Joyeuses Pâques à toutes!
Chapitre 52
M. Patrick O'Shee
Par chance la température se montra clémente pendant leur expédition le lendemain matin. Darcy n'emprunta pas la route principale, mais guida plutôt Mr O'Shee directement vers l'ouest, coupant à travers son domaine non seulement pour sauver des miles, mais aussi afin d'étudier l'état de la situation. Lorsqu'ils arrivèrent à la rivière, il fut satisfait de voir qu'elle avait presque retrouvé son cours normal et que les terres commençaient à sécher. Bientôt il serait possible de semer les champs et, avec un peu de chance, les dates de récoltes ne seraient que peu affectées par les évènements. Ils passèrent également près de la maison des Gregory, maintenant plus qu'une fondation de pierre.
-'C'est un beau lot de terre.' Commenta Patrick d'un œil critique. 'Pourquoi l'avoir laissé en friche? Même d'ici je peux voir qu'elle est idéale pour l'agriculture.'
Darcy acquiesça. 'L'une des meilleures de Pemberley.'
-'La famille a-t-elle survécu?'
-'Non…Je commence à croire que j'aurais dû les évincer plus tôt, peut-être que cela aurait pu épargner leurs vies.'
-'Évincer?'
-'Cette ferme a été entretenue par la famille Gregory pendant plus de cent ans. Le dernier de la lignée n'a cependant pas hérité des talents de fermier de ses ancêtres et l'endroit n'était pas exploité à son plein potentiel. La propriété est extensive et demande beaucoup de travail; Mr Gregory était plus préoccupé par le jeu que par le besoin d'engager de la main d'œuvre pour cultiver ses champs. J'avais trouvé un nouvel arrangement pour délocaliser la famille sur une propriété plus modeste, qui aurait été plus facile à entretenir, mais mon sentiment de culpabilité devant cette solution plutôt drastique m'a fait hésiter plus longtemps que je n'aurais dû. Je voulais lui laisser une dernière chance de se prouver, mais cela les auront mené à leur perte.'
Patrick échangea un regard avec lui et, sans savoir pourquoi, Darcy se surprit à étudier son visage avec plus d'attention. Il ne ressemblait en rien aux Irlandais qu'il avait rencontré dans sa vie; ses traits étaient plaisants, sa posture droite. Son accent était évident, mais loin d'être aussi prononcé que ceux de ses compatriotes. Cela n'était pas étonnant vu son éducation, qui avait été bien différente des autres garçons de sa région. Comme Vivianne, Patrick avait eu une enfance recluse, n'ayant jamais appartenu ni au peuple dont sa mère faisait parti, ni à la bourgeoisie de laquelle il avait reçu un héritage. En toute honnêteté, depuis qu'il avait appris la situation du jeune homme, il avait soupçonné Mr Calbert d'avoir pris le garçon sous son aile non pas par respect pour sa femme, mais pour avoir bonne conscience.
-'Dites moi, connaissez-vous l'identité de votre père?' demanda-t-il franchement.
Patrick fut surpris de la question, mais répondit néanmoins, quelque peu gêné. 'Non…Ma mère n'a jamais cru bon de mentionner son identité. Elle m'a toujours dit que cela n'avait pas d'importance.'
-'Croyez-vous…' Il s'interrompit un instant, incertain de comment formuler la phrase sans l'offenser. 'Vu l'implication de Mr Calbert dans votre éducation, serait-il possible qu'il soit…relié à vous?'
-'Honnêtement, je me suis posé la question plusieurs fois. Cependant, il n'y a aucune affection particulière entre ma mère et mon oncle. Et puis, si cela avait été le cas, je ne vois pas pourquoi cela devrait être un secret, même de moi. Après tout, mon oncle nous supporte depuis ma naissance.' Il prit une grande inspiration et sourit. 'Pemberley est magnifique, Mr Darcy. Depuis la première fois où je l'ai vu, cet endroit a toujours eu une place spéciale en moi. Vous devez être très fier d'avoir cet héritage en votre possession.'
