu de thé?'
Ses yeux s'allumèrent. 'Pour tout vous avouer…je suis affamée. Je mangerais pour deux.'
Darcy sourit. 'J'en prends note. Bonne nuit.'
Elle fit une légère révérence et s'empressa de sortir de la pièce et de monter à l'étage. Il la suivit des yeux, conscient que quelque chose clochait, mais incapable de mettre le doigt dessus. Il abandonna rapidement l'idée d'essayer de démystifier tout cela, blâmant la fatigue et la nouveauté comme étant la raison de cet étrange comportement. Et puis, Vivianne ne sortait que rarement de Ballyhara Manor, comment pourrait-elle être mêlée à cette histoire de rebelles? Tout cela était tout simplement absurde.
Darcy devait se concentrer sur ce qui était important et non sur des idées saugrenues semées dans son esprit par ce vieux bouc. Il se dirigea vers son bureau et s'enferma pour la soirée, plume à la main, afin de solliciter plus d'aide et de ressources pour les pauvres gens qui attendaient avec impatience que Dieu leur vienne en aide.
(Kitty)
Lorsque Kitty ouvrit les yeux, elle eut un moment de confusion avant que les souvenirs de la veille envahissent sa mémoire. Elle balaya la pièce du regard, remarquant pour la première fois les sombres rideaux de velours, les oiseaux colorés du papier peint et les meubles d'ébène qui composaient la chambre. Il lui fallut quelques instants pour comprendre l'étrange malaise qui l'habitait; soudainement, elle réalisa que c'était le silence. Pour la première fois depuis l'arrivée de sa sœur, elle n'avait pas eu à supporter des ronflements sonores ou à se battre pour un peu d'espace dans le lit. Elle n'avait pas fait de cauchemars non plus ni eu d'éveils en sursaut. En lâchant prise sur le sort de sa cadette, elle avait réussi à se libérer l'esprit et dormir, profondément, pendant une nuit entière. En fait, un seul regard vers les fenêtres baignées de lumière lui fit deviner que la matinée tirait à sa fin et que l'heure du déjeuner devait approcher.
-'Kitty?'
La voix familière de Georgiana lui fit tourner la tête vers la droite, là où sa meilleure amie était assise à son chevet. Ses yeux trahissaient sa fatigue, mais le soulagement sur son visage était évident.
-'Comment te sens-tu ce matin?'
Kitty évalua son état un moment avant de répondre : 'J'ai l'impression que je pourrais dormir pendant des jours. Depuis quand es-tu arrivée?'
-'Fitzwilliam a fait atteler la voiture dès que nous avons reçu le message de Mr Parker. Je me doutais que Lydia ne serait pas le réconfort dont tu aurais besoin.'
La jeune femme poussa un long soupir en songeant à sa sœur, probablement encore endormie dans les bras de leur hôte. Sa poitrine se contracta aussitôt, un sentiment plus que familier depuis qu'elle avait pris sur elle de chaperonner Lydia. Elle posa une main contre son cœur et s'obligea à ne plus y penser, fidèle à la promesse qu'elle s'était faite la nuit précédente.
Il y eut un cognement à la porte, suivit de l'entrée du médecin qui l'avait ausculté la veille et de Mr Parker. Après un moment à son chevet, le docteur se redressa avec un air satisfait.
-'La crise est passée.' Déclara-t-il de sa voix grave. 'Cela dit, je vous conseille fortement de quitter les excitations de la ville et trouver refuge dans le calme de la campagne, Miss Bennet. Le plus tôt, le mieux. Vous devez vous reposer si vous ne voulez pas risquer une rechute.'
Mr Parker s'avança d'un pas. 'Bien sûr, docteur. Je me suis déjà porté volontaire pour reconduire Miss Bennet dans le Derbyshire. Avec votre approbation, et si cela lui convient, nous pouvons prendre la route dès demain matin.'
Le cœur de Kitty s'emballa à ces mots; de savoir qu'elle serait à Pemberley dans moins d'une semaine la remplit d'une énergie nouvelle qui la fit presque sauter de son lit pour courir chez Jane afin de faire ses valises. Le médecin sembla satisfait de cette réponse. 'Excellent. Je ne m'en fais pas trop pour vous, Miss Bennet. Vous êtes jeune et en santé; vous devriez retrouver votre état habituel d'ici peu. Nul besoin de m'accompagner jusqu'à la sortie, Mr Parker, je saurai retrouver mon chemin.'
