Comme je serai plutôt occupée dans les prochains jours, j'ai décidé de devancer la publication du chapitre 50. Avec la nouvelle année qui arrive, je vous souhaite à tous de poursuivre les rêves qui vous enchantent, de prendre du temps pour vous et de vivre toutes les aventures qui feront de 2020 une année inoubliable! Pour ma part, j'ai bien l'intention de commencer cette nouvelle décennie avec la conviction de mener à terme des projets qui me sont chers, comme terminer mon premier roman et, bien sûr, publier plus souvent ici sur fanfiction. Santé et bonheur à vous, mes chères lectrices, et encore une fois, merci d'être encore avec moi après tant d'années!
Chapitre 50
Un fugitif à Pemberley
Comme promis, Kitty se joignit à l'expédition le lendemain lorsqu'il fut temps de visiter le campement. Ses rêves avaient été envahis par le dilemme qui faisait encore rage dans son esprit, matérialisant le visage de cet homme de milles façons différentes. Et Vivianne, avec sa chevelure de feu indomptable, qui pleurait toutes les larmes de son corps en l'accusant d'avoir gâché sa vie, de lui avoir volé son seul amour. Elle s'était réveillée aux petites heures accablée par le remord.
Accompagnée de Lizzie et Georgiana, bien emmitouflées contre le vent qui leur brûlait les joues, elles prirent une voiture pour traverser la distance séparant la résidence principale du campement de fortune. La désolation qui les attendait fut telle que Kitty en eut le souffle coupée; les tentes érigées battaient au rythme des rafales et les gens, certains inadéquatement vêtus pour de telles températures, se ramassaient en petits groupes autour des feux. Les enfants, trop frigorifiés pour courir et jouer comme ils le devraient, restaient contre leurs mères, le visage caché dans leurs jupes. Un silence régnait dans ce grand espace, un silence lourd d'impuissance et de désespoir.
-'Lizzie…' murmura Kitty, prenant la main de sa sœur pour la serrer fortement. 'Nous ne pouvons les laisser ainsi.'
Cette dernière pinça les lèvres, elle-même bouleversée par le spectacle. 'Non, Kitty, nous ne laisserons pas les choses ainsi.'
Tissus, fils, ciseaux et aiguilles furent distribués aux femmes, qui s'empressèrent de se mettre à l'ouvrage, heureuses de pouvoir délier leurs doigts crispés. Les paniers de provisions furent rapidement distribués et Kitty se promit de demander à Darcy de doubler les rations à leur prochaine visite. En voyant que plusieurs blessés et malades étaient incapables de bouger, alités sur des palettes de fortune, la jeune femme réalisa que les pauvres gens qui se présentaient midi et soir n'étaient qu'une partie des victimes et non la totalité. Elle n'eut pas le temps de commenter sur la chose que son beau-frère haussait la voix pour attirer l'attention de tout le monde.
-'Comme plus tôt cette semaine, trois charriots de bois vous seront bientôt livrés et mes hommes veilleront à leur distribution. Il y en a assez pour tout le monde alors je vous serai gré de ne point chercher à vous en approprier plus que nécessaire. Plusieurs d'entre vous l'auront déjà remarqué, la rivière est maintenant assez basse pour que l'on puisse commencer à récupérer une partie du matériel et la reconstruction de vos maisons sera entamée dès que nous le pourrons. D'ici là, tous les hommes aptes sont invités à se joindre à nous afin de faire avancer le travail le plus rapidement possible.' Il s'éclaircit la gorge et Kitty sut que le plus difficile était à venir. 'À cette bonne nouvelle s'ajoute le triste devoir qui m'incombe de vous livrer la liste de tous ceux que Dieu a rappelé à ses côtés il y a de cela bientôt deux semaines.'
La liste était si longue…Kitty jeta un coup d'œil vers Mr Parker qui, la tête haute, faisait de son mieux pour garder sa dignité. Georgiana, à ses côtés, ne chercha pas à refouler les larmes qui glissaient lentement sur ses joues. Lizzie, si près de son époux que leurs épaules s'effleuraient sans cesse, était un support dont Darcy tirait son énergie, Kitty en était persuadée. Ne voulant s'immiscer entre aucun des deux couples pour chercher du réconfort, elle resta seule, incapable de détourner les yeux de cette foule qui, nom après nom, semblait perdre encore un peu plus de leur résilience.
