Joyeux Noël en avance! Encore une fois, merci à Axeline pour son excellent travail, exécuté à la vitesse de l'éclair afin que je puisse vous offrir ce nouveau chapitre rapidement! Bonne lecture!
Chapitre 57
Des jours heureux
Darcy ne se souvenait pas d'un temps où il avait été plus heureux. Elizabeth s'était rapidement remise de son accouchement et affichait même son énergie naturelle malgré les nuits courtes. Décidée à ne pas rester enfermée dans sa chambre plus longtemps que nécessaire, elle avait rapidement repris la plupart de ses fonctions. Partout où elle allait dans la maison elle emportait leur fils dans ses bras, veillant à son bien-être avec un naturel qui lui fit se demander comment il avait pu douter de ses compétences par le passé. Il était également surpris de sa propre adaptation à la situation; certes, les cernes sous ses yeux s'étaient légèrement creusés depuis la naissance de Bennet, mais ses heures de sommeil entrecoupées étaient plus reposantes que ce qu'il avait connu dans les derniers mois. Après tout, ils connaissaient un des meilleurs étés depuis une décennie et partout les champs promettaient des récoltes abondantes. Pemberley florissait sous le soleil de juillet, chassant les dernières traces des évènements passés. De plus, les températures clémentes avaient permis à M. O'Shee de terminer plusieurs cottages, réduisant davantage le nombre de réfugiés sans toit au-dessus de leur tête. Tous se réjouissaient de la venue de l'héritier, voyant en son arrivée un signe que la Providence était maintenant de leur côté, et Darcy ne pouvait s'empêcher de ressentir une grande fierté lorsqu'il acceptait les félicitations qui fusaient de toutes parts lors de ses tournées du domaine. Il n'avait plus aucun doute ni aucune inquiétude quant au futur; tout irait bien.
Darcy n'avait pris que quelques jours pour apprivoiser son rôle de père, retrouvant son bureau et son cheval plus tôt qu'il ne l'aurait voulu. Il se réconfortait dans la pensée qu'Elizabeth avait la situation en main et qu'elle était bien entourée, mais cela ne l'empêchait pas de s'impatienter de les retrouver dès qu'il devait s'absenter plusieurs heures. Heureusement, M. O'Shee était là pour combler les lacunes que sa distraction provoquait parfois, démontrant ainsi qu'il était indispensable au bon fonctionnement de Pemberley.
Darcy s'était peu à peu fait à l'infidélité de son père. En fait, le dévouement du jeune homme pour son travail avait été suffisant pour le convaincre de sa valeur et il avait développé un profond respect envers lui. Les conversations n'étaient pas toujours faciles, mais le temps semblait rendre plus aisé la communication entre eux. Peut-être était-ce parce que son cœur était rempli de bonheur et de satisfaction, mais Darcy souhaitait plus que jamais lui offrir ce qui, de naissance, aurait dû lui revenir de droit. M. O'Shee était un homme ayant toutes les qualités d'un gentleman et méritait de vivre une vie privilégiée sous le nom Darcy.
Il faisait encore sombre à l'extérieur lorsque les pleurs de son fils le réveillèrent pour la deuxième fois, comme chaque matin peu avant l'aurore. Darcy devait avouer qu'il s'étonnait de la ponctualité de Bennet lorsqu'il était question de boire; une fois peu avant minuit et une fois à l'aube. Il ne pouvait s'empêcher de sourire à l'idée que ce trait venait de lui; en fait, il se voyait en son fils plus qu'il ne l'admettait ouvertement à sa femme. Il y avait quelque chose dans son calme et dans son regard qui lui parlait, comme s'il se reconnaissait à travers lui, non pas seulement par les ressemblances évidentes qu'il développait physiquement, mais également par sa personnalité. Certes, cette pensée était peut-être plus souhaitée que vraie; après tout, Bennet n'avait qu'un mois seulement et il était plus que probable que son envie d'un fils à son image soit à la base de ses observations. Quoi qu'il en soit, il ne se privait pas de le constater en silence lorsqu'il le prenait dans ses bras, comme si ce petit secret entre eux les unissait plus fortement encore.