Il sortit prestement, le laissant seul avec les deux jeunes femmes. Kitty ne put s'empêcher de rougir, soudainement consciente du fait qu'elle ne portait qu'une chemise de nuit et que ses cheveux cascadaient indécemment sur ses épaules. Mr Parker sembla le remarquer puisqu'il détourna poliment le regard en s'éclaircissant la gorge.
-'Puis-je vous être d'une quelconque utilité, Miss Bennet? Avez-vous assez chaud? Je peux demander à ce que l'on ajoute quelques bûches dans le foyer. Ou peut-être souhaiteriez-vous un thé? Ou quelque chose de plus soutenant?'
Kitty secoua la tête, légèrement inconfortable devant tant d'attentions. 'Cela est très aimable, Mr Parker, mais je n'ai besoin de rien.'
Un silence s'installa, qu'il brisa au bout d'un moment. 'Appelez-moi dès que vous serez prête à retourner chez votre soeur. Je vais prendre les arrangements nécessaires pour notre voyage de demain.'
Il quitta la pièce, laissant les deux amies seules.
-'Cela est un énorme service à rendre, ce qui est tout à son honneur.' Commenta Kitty en se tournant vers Georgiana, un petit sourire aux lèvres. 'Bien que je crois que ses motivations aient plutôt à voir avec toi et non avec ses qualités de gentleman. Tu as beaucoup de chance.'
Cette dernière hocha lentement de la tête, mais quelque chose clochait dans son expression. 'Je ne crois pas qu'il ait fait cela pour me faire plaisir.'
-'Bien sûr que si. Pourquoi donc s'imposerait-il un voyage de plusieurs jours sur des routes affreuses si ce n'est pour gagner des points auprès de la femme qu'il courtise depuis plusieurs mois déjà?'
Georgiana ouvrit la bouche pour répliquer, puis changea d'idée et se leva pour aller entrouvrir la fenêtre afin d'aérer un peu la pièce. Kitty se leva avec peine pour s'habiller, son corps lourd comme s'il avait été coulé dans le plomb. Cependant, elle était déterminée à ne pas rester plus longtemps que nécessaire chez Lord Gyllingham. Non seulement elle était impatiente de retourner à Pemberley, mais elle était aussi anxieuse de mettre le plus de distance possible entre Lydia et elle.
La journée s'annonçait magnifique; un ciel bleu sans nuage laissait toute la place au soleil, un bon présage pour le voyage qui allait s'amorcer dans l'heure. Kitty vérifiait une dernière fois le contenu de sa valise lorsque la porte de sa chambre s'ouvrit, révélant une Lydia dont l'air suffisant trahissait son sentiment de victoire. Elle affichait un sourire en coin que sa sœur connaissait très bien, un sourire qui démontrait qu'elle avait eu ce qu'elle voulait. Elle portait une nouvelle robe, un détail que la jeune femme décida d'ignorer alors qu'elle replaçait un collier qu'elle avait oublié dans sa boite à bijoux.
-'Ne vas-tu pas me faire la morale?' ronronna Lydia au bout d'un moment, sa voix moqueuse. 'Je m'attendais à une remontrance sans égale.'
Kitty ne répondit pas.
-'J'étais étonnée de ne pas te voir débarquer dans la chambre de Hugh hier matin. J'étais persuadée que tu allais me trainer chez Jane de force.'
En fait, Kitty avait été soulagée lorsque sa cadette avait découchée une seconde fois. Elle avait pu profiter d'une autre nuit réparatrice et elle se sentait beaucoup plus forte maintenant, assez forte même pour refuser de jouer au petit jeu que Lydia semblait vouloir jouer avec elle en ce moment.
-'Hugh veut m'emmener dans les meilleures boutiques de Londres pour une nouvelle garde-robe. Celle-ci n'est qu'un échantillon. Tu en seras verte de jalousie.'