Le dernier nom de la liste était celui d'un homme et un grand sanglot suivit l'annonce, provenant d'une femme tout en avant entourée de ses trois jeunes enfants et visiblement enceinte du quatrième. Kitty fut rapidement à ses côtés lorsqu'elle s'effondra, tentant tant bien que mal de la consoler avec des mots qui, elle le savait, ne pouvaient panser la douleur de cette perte. Kitty la raccompagna à sa tente et l'aida à s'allonger, lui rappelant qu'elle devait être forte pour le petit qui naitrait bientôt.
-'Peut-être serait-ce mieux qu'il rejoigne son père.' Murmura la jeune mère, dont les sanglots s'étaient transformés en un torrent silencieux. 'Rien ne l'attend dans ce monde. Nous avons tout perdu.'
-'Ne dites pas cela. Vous retrouverez votre maison, Mr Darcy en a fait la promesse à tous ceux qui ont été touchés par l'inondation.'
-'Une maison que je ne pourrai garder, faute d'avoir un époux pour labourer les champs et payer les taxes et le loyer. Je n'ai ni parents ni famille pour m'héberger; je n'ai plus rien.'
Elle promit tout ce qu'elle put promettre; des visites fréquentes, des provisions, des vêtements, mais rien ne sut alléger l'amertume qui habitait la jeune femme. Après un moment, elle lui tourna le dos et Kitty sut qu'il était temps pour elle de partir.
Elizabeth monta se reposer à son arrivée et Georgiana préféra la solitude du boudoir afin de pratiquer sa musique, un comportement qu'elle avait souvent tendance à adopter lorsqu'elle était émotionnellement chamboulée. Darcy s'excusa pour terminer ses correspondances, ce qui ne laissait que Mr Parker et Kitty. Cette dernière s'installa au salon avec ses effets de couture et se mit immédiatement au travail; des langes, des petits habits, des couvertures…
-'Ne seriez-vous pas plus à l'aise près du feu?' Mr Parker demanda après un moment. 'Il fait froid aujourd'hui et vous n'avez pas de châle.'
-'La lumière est meilleure près de la fenêtre. J'adore travailler avec du tissu blanc, mais cela me rend parfois la tâche plus ardue lorsqu'il fait sombre. Ici le soleil reflète sur le fil et je vois mieux ce que je fais.' Elle sourit timidement. 'Veuillez m'excuser, je ne voulais pas vous embêter avec mes histoires de fils et d'aiguilles. Ce n'est pas un sujet très intéressant.'
-'Au contraire. Sans cet art nous serions tous vêtus comme des sauvages.' Kitty ne put s'empêcher de pouffer et Mr Parker s'approcha pour admirer le travail qu'elle faisait. 'Vous avez des doigts de fée, Miss Bennet. Est-ce pour l'enfant à naître de cette femme à qui vous avez porté secours aujourd'hui?'
Elle hocha la tête. 'Si je pouvais, j'en ferais pour tous les enfants, mais je n'ai que deux mains.'
-'Vous faites votre possible.'
-'Je sais, mais ce n'est pas assez. Il est si difficile d'être assise ici, au chaud, l'estomac plein, sans penser à tous ceux dans le besoin. Cela remet humblement ma vision du monde en perspective.
Mr Parker la regarda drôlement. 'De bien profondes pensées.'
La jeune fille rougit, concentrant ses yeux sur le point qu'elle faisait pour ne pas avoir à rencontrer son regard. 'Je ne possède malheureusement pas l'intelligence de Georgiana ou la vitesse d'esprit de Lizzie, mais je m'efforce d'être utile de quelconque manière.'
-'Miss Bennet, j'espère que vous n'avez pas pris mes mots comme une insulte.' S'exclama Mr Parker, choqué. 'Je ne souhaitais en aucun cas critiquer ce que vous avez dit, bien au contraire. Et vous avez tort de vous considérer moindre que Mrs et Miss Darcy. Nous avons tous différentes qualités et la vôtre est certainement l'infinie bonté de votre cœur.'
Kitty lui jeta un regard surpris, soudainement mal à l'aise. 'Mr Parker, ne croyez pas que j'ai cherché à être complimentée de quelconque manière en – '
-'Bien sûr que non.' L'interrompit-il gentiment. 'Je vous connais depuis assez longtemps maintenant pour savoir que vous ne cherchez jamais d'attention ni à vous distinguer des autres. Vous êtes trop souvent oubliée. Mes mots restent pourtant vrais.'
