Chapitre 6
Trop mûr pour jouer /2


Je suis une ombre, c'est assez simple,
Le fruit d'une décision précipitée par les ténèbres.
Impa ignorait qu'ombre je deviendrais.

Ton destin et ton secours, je jongle tour à tour :
Hyrule, je suis Zelda ; Link, je suis Sheikah,
Et nul ne sait de quoi je suis fait.

Me rendras-tu l'identité, toi, jeune guerrier
Trop jeune pour mourir, trop mur pour jouer ?

Mais que nous a-t-on fait ?

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Ne faisant pas vraiment confiance à son cœur, l'hylien s'efforça de respirer suffisamment afin de survivre à ses sursauts. Entre les bras de Sheik...il n'y avait guère plus doux havre.

"Je connais parfaitement qui tu es...! " déclama celui-ci.

Il lâcha promptement le guerrier, regagnant ses distances habituelles.

"Je ne me suis jamais adressé qu'à toi. "

La nuit autour d'eux, s'était installée et entourait déjà la silhouette sheikah.

"Pour certaines personnes tu comptes beaucoup plus que ce masque. " L'androgyne s'enveloppa des ombres, retournant lentement dans leurs bras.

"N'oublies jamais ça, Link. Ne confonds pas ; je suis leur messager, mais pas leur pantin..." souffla-t-il paisiblement.

Le jeune hylien ne prit la peine de retenir le soupir étranglé qui lui échappa."Ainsi..." murmura-t-il, pourtant plus confiant tandis que son cœur hésitait entre l'euphorie et le désespoir.

"Tu me laisses avec ces mots. Une dernière signature, suprême supplice... "

"Nous nous verrons au temple," rectifia le Sheikah.

"Bien ; alors allons-y ensemble! " ironisa Link. Il secoua la tête lentement.

"Les six sages sont prêts et la légende s'achève. Je n'y peux rien... N'est-ce pas. Toi...tu disparais... "

"Je suis encore là. "

Ces mots étaient vides. Link démentit sans peine.

"Tu t'évapores déjà. Un petit peu. D'abord ton cœur, et puis tes pas. Bientôt ton visage et ta voix. Tu es là, mais tu t'effaces. Très discrètement. Mais jamais assez pour que l'on ne le ressente pas."

Mais tandis qu'il parlait, le Héros en lui repoussa ce désir égoïste ; la loi de Farore, dévorant l'enfant, le fit taire à l'instant. "Un caprice... un caprice d'enfant serait déplacé à présent."

Il s'efforça alors d'effacer les mots regrettés par un large sourire de son secret. Malheureusement, celui-ci couvrit piteusement le désespoir de son âme écartelée. "Tu sais que j'irai," murmura-t-il à peine.

Un long silence s'ensuivit.

Le sheikah, non moins meurtri par l'innocence torturée qui transpirait jusqu'à lui, répéta alors ces mots regrettés.

"Un caprice d'enfant... Et si j'avais le moyen de le réaliser ?"

Décontenancé et effrayé par un espoir nouveau, l'hylien hésita longtemps, fixant cet œil passionné si beau sans ne jamais pouvoir deviner ce qu'il renfermait. Alors il perdit son regard dans les ténèbres de la nuit pour mieux parler.

"... Quoi que fasse le temps, même si on me les rend... Tu sais... Ces années, chuchota-t-il de peur que les arbres n'entendent son cœur parler et que les déesses ne le prennent pour le royaume. Ces années...ont fait de moi le Héros ; un être qui ne peut plus rien faire d'autre qu'apporter la lumière. "

Il partit d'un petit rire amer. "J'ai perdu ma place en Hyrule. Dans un siècle ou un autre, ce sera trop tôt ou trop tard. Entre les pages du temps, j'ai perdu sa mesure. C'est là le sacrifice du Héros... Toi., qui sais tant... Appartiens-tu au futur...?" Le vent siffla doucement entre eux. "Où vas-tu... " souffla Link.

"Le Héros n'y peut rien. Il a fini de jouer et doit, et va terminer son oeuvre. La seule qu'il puisse accomplir."

Link envia grandement l'imperméabilité que démontrait constamment le sheikah. Que lui aurait-il été de plus doux que la mort à l'ouïe de cette confirmation.

"Non, Link!" apostropha l'autre avec une modulation notable de la voix. Du coin de l'œil, l'hylien crut alors le voir faire un pas en avant. Et aussi petit fût celui-ci, il l'en remercia de toute son âme "Je ne disparais pas. Je peux..." Ces mots que Link n'osait écouter, Sheik les prononça avant une courte hésitation.

Hésitation très discrète, mais que l'hylien savait décoder dans la façon imperceptible dont il balançait ses bras.

Mais l'androgyne à la peau mâte se détermina bientôt, satisfaite de son choix.

"Si tu est certain de le vouloir, je resterai. ...Mais un jour il faudra que je meure au moins un petit peu. ...Pour pouvoir rester... Si tu le veux... " expliqua-t-il à cause de ce qu'il était. "Tu ne me trouveras pas au temple du temps. Vas pourtant ; il faut que tu la rencontre."

S'appliquant à respirer convenablement, Link nagait lentement dans une vive euphorie.

"Si tu es là... " murmura-t-il, tremblant et retenant des larmes volées d'enfant. Il se tut un instant.

L'adulte rejaillit dans le regard bleu puissant et ses mots l'âme changea, questionnant "De qui parles-tu ? La Princesse..."

"Qui est-elle Link, que ressens-tu pour la princesse ?" demanda le sheikah d'une voix plus claire et plus haute, rouvrant leur dialogue à Hyrule.

Un silence s'ensuivit avant que la voix ne réponde.

