Me revoilà, comme promis ! Un gros merci à Axeline pour son travail de Beta, sa rapidité de correction fait en sorte que je peux vous offrir ce chapitre cette semaine. Bonne lecture !
Chapitre 55
La veuve
L'air était lourd et collant alors que Kitty marchait lentement sur le chemin menant aux nouveaux cottages près de la rivière. Elle tenait à son bras un panier rempli de nourriture dans lequel, soigneusement plié, se trouvait le nouveau vêtement qu'elle avait confectionné pour le bébé de la veuve Beauchamp. La route lui était familière maintenant, ayant parcouru les deux miles la séparant de la petite habitation plusieurs fois par semaine depuis que la famille en deuil avait emménagé dans leur nouvelle demeure. C'était cependant la première fois qu'elle s'y rendait seule, Georgiana et Vivianne ayant été retenues au camp pour l'après-midi, et elle devait avouer qu'elle ressentait une certaine crainte à le faire. La voix stridente de sa mère résonnait dans sa tête, racontant les mille et une histoires d'horreur maintes fois utilisées pour dissuader Lizzie de partir se promener seule dans les environs de Longbourn. En voyant que ses tentatives d'effrayer sa deuxième née ne trouvait pas prise, Mrs Bennet avait cessé de la harceler avec ses discours, sans réaliser qu'au passage elle avait planté une graine de méfiance dans l'esprit de Kitty. Cependant, la jeune fille était déterminée à remplir la promesse qu'elle avait faite à la veuve Beauchamp et c'est d'un pas prudent, mais déterminé, qu'elle poursuivit son chemin.
Prenant une pause pour reprendre son souffle après la montée d'une colline assez escarpée, Kitty remarqua au loin la silhouette de la tente qu'avait érigée M. O'Shee sur l'ancienne terre des Gregory. Elle n'avait pas vu le jeune homme depuis un moment, ce dernier s'étant excusé pour la plupart des repas à Pemberley malgré les invitations récurrentes. Cela dit, Kitty soupçonnait que la seule personne à réellement regretter cette absence était Vivianne. Non pas qu'elle-même n'appréciait pas sa compagnie, mais elle savait que sa présence rendait Georgiana mal à l'aise. Depuis que son frère lui avait annoncé la réelle identité de M. O'Shee, la cadette Darcy n'avait pas réussi à parler plus de quelques mots en sa présence.
Pensant qu'il devait déjà être sur les chantiers, elle ne chercha pas à le trouver. C'est pourquoi elle ne put s'empêcher de sursauter lorsqu'il l'interpella. Elle se figea un moment en voyant son allure; les cheveux détrempés en bataille, la chemise ouverte laissant deviner la courbe de ses pectoraux, les pantalons roulés révélant ses pieds nus. Kitty se sentit rougir furieusement en réalisant qu'elle le fixait et elle détourna le regard en avalant avec difficulté.
-'J-je suis désolée, je ne voulais pas m'imposer dans votre…pendant votre…' Elle s'interrompit, mortifiée de paraitre aussi sotte. Elle s'éclaircit la gorge. 'Ce chemin est le plus court pour me rendre à la maison de la veuve Beauchamp.'
M. O'Shee termina de s'essuyer les cheveux avec le linge qu'il tenait dans ses mains. 'Son état s'est-il amélioré?'
Kitty garda son regard sur la rivière. 'M. Gresley soupçonne une mélancolie causée par la mort de son époux. Elle refuse toujours de se lever, mais elle recommence peu à peu à manger. Il m'a conseillé de poursuivre mes visites et mes attentions, mais il n'y a qu'elle qui peut décider de sortir de sa torpeur.'
-'Ils venaient tout juste d'emménager dans le comté, je crois?'
-'En effet. Elle n'a pas d'amies ici et je suis la seule personne en qui elle a confiance pour le moment.'
-'Cela est une lourde tâche.'
