2. Maux
Le Docteur ne peut pas effacer tous les maux de l'univers.
Cela ne veut pas dire qu'il n'essaye pas.
Il essaye, absolument, tout le temps.
Il n'a jamais arrêté, depuis qu'il a commencé à voyager.
Il sait, il sait que c'est interdit. Il sait que son peuple le condamnerait, que son peuple l'a déjà condamné, ses deuxièmes et troisièmes incarnations en ont fait les frais.
Et pourtant, il continue.
Avec désespoir, avec rage, avec détermination, il continue à se battre, quotidiennement, pour combattre les maux rongeant l'univers.
L'injustice lui est insupportable.
Les pleurs silencieux des enfants ne peuvent être ignorés.
Les dictateurs doivent être confrontés.
Les maux doivent être soignés.
Il est un Docteur.
Il soigne et il répare. C'est son mantra, la raison pour laquelle il se lève chaque matin, la raison pour laquelle il continue à voyager, malgré les pertes, les chagrins, les douleurs et les déceptions. Pourquoi découvrir l'univers et ses merveilles, si ce n'est pour les protéger et les améliorer ?
Le Docteur veut aider.
C'est sa raison de vivre, celle qui lui permet de continuer, même lorsque tout semble désespéré.
Surtout, lorsque tout semble désespéré.
Le Docteur n'est jamais autant au meilleur de sa forme que lorsque tout semble condamné.
Le sourire se fera encore plus fou, les commentaires encore plus narquois. La boule éternelle d'énergie qu'est le Seigneur du temps se lancera à cœur perdu dans la bataille, et gare à ceux qui se placeront sur son chemin.
Si les règles sont stupides, les règles doivent être ignorées.
Il n'y a rien qui ne fait autant réagir ce vieil homme fou qu'un appel à l'aide.
La gorge serrée, Jack regarde le Docteur bercer doucement l'enfant dans ses bras.
La tempête est terminée, la terreur passée, le dictateur écrasé.
Jack peut sentir ses mains trembler.
Il n'est pas nouveau dans ce monde, oh, non. Il l'explore depuis des années à présent, vingt ans d'un point de vue linéaire, certainement bien davantage si on prend en compte toutes les erreurs temporelles auxquelles il a été confrontées. Il n'est pas nouveau, non, et pourtant, il se sent trembler comme un débutant, alors que l'adrénaline retombe brutalement.
C'est fini. Ils ont gagné. Un autre jour, une autre bataille, d'autres maux vaincus, radiés, effacés, exterminés.
Un dictateur en moins, un peuple libre en plus. Une nouvelle raison de partager un verre avec le Docteur, de lever un toast bien mérité.
En cet instant, ce même Docteur est occupé à chanter doucement à un enfant, un petit garçon séparé momentanément de ses parents, un enfant en pleurs, un enfant terrifié, face auquel Jack s'était senti immédiatement dépassé.
Donnez-lui des soldats à mener, une personne à sauver, il était votre homme. Mais un enfant en pleurs ?
Jack avait senti son cœur se briser.
Il n'était pas préparé.
La gorge serrée, il avait regardé le Docteur s'accroupir, ses gestes lents mais assurés alors qu'il commençait à échanger avec le garçonnet. Avant qu'il n'ait eu le temps de comprendre, le Seigneur du temps avait soulevé le bambin, le plaçant confortablement sur sa hanche en même temps qu'il commençait à fredonner.
A peine une minute plus tard, l'enfant dormait à poings fermés.
Le sourire du Docteur était doux, plus doux que ce que Jack n'avait jamais vu.
Une gêne intense l'avait saisi, et il avait détourné le regard, les joues rouges. Le sentiment d'intrusion sur une scène à laquelle il n'aurait jamais dû assister avait été tel qu'il avait senti sa peau le bruler.
Certaines questions demeuraient mieux sans réponse.
Jack n'en avait pas pris conscience immédiatement, mais cet instant avait été central dans son évolution.
Comme lui, le Docteur avait été abimé par la vie. Comme lui, il avait perdu, et souffert. Et pourtant, il avait trouvé la force de continuer, utilisant souffrance vécue non pas pour se venger, mais pour aider.
Il voulait être comme lui.
Il voulait être cet homme.
Il voulait aider, protéger, sauver.
Jack avait un Agent du temps pendant des années, mais en conservait un souvenir mitigé, et pas simplement à cause des deux années disparues. Les méthodes et objectifs n'avaient pas toujours été des plus recommandables, le laissant cynique sur l'univers l'entourant.
Mais le Docteur, le Docteur était un homme de bien.
Il protégeait, il sauvait, il combattait les maux l'entourant constamment, parce qu'il le pouvait, parce qu'il le voulait.
Jack voulait être cet homme.
L'homme qui combattait les maux de l'univers, l'homme qui restait, l'homme qui protégeait, quelques soient les chances de réussir.
L'homme qui stopperait les monstres, et ferait sourire les enfants.
C'était une pensée confuse, un sentiment puissant, violent, indescriptible. Si on lui avait demandé de l'expliquer, Jack en aurait incapable. Mais le sentiment était resté, et il ne l'avait plus jamais quitté. La leçon était apprise, le souvenir gravé au fer rouge dans sa mémoire.
Quoiqu'il arriverait, à présent, il ne détournerait plus le regard.
Damn. Etre un lâche avait été tellement plus simple.
Mais Jack n'avait aucun regret.
C'est avec cette même pensée qu'il se tint face au Dalek, au milieu de la poussière de la Station 5, et des corps de ses camarades déjà tombés.
Existait-il un mal pire que ces créatures ?
Jack était fier de les avoir combattu, fier d'avoir aidé le Docteur à gagner suffisamment de temps pour les stopper.
Si cela signifiait en mourir, hé bien, à choisir, il préférait mourir brave que vivre lâche.
Voyager avec le Docteur créait ce genre de sentiments en vous.