Comme à son habitude, Lizzie récupéra Bennet du berceau près de leur lit et l'installa entre eux pour l'allaiter. Darcy caressa doucement les cheveux courts et doux de leur bébé, attendri par cette scène maintenant familière, et jeta un sourire endormi à sa femme.
-'Tu n'es pas obligé de rester éveillé avec moi, tu sais.' Lui murmura Lizzie, mais elle savait aussi bien que lui que son commentaire n'aurait aucun effet sur sa détermination. 'Tu as tant de travail déjà, en plus des préparatifs pour le baptême. Tu as besoin de ton sommeil.'
-'Je sais, mais je ne veux pas manquer ces moments. J'ai l'impression que le temps s'arrête et que nous sommes seuls, dans un petit monde à nous, et que rien ni personne ne peut nous atteindre.'
Sa femme eut un petit rire. 'Est-ce difficile d'avoir une si grande compagnie à Pemberley?'
Elle faisait référence au nombre grandissant d'invités qui arrivaient depuis quelques jours. Le baptême était prévu pour le lendemain et tous, ou presque, avaient accepté de venir pour l'occasion.
-'Disons qu'il est plus difficile de s'entendre penser lorsque la maison est à pleine capacité.' Il fronça les sourcils en voyant une note de désappointement teinter son expression. 'Tu penses encore à ta mère, n'est-ce pas?'
-'J'aurais cru qu'elle se serait remise plus rapidement de la nouvelle de Lydia, mais Père dit qu'elle ne quitte plus son lit maintenant. Elle a ses tendances théâtrales, mais jamais ses lubies n'ont duré si longtemps…je commence à croire que cela puisse être sérieux cette fois. Si Père n'a pas jugé approprié de quitter son chevet pour venir au baptême, c'est qu'il ne me dit pas tout dans ses lettres.'
-'Si cela peut te rassurer, il serait possible pour nous de visiter Longbourn dès que tu seras en état de le faire. Est-ce trop tôt pour Bennet, tu crois?'
Tout deux posèrent leur regard sur l'enfant toujours occupé à son repas.
-'Je crois qu'il ne s'opposera pas à ce projet.' Répondit Lizzie avec un sourire. 'Peut-être même qu'il se plaira à voyager; il observe déjà le monde afin d'essayer de le comprendre.'
Darcy ressentit une vague de fierté monter en lui. 'Son regard est rempli de sagesse, ne trouves-tu pas? Comme si déjà nous pouvions voir quel genre d'enfant il sera.'
-'Il aura tes yeux. Ils se teintent déjà de brun.' Sa femme soupira avant d'ajouter : 'Cela me manquera, lorsqu'il fera ses nuits. Il saute déjà le boire de deux heures; bientôt nous retrouverons des nuits quasi normales.'
-'N'as-tu pas hâte de retrouver un sommeil plus réparateur?'
-'Honnêtement, je me sens en plein forme. Je me repose dans le jour avec lui et puis, deux réveils d'une dizaine de minutes par nuit ne m'affectent pas tant que cela.'
-'Tu me le dirais si tout cela devenait trop?'
-'Ce n'est pas trop. En fait, je me sens plus que remise.'
Darcy haussa les sourcils en percevant le sous-entendu. 'Oh?'
-'Cette histoire de purification est ridicule, si tu veux mon avis.' Murmura-t-elle et ses yeux étincelaient d'espièglerie. 'Attendre si longtemps pour se retrouver alors qu'il n'y a plus rien qui nous en empêche.'
Il avala avec difficulté, sentant son corps réagir aussitôt aux pensées qui lui traversèrent l'esprit. Il devenait de plus en plus difficile de résister à sa femme, qui, sans même le vouloir, éveillait en lui des désirs si forts qu'il avait parfois besoin de s'asperger d'eau fraîche. Les dernières semaines lui avaient paru être une éternité; partager son lit alors qu'il ne pouvait pas prendre avantage de chacune de ses courbes lui semblait être de la torture. Il était conscient que les convenances demandaient à ce qu'il attende qu'elle soit bénie avant que quoi que ce soit puisse avoir lieu; cependant, qu'y avait-il de « sale » en son épouse pour avoir mis au monde un enfant? Et plus il y pensait, plus il avait du mal à justifier les raisons pour lesquelles il patientait. Si au début il s'abstenait de lui faire des avances, c'était par considération pour elle. Mais si Elizabeth ne s'y objectait pas, serait-ce si mal que de succomber à ce désir clairement partagé?
