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Chapitre 5
Pardon...

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Le premier bruit perçu fut celui des corbos qui emplissaient le ciel, le survolant probablement de leur sinistre vol circulaire. Son être fut de suite secoué d'une crise de toux, rejetant tout le sable qui s'était installé dans son organisme.

Alors, tandis que ses poumons molestés réapprenaient à s'emplir, ses yeux s'entrouvrirent, craignant un soleil éblouissant à son zénith. Mais au lieu de cela, ils rencontrèrent une surface concave qui s'irisait de toutes les couleurs en leur prêtant un effet ombrageant. Il referma les yeux puis ouvrit cette fois un peu mieux leur bleu magnifique au monde. Dans son état de convalescence, son esprit embrumé se laissa surprendre lorsqu'à côté de la gentille lumière de sa chère fée bien vivante, un visage s'afficha au dessus de lui, à l'intérieur de cette bulle étrange qui les protégeait de l'agressivité de l'astre du jour.

Quelque chose trahissant un soupir changea dans le regard rubis qui était posé sur lui. Cependant l'appréhension regagna ces traits pour certaine raison.

Link désirait sourire mais à cet instant, ce vouloir ne dépassa guère les barrières de son esprit ; pas plus que celui de remercier cet ange gardien sublimé. Tout ce que son corps lui permit de faire fut assez surprenant et, de fait, le choqua autant que lui... Il leva, aussi lentement que le permirent ses muscles endoloris, un bras qui emporta avec lui le voile de ce visage ; et avant que l'autre ne s'en rende compte, avec les pauvres forces qui lui étaient revenues, décollant sa tête du sol, il attrapa ces lèvres dans une tendre caresse.

Quelle douceur avait le goût du bonheur! Aussi nouveau que la surprise de l'autre, aussi tendre que la chaleur habituelle de son regard, et savoureux d'une délicatesse...bien peu virile...

Recouvrant la parole, mais oubliant de respirer, tout le cœur saisit d'appréhension, sa voix se délia ; elle chantait encore ; un ton d'enfant aux octaves un peu rayés ou appesantis par les responsabilités. Il s'empressa de demander le pardon de son geste, se rendant ou non compte de ce que la bouche qui avait demandé cette excuse venait de réitérer ce contact impromptu au désespoir d'un cœur hylien dont les battements n'avaient plus de bornes.

Un peu trop sidéré pour réagir, le sheikah, lui, s'était perdu entre le goût, non des lèvres, mais de l'âme de l'hylien qui s'offrait ; et la situation réelle des plus inconcevables...

Pour la première fois celui-ci ne se contentait pas d'écrire ou faire un signe de la tête ; il avait parlé. Et s'était pour Sheik.

La silencieuse harpiste s'était toujours doutée de ce qu'il le pouvait. Seulement il ne le faisait pas. Pourquoi? ...Mystère.

Parce que depuis longtemps Link se mourrait.
Parce que depuis peu, il venait de se manifester.

Ce dernier dut s'excuser une ou deux fois de plus car la volonté qui lui avait fait alors défaut pour s'arrêter n'avait su empêcher quelques autres et plus intimes baisers.

Elle ne pouvait plus le supporter. il fallait que ça s'arrête. Parce que leur lien était vivant et il la pressait elle aussi. Vers un enfant… Mais elle ne voulait pas non plus être celle qui donnerait le coup de grâce et détruire tout ce qui restait de lui ; de Link dans ce cœur de Héros.

Mais elle ne pouvait plus le supporter, non plus.

"Oh, Sheik...je, je suis..." murmura-t-il encore, haletant, entre les lèvres.

Cela suffisait !

Le sheikah se releva dans la mesure où le permettait la paroi qui les entourait ; en l'occurrence à genoux. Il replaça ensuite son vêtement, une lueur menaçante brûlant en ses yeux.

D'une main, il poussa vers lui quelques flacons et linges que Link n'avait pas vraiment remarqués.

"Débrouille-toi." répartit-il en sifflant. Elle...il conservait toujours dans sa voix cette plénitude grave et androgyne qui faisait en sorte de résonner longtemps en son esprit...

