Chapitre 6
Trop jeune pour mourir
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Selon la légende...

Bon gré mal gré, qu'importe.

Il offre son corps au service de la vie ;

Ses bras font danser le fer,
Ses jambes obéissent aux caprices du temps.
Et son esprit, d'idée en idée résolvent l'incompris
Sur le sentier que le destin impose à son âme.

Celui-ci a laissé sa voix et son cœur derrière.
Alors il les a pris, puisque le reste est à Hyrule…

Il n'aurait pas du ;
Ils ne pouvaient, comme ils l'on fait, que le damner.
Et il ne peut plus les quitter.

La force pour ce faire est restée dans les années qu'il n'a pas eues.
Alors le voilà prisonnier avec la mort seule, pour finir son errance.

Couvre mes années d'un manteau de blé
Riche d'abondance, de ta vie et tes danses
Laisse là le reste il ralentirait ; releste!

Je donnerais tout ce qu'on attend
Et plus encore sans jamais redire
Si d'un seul mot tu guéris le temps
Qui a blessé nos ifs et empoté les rires...

l

Mû d'une déplaisante intuition, le Héros chevauchait, laissant sans regret l'immensité du désert pour la plaine aux vallons et collines printanières. Quelle surprise lorsque, à l'issue d'une laborieuse recherche dans le temple majestueux dont chaque couloir cachait foule de pièges plus ingénieux les uns que les autres, Nabooru la très - trop? - exaltée s'éveilla à la conscience de sage! Link sourit se remémorant la propre stupéfaction de l'audacieuse gérudo. Quant aux deux sœurs jumelant leurs sorts contraires dans une recette osée et exubérante, ces vieilles avaient, pour une fois, su amuser le Héros par leur prestation. Ce fut donc sans larmes, mais avec reconnaissance qu'il leur obtint deux auréoles ; curiosités qui les occupèrent ensuite pendant un bon moment, où qu'elles eurent pu aller…

Après ce passage intéressant et ressourçant dans l'enceinte du temple qui jonglait avec les âges, Link du le quitter pour une fois de plus, s'élancer vers l'inconnu.

Il redoutait à présent d'apercevoir le bourg dévasté, et cette anticipation déplaisante n'était point liée à son actuel état délabré…

C'était le lieu de son ultime destination selon le mystérieux et sage Rauru.

Inconsciemment, il allongea son chemin en contournant la ferme Lon-Lon. Il laissa glisser son regard, brouillé d'une nostalgie précoce, sur les barrières gardant l'entrée du lac.

Comme le jour se mourrait, ayant alors poussé son voyage jusqu'à l'orée d'un terrain boisé, il démonta Epona et s'installa sous les ramages accueillants d'un peuplier au pâle feuillage. Il sortit de sa besace un pain de noix et une bouteille de lait, prêt à affronter la nuit, choisissant de ne pas devancer le soleil avec une âme alors trop peu zélée.

Mais le lendemain, le paysage s'assombrit et de denses nuages d'un gris opaque envahirent le ciel de la pleine. Devinant l'averse, rechignant à s'exposer à un rhum, il préféra l'abri feuillu de son arbre bienvenu.

Cependant, le monde et les déesses s'étonnaient du silence de leurs âmes ; ils n'entendent plus le galop rassurant du Héros du Temps qui vers les dangers, encore et encore, chevauchait…

Le jour suivant se passa dans la même étrangeté, sous le ciel couvert d'un décor auquel son Héros se refusait. En l'esprit du jeune hylien solitaire, les questions sans réponse se bousculaient ; les craintes s'amplifiaient, le désespoir s'installait. Tant est si bien que Link risqua son courage.

Farore s'en trouva furieuse et redoubla de colère dans sa tempête, jusqu'à ce que Nayru compatît, et ne vienne et ne la convinsse de s'apaiser puisque la sagesse regorgeait de moyens… De ceux-ci elle usa. Et quant à la plaine en attente, elle se doutait un peu déjà de leur nature.

Émergeant des ombres, svelte être à la peau sombre se découpe sublime dans la tourmente. Fendant la plaine d'un œil ardent, sheikah, promptement, glisse sur la lande vers celui qui bouleverse le monde ; le monde et son cœur.

Il trouva dans le petit coin boisé à droite du sentier menant à la grande forêt un jeune homme de vert vêtu assis dans l'herbe drue, dont le regard assombri évitait de croiser l'horizon. Un puissant destrier alezan broutait selon son bon plaisir dans les alentours. Une petite lueur s'était approprié l'épaule de ce personnage quasiment immobile. Il avait pour une fois posé son long bonnet kokiri à ses côtés, défiant le soleil du chatoiement de ses cheveux blonds mi-longs.