-'Non, pas vraiment.' Répondit-elle, risquant un coup d'œil. Sa chemise était boutonnée maintenant et il essayait tant bien que mal de mettre sa cravate. 'Je ne fais qu'apporter des denrées et occuper un peu les enfants, après tout. Je suis seulement heureuse de pouvoir me rendre utile. Ce n'est rien comparé au travail que vous accomplissez tous les jours, M. O'Shee. Fitzwilliam disait justement hier soir que vous ne vous contentiez pas de gérer les chantiers, mais que vous preniez aussi part au travail.'
Il lui sourit. 'Je me verrais mal rester assis sur ma monture à regarder les autres travailler seulement parce que mon rôle assigné ne me demande pas de soulever des charges. Je suis nouveau ici et un étranger; je devais bien trouver un moyen de gagner leur respect.'
-'En suant à grosses gouttes sous le soleil de juin?'
-'Et tous les autres mois s'il le faut.' Ajouta-t-il avec un clin d'œil.
Kitty baissa les yeux, peu habituée à cette aisance de la part du sexe opposé. Elle était si accoutumée aux phrases bien tournées et aux flatteries monotones qu'elle ne savait pas comment réagir à un comportement dépourvu d'artifices.
-'Vous êtes seule?' remarqua alors M. O'Shee, jetant un coup d'œil sur la route derrière elle.
-'Oui, ce n'est que moi aujourd'hui. Il y a beaucoup à faire au camp.'
-'M. Darcy ne me pardonnerait pas de ne pas vous escorter jusqu'à votre destination. Donnez-moi une minute et je serai prêt.'
Comme il ne lui donna pas vraiment le choix, elle attendit patiemment qu'il enfile ses chaussettes et ses bottes avant de reprendre sa route. Le silence les accompagna pendant un moment et Kitty souhaita qu'il engage la conversation, son cerveau étant incapable de trouver ce qui serait respectable de dire dans ce genre de cas.
-'On dirait bien qu'il fera orage bientôt.' Dit-elle maladroitement lorsqu'elle ne put supporter le silence plus longtemps.
-'Oui, je crois bien que nous aurons droit à une bonne pluie dès ce soir.'
-'Cela retardera certainement les travaux.'
Il haussa les épaules. 'Cela importe peu. Nous ne travaillons pas le dimanche.'
-'Oh. Oui, bien sûr. Serez-vous des nôtres pour le service?'
M. O'Shee se passa une main dans les cheveux. 'Non…j'assisterai au service catholique de Lambton.'
Kitty se mordit la lèvre. 'J'avais oublié, pardonnez-moi.'
-'Nul besoin de vous excuser, Miss Bennet. Je n'en ai pas honte.'
Le silence s'installa à nouveau, mais cette fois Kitty ne tenta pas de le combler. Elle finit par se détendre, réalisant que son compagnon n'était nullement gêné par la situation, et commençait tout juste à apprécier la promenade lorsqu'ils arrivèrent au petit cottage des Beauchamp.
La jeune femme cogna avant d'entrer. Le bébé pleurait dans les bras de son grand frère, qui faisait son possible pour le calmer. En voyant Kitty, le garçon poussa un soupir de soulagement.
-'Je n'arrive pas à la calmer.' Lui dit-il, presque désespéré, en lui tendant l'enfant.
Elle la prit sans hésitation. 'Oh, pauvre petit ange. Que se passe-t-il, hm? Que cherches-tu à nous dire? Johnny, peux-tu prendre mon panier s'il-te-plaît? Il y a de quoi faire manger ta sœur et ton frère. Quant à toi,' ajouta-t-elle en berçant doucement le bébé, 'nous allons trouver ce qui t'importune.'
Elle changea tout d'abord ses langes et remarqua la pile de vêtements sales qui s'entassait dans un coin. Le sol avait été balayé maladroitement et les enfants mangeaient dans des assiettes sales, mais elle dut se résoudre à devoir remédier à ces problèmes plus tard. Le bébé ne s'était toujours pas calmé et il s'agitait dans ses bras. Kitty massa son ventre avec des mouvements circulaires et après un moment, cela sembla enfin la soulager et les pleurs se tournèrent en de petits hoquets.
-'Impressionnant.'
