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Qui es-tu?
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Chapitre 3: Simple impair
La silhouette qui grimpait sur la berge montrait de la peine à la tâche. Elle voulait sans doute se mettre à l'abri des eaux qui revenaient en force emplir le bassin du lac. L'hylien s'avança sur un pont de bois et regarda les flots qui montaient dans un ruissellement puissant, murmurant fraîcheur et vie. Sans écouter son cœur qui protestait contre cette témérité idyllique et n'aurait pas refusé de s'allonger une heure ou deux sous la beauté de ce ciel matinal, le héros s'apprêta à faire demi-tour pour rejoindre sa jument et la solitude de la vaste plaine.
Un corbo alors, piqua, choisissant pour cible à la surprise générale, le Héros du Temps cette fois.
L'hylien avait attrapé son arc, le banda, et la flèche s'élança, parfaitement axée, fendant les airs avec une précision létale pour ne s'arrêter qu'une fois dépassant du jabot du pauvre volatile impétueux. Pour ne pas gaspiller cet élan, il cribla également le reste de la faune approximative ; de quoi être tranquille quelques temps.
En temps normal, il aurait peut-être prit des risques, cherché à s'améliorer, trouvant là une opportunité de s'entraîner. Cependant, il n'était pas moralement disposé à ces futilités ; de toutes les façons, si les sept sages n'étaient pas réunis, puéril serait son entraînement, jamais le gérudo ne serait vaincu.
Pourquoi faire du zèle lorsque celui-ci serait superflu?
Le dernier sage en outre, selon que l'avait dit le premier, n'était autre que la princesse de la Destinée. Incontournable pour le Héros, inaccessible à Link, elle demeurerait pour lui au panthéon des idéaux.
Son regard s'élança de par l'étendue de nouveau cristalline du lac Hylia ; au dessus des cimes lointaines où naissait la douceur de l'aurore. Il lui restait encore deux temples à explorer.
Navi ressentit sa nostalgie et sortit de sa tunique afin de lui déposer au creux de l'oreille quelques mots rassurants. Mais cette fée n'était pas la sienne. Elle le quitterait un jour, il le sentait. Et lorsqu'il le lui demandait, elle se montrait gênée puis acquiesçait.
Ce n'était pas Link pour qui elle se mobilisait tant, elle non plus ne connaissait que le Héros. Et rien n'y changerait. Pourquoi fallut-il qu'il s'y soit attaché? À ce cortège d'acteurs furtifs qui ne laissaient que les faux semblants nécessaires à un destin précis?
Ensuite, tandis que sa conscience ressassait encore culpabilité, doute et désolation pour le noble peuple aquatique dont l'emprisonnement glacial ne semblait guère avoir été ébranlé par la mort de l'Amibe, son regard fut accroché à une silhouette bleue et svelte se tenant sur un îlot éloigné. Il identifia en la personne du jeune homme ce sheikah qui était sans doute venu aiguillonner la suite de son périple. Link resta sur le pont de bois pour que "le Héros", du messager, s'approchât. Et puis ce dernier s'arrêta, sage, à quelques pas du mystérieux personnage.
"Link... ?" le sheikah marqua un temps d'arrêt lorsque l'hylien prit la parole en premier.
"Oh, reprit-il ensuite, Ruto veut me remercier? Je vois... C'est aussi pour elle que nous devons ramener paix et joie en Hyrule."
Le sheikah fit un geste circulaire devant le lit de nouveau comblé du lac et les yeux du Héros s'épanchèrent sur les abondantes eaux.
"Regarde, Link..." murmura le jeune homme d'une voix satisfaite et heureuse. "La bête maléfique a péri. Toi et la Princesse Ruto avez accompli cet acte héroïque. Les eaux pures et claires emplissent à nouveau ce paisible lac."Savait-il seulement que les Zoras ne reviendraient pas?
L'hylien s'avança vers la rive, serrant les dents et, frustré, résistait au besoin de fermer ses poings... Imaginait-il la douleur que son humeur avenante coûtait en souffrance à Link...
Il le haï pour la peine.
Pour combler le vide.
Du moins il essaya car son cœur n'avait jamais apprit à allumer cette flamme là.