Apprenant de ses erreurs, Sheik parvint cette fois jusqu'à lui à son insu. Il posa alors une main sur son épaule, murmurant à peine son nom pour ne pas réveiller ce paysage endormi et gelé dans son attente :

"Héros du Temps..."

Sans répondre, le jeune hylien agréablement surpris se saisit de la main bandée pour s'assurer qu'elle ne se déroberait pas, puis y appuya sa joue. Ainsi il s'immobilisa à nouveau, la bouche scellée mais le cœur sans repos.

Alors le musicien se découvrit une apathie impromptue. Et tentant de retirer sa main en y investissant une force proportionnelle à son désir de ce faire, il manqua, pour tout résultat, de devoir en abandonner une autre.

"Link!" insista-t-il, sans se défaire face à l'apathie de l'hylien. "Pour que demeure la vie, bien et mal doivent coexister afin de se vouer une combat sans merci. Les ténèbres on élu leur sombre guerrier... Mais Hyrule attend sa lumière. Qui va la leur porter?"

Link inhala ; l'effluve émanant de ce corps délicat le rassura. Il ferma les yeux et un rictus se forma sur ses lèvres.

"Sheik... Sheik..." Le Héros soupira. "Ne t'inquiète pas. Je ne renoncerai pas. Je voulais simplement te voir une dernière fois."

"Songe, Héros," Mais qu'avait-elle... qu'avait-il à l'appeler ainsi? Voulait-il lui rappeler, au cas ou il l'eût oublié, qu'il ne lui vouait en tant qu'être humain aucun sentiment de son gré...? Fallait-il telle mesure de cruauté ? Link ignora son cœur griffé par le temps et les mots du musicien manipulateur, se fermant un peu à la voix de ce personnage. "Songe que le temps ronge une personne chère à ton âme."

"De quoi...parles-tu?" articula -t-il doucement, se refusant de réveiller tout à fait le monde de sa torpeur propice.

"La Princesse à besoin de toi."

Les traits de l'hylien retombèrent. De fait son laxisme causait préjudice à Zelda. Il le savait mais...il savait aussi que Ganondorf s'en servait comme otage. Pour cette raison, il ne lui ferait pas de mal.

Pourtant il soupira.

"Tu dois aller au Temple de Temps, Link. Nous nous y retrouverons. Vas-y maintenant!"

"Sheik..." siffla-t-il entre ses dents. Il se retourna lentement vers le musicien et mystérieux compagnon. "Faisons route ensemble."

Surpris de cette requête, le sheikah ne trouva guère le refuge d'un prétexte.

"... Ce n'est pas possible."

"Pourquoi ?" la question était rauque, spontanné, laissant deviner que celui qui l'avait lancée connaissait déjà la cause de ce choix.

"Toi qui sais tout, tu devrais savoir, dit ce dernier avec une froideur apparente. Pas à l'aveuglette comme mon âme le ressens, pleurant un deuil kokiri ou hylien, non... Tu dois connaître pourquoi elle me presse tandis que mon cœur me crie de ne pas bouger d'ici. Un drame cela se pressent ; cela se perçoit à des lieues à la ronde. ... Sheik, pourquoi te tais-tu? ... Mais que t'importes mes discours ; tu ne réagis qu'aux actes. Tu l'as toujours fait."

Le sheikah réfléchit encore avant de s'accroupir, posant genou à terre. Il rapprocha la tête blonde trop anxieuse de la sienne et ferma les yeux pour que l'hylien n'y trouve pas de condescendance. Alors il ôta le linge qui scellait ses lèvres.

Mais tendis qu'elle se penchait sur lui, Link le repoussa. Trop doucement à son avis…mais il lui était impossible de se montrer violent avec son…ami.

Il porta une main fébrile à sa bouche, faisant volte-face, comme un geste subconscient visant les protéger.

"Les mots sont tout ce qu'il me reste. Laisse ma bouche." murmura l'hylien.

Sheik s'en trouva interdite puis son regard s'enfonça de nouveau dans le cœur de cet enfant bien que celui-ce ne le regardât pas. La douce sheikah posa fermement ses mains délicates sur lui, l'accueillant dans une étreinte impérieuse.

Surpris le Héros ne songea même pas à bouger. Derrières le voile, les lèvres murmurèrent dans son oreille,
la caressant de son souffle, des mots que le royaume et les déesses n'avaient pas à entendre.