"Je ne me l'explique pas. J'ai besoin d'elle pour vivre..." Étrangement peu rassuré, il termina en chuchotant. "Je crois que je l'aime." Il fronca les sourcils et ajouta. "Très fort."

Sheik acquiesça. "Et je sais à présent ce que tu ressens curieusement pour un homme" commenta-t-elle pour le taquiner, se revêtant encore de son rôle même après avoir failli être démasquée.

L'hylien esquissa une moue, rougissant de sa propre confusion. Si mystérieux-se et déjà si chèr-e, il trouvait en lui - en elle, une essence familière et sibylline. In ne pouvait nier ces paroles, pourtant, Sheik ne remettait pas son rôle en question, et il fallait donc le respecter.

"Héros," reprit gravement ce dernier, "il est normal que ton âme soit liée à la Princesse de la Destinée. Vous vous appartenez selon la volonté des déesses. Outre les pouvoirs même de la Triforce, vous êtes l'un à l'autre dans une certaine mesure."

"Comment...?" murmura-t-il.

"Elle te le dira. Mais..."

Il baissa le ton, destinant ses paroles à Link seul. Sheik tapota un peu sa hanche de son bras, tic neveux traduisant son ennui d'avoir à parler de lui-même.

"L'honnêteté est une merveilleuse vertu, pourtant, il est des vérités inutiles à mentionner."

Comme ils discutaient, une des formes blanches apparut et se mit à flotter gauchement autour d'eux. Sans plus de mouvements, Sheik se saisit d'un couteau attaché à sa cheville et le lança vigoureusement entre les yeux de l'esprit errant. La courte lame alla s'empaler dans le crâne ectoplasmique qui s'évapora laissant à la place une flamme colorée qui s'enfuit. Le feuillage des arbres remua un peu sous la caresse du vent revigorante.

"Tu lui as énormément manqué...toi. Pas moi. Alors...ne lui parles pas de ce qui ne l'intéresse pas..." conclut Sheik. Il acquiesça brièvement et reprit plus fort: "Sois confiant, Héros. Vas achever l'œuvre que tu as menée."

Il rangea la fine lame à sa place et leur regard suivit la brise qui s'élançait vers l'ancien bourg en emportant dans son courant l'or perdu des arbres.

Après un silence, le sheikah ajouta bien plus discrètement, certifiant cette fois son choix: "Si tu est certain de le vouloir... "

Ignorant toujours les secrets que trahissait son regard, il défia le cœur du Héros en trois mots ;
"Nous nous reverrons."

L'hylien ouvrit la bouche pour répondre mais la force de l'émotion l'empêcha de n'émettre aucun bruit. Son regard bleu s'éclaircit doucement et son cœur eut peur d'être à nouveau aspergé d'une neige trop douce...pour fondre sans douleur.

"Cela change tout. Je, je peux continuer ici ; nous voyagerons... " murmura Link toutefois, un peu rafraîchi.

"Non." intervint-elle d'une voix pourtant emplie de tendresse, et elle apparut si vite près de lui qu'il ne sut quand elle s'était approchée. Alors se penchant et posant son front contre le sien elle murmura son nom en frôlant ses lèvres, réchauffant son cœur de son haleine sucrée, faisant délibérément céder la volonté de l'enfant qui portait Hyrule.

Il ferma le bleu de ses yeux par pudeur et les larmes inondèrent la lande de ses joues. C'était à un kokiri qu'elle dédiait ses mots, démontrant ainsi à l'hylien leur pertinence.

"Il faut retourner là où tu as quitté ton chemin. Même si cela est long et pénible. Tu en seras enrichi. Mais je reste. Alors...quand il sera temps...quand tu en en sentiras le besoin..."

Elle déposa un baiser sur le coin de la bouche du Héros.

"... Je te promets que je reviendrai, Link."

Elle se détacha lentement de lui, laissant le destin reprendre son cours dans son âme et sécher d'éventuelles larmes mal tolérées. La vaste plaine d'Hyrule ne devait retrouver que la vision d'un Héros dévoué, taillé de courage, forgé d'honneur et bien entendu ascète.

"Un sheikah ne manque pas un rendez-vous."

Elle replaça le bas de son masque. Il commença alors à reculer vers l'étreinte des ombres où il attendrait patiemment, durant sept ans.

Peut-être plus, peut-être moins… Attendrait que cet hylien qui donnait seul désormais un sens à son existence, décide de sa propre volonté s'il voulait la faire revenir ou non.

Le Héros du Temps acquiesça avec confiance ; avec cette foi dont il avait besoin pour obtenir la victoire, déjà de moitié remportée, sur l'incarnation du mal.

"Link..." prononça enfin la Princesse de la Destinée, confortée de l'accord de la Sagesse, pleine d'une foi nouvelle.

Elle hésita en formulant son adieux, car ces mots qu'elles employaient si souvent n'avaient pas vraiment leur place à cet instant. Elle rectifia de son mieux tandis que le Héros de son Hyrule s'éloignait peu à peu: "À une autre et véritable vie..."

:¤:

Oui nous voyagerons... et tu m'apprendras l'amour,
Tendre Héros, gentil enfant,
Vis pour toi à maintenant.

Tantôt ami, tantôt amante,
Je jouerai pour toi et autant que tu voudras,
Chacun des rôles que tu m'attribueras.
Ainsi peut-être qu'un jour
Tu m
e découvriras,

Moi ;

Z

elda.

Alors nous voyagerons,
Et tu m'apprendras l'amour,
Tendre Héros, gentil enfant.
Je t'en prie seulement, n'écoutons plus le temps..
.

l

l

§os FIN so§

Les notes d'un ocarina, le cri des ténèbres sous la caresse de la lumière,
et la fin devient fenêtre qui s'ouvre