Résistant à l'envie de toucher sa bouche, elle croisa les bras et la bulle enchantée lui devint alors très intéressante. Tandis qu'elle la fixait, l'hylien bousculé par les évènements récents, réapprenant à respirer. Incapable de calmer tout à fait son cœur, il se sentit tout d'abord blessé, puis, conscient d'avoir mérité ce traitement, culpabilisant un peu tout de même, se redressa sur un coude. Regardant ce qu'on lui présentait, il but un peu de lait, mais reporta subitement les yeux sur le sheikah, mille questions plus ou moins pertinentes lui brûlant les lèvres.

Mille, dont une bonne partie concernait son propre comportement.

Mais il avait découvert deux choses ; cet étrange et difficilement contrôlable désir à l'objet encore obscur qui s'éveillait au souvenir de la Princesse réagissait tout autant à la vision de celui dont il avait depuis peu découvert le curieux secret. Jusque là c'était clair et pour lui, outre la difficulté de tout comprendre, son innocence effaçait toute culpabilité possible envers l'une ou l'autre de ces personnes.

D'autre part... Sheik semblait désapprouver le contact. Il ignorait pourquoi, et ce fait l'intriguait.

Que pensait-il réellement? Que voyait en lui ce messager des déesses... ; un Héros ou...un...un ami...?

"Sheik... De qui te caches-tu ?" demanda-t-il finalement sur le ton du murmure, conscient de s'aventurer en terrain glissant.

Comme l'autre de cilla pas, le Héros poursuivit: "De... moi ?"

Le concerné se retourna bien vite et dans une effrayante précision. Il saisit un bocal contenant un précipité violet.

"Si tu refuse de te dépêcher, je vais m'en occuper tout de suite !"

Et entraînée par sa contrariété, elle parvint à fourrer une bonne cuillerée de cette pâte suspecte mais efficace dans la bouche du Grand et Courageux Héros du Temps…s'en félicitant par la suite elle-même un peu surprise. Ce dernier avala l'écœurante mixture vitaminée mais stoppa gentiment, puis fermement le bras qui tentait de récidiver. Il remonta avec éloquence son regard à l'encontre des deux yeux ardents. Mais ceux-ci se détournèrent abruptement: "Cela ne te regarde pas."

"Si tu ne veux pas me le dire, je m'y résous. Inutile de t'en inquiéter," répondit doucement Link.

Sheik, par son regard, entoura à nouveau et à son insu le cœur du guerrier de sa douceur. Il trouva dans le bleu innocent qui lui faisait face un sourire sincère qui s'étendait sur tout son visage. Un peu émue, elle en oublia quelques secondes ses problèmes.

"Le mal est fait. Ce n'était pas de ta faute. J'étais resté trop longtemps…" dit-elle ensuite, stoïque.

Link baissa la tête. Alors ses mèches d'or voilèrent ses yeux et son cœur aussi lentement que ses mots quittèrent ses lèvres: "Et tu vas encore partir… Pourtant je n'en parlerai jamais…"

Navi s'assit sur l'épaule de son maître, ne supportant guère de voir sa tristesse.

Sans la gentille fée pour le lui rappeler de temps en temps, le Héros eût déjà oublié comment sourire...

"Je le sais." murmura Sheik.

Il mourait d'envie de détourner le regard, gêné et contrarié, non contre Link, mais de la situation. Seulement… Un homme ça ne se dérobait pas. Ca devait affronter les choses en face!

Alors, comme toujours, elle garda les yeux sur lui sans broncher, qu'importait ce qu'il pourrait dire. Et qu'importait si cela faisait tressaillir ses entrailles.

Les mèches volumineuses qui déferlaient sur son visage aidaient un peu. Elles conféraient à son âme un semblant de cachette rassurant.

"Toutefois… Le problème ne réside pas là. Il se trouve dans ton savoir…" expliqua-t-elle calmement.

"Cela ne change rien, Sheik…" murmura-t-il d'une voix déterminée mais tremblante. "Fais-moi confiance…"

"Je t'entends, mais...c'est déjà fait." rappela-t-elle.

Le Héros fit quelques tentatives, entrouvrant plusieurs fois les lèvres, mais se trouvant toujours incapable d'expliquer ses actes.