-'Es-tu certaine?' lui demanda-t-il, sa voix soudainement rauque.
Bennet avait terminé de boire et s'était déjà rendormi. Elle le souleva délicatement, tapota doucement son dos pendant un moment, puis le posa dans son berceau avant de le couvrir d'une couverture. Lorsqu'elle se tourna vers lui, Darcy ne put empêcher son regard de descendre vers l'ouverture de sa robe de nuit, qui révélait dans toute leur splendeur les attributs que l'allaitement avait conféré à son épouse. Elle ne chercha pas à se cacher; en fait, elle laissa glisser le vêtement un peu plus bas sur son épaule, visiblement satisfaite de l'effet qu'elle produisait. La tresse qu'elle s'était faite avant de se coucher n'avait pas su contenir sa chevelure d'ébène, cascadant contre sa peau pâle sous les reflets de la lune.
-'Absolument certaine.' Murmura-t-elle en franchissant le vide qui les séparait. 'Mais nous pouvons attendre demain, si tu préfères...'
Elle lui mordilla légèrement sa lèvre inférieure et Darcy ne put empêcher le grondement de désir qui s'échappa de sa bouche lorsqu'il s'empara de la sienne. Cette soif en lui était plus que déraisonnable; seulement un mois s'était écoulé depuis le dernier rapprochement entre eux et pourtant il avait l'impression qu'il s'était passé d'elle pendant des années. Si forte était son envie de la posséder qu'il dû se faire violence pour se calmer, une petite voix dans sa tête lui rappelant que malgré l'évidente collaboration de son épouse, son corps avait tout de même subi les effets d'une naissance il n'y avait pas si longtemps.
Dans le silence de la nuit et l'intimité de leur chambre, rien ni personne ne pouvait les atteindre. Dans ce petit monde qu'ils s'étaient créé, ils purent à nouveau savourer le bonheur de se retrouver.
C'est avec un sourire placardé sur les lèvres que Darcy descendit pour le petit déjeuner le lendemain matin. Il pénétra dans la salle à manger en sifflotant, où déjà étaient attablés plusieurs de ses invités, et se servit dans le buffet avant de prendre sa place aux côtés de Richard. Ce dernier leva des sourcils inquisiteurs devant l'évidente bonne humeur de son cousin, prenant un peu de recul pour mieux le regarder.
-'Quelque chose a changé en toi.'
-'Un homme ne peut-il pas simplement être heureux de célébrer officiellement la venue de son fils dans ce monde?'
Richard lui jeta un regard entendu. 'Oui. Bien sûr. Ce n'est certainement pas le retour à la normale qui met autant de légèreté dans ton pas, hm?'
-'Vraiment, Richard.' Murmura Darcy en rosissant, mais un coup d'œil aux autres convives lui révéla que chacun était trop préoccupé par leur propre conversation pour s'attarder à la sienne. 'Dois-tu toujours présumé le pire de moi?'
-'Le pire? Le meilleur, tu veux dire! Mon cher cousin, même si tu me jurais sur la tête de ton enfant que tu n'apprécies pas les avantages que profèrent la vie conjugale, je ne pourrais pas te croire.'
Darcy roula les yeux. 'Je n'ai aucune envie de jurer quoi que ce soit.'
-'Exactement.' Répondit Richard avec un grand sourire, satisfait.
-'Pourquoi cherches-tu tant à me faire avouer quelque chose qui ne te regarde aucunement?'
Il éclata de rire. 'Il n'y a que très peu de choses sur lesquelles je peux puiser pour nourrir mes taquineries à ton égard, Fitz. Ne m'en veux pas d'exploiter ton point faible à pleine capacité.'
Darcy prit une bouchée de son repas pour éviter de répondre. Son cousin avait cette jovialité et ce bon-vivant qui l'empêchait bien souvent de s'attirer des ennuis, peu importe les mots qui sortaient de sa bouche.
