Thomas continuait de la fixer, sans un mot. Un silence pesant s'installa, et Amélia ne comprit pas vraiment pourquoi ce malaise. Le bout de bois qu'elle tenait, était, certes, particulier, mais ce n'était pas une raison pour être dans cet état.

- Qu'est-ce que c'est ? demanda-t-elle, attendant un geste, une parole de son meilleur ami.

Il ne répondit rien, s'avançant simplement vers elle. Il continuait de la fixer, et Amélia crut pendant un instant qu'elle avait la lèpre, tellement il la dévisageait.

Il prit le bout de bois, et une fois dans sa main, il le rangea dans sa poche arrière, délicatement, comme s'il s'agissait d'un objet très précieux.

- Qu'est-ce que…

- C'est un cadeau pour Daniel ! coupa aussitôt Thomas.

Il reprit un air décontracté, et lança un sourire à son amie, toujours étonnée de sa réaction.

- Un cadeau pour Daniel ? répéta-t-elle.

Maintenant, elle voulait en savoir plus, connaître le fin mot de cette histoire, mais surtout qu'il lui dise ce que c'était, à quoi ça pouvait bien servir.

- Oui. Il… Il collectionne les baguettes chinoises depuis qu'il est petit, et pour Noël, je lui offrirais celle-là !

- C'est un baguette chinoise ? questionna Amélia, surprise que ce n'était que ça.

Elle s'attendait presque à autre chose, pendant l'espace d'un instant, elle avait laissé son esprit vagabondé, imaginant ce que ça pouvait être. Une baguette chinoise, seulement une baguette chinoise, elle en était même déçu.

- Oui, mais elle vaut très cher !

Amélia acquiesça seulement à cette remarque. Tout était clair, même si elle aurait préféré quelque chose de plus excitant.

- Je ne savais pas que Daniel faisait ce genre de collection, mentionna-t-elle.

- Oui, moi non plus…, marmonna Thomas.

- Quoi ? reprit Amélia.

- Non, je disais qu'il le cache bien !

Amélia sourit simplement, et retourna dans le salon, perplexe. Elle pensait connaître Daniel, ce garçon qu'elle détestait tant, mais à travers cette exemple, elle se rendit compte qu'en fait, elle savait peu d'éléments sur lui. Les seules fois où ils se voyaient, ils se disputaient, alors forcément, elle n'avait pas le temps de l'apprécier. Peut-être qu'il valait la peine qu'on s'intéresse à lui, peut être qu'il n'était pas si mauvais que ça… En tout cas, il le cachait bien son « bon » côté quand elle était dans la même pièce que lui.

Le reste de l'après-midi se passa sans autre ennui et en fin de soirée, l'appartement ressemblait enfin à un endroit chaleureux et agréable. Amélia et Thomas en firent le tour, pour apprécier leur œuvre.

Tout d'abord, la cuisine reluisait bien plus qu'elle ne devait l'avoir été un jour. L'espace paraissait plus grand, sans tous les cartons de vaisselles qui traînaient auparavant sur le sol et sur le comptoir. Tout était à présent rangé dans les placards au-dessus et en dessous de l'évier, et Amélia avait décoré avec d'anciens objets, comme des moulins à café ou des casseroles en cuivre, qui appartenaient jadis à ses parents. L'ensemble donnait vraiment envie de cuisiner et manger là.

La chambre, quant à elle, resplendissait d'une bonne atmosphère. Le lit en baldaquin d'Amélia avait enfin été assemblé en entier, et les voiles bleus, de chaque côté, donnaient un air de bien être intérieur. Sans parler évidemment des rideaux bordeaux clair qui procuraient un effet d'apaisement. Amélia avait, pour peaufiner, ajouté quelques babioles, sur son bureau ou ses étagères.

Et pour finir, la salon. La fenêtre, avec ses voiles orangers, nous donnait envie d'aller scruté dehors pour voir ce qui pouvait bien s'y passer. Mais le canapé beige nous en empêchait, puisqu'en le voyant si confortable, on ne souhaitait que s'y asseoir, pour regarder la télévision ou simplement discuter avec des amis. Comme dans les autres pièces, Amélia s'était particulièrement appliquée pour la décoration, mélangeant rouge et orange, ainsi qu'une touche de vert grâce aux quelques plantes.

- On a fait du bon boulot ! s'exclama Thomas en admirant l'appartement.

- Oui, c'est vrai ! Merci de m'avoir aidée ! J'y serais encore sinon !

Thomas ne répondit rien. Il resta simplement à admirer la décoration du salon, souriant.

- On va en discothèque ce soir ? s'exclama soudain Amélia.

Mais Thomas ne répondit rien, puisqu'ils furent interrompus par la sonnette de l'entrée.

- Tu attends quelqu'un ? demanda-t-il.

- Non, ça doit être Pascal, mon voisin ! Tu sais je t'en ai parlé : il n'arrête pas de me coller.

Amélia ouvrit la porte, et comme si elle était voyante, Pascal se trouvait de l'autre côté.

- Bonsoir ma jolie ! lança-t-il.

- Salut ! Il te manque encore des œufs ?

- Non, je voulais seulement savoir ce que tu faisais ce soir…

- Je suis très occupée, dit-elle en lui souriant.

Pascal n'avait pas l'air de comprendre pourquoi un tel sourire, mais Amélia fut ravie, puisque pour une fois, elle avait une bonne excuse à lui donner : la présence de Thomas.

- Je te tiens compagnie ?

- Je crois pas que ça t'intéresse, ajouta-t-elle.

- Tant qu'il y a toi et moi, ça m'intéresse ! s'exclama-t-il, un air vicieux sur le visage.