Était-ce la pitié qui le conduisait à être si plaisant avec elle? Tentait-il de gagner des points auprès de Georgiana en étant attentif à sa meilleure amie?
-'Merci.' Murmura-t-elle, confuse. 'Vous savez, vous n'avez pas besoin de m'impressionner pour gagner le cœur de Georgiana.'
Mr Parker cligna quelques fois des yeux sans comprendre.
-'Peut-être me trouverez-vous audacieuse dans mes propos, mais je suis déjà de votre côté. Vous êtes un homme bon, généreux et attentif. Comment ne pourrais-je pas vous recommander auprès d'elle? Elle ne reçoit que des bons mots de ma part à votre égard.'
-'Vraiment?' Il y avait une lueur d'espoir dans ses yeux. 'Vous pensez réellement ce que vous dites?'
-'Je ne mentirais pas sur un tel sujet. Georgiana est…prudente. Réservée. Elle est intimidée à l'idée de quitter Pemberley et tout ce qu'elle connait. Soyez patient et vous serez récompensé. Vous vous entendez si bien déjà.'
Son visage se rembrunit. 'Oui, vous avez raison. Nous nous entendons bien. J'apprécie sincèrement notre amitié.'
-'Alors vous n'avez pas à vous inquiéter.' Conclut Kitty d'un ton confiant.
-'Si vous le dites.'
Il se leva et lui tourna le dos, marchant lentement jusqu'au fond de la pièce. Lorsqu'il revint, il portait à nouveau ce drôle d'air.
-'Croyez-vous en l'amour, Miss Bennet?'
Prise au dépourvue, Kitty balbutia : 'Et bien…Oui, bien sûr.'
-'Est-ce indispensable au mariage?'
-'Indispensable? Non…ce n'est pas une priorité pour tous, j'imagine.'
-'Et pour vous?'
Elle se remémora les mots qu'elle avait prononcé la veille, dans sa prière. 'Je ne peux concevoir passer le reste de ma vie avec quelqu'un que je n'aime pas ou qui ne m'aime pas en retour.'
Il hocha lentement la tête. 'Certains disent que l'amour est pour les sots, pour les romantiques de ce monde. Que d'être heureux en mariage ne dépend que de la chance. J'ai longtemps cru en cette notion; l'amour est régulièrement un frein à la raison, il pousse parfois à faire d'étranges choses.'
-'Cela est une vision bien pessimiste de l'amour, Mr Parker.'
-'Peut-être.'
Kitty ne comprenait pas où il voulait en venir. En fait, elle ne comprenait pas du tout le sens de cette conversation.
-'Je crois que…l'amour prend différentes formes.' Dit-elle prudemment. 'Parfois il est fort comme le feu qui brûle et consume, parfois doux et tranquille comme la braise. Dans tous les cas, l'amour ne peut survivre s'il n'est pas alimenté par autre chose, comme le respect, l'honnêteté, la considération… Le cœur peut peut-être pousser à faire d'étranges choses, mais cela ne veut pas dire que ces choses sont toujours péjoratives. En fait, je crois que le cœur est ce qui empêche la raison de prendre des décisions qui vont à l'encontre de l'harmonie d'un couple.'
Mr Parker sourit. 'Sages paroles.'
Kitty rejeta son commentaire du revers de main. 'Je ne suis pas philosophe comme vous; je ne me pose pas toutes ces questions. Je ressens les choses plus que je ne les pense. Je suis donc probablement coupable d'écouter mon cœur plus que ma raison.'
-'Vous sous-estimez votre pouvoir de raisonnement.'
-'Et vous surestimez ma capacité à raisonner adéquatement. Si tel était le cas, je n'aurais pas tous ces conflits que je n'arrive pas à régler.'
-'Tel que?'
Kitty se mordit la lèvre; elle ne pouvait se confier à Mr Parker, pas directement. 'Ma conscience…me joue parfois des tours. Je peux avoir toutes les bonnes raisons de suivre ce que la raison me dit et pourtant je ne peux prendre de décision.'
-'Et que dit votre cœur?'
-'Que je ne veux pas être la raison du malheur de quelqu'un. Que je devrais essayer de comprendre avant de tirer des conclusions hâtives.'
-'Cela me semble une décision née de la raison et du cœur simultanément.'