-'Je suis bien content de savoir qu'Elizabeth te sort de ta rigidité.' Ajouta Richard après un moment. 'Même après presque cinq ans, j'ai encore du mal à croire qu'elle a accepté ta demande. La deuxième, bien sûr.'
Darcy sourit malgré lui, mais jugea plus prudent de diriger la conversation ailleurs avant que les moqueries n'attirent l'attention. 'Parlant d'épouses, où est la tienne?'
L'Earl haussa les épaules. 'Dans la bibliothèque, je suppose. Elle n'a pas très bien dormi.'
-'La chambre n'est-elle pas à sa satisfaction?'
Il fit une grimace. 'Le compagnon, plutôt. Les joies du mariage, n'est-ce pas?'
-'Je suis désolé, Richard. Si j'avais pu faire autrement…'
Son cousin balaya le fait d'un revers de la main. 'Oh, non, ne t'en fait pas. Nous n'avons pas l'habitude l'un de l'autre dans un tel contexte, voilà tout. La situation est malaisante, mais pas insurmontable, surtout pour une occasion aussi importante.'
Darcy lui fit un sourire compatissant. 'Je l'apprécie. Et dès qu'une chambre se libère, vous serez accommodés autrement.'
-'Ne t'en fais pas pour nous; nous nous entendons bien. Anne n'aime peut-être pas les tâches qui lui incombent à Greenfield Park ni les engagements plus qu'occasionnels que demande notre position, mais elle fait de son mieux. Notre tante n'a pas négligé son éducation. Malgré certaines lacunes, elle est un excellent support.'
La porte s'ouvrit pour laisser entrer Georgiana et Kitty d'abord, puis Vivianne et Anne, visiblement en grande conversation.
-'Anne semble bien s'entendre avec ton invitée.' Commenta Richard en les observant. 'Je suis surpris que tu ne m'aies pas mentionné sa présence dans tes dernières lettres.'
Darcy poussa un long soupir. 'Il y a bien des choses dont je ne t'ai pas fait part encore. Mais cela devra attendre à un autre moment.'
-'Miss Calbert, n'est-ce pas? Ce nom me dit quelque chose.'
-'Je ne crois pas que tu aies eu le plaisir de rencontrer son père, M. Calbert, puisqu'il ne vient que très rarement en Angleterre. Il était un des meilleurs amis de mon père.'
-'N'a-t-il pas marié une irlandaise? La fille d'un de ses fermiers, non?'
Darcy hocha la tête.
-'Elle ne doit pas avoir trop de compagnie en Irlande.' Remarqua Richard après un moment.
-'Sa situation est…particulière, cela va sans dire.' Répondit le maitre de Pemberley. 'M. Calbert espère probablement qu'elle trouvera un bon parti pendant son séjour ici, cependant je ne peux m'empêcher de sentir que je faillis à cette tâche.'
-'Pourquoi donc?'
-'Avec les derniers évènements et maintenant la naissance de Bennet, elle n'a eu que très peu d'occasions d'être présentée à de potentiels soupirants.'
Richard fronça les sourcils. 'Une jeune fille de son âge devrait être en mesure de sortir et rencontrer des gens.'
-'Je suis d'accord, mais j'ai les mains liées pour le moment. Ses meilleures chances seront cet automne, lors de la saison de la chasse, ou cet hiver, lorsque nous serons à Londres.'
-'Combien de temps restera-t-elle avec vous?'
-'Je ne sais pas. Elle s'entend bien avec Georgiana et Kitty, mais je ne pense pas qu'elle serait à l'aise de rester lorsqu'elles seront mariées et installées dans leur propre maison.'
-'Mariées?' s'étonna Richard, sa coupe à mi-chemin dans les airs. 'Darcy, il n'a été question d'aucune promesse quelconque dans notre correspondance. Est-ce un autre détail que tu aurais oublié de me mentionner?'
Darcy se pinça l'arête du nez. 'Tu as raison, Richard, tu es autant le gardien de Georgiana que je le suis et tu as le droit de connaître tous les développements à ce sujet. J'ai été si occupé que j'ai manqué à mon devoir en oubliant de t'avertir de ce qui se passait entre M. Parker et Georgiana.'