Kitty traversa la pièce pour prendre son châle et le déposa avec le reste de ses effets. Devant son mutisme, Lydia tenta une nouvelle fois d'engager la conversation.
-'Oh, allez, ne fais pas cette tête. Tu pourras me les emprunter de temps en temps.'
Kitty se dirigea vers le miroir pour mettre son manteau et son chapeau.
-'Nul besoin de te sauver dans les jupons de Lizzie. Je récupère quelques effets et je repars. Hugh ne peut plus se passer de moi.'
Alors que Kitty s'apprêtait à tirer la cloche de service afin de demander à ce que l'on transporte son coffre au rez-de-chaussée en vue du départ, sa sœur s'interposa.
-'Ne sois pas si amère. Ce n'est pas de ma faute si tu n'as pas le charme ni l'intelligence requis pour te trouver un bon parti.'
Cette fois, Kitty n'eut d'autre choix que de répondre. 'Détrompe-toi. Je ne suis ni amère ni jalouse de ta situation. En fait, je ne pourrais pas m'en soucier moins qu'en ce moment.'
Victorieuse d'avoir enfin percé le mur de son ainée, Lydia eut un petit rire. 'Oh, non, je te connais trop bien. Cela te rend malade de me voir réussir alors que tu es toujours seule, sans époux, sans argent, sans avenir. Même avec l'aide de Lizzie et Jane tu n'as pas su prendre ta place. Dis-moi, comptes-tu vivre aux dépends de tes beaux-frères toute ta vie? Est-ce ton plan depuis le début? Devenir vieille fille et faire ta sangsue auprès de tes sœurs?'
Cette réplique la heurta plus qu'elle ne l'aurait voulu. 'Que veux-tu, Lydia? Réellement? Que cherches-tu à faire?'
-'Il faut bien que quelqu'un soit honnête avec toi. J'essaie seulement de t'éviter de vivre trop cruellement la déception qui t'attend lorsque tu réaliseras enfin que ta place n'a jamais été parmi eux. Tu devrais rester avec moi; avec Hugh tes chances sont bien meilleures de trouver quelqu'un qui voudra de toi.'
La brunette la regarda comme si elle avait perdu la tête. 'Avec Lord Gillingham et sa compagnie de joueurs bougonneux?'
-'Oh, ils ne sont pas si grincheux lorsque tu apprends à les connaitre! Allez, Kitty! Ce serait si amusant! Comme au bon vieux temps!'
-'Je te l'ai déjà dit, Lydia. Je ne souhaite pour rien au monde redevenir la personne que j'étais avant. Il y a quelques années j'aurais peut-être été assez stupide pour accepter, mais je ne suis plus celle avec qui tu as grandi.' Kitty laissa échapper un petit rire étonné en réalisant quelque chose. 'Tu sais, en fait je croyais que ton mariage avec Wickham t'avait changé. Que les circonstances t'avaient rendue méchante et insouciante et immature…Mais tu as toujours été ainsi. Ton égoïsme, tes excès, ton besoin d'être au centre de l'attention, de mieux faire que nous, tes sœurs…ce sont des traits que tu as toujours possédé, mais qui se sont décuplés avec la déception que t'ont apporté les années. Depuis un moment je ne reconnais plus la sœur qui a partagé mon enfance, mais en fait…Tu n'as pas changé du tout. C'est moi qui ai changé.'
Un petit silence tomba et pour la première fois de sa vie Lydia sembla sans mot. Il fallut beaucoup d'efforts à Kitty pour ne pas afficher le sentiment triomphant qui explosa en elle. Pour garder contenance, elle ajouta : 'Je dois quitter. Lizzie et Georgiana m'attendent. Je pars pour Pemberley.'
-'Oh, ta très chère Georgiana. Que ferait-elle sans son chien de poche?' cracha Lydia, plus venimeuse que jamais.
Kitty se retourna brusquement. 'Je ne sais pas pourquoi tu es venue ici ce matin ni pourquoi tu t'acharnes à vouloir me blesser par tous les moyens possibles, mais sache que ma résolution est prise; vit dans le vice avec Lord Gillingham si tu le souhaites. Détruis ta réputation et ferme les portes de toutes les bonnes familles de la société. Coupe les liens qui t'unissent avec ta famille et tes amis et profite des robes, des soirées et des débauches qui t'attendent auprès de l'homme que tu as choisi. Je m'en moque complètement.'