Leur conversation fut interrompue par l'arrivée d'un valet de pied avec le thé de l'après-midi. Georgiana se joignit à eux à ce moment puis aida Kitty dans sa couture sans remarquer qu'un nouveau dilemme s'était ajouté aux pensées de sa meilleure amie.
Lorsqu'elle monta se coucher ce soir-là, Kitty eut encore du mal à trouver le sommeil. Elle n'avait rien entendu lorsqu'elle était passée devant la porte de chambre de Vivianne, mais elle savait que l'homme y était encore pour au moins une nuit. Cependant, ce fut la conversation qu'elle avait eu avec Mr Parker qui lui encombra l'esprit. Que cherchait-il donc à faire en lui posant toutes ces questions? Plus elle apprenait à le connaître, plus elle était confuse des conversations qu'ils avaient ensemble. Si seulement elle était plus intelligente! Elle regretta soudainement ne jamais avoir eu d'intérêt pour la lecture, un passe-temps par lequel sa sœur avait très certainement tiré une partie de son esprit vif. Kitty décida qu'il n'était pas trop tard pour commencer et, sur un coup de tête, elle enfila son peignoir et prit le chemin de la bibliothèque.
Plongée dans ses pensées, elle ne vit pas la silhouette devant elle et la percuta de plein fouet. La chandelle qu'elle tenait dans sa main tomba sur le tapis, la flamme disparaissant aussitôt en un petit nuage de fumée. Kitty leva les yeux et eut un soupir de soulagement.
-'Mr Darcy! Je suis désolée, je ne voulais qu'aller chercher un livre à—' Elle s'interrompit soudainement, observant plus assidument le visage dans la pénombre. Son cœur fit un brusque bond dans sa poitrine. 'Vous n'êtes pas Mr Darcy.'
Le bruit d'une porte qui s'ouvre retentit dans le corridor; la commotion avait sûrement réveillé des gens. Kitty s'apprêtait à appeler à l'aide lorsque la main de l'inconnu s'écrasa contre sa bouche, l'empêchant de prononcer ne serait-ce qu'un son. Elle se débattit comme elle le put, mais l'homme était trop fort pour elle et il l'entraîna dans la pièce vide à côté.
-'Cessez de bouger!' murmura-t-il, à peine audible, mais cela ne servit qu'à la faire redoubler d'efforts. 'Je ne vous ferai aucun mal.'
Aussitôt qu'il la relâcha, Kitty tituba loin de lui, cherchant son chemin dans la pénombre. Elle considéra crier à l'aide à nouveau, mais il l'en dissuada aussitôt.
-'Je vous en prie, ne dites rien. N'alertez pas les autres.' Il avait doucement refermé la porte, bloquant la seule sortie possible.
-'Et pourquoi ne le ferai-je pas? Vous venez de me…de me kidnapper!'
Tel un mirage, sa silhouette était imprécise et elle avait du mal à situer où il était.
-'Je suis navré de vous avoir malmené ainsi, mais je n'avais pas le choix.'
-'Vous êtes ce rebelle qu'ils cherchent, n'est-ce pas?' souffla-t-elle, paniquée. 'Vous êtes celui qu'ils s'acharnent à retrouver.'
Elle crut le voir lever les mains, ce qui la fit reculer de quelques pas. Ses pieds s'enfargèrent dans un tabouret et elle tomba à la renverse avant d'être rattrapée de justesse par son assaillant. Elle s'agrippa à lui par réflexe et, dans cette position, les quelques rayons lunaires filtrant par la fenêtre touchèrent son visage, révélant des traits qui lui semblait familiers et inconnus à la fois. Il lui fallut quelques secondes pour réagir et se dégager de son emprise et il n'offrit pas de résistance.
-'Qui êtes-vous?' demanda-t-elle, plus calmement, en l'observant.
-'Il est préférable que vous ne le sachiez pas. Pour votre propre protection.' Il jeta un coup d'œil derrière lui et Kitty fut tentée de se mettre à courir. Peine perdue; ses jambes étaient molles comme de la gelée.
-'Qu'allez-vous faire de moi?'
L'homme se déplaça jusqu'à la porte et l'entrouvrit pour jeter un coup d'œil dans le corridor. 'Rien.'
-'N'allez-vous pas essayer de me convaincre de me taire? De ne pas vous dénoncer?'