-'Développements?'
-'Je crois qu'elle pourra s'attendre à une demande bientôt, du moins, c'est l'impression qu'il m'a laissée. Je dois avouer que je m'attendais à un dénouement plus rapide; après tout, il la courtise depuis plus d'un an maintenant.'
Richard considéra ses mots un moment. 'Et tu es certain que cette alliance est pour le bien des deux partis?'
-'Que veux-tu dire?' s'exclama Darcy, surpris. 'M. Parker est un excellent candidat pour elle, elle aura une position envieuse dans la société lorsqu'il héritera du titre de Lord Gillingham et il possède une excellente disposition.'
-'Oui, nous avons déjà parlé de son pédigrée et je suis d'accord avec toi pour son éligibilité. Cependant, c'est la première fois que j'entends parler de lui depuis mon arrivée; pourquoi Georgiana ne l'a-t-elle pas mentionné une seule fois? Pour une femme amoureuse, elle le cache très bien.'
-'Tu sais que Georgiana est très timide, elle n'est pas du genre à s'épancher sur quelconque sujet impliquant ses émotions.'
-'Excepté la fierté qu'elle retire de travailler aux côtés de ce nouvel apprenti, M. Gresley.'
-'Oui, mais cela est différent. Depuis l'inondation, elle est vraiment sortie de sa coquille en offrant son aide d'abord au Dr Baker, puis maintenant à M. Gresley. Ne présume rien de cela, Richard, et s'il y a des sentiments dans cette histoire, ils ne sont pas du cœur, mais de la fierté de contribuer à la société.'
-'Si tu le dis.'
Darcy balaya la pièce du regard, observant la trentaine de personnes maintenant rassemblée. Il devait monter sous peu rejoindre Lizzie, qui se préparait en ce moment même pour les festivités, mais il devait d'abord s'assurer que tous les besoins de ses invités étaient comblés. Il s'excusa auprès de son cousin dès qu'il eut fini son repas, le laissant à discuter avec sa femme et Vivianne, et fit ce qu'il aimait le moins en tant qu'hôte : avoir des conversations mondaines. Peu avant leur départ pour la chapelle, Elizabeth descendit de l'étage avec Bennet dans ses bras, leur enfant vêtu d'une longue robe de baptême brodée. Elle fut accueillie par des exclamations de joie et une flopée de femmes qui s'empressèrent de la complimenter et de s'extasier devant leur fils. Les hommes, observant la scène à distance avec indulgence, ne commentèrent pas sur la probabilité de leur retard à la cérémonie.
Le chemin jusqu'à la chapelle de Pemberley n'était pas très long; tous les invités s'y rendirent à pieds, profitant de la brise matinale pour se dégourdir les jambes, et même Elizabeth insista pour faire le chemin avec les autres plutôt que de se servir de la voiture qu'il avait fait avancer pour elle et le bébé. Darcy ne s'obstina pas avec elle cependant, voyant très bien son besoin de bouger, et il demeura à ses côtés jusqu'à ce qu'ils arrivent à la chapelle immaculée, le pasteur les invitant à prendre place sur les bancs de bois.
La cérémonie passa rapidement et Bennet ne protesta pas d'avoir le front arrosé d'eau froide. Lorsqu'ils sortirent, la pluie soudaine qui s'était déclarée pendant qu'ils étaient à l'intérieur avait déjà cessé, laissant place à un magnifique arc-en-ciel. Ce n'est qu'à ce moment que Darcy remarqua que M. O'Shee était présent; il avait pris place tout à l'arrière, à l'abri des regards, et se tenait maintenant en retrait alors que les invités sortaient peu à peu de la chapelle pour reprendre le chemin de la maison. Darcy l'attendit à l'extérieur et lui serra la main avec un sourire reconnaissant.
-'Merci d'avoir changé d'idée. Après notre dernière conversation, je ne pensais pas que vous viendriez.'
-'Si vous devez remercier quelqu'un, que cela soit Miss Bennet; c'est elle qui a su me convaincre.'
-'Kitty?' s'étonna-t-il. 'Qu'a-t-elle pu bien dire de plus que moi pour vous inciter à revoir votre décision?'
