3. Musique
C'était un petit bar typique des années 1920, au centre de la Nouvelle-Orléans.
Pas la planète, non, ou la station spatiale, non, la ville originelle, de la planète Terre.
Jack avait été surexcité.
Le Docteur n'avait pu contenir son amusement en réalisant que son nouveau compagnon était, comme l'aurait si bien dit Rose, un « fan absolu de jazz ».
Leur prochaine destination avait dès lors été évidente.
Quoi de mieux pour développer la passion de Jack que de l'emmener aux sources même de cette musique ?
Le garçon avait été aux anges.
Le duo avait passé la journée à explorer la ville, en arpentant chaque rue pour écouter tous les concerts de jazz improvisés. Le Docteur, bien sûr, n'avait pas pu se retenir, parsemant leur journée de diverses anecdotes sur les musiciens, les types d'instruments employés, et la place capitale en général de La Nouvelle-Orléans dans l'histoire du jazz.
Jack avait été toute ouïe, son amusement se mêlant à sa curiosité et un intérêt réel pour la musique.
Comment le Docteur pouvait-il connaitre autant de choses sur le jazz ? Non, meilleure question, comment pouvait-il connaitre autant de choses sur tout, partout, tout le temps ? Combien d'années de voyages lui avait-il fallu pour acquérir un tel puits de connaissance ? Qui avait-il rencontré pour être capable de distinguer les différents types de saxophone, et connaitre l'évolution de la trompette depuis sa création dans l'Antiquité (Saviez-vous, Jack, que deux trompettes ont été retrouvées dans le tombeau de Toutânkhamon ? Une en or et l'autre en argent, c'est fantastique, vraiment, imaginez, emporter la musique avec soi, même après la mort !) jusqu'à l'apparition du jazz au début des années 1910 ?
Avait-il réellement rencontré Louis Armstrong au cours d'une soirée mythique, comme il l'avait affirmé, ou bien mentait-il comme un arracheur de dents, simplement pour le plaisir de voir le regard de son compagnon s'illuminer ?
-Un jour, il faudra que je le rencontre, Doc, s'était-il exclamé, sa voix enthousiaste résonnant au milieu de la foule.
-Et la Terre exploserait, avait répliqué le plus âgé d'une voix acide, s'attirant une tape joviale sur le bras.
-On ne me fait pas confiance pour me tenir, Doc ?
-Est-ce une réelle question, ou aimez-vous simplement jouer avec mes cœurs ?
-Je connais beaucoup d'autres manières plus agréables pour jouer avec vos cœurs, Doc, si vous me laissiez faire..
-Maintenant, c'est une musique que je ne veux pas entendre.
Le rire de Jack avait résonné dans la foule, avant qu'il n'enveloppe l'épaule du Docteur de son bras, l'entrainant en direction d'un bar d'où émanait des notes caractéristiques de piano.
Le bar dans lequel le Seigneur du temps l'avait emmené pour terminer la journée était un bar typique d'époque, avec son mobilier en bois patiné par les années, et sa petite scène surélevée située au milieu des tables. Si l'énergie exubérante de la ville correspondait totalement à Jack, l'ambiance intimiste de la pièce était bien plus adaptée au Docteur, dont le caractère introverti peinait parfois à supporter trop longtemps d'immenses foules.
Jack ne s'en plaignait pas. Si cela lui permettait d'être assis seul à une petite table avec le Docteur, dans une ambiance tamisée..
Au centre de la scène se tenait une femme d'une quarantaine d'années, vêtue d'une sublime robe rouge à paillettes mêlant splendidement en valeur sa peau métissée. Sa voix grave et chaude résonnait avec aisance dans la pièce, faisant frissonner chacun des spectateurs par sa sensualité. Derrière elle, l'orchestre l'accompagnait avec discrétion mais efficacité, trompettistes et saxophones jouant en rythme avec sa voix.
-Elle est vraiment excellente, murmura le capitaine. Je dirais même.. fantastique.
Du coin de l'œil, il vit un sourire apparaitre sur les lèvres du Docteur.
-N'est-ce pas ?
C'était un sourire large, un de ces rares sourires qui apparaitrait sur le visage du Docteur lorsqu'il appréciait particulièrement un moment et pensait que personne ne le voyait. Un sourire instinctif, simple et détendu, comme Jack n'en voyait que trop peu sur le visage de son ami.
Un doux sourire apparut sur le visage du jeune homme.
La musique avait toujours été capable d'apaiser le Docteur, et cette fois n'était pas différente.
Depuis quand ne l'avait-il pas vu si détendu, profitant simplement du moment présent au lieu d'être hanté par le poids de son passé ?
Le Docteur dut noter son regard, car il tourna légèrement la tête vers lui, haussant un sourcil interrogateur. Jack sourit davantage, avant de se détourner, se concentrant sur la musique.
Peut-être était l'ambiance intimiste des lieux, ou bien la chaleur de la ville. Peut-être était-ce les paroles emplies de sensualité de la chanteuse, ou l'espoir qui émanait de chacun de ses mots.
Jack se sentit.. aventureux.
La gorge sèche, il déplaça légèrement sa main sur la table, en direction du Seigneur du temps.
Son sourire augmenta lorsqu'il sentit les doigts du Docteur frôler les siens.
Le proverbe disait donc vrai.
La musique adoucissait vraiment les mœurs.