... Il n'y parvenait pas de toutes les façons ; ni avec les affreusetés qu'il fauchait à longueur de journée, ni même avec le gérudo qui avait initié le jeu destructeur... Rien à faire. Alors Sheik...
Il laissa sa tête pencher sur sa poitrine, les yeux pleins d'un brouillard confortable ; en vaincu, immobile figurine rendant les armes face à ce douloureux calme.Mais quelle importance puisque ce sentiment ne servait à rien...
Il n'entendit pas les pas légers du messager qui s'esquivait. Il ne le vit pas sauter d'un bond prodigieux digne des plus habiles athlètes de son peuple, sur la cime de l'arbre mort.
Mais il entendit le silence, vit le vide, se retourna et pourtant son cœur battait encore avec plaisir, bercé du confort propre au regard de... du messager sur lui.
Soudain, aussi simplement, tentant la chance, Link leva les yeux.
Et rencontrant ce regard bleu, Sheik décontenancé perdit aussi simplement l'équilibre, laissant échapper un petit cri bien trop aigu dans sa chute...
Le Héros, pareillement surpris de trouver le singulier personnage tout là-haut logé que d'entendre son timbre de voix subitement plus aiguë que d'accoutumée, ne réagit que trop tard lorsque celui-ci se blessa.
Sheik heurta violement le sol chu depuis son perchoir et outre la douleur que lui prodigua sa mâchoire, il sentit dans ses reins une souffrance sourde qui s'étendit dans son corps non sans lui tordre les traits du visage.
Link hésita un peu, encore perplexe, puis se précipita vers la forme à présent si mince et fragile étendue au sol.
Furieux de sa bêtise, se reprochant de s'être attardé, le sheikah se mordit les lèvres derrière ses habits, mais ne résista pas longtemps à la pression de ses terminaisons nerveuses. Il perdit connaissance.
Link s'agenouilla et ausculta le corps ; une tache de sang s'était formée sur le tissu qui enveloppait le cou du sheikah au niveau de son menton. Rassuré de ne pas en trouver nulle part ailleurs, il savait que cela ne garantissait toutefois rien.
Il regarda autour d'eux, or les lieux étaient déserts et l'Amibe géante détruite. Ainsi, déjà, aucune visite monstrueuse ne viendrait ajouter son grain de sel.
Il s'éloigna jusqu'à la cabane du vieil océanologue relativement gâteux et joua le chant de sa jument à l'ocarina. La belle Epona surgit d'on ne sait où, fière et vigoureuse. Chacun de ses muscles puissants roulaient sous sa soyeuse robe chocolat, laissant le vent se jouer de sa crinière claire, un hennissement de contentement la précédait dans l'air. Elle aborda et poussa du museau son maître pour le saluer au lendemain de son long séjour dans le profond temple sous-marin. Le Héros lui flatta l'encolure et empoigna ses reines pour la mener lentement mais sûrement sur le premier pont de bois, lui fredonnant parfois le chant qui lui plaisait tant lorsqu'elle hésitait à avancer. Ils parvinrent en peu de temps à l'îlot où Sheik reposait.
Alors, ouvrant une besace que portait le destrier au flanc, il en sortit quelques cataplasmes. Évidement, si le temple précédent ne lui avait pas coûté la plupart de ses fées et onguents, la tâche lui eût été plus facile et le sheikah, déjà sur pied…
Il s'agenouilla à nouveau aux côtés du blessé et porta sa main sur son visage pour lui ôter les linges qui le couvraient.
Alors, un court instant, il hésita.
Et si ces linges précisément ne faisaient pas que le couvrir... S'ils le dissimulaient?
Mais il refoula l'idée. N'était-elle pas absurde? Sheik n'avait pas besoin de se cacher ; il voulait le bien d'Hyrule autant que lui. Depuis le début de ses peines il n'avait fait que l'aider. Quel besoin aurait un sheikah, ombres parmi les ombres, de se cacher?
Il glissa habilement ses doigts sous le vêtement et le fit glisser vers son cou,
dénudant innocemment des années de travail et de reniement ;
découvrant d'un seul coup les traits d'un visage trop doux...