M. O'Shee eut un petit sourire. 'Elle m'a seulement rappelé mon devoir. Après tout, cet enfant est un Darcy.'
Le nouveau père comprit aussitôt l'implication. 'Ma belle-sœur a raison. La famille, c'est ce qu'il y a de plus important. Vous ne repartez pas déjà? Venez donc vous rafraîchir avec nous; nous avons prévu un festin digne de la royauté.'
Le jeune homme hésita. 'Je ne voudrais pas vous causer de malaise. La plupart des gens ne savent toujours pas qui je suis et je ne crois pas qu'aujourd'hui soit la journée idéale pour m'introduire à vos amis.'
-'Je peux comprendre que vous ne soyez pas prêt, M. O'Shee, mais nul besoin de révéler votre identité dans l'heure, si c'est ce que vous souhaitez. Vous pouvez apprécier les réjouissances sans avoir peur de vous imposer. Après tout, comme vous avez dit, cet enfant est un Darcy.'
M. O'Shee eut un petit sourire. 'Je ne peux refuser, alors.'
Ils marchèrent ensemble un moment, leur conversation restant en terrain connu, et Darcy fut heureux de savoir que les dernières maisons seraient plus que probablement terminées avant la fin août.
-'Si la situation était différente, vous feriez un excellent agent, vous savez.' Lui dit Darcy lorsque le jeune homme lui proposa d'ajouter du trèfle et du navet dans le système de rotations plutôt que de laisser les champs en jachère. 'Votre souci du détail et vos connaissances sur la tenue d'un domaine sont inestimables dans ce genre de travail.'
M. O'Shee pinça les lèvres. 'Vous voulez dire, si je n'étais pas le fils illégitime de l'ancien maitre de Pemberley.'
-'Pardonnez mes mots, vous m'avez mal compris; je disais simplement qu'un tel poste ne serait pas convenable puisque vous êtes destiné à mieux.'
-'Votre femme vous a parlé.' Commenta le jeune homme, redirigeant son regard vers l'horizon. 'Elle vous a probablement mentionné la promesse que je lui ai faite.'
-'Ma femme a un don pour nous faire dire ce qu'elle veut entendre.' Répondit Darcy avec un petit rire. 'Mais je dois avouer que je trouve l'idée excellente. Maintes fois vous avez nié avoir les qualités nécessaires pour bouger dans notre cercle, mais vous êtes un meilleur homme que la plupart des gens rassemblés aujourd'hui, sans parler de tous les autres que j'ai préféré laisser à Londres malgré l'importance de l'évènement. Je sais que je n'ai pas exhibé la meilleure contenance lorsque j'ai appris la nouvelle de vos origines; mais croyez moi lorsque je vous dis que les dernières semaines ont confirmé mes espérances. Vous avez votre place dans notre cercle. Et je ne dis pas seulement cela par devoir.' Insista-t-il en voyant qu'il allait répliquer.
-'Qu'allez-vous faire de la ferme des Grégory, maintenant qu'il n'y a personne pour réclamer l'endroit?'
Darcy respecta le fait qu'il voulait changer de sujet; contrairement à lui, il ne semblait pas encore avoir fait la paix avec le passé.
-'Je pense reprendre la terre et la cultiver moi-même. Elle a été laissée à l'abandon pendant longtemps; il y aura beaucoup de travail à faire, et l'investissement ne se fera sentir que dans quelques années.'
M. O'Shee hocha la tête, mais n'ajouta rien. Darcy sentit qu'il ne disait pas ce qu'il avait en tête, mais ils étaient presque à la maison maintenant et les invités s'impatientaient. Il repoussa ses questions à plus tard, faisant les introductions en ne mentionnant que le nom et le métier de l'homme à ses côtés. Si quelques-uns remarquèrent l'étrange similitude entre les deux hommes, personne ne fit de commentaires.
Excepté Richard.
Son cousin attendit que la plupart des invités soient montés se coucher avant de l'approcher plus tard dans la soirée, un air sérieux sur le visage.