Darcy respecta son souhait de changer de sujet pour quelque chose de moins embarrassant. Non pas qu'il le jugeait pour ce qu'il était, mais parce qu'il pouvait comprendre le malaise que cela devait engendrer lorsque l'on lui rappelait ses origines. Le jeune homme avait eu de la chance d'avoir un protecteur s'étant assuré de lui donner le meilleur avenir possible malgré l'étiquette de bâtard qui lui collerait toujours à la peau. Un avenir qui, sans son intervention, pourrait peut-être disparaitre très bientôt.
-'Je ne possède pas Pemberley; j'en suis seulement son gardien.' commenta Darcy. 'Tout comme mon père l'a été avant moi et son père avant lui.'
-'C'est une manière plutôt poétique de voir les choses.'
Darcy eut un petit rire. 'Peut-être. Et puis, je ne peux me vanter d'avoir réellement appliqué ce concept toute ma vie. Je le dois à ma femme de m'avoir ouvert les yeux sur ma vanité il n'y a pas si longtemps; son intervention, bien que difficile à supporter sur le coup, a été plus que bénéfique.'
-'Si elle s'est exprimée avec la même véhémence qu'elle a utilisé hier devant les hommes de Mr Levitt, je n'aurais pas souhaité être à votre place.'
-'En effet, Elizabeth sait faire entendre ses opinions avec beaucoup d'intelligence, bien que parfois son jugement soit biaisé par ses préjugés.'
Involontairement, le souvenir de sa première demande en mariage lui vint en tête. Son humiliation avait été totale cette journée-là; jamais il ne s'était attendu à ce que Lizzie le refuse. Il avait été tellement certain de la position et des avantages qu'elle gagnerait en l'épousant qu'il n'avait pas réalisé que Miss Elizabeth Bennet n'était pas le genre de femme qui accepterait de donner sa main à un homme arrogant en ayant comme seule motivation les gains qu'elle en tirerait. Après avoir encaissé la mortification de ce rejet, il avait dû se rendre à l'évidence : elle n'avait pas complètement tort. En fait, cela l'avait fait revoir sa personne toute entière et il avait réalisé, à sa plus grande horreur, que sa fierté n'était pas aussi bien placée qu'il le pensait. Il avait toujours été juste et généreux envers les moins fortunés, mais il avait tout de même grandi avec la conviction de sa supériorité.
-'Dites-moi, très sincèrement.' Demanda soudainement Patrick. 'Ai-je une chance de m'en sortir?'
Darcy ne savait pas à quoi s'attendre en allant à la rencontre de ce mystérieux Mr Nightgale et il ne pouvait pas non plus deviner la raison pour laquelle Mr Calbert souhaitait le mêler à cette histoire. En vérité, il espérait que l'homme en question ait la réponse à leur problème car pour sa part, il n'avait aucune idée de la manière dont il pouvait sortir le jeune homme de son impasse. Pour l'instant, son seul espoir reposait sur le mensonge en tentant d'invalider les suspicions de Mr Levitt par de faux faits et ce n'était pas sa manière favorite de procéder.
-'Pour être franc, je n'en ai aucune idée.' Répondit finalement Darcy. 'Mon opinion, basée sur de simples suppositions, est que cet homme est un contact à travers lequel il vous sera possible de vous échapper. Peut-être est-ce un fond suffisant pour que vous puissiez vous installer là où personne ne pourra vous trouver, l'Amérique par exemple.'
Le visage de Patrick se durcit. 'Je ne quitterai pas la Grande-Bretagne.'
-'Même si cela signifie la prison à perpétuité? Ou la mort?'
Le jeune homme pinça les lèvres, mais n'ajouta rien.