Elle eut un petit rire. 'Je n'ai pas de mérite; je ne fais qu'appliquer les conseils de M. Gresley. Des coliques, selon lui.'
M. O'Shee se rapprocha pour observer les traits de l'enfant, maintenant endormi dans ses bras. 'Quel est son prénom?'
-'Elle n'en a pas pour le moment. Evelyne refuse également de la faire baptiser.'
Il caressa doucement la joue rebondie de la petite, le coin de sa bouche se soulevant d'amusement lorsque le bébé plissa les sourcils au contact.
-'Heureusement, elle n'aura aucun souvenir de tout cela.' Commenta-t-il après un moment.
Kitty jeta un coup d'œil aux autres enfants, qui mangeaient avidement les denrées qu'elle avait apportées. L'ainé, qui s'était assuré que son frère et sa sœur avait tout deux eu une généreuse portion, s'était servi en dernier en prenant soin d'en laisser pour sa mère. Il n'avait que huit ans et déjà il portait sur ses épaules les responsabilités imposées à un homme. Le cœur de Kitty se serra en se disant que ce serait lui qui serait probablement le plus touché par la tragédie.
Remarquant son regard, M. O'Shee posa une main sur son épaule. Kitty fut surprise de ce geste familier, mais ne se déroba pas au réconfort que cela lui apporta.
-'Vous faites votre possible.' Chuchota-t-il, devinant ses pensées.
-'Mon possible ne sera jamais assez pour lui redonner son enfance.' Répondit-elle doucement.
Après s'être assurée que le bébé dormait à poings fermés, elle le déposa dans le berceau près de l'âtre avant de s'attaquer au reste des tâches qu'elle s'était promise de faire. M. O'Shee, ayant jeté un coup d'œil par la fenêtre, avait interpelé le jeune garçon.
-'Dis-moi, est-ce toi qui a retourné ces belles lignes dans le jardin?'
Ce dernier répondit d'un petit hochement de tête et, montrant ses mains couvertes d'ampoules, ajouta : 'Je voulais faire une surprise à maman, mais je n'ai pas réussi à aller très creux. Croyez-vous que les graines vont quand même pousser?'
-'Et si on allait jeter un coup d'œil à ton travail?'
Hochant de la tête solennellement, l'enfant prit les devants, suivi de près par son petit frère. Sa sœur, quant à elle, resta sur sa chaise dans la cuisine pour observer Kitty en silence alors qu'elle s'affairait à mettre un peu d'ordre dans la pièce. Elle trouva un sac de jute dans lequel elle déposa les vêtements sales puis passa un coup de balai, chose qu'elle n'avait jamais faite avant de venir en aide à la jeune mère. En sortant chercher de l'eau dans la rivière afin de la faire bouillir pour laver la vaisselle, elle remarqua que M. O'Shee était en train d'améliorer les tentatives du garçon de faire un jardin. Il prenait le temps de lui expliquer comment bien faire les choses tout en prenant soin de le féliciter pour le travail qu'il avait déjà accompli. Souriant, elle retourna à la vaisselle et la termina rapidement, juste à temps pour prendre le bébé qui venait de se réveiller.
-'Shhhh, petit ange, ne réveille pas ta sœur, je viens tout juste de la mettre au lit.' Dit-elle avec un sourire, prenant délicatement l'enfant. 'Que dirais-tu de te faire toute belle pour ta maman?'
Elle sortit le petit vêtement qu'elle avait fait et l'habilla avec délicatesse, satisfaite de ses efforts.
-'Voilà…parfait. Allez, viens, tu dois avoir faim maintenant.'
Elle cogna doucement à la porte et entra dans la chambre sombre où la forme de la jeune mère déformait le lit.
-'Evelyne, il est l'heure.'
Cette dernière ouvrit lentement les yeux et cligna des paupières plusieurs fois. Après un regard autour d'elle, sa tête retomba lourdement sur l'oreiller.
-'Allez, je vais vous aider à vous redresser.'