-'Est-ce une autre des choses que tu as oublié de me mentionner?' murmura-t-il, visiblement vexé. 'Que tu avais un frère sur cette terre dont tu connaissais l'existence? Oh, ne fais pas cette tête.' ajouta-t-il en voyant son air surpris. 'Je peux reconnaître les traits de mon oncle facilement, que ce soit en toi, en Georgiana ou en M. O'Shee. Était-ce une manière de me punir d'avoir été dans l'incapacité de me libérer pour t'aider ce printemps que tu m'as caché que j'avais un autre cousin?'
-'Bien sûr que non!' s'exclama Darcy, choqué. 'Jamais je ne m'abaisserais à te blesser de cette manière et tu le sais bien.'
-'Alors je ne comprends pas pourquoi tu n'as pas cru bon de me faire part de la nouvelle.'
-'Cela est tout nouveau pour moi aussi, Richard. Avant ce printemps, je ne connaissais pas son existence et il n'a pas été aisé, pour nous deux, de se faire à l'idée.'
Son cousin poussa un long soupir. 'Que sais-tu de lui?'
-'Pas ici. Viens, allons dans mon bureau.'
Richard approuva d'un signe de tête et, empoignant une carafe de brandy et deux verres au passage, le suivit à travers la maison jusqu'à la sombre bibliothèque, où Darcy put enfin lui confier le déroulement des derniers mois. Lorsqu'il eut fini, son cousin resta sans mots pendant un moment.
-'Je suis surpris de ne pas avoir à te faire la morale.' Dit-il au bout d'un moment, les sourcils froncés. 'Habituellement, tu macères dans ta misère jusqu'à ce que je me présente pour te délivrer de tes doutes.'
-'Est-ce une si mauvaise chose?'
-'Bien au contraire. Tu sais, tu es le seul que je connaisse qui soit surpris des infidélités de tes compagnons masculins. M. O'Shee démontre que ton père était un homme comme les autres, voilà tout, quoique probablement plus honorable puisqu'il n'a pas laissé la mère et l'enfant sans moyens.'
-'Je ne crois pas que c'était comme cela pour lui. Il a aimé cette femme, Richard, ce n'était pas un vulgaire coup de tête guidé par ses pulsions. Si les choses avaient été différentes, il aurait probablement fait sa vie avec elle en Irlande.'
-'À ce point?'
-'Je dois t'avouer qu'au départ, je ne comprenais pas. Puis en réfléchissant un peu, en songeant à l'effet qu'Elizabeth avait eu sur moi l'année de notre rencontre, je ne peux que compatir avec lui.'
-'Nous n'avons pas tous ta chance.' Commenta son cousin, l'air sombre. 'Enfin…Il est inutile de regretter le passé, les choses sont telles qu'elles sont.'
S'il faisait référence à sa propre situation et non de celle dont ils étaient en train de discuter, Darcy ne le savait pas. Cependant, il ne pouvait ignorer la tristesse qui passa momentanément dans ses yeux.
-'Tout va bien?' s'enquerra-t-il, inquiet. 'Tu n'es pas comme d'habitude.'
Richard haussa les épaules. 'Oh, rien hors de l'ordinaire. Encore l'histoire de succession.'
-'Toujours déterminé à ne pas avoir d'enfants?'
-'Tout le monde s'attend à une annonce un mois après l'autre, mais ils peuvent bien attendre. Je ne changerai pas d'idée. D'ici quelques années, ils cesseront de nous harceler avec cette histoire.'
-'Et tu tiens le coup?'
Son cousin roula les yeux. 'Si par-là tu me demandes si oui ou non j'ai finalement opté pour garder une maitresse, la réponse est non. Je ne peux nier que l'appel du West End a été fort à plusieurs reprises, mais je ne suis plus le jeune colonel inconscient des conséquences que peuvent apporter les filles de joies. Surtout après ce qui est arrivé à Wickham, j'ai peine à voir ce genre d'endroit du même œil.'
Il frissonna à l'idée, avalant la dernière gorgée de son brandy d'un mouvement vif. Darcy ne le poussa pas à se confier plus, sentant qu'il ne souhaitait pas discuter du sujet plus longtemps.
-'J'espère que vous pourrez vous libérer Anne et toi pour la saison de la chasse de cet automne.' Dit-il plutôt, jouant avec son propre verre encore plein.