Ils arrivèrent à Bakewell bien assez vite et après s'être renseignés auprès de quelques passants, il ne fut pas difficile de trouver l'homme qu'ils cherchaient. Darcy resta un moment à regarder l'enseigne où l'on pouvait lire : Nightgale, Notaire, curieux de savoir pourquoi et comment Mr Calbert avait choisi cet homme parmi tant d'autres. La maison dans laquelle le bureau était situé était étroite et le hall où ils furent admis reflétaient les goûts simples, quoique démodés, de son propriétaire. L'attente ne fut pas très longue; quelques minutes après leur arrivée, Mr Nightgale ouvrit la porte de son bureau pour accueillir ses nouveaux clients. Il s'arrêta net en voyant les deux hommes et redressa ses lunettes sur ses yeux bleus pour s'assurer que l'image devant lui était bien réelle.
-'Hmpf.' Grogna-t-il alors. 'J'avais espéré ne jamais avoir à faire affaire avec vous.'
Darcy et Patrick échangèrent un regard. 'Nous sommes nous déjà rencontrés, Monsieur?'
-'Non, Mr Darcy. Votre père s'est assuré que ce ne soit pas le cas. Veuillez me suivre.'
Il les invita à rentrer dans son bureau et les hommes prirent place, légèrement mal à l'aise. Le vieillard maugréa sous son souffle alors qu'il ouvrait tous ses tiroirs puis s'exclama lorsqu'il trouva enfin ce qu'il cherchait. Clé en main, il se dirigea vers l'étagère au fond et, l'enfonçant dans un trou invisible pour ceux ne connaissant pas son existence, ouvrit un compartiment secret duquel il sortit un dossier. Darcy refréna un toussotement lorsqu'il le laissa tomber sur le meuble devant eux, faisant valser ce qui semblait être des années de poussière.
-'Voyons voir…' murmura Mr Nightgale en feuilletant sa paperasse. 'Fitzwilliam Darcy…Patrick O'Shee…Oui, voilà…'
-'Excusez-moi, mais…comment savez-vous qui nous sommes?'
Le vieil homme poussa un rire grinçant qui se transforma en une toux peu élégante. Darcy tenta tant bien que mal de cacher son dégoût; il ne pouvait pas comprendre pourquoi, de tous les notaires du Derbyshire, Mr Calbert avait choisi celui-ci.
-'Vous ressemblez à votre père.' Fut sa réponse lorsqu'il fut enfin capable de parler. 'La ressemblance est frappante. Bon, où on étions-nous?'
Pourquoi avait-il l'impression que la phrase ne s'adressait pas seulement à lui? Il jeta un regard à Patrick, qui le lui rendit avec autant de confusion.
-'Ah, voilà!' s'exclama le notaire avec satisfaction en sortant une lettre cachetée.
Darcy reconnut aussitôt le sceau de son père. Son cœur se mit à battre plus rapidement; pourquoi avait-il jugé bon de confier une lettre à cet homme qui, vraisemblablement, ne s'était pas attendu à devoir la lui donner?
-'Qu'est-ce que cela signifie?' demanda-t-il, sa voix plus tremblante qu'il ne l'aurait voulu.
-'Lisez d'abord. Nous parlerons des détails par la suite.'
Darcy avala avec difficulté et décacheta l'enveloppe.
Mon cher fils,
Si tu lis cette lettre, c'est que les circonstances sont exceptionnelles. J'ai redouté ce jour pendant des années et j'avais espéré que tu serais épargné des conséquences de mes actions. J'aurais pu me taire à jamais sur le sujet, mais même dans la mort, je ne peux te laisser confronter la vérité sans au moins te fournir les explications nécessaires.
