C'était l'été de sa cinquième année, Harry était horriblement désespéré par la mort de Sirius au point qu'il n'avait ni mangé ni dormi de toute la semaine passée chez les Dursley depuis son retour de Poudlard. La douleur, toujours aussi brûlante que lors de son entretien dans le bureau de Dumbledore, était à présent aussi physique que mentale. Toutes les tortures qu'il s'infligeait pour se punir inconsciemment d'une mort dont il se considérait coupable avaient fini par faire de lui un corps meurtri et gémissant à la capacité de penser au bord de l'anéantissement. Allongé sur le coté, ses bras enserrant ses genoux et les ongles profondément enfoncés dans la peau, il était à nouveau en proie à une de ses crises de désamparement total durant lesquels son corps secoué de sanglots reposait sur le plancher délaté de sa chambre tandis que son esprit errait dans de ténébreux méandres sombres et angoissants où résonnait l'écho de Sirius avec une profondeur infinie...

Ces transes de plus en plus rapprochées ressemblaient étrangement aux rêves qui l'avaient harcelé tout au long de l'année passée, une voix de fille - presque de femme - résonnait. Des pas en fond sonore; trop de pas pour être ceux d'une seule personne, et toujours cette même phrase inlassablement répétée "Lâche moi la grappe Black, tu veux?".

Encore une fois Harry ouvrit brusquement les yeux, desserra l'étau que formaient ses bras et contempla ses genoux couverts de sang. La mystérieuse inconnue qui s'adressait aussi vulgairement à son parrain avait encore frappé. Il s'en voulait terriblement de n'avoir toujours pas dompté la bête immonde qui plantait ses griffes dans son estomac quand la voix prononçait le nom du mort tant regretté sur un ton quasiment insondable ou se mêlaient dédain, dégoût, et -était-ce possible?- désir... Et encore une fois l'adolescent retourna la phrase dans tous les sens, analysa chaque mot, fit résonner la voix dans une énième tentative d'identification mais Lachemoilagrappe, comme il avait fini par l'appeler, lui restait impunément hermétique. Si seulement il arrivait à dormir, ne serait-ce qu'une petite heure, peut-être aurait-il la chance d'en savoir plus? Harry était avide de tout renseignement sur ce défunt qu'il avait aimé comme un père, qu'il avait perdu si vite et dont il ne savait finalement rien. Enfin, il le connaissait mieux que personne, savait exactement comment il aurait réagi dans n'importe quelle situation mais ceci uniquement car ils se ressemblaient profondément, et aussi proche que peuvent être deux êtres, il n'ont jamais le même passé.

Toute l'histoire de Sirius, Harry ne la connaissait pas. Il en savait quelques bribes: il avait été le meilleur ami de son père, ils avaient fait les 400 coups ensemble, il avait ensuite été accusé à tort d'avoir dénoncé ses parents à Voldemort et avait passé plusieurs années à Azkaban, (la fameuse prison magique dont il avait été le premier à s'échapper) pour un crime dont il était innocent et ses années l'avaient irrémédiablement aigri... Alors qu'il lui échappait pour toujours, Harry se raccrochait aux derniers souvenirs de son parrain, un événement passé, une anecdote dépourvue d'intérêt, n'importe quelle bribe d'événement dont Sirius avait fait partie, l'aurait ressuscité le temps d'une mémoire, d'un conte, aussi court fut-il.

Durant ses instants d'éveils de plus en plus rares, il se surprenait à réclamer ces transes. Dans cette saynète d'à peine une minute transparaissait Sirius tout entier. Harry pouvait entendre ses pas, une jeune fille s'adressait à lui, il était donc tout proche mais insolemment inaccessible et Harry brûlait, rageait de ne pas pouvoir soulever, déchirer, lacérer le voile imperceptible mais tellement opaque qui une fois encore le séparait de son parrain...

Sa main se posa sur une feuille de papier froissée: la veille, ou peut-être le jour d'avant, au prix d'un effort considérable il avait rassemblé toute la volonté qu'il lui restait, s'était armé d'une feuille et d'un crayon et avait esquissé une silhouette brune, aux formes parfaites de la pointe recourbée des seins au creux sensuel des reins. Lachemoilagrappe portait une robe de sorcier horriblement avantageuse, paradoxalement frappée aux armoiries de Poudlard. Même dans son état de shoot complet, Harry savait qu'une tenue aussi sexy ne pouvait être l'uniforme de son école. Le crayon gisait toujours à ses cotés, il le saisit et appuya la gomme contre l'écusson représentant les quatre chimères des fondateurs d'une des plus vieilles institutions de magie du monde mais il fut incapable d'aller plus loin, il sentait que sans ces quelques traits approximatifs le personnage ne serait pas complet.

Il n'avait pas du la dessiner dans un état totalement conscient car peu doué pour les arts, une telle prouesse graphique l'étonnait. Mais ce qui le dérangeait le plus c'était cette impression de familiarité qui se dégageait du dessin. Il savait qu'il n'avait pas inventé mais retracé les formes de la fameuse Lachemoilagrappe.

Son crayon toujours posé sur le blason de Poudlard, Harry songea qu'un nom aussi ridicule ne collait pas avec l'élégance envoûtante de cet emblème de féminité. Il avait inventé ce patronyme par souci d'économie, car chaque pensée lui coûtait et que " la fille mystérieuse et anonyme qui s'adresse à Sirius dans ce rêve bizarre (qui n'est pas vraiment un rêve) que je fais " ralentissait sensiblement le rythme de sa réflexion déjà proche du degré zéro. Lachemoilagrappe s'était imposé comme une évidence, tenant compte du fait que "Tu veux?" par sa nature interrogative ne pouvait pas nommer quelqu'un et que penser à Black... C'était comme si un vent glacé s'était engouffré par la fenêtre qu'il n'avait pas eu la force de fermer. Non penser à Black pour quelqu'un d'autre que Sirius était pire qu'un blasphème!

Harry leva donc son crayon de la feuille et chercha un nom plus approprié à son esquisse. Incapable de se concentrer, il resta le regard vide, vaguement planté sur ses genoux pendant quelques minutes qui lui parurent des heures, et, miraculeusement, comme un vieux groupe mythique et séparé faisant un retour sur scène (triomphant bien sûr), quelques aventureux picotements chatouillèrent les yeux du jeune garçon. Harry aurait aperçu la Vierge en personne qu'il n'en aurait pas été plus étonné et réjoui, pris d'un élan d'enthousiasme il ferma ses paupières sur ses yeux brûlants de fatigue et se senti partir victorieusement ver le sommeil!