Lentement, la jeune femme prit une position assise. Elle ne tendit pas les bras pour prendre l'enfant; Kitty l'y déposa avant de l'aider à déboutonner sa chemise de nuit afin qu'elle puisse allaiter le bébé qui s'impatientait.
-'Comment vous sentez-vous aujourd'hui?'
La mère haussa les épaules.
-'Avez-vous faim?'
Elle secoua la tête. 'Plus tard, peut-être.'
-'Allons, seulement quelques bouchées, d'accord? M. Gresley a été formel; vous devez garder vos forces, ne serait-ce que pour avoir assez de lait pour votre fille.'
Evelyne détourna le regard de sa petite, comme chaque fois qu'elle la tenait, et Kitty se demanda si, depuis la naissance, elle avait une seule fois admiré les traits de son enfant. Un bref hochement de tête lui confirma cependant qu'elle obtempérerait pour le repas. La jeune femme retourna donc dans la cuisine afin de réchauffer la soupe consistante qu'elle avait apportée, non sans se brûler au passage.
-'Ouch!' s'exclama-t-elle en laissant tomber la poignée de la casserole qu'elle venait tout juste de saisir, renversant au passage une partie de son contenu. Ce n'était pas la première fois qu'elle faisait cette erreur et, usant cette fois d'un linge bien épais, se remit à la tâche. Elle ne put s'empêcher de songer à l'ainé Beauchamp qui se chargeait tous les jours d'alimenter le feu et de cuisiner sur le poêle, déjà débrouillard à un si jeune âge alors qu'elle peinait à réchauffer une simple soupe sans se blesser.
Lorsqu'elle retourna enfin dans la chambre, Evelyne avait terminé d'allaiter l'enfant et l'avait déposé sur le lit, près de ses genoux. Elle battait des jambes et des bras, inconsciente des humeurs mélancoliques de sa mère, gazouillant ses petits sons allègrement.
-'Johnny a préparé une surprise pour vous.' Lui dit-elle en s'installant au chevet de la mère. Elle porta la cuillère remplie de soupe fumante à ses lèvres et elle l'avala doucement sans se plaindre. 'Il a passé la matinée dehors à la préparer.'
-'Une surprise?'
-'Il vous faudra vous lever pour la voir.' La tenta-t-elle gentiment. 'Vous pouvez être fière de vos petits hommes. Johnny prend son rôle de maître de la maison très au sérieux.'
Les yeux de la jeune maman se remplirent d'eau. 'Il suivait John à la trace. Il voulait tellement faire comme lui. Et John lui disait….il lui disait…Johnny, mon garçon, tu ne seras enfant qu'une seule fois. Va jouer avec tes amis, tu as tout le temps devant toi pour devenir un homme. Mais Johnny n'écoutait jamais. Il restait à ses côtés. Il serait si déçu s'il pouvait le voir aujourd'hui.'
Kitty posa une main sur la sienne; c'était la première fois qu'Evelyne s'ouvrait à elle pour parler de son mari.
-'Venez.' Lui dit-elle alors, déposant le bol pour l'inciter à se lever.
Evelyne résista faiblement d'abord, puis capitula. Après autant de temps passé allongée, elle avait du mal à rester debout sans aide et c'est appuyée sur le bras de la jeune fille qu'elle se laissa guider jusqu'à la fenêtre. Dehors, M. O'Shee guidait patiemment le garçon alors que ce dernier plantait des graines dans un sol fraîchement retourné. Le front plissé de concentration, il termina la rangée qu'il avait entreprit avant de se retourner vers son mentor, un grand sourire sur les lèvres.
-'Croyez-vous réellement que votre mari serait déçu de son garçon, qui travaille si fort pour prendre soin de sa famille, comme il en a eu l'exemple toute sa vie?'
Des larmes silencieuses coulèrent sur les joues de la maman. 'Que doit-il penser de moi? Ce devrait être moi, à sa place.'
-'Il fait cela pour vous, par amour. Vous avez quatre beaux enfants qui ont besoin de vous, Evelyne, et qui attendent, avec beaucoup de patience, de pouvoir vous prendre à nouveau dans leurs bras.'