Il y a maintenant longtemps de cela, quelques années après ta naissance, mon chemin a croisé celui d'une femme qui, contre toute attente, a changé ma vie. Elle n'était pas de mon monde et je n'étais pas du sien; nos étoiles n'étaient pas alignées. J'étais un mari, un père; je n'avais rien à lui offrir, rien à lui promettre. Pourtant…Dès le moment où je l'ai vu, mon cœur n'était plus mien. Fitzwilliam, mon fils, peut-être es-tu déjà marié à Anne, ta cousine, au moment où tu lis cette lettre. C'était le souhait le plus cher de ta mère et de ta tante, bien que je n'ai jamais vu d'attirance de ta part ni même de la sienne. Mais si par chance tu as su trouver un amour qui t'a chamboulé autant que celui qui a renversé ma vie, un amour si fort qu'il est impossible de lui résister et ce peu importe les efforts que tu mets pour ne pas y succomber, peut-être comprendras-tu pourquoi je n'ai pas su rester fidèle à ta mère.
Si elle savait ce qui se passait ou non, elle ne m'a jamais reproché mes longues absences en Irlande. La distance entre elle et moi n'était pas nouvelle et même si ce n'était pas de l'amour qui nous liait, j'avais beaucoup de respect pour elle et jamais je n'ai cherché à la blesser ou l'humilier. Et c'est par respect pour elle que je n'ai pas reconnu publiquement l'enfant qui est né de mon union avec Bridget.
Darcy sentit sa gorge se serrer. Ses pensées déferlaient à toute allure dans son esprit, essayant tant bien que mal de mettre du sens dans la signification de cette lettre. Son père, l'image de droiture par excellente, l'homme qui lui avait enseigné l'importance du devoir et de l'honneur, avait eu une autre vie dont il n'avait jamais eu connaissance?
Cet enfant, un garçon, a grandi sans père. Henri Calbert, un des seuls hommes en qui j'ai toujours eu une confiance aveugle, a su m'aider à supporter Bridget et notre fils. Depuis sa naissance Mr Nightgale gère le fond que j'ai réservé à l'intention de l'éducation de Patrick. Je ne pouvais pas mêler mon notaire habituel à cette histoire, au risque d'exposer un scandale qui aurait pu vous nuire à toi et Georgiana. Encore aujourd'hui, je te laisse le soin de juger des actions qui suivront la lecture de cette lettre. Sache que je n'ai jamais cherché à te rendre la vie plus difficile qu'elle ne l'est déjà; je sais à quel point diriger Pemberley est un travail taxant, surtout dans un monde où tous tes gestes, toutes tes paroles sont scrutés et jugés par ceux qui se disent tes amis.
Si tu as cette lettre en ta possession en ce moment, alors c'est que les circonstances le demandent et que Patrick nécessite ton aide. Je t'en prie, ne laisse pas ta colère et ta déception obscurcir ton jugement. Patrick est ton frère par le sang, ne l'oublie pas. Peu importe ce que j'ai fait, ne lui reproche pas son existence, qui n'est que le résultat d'un amour qui n'aurait pas dû être, mais qui a été impossible à éviter.
J'ai confiance en l'homme que tu es, un homme qui a toujours su être juste et bon. Dès ton plus jeune âge tu étais si sérieux, si mature, déjà prêt à être le maître de Pemberley avant même d'avoir atteint l'âge adulte. Je sais que tu es un frère et tuteur exemplaire pour Georgiana et je sais que tu sauras faire ce qui est juste pour la suite des choses. Peu importe la situation qui nécessite ton intervention, je te supplie de ne pas entretenir de rancœur. Pardonne-moi, mon fils. Pardonne un homme rempli de fautes qui n'a pas su fermer son cœur à l'amour. Un homme qui, pendant des années, a trainé en lui la culpabilité de vous avoir trahi, mais qui espère que, malgré tout, sa mémoire ne sera pas ternie par les choix qui ont constitué sa vie.
La tête de Darcy se mit à tourner. Il réalisa alors qu'il retenait son souffle et il expira tout d'un coup, incapable de digérer les mots qu'il venait de lire. Il tenta de contenir le sentiment qui lui comprimait la poitrine, mais cela ne servit qu'à le renforcer douloureusement. Il jeta la lettre sur le bureau et, incapable de rester assis, se leva brusquement.