-'Je perdrais mon temps; j'espère seulement être assez rapide pour passer la porte et rejoindre l'orée des bois avant que les autres ne réalisent ce qui se passe.'
Sans savoir pourquoi, Kitty fut offensée par le sous-entendu. 'Vous croyez que je ne pourrais garder parole si je promets de ne rien dire?'
-'Je ne suis pas du type à supplier.'
-'Et je ne suis pas du type à briser mes promesses.'
L'inconnu revint à nouveau au centre de la pièce, sous la faible lumière. Kitty remarqua les yeux sombres et le nez droit, les cheveux bouclés en bataille. Son regard était hostile.
-'Vous et votre genre…de grands parleurs, toujours. Vous vous vantez de votre supériorité, de votre droiture, et pourtant vous fermez les yeux lorsque cela touche ceux qui souffrent réellement des injustices de ce monde.'
Cette soudaine attaque la fit broncher. 'De quoi parlez-vous?'
-'Exactement. Vous ne savez rien. Vous êtes ignorante de ce qu'est la vraie vie en dehors de votre cage dorée.'
-'Ma cage dorée?'
-'Élevée dans la soie, dans le luxe, protégée de tous les maux du monde.'
Était-ce dont l'image qu'elle dégageait? Comment pouvait-il assumer une telle chose sans même la connaître?
-'Vous parlez de droiture, mais je ne vois pas en quoi séduire la femme d'un riche propriétaire afin de se sauver de la police et de se réfugier dans un autre pays est bien mieux que ce dont vous m'accusez.'
-'Séduire?'
-'Jetez-vous votre venin au visage de Miss Calbert parce qu'elle est née dans le privilège ou attendez-vous d'avoir terminé de l'utiliser avant de lui dire ses quatre vérités?'
L'homme sembla déboussolé pendant un moment. 'Vivianne n'est pas…Nous ne sommes pas…'
Il ne put continuer sa pensée car les voix dans le corridor se rapprochèrent. Il paniqua pendant un moment, cherchant une issue des yeux. Kitty resta immobile.
-'Si j'étais vous, je ne tenterais pas de sortir ce soir. Je ne serais pas étonné que cette maison soit surveillée jour et nuit; Mr Levitt ne fait pas confiance à Mr Darcy.'
Il jura sous son souffle. Kitty tira une certaine satisfaction de son impuissance, puis se gronda mentalement de démontrer si peu de charité. Il avait beau être un rebelle, il était toujours un humain. Après autant de jours enfermé et à l'affût, n'était-il pas normal qu'il soit à fleur de peau?
Les voix se turent; après une minute, l'homme sembla respirer plus aisément, mais tous deux sursautèrent en entendant la poignée de porte tourner doucement.
-'Patrick?' Vivianne se faufila dans la pièce et figea en voyant Kitty. 'Oh, Miss Bennet. Je…'
-'Nul besoin de trouver quelconque excuse, Miss Calbert, j'ai fait connaissance avec votre invité.'
Vivianne tourna un regard furieux vers le jeune homme. 'Tu m'avais promis deux jours, Patrick! Pourquoi mettre autant d'efforts à te sauver la peau des fesses si à la première occasion tu n'en fais qu'à ta tête?'
-'Je ne peux plus rester enfermé ici, Vivianne, je dois tenter ma chance.' Il jeta un coup d'œil vers Kitty. 'Je cours vite.'
-'Pourquoi croyez-vous que je vais vous dénoncer dès que vous sortirez de cette pièce?' dit-elle, exaspérée. 'Que pourrais-je bien en tirer?'
Vivianne la regarda d'un air rempli de doute. 'Vous êtes prête à garder le silence?'
-'Ne l'ai-je pas fait aujourd'hui?'
-'Vous…vous saviez?'
-'J'ai…j'ai entendu des voix et…les points n'étaient pas difficiles à connecter.'
L'homme – Patrick, avait-elle dit? – l'observa d'un œil nouveau. Vivianne ne lui laissa pas le temps de parler.
-'Je vous en prie, aidez-nous. Je ne connais pas assez la maison pour le faire sortir; j'ai bien essayé dans les derniers jours, mais tous ces couloirs sont un vrai labyrinthe.'
Kitty hésita.
-'Je sais que tout ceci vous semble étrange, Miss Bennet.' Poursuivit la rouquine. 'Mais je vous promets de tout vous expliquer dès que Patrick sera en sûreté. Je vous assure qu'il est innocent de tout crime; ces hommes qui le recherchent n'ont pas le bon criminel dans leur mire.'