Alors se disposant à un aveu notable et plutôt délicat, Link se redressa, assit en tailleur. Les mains moites et le cœur en sueur, il entendait faire ce qu'il pouvait pour ramener la foi.

Il humidifia ses lèvres ; geste anodin mais captivant, à un œil de feu vif, n'échappant. Il pesa le monde, pesa son Sheik, et puis se lança doucement.

"Tu m'avais tant manqué... Je ne savais pas si, si tu...reviendrais jamais... J'ai tellement d'estime pour toi. De l'un à l'autre, ces faits ne varient pas!"

"Ta découverte à pourtant déjà su influer tes actes. T'en semblent-ils depuis...'justifiés'?" siffla la libre sheikah, se dérobant aux jugements ; revêtue de son choix...

...Et couvert de ses droits, l'homme en elle s'imposa.

L'hylien secoua la tête avec force, ses yeux perçants s'installant où ils le désiraient, la porte d'aucune âme n'étant capable de leur résister.

"Comment efface-t-on une erreur? Je ferai oublier celle-ci, si tu me l'accordes."

"Je ne peux pas te reprocher ce que tu ne connais même pas. ...Seulement, le problème existe...et se renouvellera."

Il avait envie de protester et de lui expliquer qu'il était sûr de ne lui vouloir aucun mal ; qu'il pourrait la..le protéger, que... Mais voilà...il doutait que le sheikah ne sache déjà tout cela ; doutait que le problème...ne se trouve là...

Le Héros fronça légèrement ses graciles sourcils. Ce problème dont elle-dont il parlait lui était totalement inconnu, et il ne pouvait pas même y réfléchir ; ce serait grande torture pour le voyageur du temps qui aboutirait à un résultat des moins gratifiants. Aussi il ne chercha pas à en savoir le comment, mais comprenait ce qu'il voulait à présent.

"D'une façon ou d'une autre tu auras bien un rôle à jouer dans cette affaire. Je ne refuse pas mon destin... Je ne renierai pas mes liens," décida-t-il.

"Tes liens..." Sheik s'approcha et posa une main ô combien vivifiante sur sa joue.

"Mais tu ne les connais même pas, ces liens..." dit-il avec un semblant de condescendance qui quitta au plus vite sa voix monocorde.

Son cœur s'emballa par cette caresse prêtée ; cette dernière, peut-être inconsciente de ce qu'elle causait. La main bandée du sheikah reposait toujours sur la joue lisse d'enfance. Cette main sublimée pesant sur le fin voile clair et fragile d'une jeune confiance.

Enfin, la - non le - musicien offrit à l'hylien un billet, puis la bulle enchantée disparut. Les bruits du désert revinrent à l'ouïe et la course contre l'hélianthe reprit.

"Link..." Prononça le sheikah se reculant déjà, ombre trop prompte pour n'être retenue par aucun bras ni regard d'un bleu dévasté ou déçu. "Tu trouveras sur ce papier ce que je n'ai pas su t'enseigner."

Plus tard, l'hylien verrait plus tard. Pour l'instant ce doux mirage allait s'éclipser, et il voulait boire sa présence encore du moins qu'à satiété.

"Nous nous reverrons lorsque les six pouvoirs brilleront sur la sainte lame d'Hyrule," murmura le harpiste sans plus de tendresse ni regret que sa voix n'en comportait naturellement. Du moins…outre cet œil échappant aux mèches cendrées qui trahissait et beaucoup...

Et pas assez...

Un mur de sable plus tard, l'œil cramoisi perdu de vue ; il ne restait que le sable...

Ah mais non, ce mot avait déjà parlé ; à présent c'était à lui de tracer le fil de son histoire, et il l'entendait par le chant de l'épée ; selon que les déesses le lui avaient donné. Réalisant que Sheik l'avait déposé sur un curieux socle de pierre hexagonal non loin du Colosse, il gagna l'ombre de son parvis là où les octoroks n'arrivaient pas.

Et alors, seulement, déplia le parchemin pour y trouver le Nocturne de l'Ombre commenté de: "Je sais que c'est un peu tard. Pardon." Et de: "Mais tu en es responsable!" ces derniers mots manifestement rajoutés à la va-vite au dessus de la portée du Requiem des Esprits.

Un sourire illumina son visage et son cœur.
De quoi achever...