-'Quand…' croassa-t-il, la gorge sèche. 'Quand mon père a-t-il écrit cette lettre? Non, ne répondez pas. Ne répondez pas... Cela n'a pas d'importance.'
Il prit plusieurs profondes inspirations pour se calmer, ses pieds faisant les cents pas dans la pièce exigüe.
-'Mr Darcy?'
Ses yeux se posèrent alors sur Patrick qui le regardait sans comprendre. Soudainement, il ne put retenir la colère qui teinta ses mots.
-'Le saviez-vous?'
-'Quoi?'
Il pointa la lettre. 'Ce que cette lettre contient. La vérité.'
-'Je ne vois pas de quoi vous voulez parler.' Répondit le jeune homme en levant les mains en signe de soumission. 'Mr Darcy, que se passe-t-il?'
Il passa une main dans ses cheveux. 'Je dois…J'ai besoin de prendre un peu l'air.'
-'Bien sûr. Revenez dès que vous serez prêt.' Déclara le notaire, nullement surpris de sa réaction.
Darcy avala avec difficulté et, faute d'avoir les mots nécessaires pour exprimer son approbation, hocha la tête. Sur ces mots, il empoigna son haut de forme et sortit de la pièce. Il ignora le garçon qui lui tendait la bride de son cheval et continua sa route sur le chemin principal, ses grandes enjambées l'emmenant loin des révélations qui venaient tout juste de lui être faites.
Il ne pouvait pas mettre d'ordre dans ses idées; comment son père avait-il pu cacher un si grand secret pendant tant d'années? Et pourquoi ne lui avait-il jamais révélé l'existence de cet autre enfant, son propre frère? Un frère ! Il avait le tournis seulement à y penser. Le sol sur lequel il marchait lui semblait instable, comme si toutes les fondations de sa vie n'étaient que mensonges. Rien ne faisait de sens et pourtant au fil des minutes qui s'écoulaient, les pièces du puzzle se mettaient en place. Cette femme, Bridget, était-elle la raison pour laquelle son père avait voulu être enterré en Irlande? Était-ce la raison pour laquelle sa mère portait toujours cet air triste lorsqu'il partait? Avait-elle été au courant de cet amour, un amour avec lequel elle ne pouvait rivaliser?
Il s'arrêta, à bout de souffle, incapable de poursuivre sa route. Il mit sa tête entre ses genoux, prit de nausées, tentant tant bien que mal de calmer les pensées débilitantes qui l'accablaient. Comment était-ce possible? Comment avait-il pu être floué à ce point? Il avait eu une confiance immuable en son père, en son sens de l'honneur, en son intégrité. De savoir qu'il avait eu une double vie, qu'il avait aimé une autre femme et conçu un autre enfant, lui faisait l'effet d'un coup de poing au ventre, comme si on venait tout juste de lui révéler que cet homme qu'il avait toujours admiré et pris comme exemple n'était qu'un imposteur.
-'Mr Darcy?'
Darcy se redressa lentement et regarda Patrick d'un nouvel œil. Comment avait-il pu ignorer tous les signes? Comment avait-il pu ne pas remarquer la ressemblance entre Patrick et son père, avec lui? La même coloration de cheveux, la même teinte sombre de brun dans leurs iris, presqu'ambrées au soleil. Les traits nobles qu'il avait remarqué à peine une heure auparavant, ces traits qu'il voyait tous les matins lorsqu'il se regardait dans le miroir, des traits qu'il avait toujours porté avec fierté puisqu'ils étaient similaires à ceux de son père. Et pourtant, Patrick était si différent. La bouche plus généreuse, plus rieuse. La mâchoire plus prononcée, des sourcils plus arqués.
-'Mr Darcy?' répéta prudemment Patrick.