-'Je connais ce ton…Tu as une idée derrière la tête.'
-'En effet. J'espère présenter M. O'Shee pour ce qu'il est à ce moment et l'intégrer dans notre cercle. Si tout se passe bien, il pourra ensuite nous accompagner à Londres pour l'hiver.'
Richard fronça les sourcils. 'Tu es conscient que les autres le déchiquèteront en lambeaux?'
-'Tu ne le connais pas; il a tout d'un gentleman et, qui plus est, c'est ce qui lui revient de droit. Il est un Darcy.'
-'Tu confonds encore tes propres règles d'honneur avec celles de la société dans laquelle nous vivons, Fitz. M. O'Shee est peut-être un Darcy par le sang, mais il reste un bâtard.'
-'N'utilise pas ce terme, s'il-te-plaît.'
-'C'est pourtant ce qu'il est. Et c'est ce que les gens verront en lui.'
Darcy soupira impatiemment. 'Richard, tu sais aussi bien que moi qu'il ne sera pas le premier à faire sa place dans le monde avec de telles origines.'
-'Oh, je ne dis pas que ce n'est pas faisable, lorsque l'argent est abondant et que l'influence de son paternel est grande. Je déteste faire le rabat-joie, mon vieux, mais bien que ta situation soit envieuse pour plusieurs au niveau de tes finances, elle n'est certainement pas suffisante à rendre M.O'Shee un homme respectable. Qui plus est, tu as déjà été libellé comme excentrique par ton choix de femme, qui sait ce que cette nouvelle décision fera à ta réputation.'
Darcy pondéra ses paroles un moment avant de dire : 'Ma réputation m'importe peu; je suis le seul qui ait à vivre avec mes décisions et je veux qu'elles reflètent mes valeurs. Et puis, tu ne le connais pas encore, Richard. Peut-être changeras-tu d'idée lorsque ce sera le cas.'
-'Je vois que tu es déterminé à suivre le cours de cette idée.'
-'Je le suis.'
Son cousin secoua la tête. 'Alors je sais qu'il n'y a rien à faire; tu es aussi têtu qu'une mule lorsque tu es convaincu de faire ton devoir.'
Le maitre de Pemberley eut un petit sourire. 'Et je suis convaincu que tu seras à mes côtés pour réaliser mon plan, malgré tes réticences.'
Richard éclata de rire. 'Tu me connais bien. J'y serai, Fitz. Et je supporterai ce M. O'Shee, même si je trouve ton plan absolument ridicule.'
Darcy leva son verre dans sa direction. 'Je savais que je pouvais compter sur toi.'
Lorsqu'il monta se coucher à son tour, ce fut avec un sentiment de grande satisfaction. Il se déshabilla rapidement et rejoignit Elizabeth dans leur lit, posant un baiser prometteur sur ses lèvres. Elle pouffa de rire, les yeux pétillants.
-'Tu es jovial pour quelqu'un qui a eu à divertir des invités toute la journée.'
Il déplaça son attention sur sa gorge. 'Pourquoi est-ce que tout le monde est surpris de me voir sourire? Un homme n'a-t-il pas le droit d'être simplement de bonne humeur?'
-'Je ne m'en plains pas; c'est seulement un peu…inhabituel.' Murmura-t-elle, visiblement affectée par ses attentions.
Darcy leva la tête pour rencontrer son regard, espérant qu'elle pouvait voir à travers ses yeux tout le bonheur qu'il ressentait. 'Je me sens si comblé, Lizzie. Nous avons un héritier fort et en santé. Tu es rayonnante. Pemberley est rempli de promesse. Nous avons nos amis et notre famille avec nous pour célébrer l'arrivée de Bennet…Aujourd'hui, je veux seulement profiter de ce tourbillon d'amour, de reconnaissance et de joie. Ce sont des jours heureux et je compte en savourer chaque seconde.'
Voilà voilà! J'espère que ce chapitre de transition vous a plu malgré le manque de moments romantiques hihi je promets un peu plus d'évènements dans les prochains chapitres, qui vont apporter leur lot d'émotions à nos personnages préférés ! Joyeux Noël à tous!