Ses lèvres tressaillirent. 'Je ne sais pas comment avancer sans John. Tous les jours je me réveille avec l'espoir qu'il soit à mes côtés et que tout ceci n'est qu'un mauvais rêve.'
-'Un jour à la fois.' Répondit doucement Kitty. 'Ce sera difficile au début, mais vous pouvez y arriver. Vous devez avancer, pour vos enfants et pour vous.'
-'J'en suis incapable. Rester éveillé me prend toute mon énergie alors comment pourrais-je être en mesure de remplir le rôle qui me revient ?'
-'Il faut savoir marcher avant de courir. Il faut accepter que vous n'êtes pas en mesure de prendre en charge les responsabilités qui habituellement vous incombent. Pour l'instant, vous devez vous concentrer sur votre guérison. Laissez-vous aider et cessez de vous en vouloir pour ce que vous n'êtes pas capable d'accomplir.'
Evelyne hocha lentement la tête, détournant le regard de la fenêtre pour la première fois afin de concentrer son attention sur son invitée. Kitty fut frappée par la vulnérabilité qu'elle vit dans ses yeux et la douleur qui y baignait encore. Le bébé commença à chigner et elle voulut se tourner pour le prendre, mais la jeune mère l'arrêta.
-'Je vais le faire.'
Elle s'installa à nouveau sur le lit et souleva sa fille pour le mettre au creux de ses bras. Prenant une grande inspiration, elle posa enfin son regard sur le visage de son enfant et son expression s'adoucit aussitôt. De nouvelles larmes se formèrent dans ses yeux.
-'Elle ressemble tellement à John.'
Kitty prit place à ses côtés afin de l'enlacer et la maman posa sa tête contre son épaule, ses sanglots secouant son corps frêle.
-'Un jour à la fois. Un pas à la fois.'
L'après-midi touchait à sa fin lorsque Kitty quitta le cottage. Elle laissait derrière elle des enfants nourris et souriant ainsi qu'une mère endormie avec son bébé dans les bras. Ces quelques heures avaient sapé ne grande partie de son énergie, mais elle se sentait légère et heureuse alors qu'elle prenait le chemin du retour vers Pemberley. Elle savait qu'Evelyne avait encore une longue route à faire avant d'être remise sur pieds, mais aujourd'hui elle avait senti quelque chose de différent en elle et cela lui donnait espoir. Elle avait presque oublié que M. O'Shee l'accompagnait lorsqu'il ouvrit la conversation.
-'Johnny est un brave petit homme.' Dit-il lentement, l'air sérieux. 'Il a prit la place de son père sans avoir eu le temps de faire son deuil. Il est si inquiet pour sa mère qu'il se pousse à la limite de l'épuisement. Il me disait tout à l'heure que venu l'automne, il ne retournerait pas à l'école afin de prendre soin de la famille.'
Kitty poussa un long soupir. 'J'espère que d'ici là, Evelyne sera en mesure l'en dissuader.'
-'Avec vos bon soins, je suis certain qu'elle retrouvera le courage de prendre sa vie en main.'
Kitty rougit sous le compliment. 'C'est gentil, M. O'Shee.'
-'Patrick.'
Elle tourna vers lui un regard inquisiteur. 'Pardon?'
-'Appelez-moi Patrick. Après tout, nous sommes de la même famille…en quelque sorte.'
-'Oui, je suppose…'
-'Aussi.' Ajouta-t-il après un moment de silence. 'Je n'ai pas encore eu l'occasion de vous remercier pour ce que vous avez fait pour moi. Vous m'avez prêté main forte alors que j'étais un inconnu et je vous en suis reconnaissant.'
-'Nul besoin de me remercier. Après tout, mon aide n'aura pas été utile puisque vous n'avez pas pu échapper à vos poursuivants.'
-'Elle l'a été au moment où j'en avais besoin et c'est tout aussi important.'
Elle sourit, mais n'ajouta rien. L'horizon se couvrait rapidement; au loin, le tonnerre gronda, annonçant l'orage. Kitty pressa le pas, mais elle doutait qu'elle puisse arriver à Pemberley avant que la pluie ne se déchaine.