Peut-être était-ce la sincérité dans ses mots ou la supplication qui brillait dans ses yeux, mais Kitty se laissa convaincre. 'D'accord. Je vous aiderai.'
Elle se dirigea vers la fenêtre et tira légèrement le rideau pour regarder vers l'extérieur. Il y avait bien des hommes là, avec leurs chiens, et elle se retira rapidement de leur vue.
-'Si vous passez par les cuisines, vous pouvez traverser aisément jusqu'à la serre et longer les jardins jusqu'à la forêt à l'est. Saurez-vous vous retrouver à partir de cet endroit?'
L'homme hocha la tête. Kitty prit une grande inspiration, déterminée. 'Alors, allons-y.'
Elle ne connaissait que très peu les quartiers des domestiques, mais elle avait souvent emprunté le chemin menant à la cuisine et à cette heure tardive, ils ne rencontrèrent personne. Le verrou grinça lorsqu'elle ouvrit la porte vers la cour extérieure et un flot de lumière bleue s'infiltra dans le corridor sombre.
-'Attendez!' s'exclama-t-elle à voix basse, songeant soudainement à quelque chose. Elle disparut dans le garde-manger et en ressortit avec une miche de pain, du fromage, de la viande séchée et un pot de confiture. Elle enveloppa le tout dans son châle et le tendit à l'homme.
-'Cela devrait suffire pour un petit moment.' Il prit le paquet rapidement noué dans sa main, incertain. 'Vous me remercierez une autre fois. Allez, partez.'
Elle le poussa presque hors de la maison puis elles se précipitèrent à la fenêtre pour l'observer alors qu'il traversait la cour jusqu'au muret de pierres, par-dessus lequel il sauta agilement avant de s'élancer à la course dans la direction que Kitty lui avait indiqué. Lorsqu'il ne leur fut plus possible de le voir, les deux jeunes femmes se tournèrent lentement l'une vers l'autre.
-'J'espère qu'il s'en sortira.' Murmura Vivianne, inquiète. 'Oh, Miss Bennet, si vous saviez comme je vous suis reconnaissante pour votre aide. Patrick est un ami très cher et je ne pourrais me pardonner si quoi que ce soit lui arrivait.'
Elles remontèrent discrètement à l'étage et Kitty accepta l'invitation de Vivianne d'aller dans sa chambre.
-'Les rebelles veulent faire un nouveau soulèvement. Ils reçoivent des fonds pour construire des armes et une de leur cache est près du domaine de mon père.' Expliqua-t-elle lorsqu'elles se furent assises près du feu. 'Je ne sais pas qui, mais il y avait un mouchard dans le groupe et les anglais ont débarqués un soir pour tout saccager. Patrick a entendu l'altercation et il s'est interposé lorsque l'un d'entre eux a voulu s'en prendre à une femme sur les lieux. Il a frappé cet homme au visage, l'assommant d'un seul coup. Une attaque sur un corps militaire anglais est passible de mort, Miss Bennet. Il ne pouvait pas rester en Irlande, trop d'entre eux ont vu son visage et ils sont sur ses trousses depuis.'
-'Fait-il parti des rebelles?'
Vivianne secoua la tête. 'Non…Sa position est délicate. Nous sommes cousins; sa mère est la sœur de ma mère, toutes deux irlandaises. Ma tante ne s'est jamais mariée, si vous voyez ce que je veux dire, alors mon père s'est assuré de donner un minimum d'éducation à Patrick, mais sans pouvoir lui offrir quelconque avancement dans la société anglaise. Cependant, en acceptant ce support, mon cousin est donc lié à ma famille.'
-'Les rebelles ont refusé de lui faire confiance?'
-'Il n'avait pas besoin de demander pour le savoir. Les gens se méfient de lui; il a trop voyagé, trop vu, trop entendu. Sans parler des privilèges qu'il a reçu en étant sous la tutelle de mon père… Certains d'entre eux sont même convaincus qu'il est le mouchard, ce qui est complètement faux. Patrick ne ferait jamais une chose pareille, même si sa vie en dépendait.'
-'Vous semblez avoir une haute estime de lui.'