Le jeune homme tenait leurs chevaux par la bride et le regardait avec une certaine méfiance. Darcy réalisa qu'il le fixait depuis un moment et secoua la tête pour se ressaisir.
-'Je vais bien.'dit-il sous son souffle. 'Pardonnez ce moment de faiblesse.'
-'Vous n'avez pas à vous justifier. Quoi que cette lettre révélait, cela semble avoir été un choc pour vous.'
-'Mr Nightgale vous a-t-il fait part de son contenu?'
-'Non. Il m'a dit que vous étiez le seul qui pouvait me confier l'information qu'elle détenait. Ne vous sentez pas obligé de le faire, si vous ne le souhaitez pas.' Il hésita. 'Quoi qu'elle ait pu dire, à votre réaction je ne crois pas qu'elle contenait la clé de ma liberté.'
Darcy se passa une main sur le visage. 'Je ne sais pas encore. Je dois…trouver le sens de tout ceci. Rentrons à Pemberley, le plus rapidement le mieux.'
Le chemin du retour se fit en silence et Darcy poussa son cheval un peu plus qu'il n'aurait dû, la pauvre bête peinant à soutenir la cadence qu'il lui imposait. Il se jeta à bas de la bête dès qu'il fut près de la maison et ne prit même pas le temps de donner les rennes à son garçon d'écurie avant de se précipiter à l'intérieur. Il ignora les regards inquisiteurs des trois jeunes filles dans le salon et se dirigea directement à l'étage, franchissant la distance jusqu'à sa chambre en quelques secondes seulement.
Le sourire d'Elizabeth se dissipa aussitôt qu'elle vit le visage de son époux. Elle était assise près du feu, un livre en main, et Darcy se jeta à ses pieds afin de l'étreindre avec force, cherchant dans ses bras le courage qu'il semblait avoir perdu dans le bureau du notaire.
-'Will? Que se passe-t-il?'
-'Dis-moi que tout ira bien.' Murmura-t-il d'une voix contrainte d'émotion. 'Dis-moi que tout ceci n'est qu'un cauchemar duquel je vais me réveiller demain matin.'
Il pouvait sentir les battements erratiques de son cœur contre sa poitrine, trahissant son inquiétude. 'Je suis là, Will. Peu importe ce que c'est, nous pouvons y faire face tous les deux.'
Il se redressa pour la regarder dans les yeux. Était-il juste pour lui de l'accabler avec ses problèmes? Elle avait déjà tant à penser, tant à gérer, sans parler de la tâche la plus importante : celle de porter leur enfant. Il hésita, caressant tendrement le futur qu'elle portait en elle.
-'Will, je connais ce regard. Tu m'as fait la promesse de ne plus te fermer à moi.'
Sa résolution fondit comme de la neige au soleil. 'J'ai l'impression de ne plus savoir qui je suis. J'ai l'impression…de douter de tout ce que j'ai connu, de tout ce que j'ai appris.'
-'Que s'est-il passé? Qu'a dit Mr Nightgale?'
-'Il avait en sa possession une lettre, écrite par mon père, à mon intention. Elle disait…Il m'expliquait…Seigneur, Lizzie, comment a-t-il pu me cacher une telle chose? Comment ai-je pu être aveugle à ce point? Il m'avouait qu'il avait un enfant illégitime…que j'avais un frère.'
Elizabeth ne réagit pas autant qu'il l'aurait cru. Elle posa un baiser sur sa tête et, caressant doucement ses cheveux, lui dit : 'Es-tu si surpris de cette nouvelle?'
Il fronça les sourcils. 'Tu savais?'
-'Bien sûr que non. Cependant, j'ai cette étrange sensation depuis que nous avons visité Ballyhara Manor. La manière dont sa mère te regardait…Sans parler de la ressemblance entre vous deux. Il ne m'est pas difficile de croire que vous êtes liés par le sang.'
Darcy ne comprenait pas comment elle pouvait être si calme face à cette nouvelle. Pourquoi avait-il l'impression que son monde s'écroulait alors qu'Elizabeth semblait seulement accepter cette information comme si elle n'avait aucune conséquence?