-'Je crains devoir être incroyablement impolie et quitter à l'instant, sans prendre le temps de vous remercier comme il se doit.' Dit-elle lorsqu'ils eurent atteint la terre des Gregory, où la tente battait violemment au vent. 'Je dois quitter rapidement si je veux rentrer avant que le ciel ne s'abatte sur nous.'
-'Je n'avais pas l'intention de vous laisser rentrer seule.' Déclara-t-il en fronçant les sourcils. 'Prenons mon cheval, ce sera plus rapide.'
Kitty voulut protester, mais Patrick s'était déjà dirigé vers l'endroit où il avait laissé paître sa monture. Il se hissa sur son dos avec aisance et utilisa sa crinière pour le diriger. La bête obéit sagement, s'arrêtant devant la jeune fille.
-'Je ne suis jamais monté à cheval.' Avoua cette dernière, quelque peu paniquée.
-'Ne vous inquiétez pas, je ne vous laisserai pas tomber.'
-'Mais vous n'avez pas de selle…ni de rênes.'
Il eut un sourire amusé. 'Et?'
Elle allait répliquer lorsqu'un nouveau coup de tonnerre, plus près cette fois, retentit. Une rafale lui arracha également son chapeau, qu'elle rattrapa de justesse. Elle se mordit la lèvre en contemplant ses options, réalisant qu'elle n'avait pas vraiment d'autre choix que d'accepter si elle voulait arriver à Pemberley sans être détrempée.
-'Comment…Que dois-je?...' balbutia-t-elle, cherchant où prendre appui.
-'Prenez ma main.'
Elle poussa un petit cri de surprise lorsqu'il la hissa devant lui. Elle tenta de trouver son équilibre, mais ne trouva rien à quoi s'agripper. Patrick l'encadra avec ses jambes et passa ses bras autour de sa taille afin de reprendre la crinière de l'animal dans ses mains. Kitty inspira brusquement lorsque l'animal se mit en branle.
-'Détendez-vous, tout ira bien.' La rassura Patrick. 'Je vous tiens.'
La jeune femme ne lui avoua pas que ce n'était pas seulement la peur qui la maintenait crispée; leur position la rendait très consciente de leur proximité. Elle pouvait sentir la fermeté de son torse contre son épaule et son souffle contre son oreille et son cou. Un étrange frisson la parcouru.
-'Avez-vous froid?'
Elle fut reconnaissante qu'il ne puisse pas voir ses joues enflammées. 'Un peu.'
Il lâcha la crinière du cheval pour enlever sa veste afin de la déposer sur ses épaules.
-'Merci.' Murmura Kitty en serrant le vêtement contre elle. Elle fut enveloppée de son odeur, ce qui brouilla une fois de plus ses pensées. Que se passait-il donc?
-'J'espère que je ne vous retiens pas de vos obligations sur le chantier. Vous n'aviez pas prévu de passer votre après-midi à bêcher un jardin.'
-'Ils peuvent se débrouiller sans moi pendant une journée.'
-'Alors pourquoi ne venez-vous pas plus souvent à Pemberley?'
Patrick resta silencieux un moment avant de répondre. 'Je ne savais pas en venant ici que je découvrirais l'identité de mon père et je n'ai pas envie que les gens pensent que je reste pour profiter des…privilèges.'
-'Personne ne pense cela. Et puis, pourquoi serait-ce si terrible de profiter des avantages qui vous sont dus? Après tout, vous êtes un Darcy.'
-'Je reste cependant un fils illégitime. Il est préférable que je me tienne à l'écart.'
-'Fitzwilliam ne semble pas de cet avis.'
Patrick soupira. 'J'ai vécu vingt-huit années de ma vie en tant qu'O'Shee et je suis prêt à le rester jusqu'à la fin de mes jours. M. Darcy n'a pas à se soucier de moi; je ne lui causerai pas d'ennuis.'