-'Il est comme un frère pour moi. Je le considère comme tel. Il a été mon seul ami pendant des années et dès qu'il s'est présenté chez moi ce soir-là, poursuivit par ces hommes, je savais que je ne pouvais pas rester les bras croisés à espérer que les choses se passent pour le mieux. Mon père a insisté pour devancer mon voyage à Pemberley car cela me semblait le seul moyen de le faire échapper à la justice. Je suis partie vers Cork avec Patrick et nous avons pris le premier bateau disponible. Je ne savais pas que l'on serait suivi jusqu'ici; je pensais que traverser la mer serait suffisant pour que l'on ne le retrouve pas, mais je me suis trompée. Lorsque je suis arrivée à Bristol et que j'ai vu que la voiture de Mr Darcy n'y était pas, j'ai attendu le plus longtemps possible, mais plus nous retardions notre départ, plus il y avait de témoins pour confirmer notre présence. Je crois que c'est ainsi qu'ils ont pu nous retrouver. Une fois à Pemberley, où j'ai fait entrer Patrick en douce dans un de mes coffres, j'espérais que même s'ils retrouvaient notre trace, ils quitteraient les lieux après quelques jours en voyant qu'il n'était pas ici, mais ils sont toujours là.'
Kitty hocha la tête. 'Je comprends votre inquiétude. Cependant, votre cousin m'a l'air d'un homme débrouillard et puis il connait les environs, non?'
-'Oui…mais ce Mr Levitt semble déterminé à faire un exemple de lui. Son crime est grave, bien que justifié à nos yeux. L'Irlande lui sera à jamais inaccessible maintenant, à moins que les choses tournent en faveur des rebelles. J'espère seulement qu'ils abandonneront les recherches et qu'il pourra se faire une nouvelle vie sans toujours à avoir à regarder par-dessus son épaule.'
Vivianne ramena ses genoux sous son menton. Après avoir écouté cette histoire, Kitty voyait enfin la jeune femme dont Lizzie lui avait parlé. Audacieuse, courageuse, vive…Tout ce que elle, elle n'était pas. Jamais elle n'aurait eu la force de faire ce que la rouquine avait accompli pour sauver qui que ce soit. Juste y penser, elle en avait le tournis.
-'Mr Darcy déteste Mr Levitt…pourquoi ne pas lui en avoir parlé? Je suis sûre qu'il aurait comprit.'
-'C'est ce que j'ai dit à mon père, que les Darcy étaient de confiance, mais il m'a formellement interdit de vous dire quoi que ce soit, à moins que les choses tournent mal et que je n'aie d'autres choix.'
Kitty fronça les sourcils. 'Pourquoi donc?'
-'Je ne sais pas. Pourtant, Fitzwilliam et Elizabeth connaissent Patrick et les conditions de sa naissance.' Elle se leva pour aller quérir quelque chose dans l'une de ses malles. 'Mon père m'a donné ceci avant de partir.'
C'était une lettre scellée à la cire avec les initiales HC comme sceau. Kitty l'observa un moment. 'Elle est adressée à Mr Darcy.'
-'Oui, mais j'ai l'ordre de la brûler si Patrick arrive à s'enfuir.'
-'Et où allait-il?'
-'En Écosse, probablement. Les Amériques seraient une valeur plus sûre, mais il refuse de quitter la Grande Bretagne. Il n'aime pas l'idée d'être si loin de sa mère.'
Kitty posa une main sur celle la jeune fille. 'Dans tous les cas, vous pouvez compter sur ma discrétion. Et mon soutien.'
Vivianne eut un sourire reconnaissant. 'Merci, Miss Bennet.'
-'Kitty.' La corrigea-t-elle gentiment.
Elle ne retrouva son lit que lorsque l'horloge sonna deux heures. Alors que son esprit s'embrunissait, l'image de cet homme lui revint en mémoire et elle réalisa avec un petit sourire qu'elle n'avait aucun regret pour ce qu'elle avait fait.
(-*-)
Promis, le prochain chapitre se concentrera sur nos tourtereaux! Comme d'habitude, je ne peux dire quand je serai capable de publier le prochain chapitre, mais je peux vous confirmer qu'une bonne partie est déjà écrite. Cela dit, c'est souvent la partie révision qui est la plus longue et qui me demande plus de travail. Dans tous les cas, il sera disponible dès que possible et, qui sait, peut-être que ma résolution de publier plus souvent sera tenue cette année!
Bonne année 2020!