-'Comment a réagi Mr O'Shee?'
-'Je ne lui ai pas dit.'
Elizabeth fronça les sourcils. 'Will…tu ne peux pas garder cette nouvelle pour toi. Il a le droit de savoir.'
-'Je ne sais pas…'
-'Fitzwilliam Darcy.' S'exclama son épouse d'une voix ferme. 'Tu ne peux pas sérieusement songer à garder cette information pour toi.'
-'Lizzie…reconnaître Patrick entrainera plus de conséquences que tu ne le crois. La réputation de mon père est en jeu. Sa mémoire sera souillée par l'apparition d'un fils né hors mariage et Patrick sera jugé sévèrement pour ce fait.'
Elizabeth roula les yeux. 'Je me fiche bien de ce que la société peut penser. Si j'ai pu survivre aux regards critiques et aux commentaires, Mr O'Shee le pourra aussi.'
Darcy se releva avec un soupir las. 'Comme si ma vie n'était pas déjà assez compliquée comme elle l'est. Les travaux viennent à peine de commencer près de la rivière, les gens comptent sur moi pour les aider à survivre jusqu'à ce que leurs demeures soient prêtes, nul doute que Mr Levitt reviendra dès que possible pour me harceler avec son obsession de faire de Patrick un exemple démontrant la force de son équipe de barbares et maintenant cette nouvelle, qui chamboule complètement les fondations même de mon existence.'
-'Mon amour…Seul toi peut décider de laisser cette nouvelle t'affecter de la sorte. Je comprends ta colère, ta déception en ton père…mais il n'y a rien que tu puisses faire et ce n'est certainement pas la faute de Mr O'Shee. Et si tu as peur pour ta réputation…' ajouta-t-elle avec un sourire espiègle. 'Je crois qu'il est trop tard pour la sauver. N'as-tu pas épousé une femme issue d'une famille bourgeoise bien en-dessous de ta condition? Une femme qui non seulement n'apportait rien à ta famille, mais qui contribue à ruiner ta réputation en ayant dans la sienne plus d'une personne avec lesquelles il serait très dommageable d'être associé?'
Darcy ne put s'empêcher de sourire à son tour. 'Je n'ai pas épousé ma femme pour sa richesse ni sa famille, mais parce que je suis fou d'elle.'
Il l'attira à lui, repoussa sa longue chevelure par-dessus son épaule et, étudiant son visage amoureusement, trouvant un confort rassurant dans la familiarité de ses traits.
-'Ma réputation n'est rien comparé à la chance que j'ai de me réveiller avec toi à mes côtés tous les matins.' Murmura-t-il en lui caressant la joue. 'Je la troquerais tous les jours contre l'honneur d'être ton époux et le père des enfants que tu me donnes.'
Il emprisonna sa bouche pour un long et doux baiser, qu'Elizabeth approfondit aussitôt. Avec les évènements des dernières semaines et la fatigue accumulée, il avait presqu'oublié à quel point son corps lui manquait. Il poussa un grognement contre ses lèvres alors qu'elle s'affairait à dénouer sa cravate, glissant ensuite ses doigts sous sa chemise entrouverte. Il n'aurait demandé rien de mieux que de succomber à cette invitation, mais une petite voix dans sa tête lui rappela la condition de sa femme.
-'Lizzie…il n'est pas prudent de—'
Elle l'interrompit avec un autre baiser insistant. 'C'est moi qui décide ce qui est acceptable ou non, tu te souviens? Et puis, je pense que tu as besoin de penser à autre chose en ce moment. Peut-être y verras-tu plus clair par la suite.'
Comment pouvait-il résister à ses charmes? Il y avait si longtemps qu'il avait trouvé son plaisir en elle, qu'il avait laissé tous ses problèmes avec ses vêtements sur le plancher pour se plonger dans la douce amnésie qui accompagnait la possession du corps de sa femme.