-'Vous connaissez mal mon beau-frère si vous pensez qu'il agit ainsi pour s'assurer de vous garder sous contrôle afin d'éviter les scandales. Sa conscience lui dicte qu'il doit vous donner ce qui aurait dû vous être offert dès votre naissance et il souhaite vous inclure dans la famille, comme le désirait son père.'
-'J'aimerais pourtant qu'il comprenne qu'il n'a aucun devoir envers moi.'
Kitty eut un petit rire. 'Je vous souhaite bonne chance dans vos tentatives de lui faire comprendre cela.'
-'Si seulement j'avais mieux camouflé mes traces, vous auriez tous été protégés de cette histoire.'
-'Votre aide est très précieuse, vous savez…Fitzwilliam est le genre de personne pouvant se mener à la tombe pour aider les siens, mais votre support lui a grandement allégé sa tâche. Je suis heureuse qu'il puisse passer ce temps avec ma sœur avant l'arrivée du bébé; ils en ont besoin et c'est grâce à vous si cela est possible.' Après un moment elle ajouta : 'Donnez une chance à Fitzwilliam. Il ne souhaite réellement que le meilleur pour vous.'
Patrick ne répondit pas cette fois. Ils furent bientôt en vue de la maison et ils démontèrent juste au moment où les cieux s'ouvraient sur eux. Ils furent rapidement admis dans la maison où ils reçurent des serviettes pour s'éponger. Le jeune homme jeta un coup d'œil vers l'extérieur, où déjà un garçon d'écurie s'était chargé d'emmener la bête à l'abri.
-'N'y pensez pas, M. O'Shee.' Pointa Elizabeth, qui descendait de l'étage au même instant. 'Vous ne pouvez pas retourner dans votre tente sous de telles conditions.'
-'La pluie ne me dérange pas, Mrs Darcy. Je ne faisais qu'escorter votre sœur jusqu'ici.'
-'Ne dites pas de sottises, vous serez bien mieux ici. Mrs Reynolds? Veillez à ce que des vêtements secs soient apportés dans la chambre de M. O'Shee et faites ajouter un couvert pour le repas de ce soir.'
La vieille femme inclina la tête respectueusement. 'Tout de suite, madame.'
-'Quant à toi, monte vite à l'étage te changer avant de prendre froid.' Poursuivit la maitresse de maison en se tournant vers sa cadette. 'Je vais t'aider. Le dîner sera servi à sept heures, M. O'Shee.'
Kitty jeta un dernier coup d'œil vers le jeune homme. 'Merci de votre assistance, M.O'Sh—Patrick. J'espère que vous songerez à ce que je vous ai dit tout à l'heure.'
Ce dernier hocha brièvement de la tête avant de les regarder partir, l'air songeur. Kitty rejoignit rapidement sa sœur, qui avait déjà pris de l'avance, marchant d'un pas vif à travers les couloirs.
-'Que se passe-t-il, Lizzie?'
-'Hm? Que veux-tu dire?'
-'Tu me sembles…agitée. Est-ce la nouvelle sage-femme qui t'embête?'
Elizabeth lui fit un sourire rassurant. 'Non, Mrs Yeats est une dame charmante et nous nous entendons très bien. Elle est plutôt soulagée d'avoir un cottage à elle plutôt qu'une chambre dans la maison, bien que Fitzwilliam la fasse se déplacer tous les jours pour vérifier mon état.'
-'Est-ce vraiment nécessaire?'
-'Non! Mais tu connais mon époux; il est si soucieux que tout se passe bien qu'il est un peu trop prudent, comme à son habitude.'
-'Et toi, es-tu inquiète?'
Sa sœur ne répondit qu'après un moment. 'Il est préférable pour une femme de ne pas trop songer à ce qui pourrait arriver lorsque son temps est proche. Je ne peux qu'espérer que tout se passera bien.'
Elles entrèrent dans la chambre que Kitty partageait avec Georgiana, vide de ses occupantes pour le moment.
-'Tu dois être déçue que Jane n'ait pas pu se déplacer pour être avec toi.' Commenta Kitty en posant son chapeau près du feu pour le faire sécher.