Elle se dirigea vers la porte et l'ouvrit à la volée. Elle n'avait pas fait un pas que la voix de sa sœur l'arrêta net.
-'Je pars pour la Grèce.'
Cette nouvelle n'aurait pas dû la surprendre. Lord Gillingham avait plusieurs fois mentionné son intention de retourner sur le continent et pourtant, Kitty se retrouva clouée sur place par la finalité de cette décision. Était-ce la raison de cette visite? Lydia était-elle venue lui dire adieu? Leurs regards se croisèrent et pendant une seconde elle eut l'impression d'apercevoir de la vulnérabilité dans les yeux de sa cadette. Même si ce moment passa rapidement et que la détermination teinta ses prunelles à nouveau, Kitty s'adoucit.
-'Toi qui déteste la pluie, je suis sûre que tu apprécieras la Grèce. Et Edwina aussi.'
Lydia fronça les sourcils. 'Edwina? Elle ne m'accompagne pas là-bas. Ce n'est pas la place d'une enfant.'
Abasourdie, Kitty eut du mal à trouver ses mots. 'Mais…que comptes-tu faire avec elle?'
-'Elle sera très bien dans un pensionnat. Pour l'instant, elle restera à Longbourne et y entrera dès cet automne.'
L'idée même que sa nièce soit laissée à elle-même dans un endroit rempli d'inconnus lui fit l'effet d'un coup de massue au ventre. 'Mais…elle est si jeune encore. Tu ne peux pas faire cela.'
-'Oh, ne fais pas ta sentimentale. Avec l'allocation que Wickham lui a laissée, elle pourra entrer dans l'une des meilleures écoles pour filles du pays. Et puis tu ne peux t'attendre à ce que Mère en prenne la responsabilité. Et Père sera plus que soulagé de retrouver le calme de sa maison.'
-'Mais…Edwina est l'incarnation même de la tranquillité. Elle est si sage qu'elle pourrait passer inaperçue partout où elle va.'
-'Ma décision est prise, Kitty. Je ne suis pas faite pour être mère; je n'aime pas les enfants. Et Hugh n'en veut pas non plus. Nous prendrons toutes les précautions possibles.'
Kitty rougit d'embarras, mais elle fut soulagée de savoir que Lord Gillingham ne cherchait pas à procréer. Mr Parker était plus que prêt pour remplir le rôle qui l'attendait et ses prospects seraient drastiquement réduits si Lydia venait à avoir un fils et que son amant décidait de le reconnaître légalement.
-'Je dois y aller.' Elle hésita un moment avant de dire : 'Bien que je crois que tu fais une terrible erreur, je te souhaite d'être heureuse, Lydia. Sincèrement.'
Sur ces mots Kitty quitta la pièce et traversa le couloir d'un pas rapide. Malgré elle, les larmes lui brûlèrent le coin des yeux; le vide dans sa poitrine se creusa douloureusement à l'idée que cette rencontre avec sa cadette était probablement sa dernière.
Tout d'abord, merci à Axelines14, ma patiente Beta-Reader pour son aide dans la correction de ce chapitre !
Ensuite, je sais que l'histoire d'enquête de Mr Levitt n'est peut-être pas totalement conforme aux coutumes de l'époque, disons qu'il est difficile de savoir exactement les procédures dans un tel cas. J'ai pris une certaine liberté à cet effet alors j'espère que cela ne « clash » pas trop avec le reste de l'histoire. Je sais également que j'écris plus souvent sous le nom de Kitty depuis quelques temps, mais que voulez-vous, j'ai un faible pour son personnage, qui a tant à être développé! Mais ne vous inquiétez pas, Lizzie et Darcy seront bientôt de retour, même si je crois que Kitty gardera une place importante à l'avenir.
J'espère que vous avez apprécié ce chapitre, vous serez heureux d'apprendre que le prochain est déjà presque terminé! J'ai écrit les deux en même temps pour une meilleure cohésion alors j'ai bon espoir qu'il sera disponible sous peu.
Sur ce, à bientôt (j'espère!)