Il n'y avait pas de mal à essayer, se dit Darcy. En y allant en douceur, tout en contrôle, il pouvait bien se permettre un moment qui atténuerait le feu qui menaçait de les consumer tous les deux. Il souleva Lizzie pour la déposer sur le lit et, jetant sa veste et sa chemise au sol d'un geste impatient, posa son regard brûlant sur le sien.
-'Dis-moi si je vous fais mal.' Murmura-t-il d'une voix rauque de désir, ses mains remontant lentement le long de ses cuisses pour la découvrir de sa chemise de nuit.
Il prit son temps, profitant de chaque seconde de plaisir que lui apportait les soupirs et les gémissements qu'il arrivait à lui soutirer avec ses mains, sa bouche, son souffle. Il avait été naïf de penser qu'il aurait la force de ne pas aller jusqu'au bout, qu'il se satisferait seulement de lui procurer ces attentions qu'elle aimait tant. Les joues rouges et les yeux brillants, elle était un vrai festin pour ses yeux qui, à la lumière du jour, pouvaient se rassasier sur tous les détails de son corps nu. Il ne comprenait pas les hommes qui refusaient de partager le lit de leur femme enceinte ou qui trouvait la rondeur d'un ventre portant la vie repoussant. Bien au contraire, Darcy adorait les nouvelles courbes de son épouse, une preuve vivante qu'elle était sienne, et sienne seule. Jamais il ne se lasserait de la voir ainsi, le regard noir de désir, prête à le recevoir, le suppliant de mettre fin à ce supplice qui les accablaient tous les deux.
Il ne put retenir le grondement animal qui s'échappa de sa gorge lorsqu'il céda enfin à la tentation. Lizzie enroula ses jambes autour de sa taille, l'empêchant de changer d'idée, mais cela était bien peu nécessaire. Seul un mot de la part d'Elizabeth aurait pu le stopper de trouver sa libération, mais son épouse n'entendait pas mettre fin à ce qu'il avait commencé. Darcy eut du mal à rester doux, enivré par les sensations grandissantes en lui, trop familières pour ne pas savoir ce qu'elles signifiaient. Craignant que les bruits, autant les siens que ceux de sa femme, ne traversent les murs et ne trahissent leur situation, il étouffa les sons qu'ils ne pouvaient retenir entre leurs lèvres.
Elizabeth avait eu raison; toutes ses pensées s'étaient envolées, ne laissant derrière que la satisfaction du moment présent, si délicieux et intense, si prenant et satisfaisant. Même lorsqu'ils trouvèrent enfin leur plaisir dans un dernier gémissement commun, son esprit ne se laissa pas rattraper par les tracas. Pendant ce doux, merveilleux moment, Darcy ne songea qu'à la joie qu'il avait de retrouver enfin sa femme, de la manière la plus intime possible, et au fait que rien n'aurait jamais autant d'importance que ce qu'il avait présentement entre ses bras. Il se concentra sur l'amour qu'il leur portait, à elle et son enfant, et réalisa que tant qu'il les aurait tous les deux près de lui, tout irait bien.
(-*-)
Voilà voilà! J'espère que ce moment entre Lizzie et Darcy vous a plu!
Plusieurs d'entre vous aviez déjà deviné que Patrick O'Shee était le demi-frère de Darcy, je trouve très intéressant de lire vos suppositions et vos opinions alors n'hésitez pas à les partager dans vos reviews : )
Et j'espère que vous êtes aussi impatientes à lire la suite que je suis à l'écrire! Je ne peux promettre que ce sera rapide puisque l'école a recommencé (à distance), mais je vais faire mon possible!
Pour les titres, je vais essayer de continuer à en mettre puisque quelques unes d'entre vous aiment en avoir.
Merci encore à Axelines pour son merveilleux travail de Beta Reader!
À bientôt!