Elizabeth l'aida à se dégrafer et enlever sa robe, puis se dirigea vers sa penderie, d'où elle sortit une robe du soir simple. 'Tu sais bien que j'aime Jane de tout mon cœur, mais dans une situation comme celle-ci, je préfère ne pas l'avoir dans la pièce avec moi. Elle s'inquiète si facilement et tu sais combien elle est fragile à nos émotions.'
Kitty prit place devant son miroir et soupira; la pluie l'avait décoiffé à un point tel qu'elle aurait à tout recommencer. Elle commença donc à enlever les pinces dans ses cheveux. 'Je crois que je serai comme toi, quand le temps viendra. Je ne voudrai personne dans la pièce, mis à part la sage-femme bien sûr. J'ai entendu que certaines femmes laissent leurs maris être présent; je serais mortifiée que le mien assiste à un tel spectacle.'
-'Je ne savais pas que tu songeais déjà à cela.' Remarqua Lizzie, amusée. 'As-tu l'œil sur un prétendant en particulier?'
Kitty rougit, la sensation de Patrick contre son corps encore fraîche dans sa mémoire. 'Ne te moque pas, Lizzie. Tu sais très bien que je ne parle de personne en particulier.'
-'Qui sait, peut-être as-tu fait la rencontre d'un beau prince charmant sur ta route et que c'est la raison qui t'a retenue si longtemps.'
Elle se tourna vers elle, choquée. 'Je ne ferais jamais une telle chose!'
-'Je ne sous-entendais rien par cela, Kitty, c'était seulement une plaisanterie. Je sais que tu prends soin de la veuve Beauchamp depuis plusieurs semaines, jamais je ne penserais que tu puisses utiliser cette excuse comme un subterfuge pour rencontrer un amant.'
La jeune fille se calma, réalisant soudainement la force de sa réaction. 'Je suis désolée…j'imagine que j'ai toujours peur, même après ces quelques années loin de Lydia, que l'on pense que je suis comme elle.'
Elizabeth vint lui prendre les mains. 'Kitty, tu n'es plus l'enfant insouciante que tu étais il y a cinq ans et tout le monde le sait.'
-'Tu as probablement raison, mais je…Lizzie? Que se passe-t-il?'
Sa sœur fit une grimace, une main sous son ventre, puis expira longuement. 'Ce n'est rien. J'ai dû trop en faire aujourd'hui, voilà tout.' Elle lui jeta un regard suppliant. 'S'il-te-plaît, ne le mentionne pas à Fitzwilliam, au risque de me voir clouée au lit pour la prochaine semaine.'
-'Seulement si tu me promets de te reposer après le repas.'
Elizabeth roula les yeux. 'Ne me dis pas que tu es dans son camp. Bon, très bien, je te le promets. Qui aurait pu croire que ma propre sœur userait de chantage contre moi.'
-'Pour ton bien seulement.'
Lizzie vint se placer devant elle et, avec un regard affectueux, lui dit : 'Je sais que je ne te le dis pas assez souvent, Kitty, mais merci pour tout ce que tu fais. Ton aide et ta compagnie me sont précieuses et je redoute le moment où tu trouveras réellement ce prince charmant. Je sais bien que je ne peux pas te garder à Pemberley pour le reste de ta vie, mais j'espère pouvoir t'avoir encore à mes côtés pour quelques années encore.'
Touchée, la jeune fille ne sut quoi répondre et c'est le cœur serré qu'elle regarda sa sœur quitter la pièce pour aller se changer à son tour.
(*-*)
J'espère que vous avez apprécié ce petit chapitre sur Kitty, qui, vous l'aurez sûrement remarqué, est toujours un de mes personnages préférés. Le prochain sera sur notre couple favori, promis! D'ailleurs, il est déjà presque prêt…oui oui, vous avez bien lu, un autre chapitre suivra sous peu! Je le garde pour la semaine prochaine, il me reste seulement à y apporter la dernière correction alors vous n'aurez pas très longtemps à attendre : )
Comme d'habitude, un gros merci à toutes les personnes qui prennent le temps de me laisser des reviews, c'est très apprécié et très motivant!
À très bientôt !