Amélia remarqua qu'il fixait à présent sa poitrine, et elle devina bien vite ce à quoi il faisait allusion. Comment allait-elle s'en débarrasser, elle ne le savait pas encore.

- On ne fait pas ça à trois, mais pour une fois, je peux faire une exception, intervint Thomas en reluquant Pascal.

Amélia, qui ne s'attendait pas à cela, ne laissa rien paraître de son étonnement et entra dans son jeu. Elle se serra contre lui, et tout deux fixèrent Pascal comme s'ils le désiraient. Amélia lui fit signe d'entrer dans l'appartement.

Mais celui-ci, perdu, peut être même un peu choqué, ne sut plus quoi dire. Il finit par prononcer un charabia incompréhensible, qui devait vouloir dire « non, ça ira », et s'en alla aussitôt.

Amélia referma la porte, et tout deux rirent aux larmes.

- Merci d'être venu à mon secours !

- C'était un plaisir ! affirma Thomas, toujours en train de rire.

C'est dans cette bonne humeur qu'ils se rendirent en discothèque. Amélia enfila une robe au décolleté plongeant tandis que Thomas mit une chemise laissant deviner son torse musclé. Pendant la soirée, ils n'eurent pas vraiment l'occasion de discuter, se laissant aller simplement à la danse, saupoudrée d'un grain de folie.

Amélia passa une excellente nuit, oubliant pendant quelques heures tout ses soucis, et le réveil du dimanche fut des plus agréables. En se rendant dans la cuisine, elle aperçut Thomas sur le canapé du salon, toujours en train de dormir. Elle se prépara un petit déjeuner, qui pouvait être considéré comme un déjeuner puisqu'il était déjà une heure de l'après-midi.

Quand elle finit de manger, elle décida de réveiller son ami. En effet, il ne fallait pas qu'il tarde de trop puisqu'il avait de la route à faire pour rentrer.

Il était allongé sur le canapé-lit, la couverture remontant jusqu'à la taille, ce qui laissait entrevoir son torse nu. Il dormait paisiblement, comme un bébé, et pendant l'espace d'un instant, Amélia voulut le prendre dans ses bras. Mais cette pensée la quitta rapidement, quand il commença à bouger et ouvrit doucement les yeux. Un sourire vint illuminer son visage en apercevant Amélia qui le regardait.

- Bonjour ! lança-t-il.

- Bonjour, répondit-elle, j'allais te réveiller, il est une heure passée…

- D'accord, je me lève !

Finalement, après s'être habillé, avoir mangé et fait son sac, Thomas, accompagné d'Amélia, descendit les quelques marches qui menaient à la rue.

- Voilà…, dit-il en déposant son sac à l'arrière de sa voiture.

- Oui…, prononça Amélia dans un souffle.

Thomas lui sourit et dans un élan, la serra dans ses bras. Ils restèrent ainsi, quelque minutes, l'un contre l'autre, en plein milieu du trottoir, sans dire un mot. Ils se lâchèrent enfin, lorsque plusieurs personnes les dérangèrent, voulant passer.

- ça va aller ? demanda Thomas.

- Oui… Merci d'être venu, de m'avoir aider et pour tout le reste…

Amélia commençait à avoir des larmes aux coins des yeux, bien qu'elle essayait de réprimer ses sentiments. Elle n'allait tout de même pas pleurer, pas devant son meilleur ami ! Il lui avait rendu le sourire pendant le week-end, il ne fallait qu'il garde d'elle l'image d'une fille malheureuse…

- Tu sais que je serais toujours là, tu peux compter sur moi !

- Je sais… Merci…

- Arrête de me remercier, s'exclama-t-il en lui prenant les mains, tu en aurais fait autant pour moi, sinon à quoi ça servirait les amis ?

Elle se sentit heureuse à nouveau, et cette fois, les larmes qui coulaient sur ses joues étaient signe de son bonheur intérieur. Il lui tendit un mouchoir avec lequel elle s'essuya les yeux, en souriant.

- Bon, j'y vais, sinon je n'arriverais pas à partir !

Ils se serrèrent encore une fois dans leur bras, suivit des habituels « prend soin de toi ! » et « on s'appelle ! ». Thomas monta dans sa voiture, baissa la vitre de son côté pour échanger encore quelques mots avec Amélia, puis finit par démarrer. Faisant de grands signes avec une main, il utilisa l'autre pour tourner le volant et avancer.

Amélia resta là, sur le trottoir, des larmes coulant le long de son visage, faisant au revoir à son meilleur ami. Il arriva au bout de la rue et s'arrêta au stop. Elle ne bougeait toujours pas, attendant qu'il tourne au coin de la rue et qu'il disparaisse de son champ de vision.

C'est alors qu'elle eut la sensation bizarre que la voiture reculait. Sûrement son imagination qui lui jouait des tours, réalisant ce qu'elle souhaitait au fond d'elle. Mais elle se rendit rapidement compte que ce n'était pas son imagination : Thomas reculait.

Elle fit quelques pas dans sa direction, jusqu'à ce que la voiture arrive à sa hauteur. Thomas baissa la vitre, tandis qu'Amélia se rapprocha de la voiture pour être à son niveau.

- Je voulais te dire quelque chose, lança-t-il.

- Oui ?

Il éteignit son moteur et descendit de la voiture. A ce moment précis, de nombreuses choses passèrent par la tête d'Amélia. Elle l'imaginait en train de dire qu'il l'aimait et voulait rester à ses côtés toute sa vie ! Mais elle chassa vite cette idée en se rendant compte de son absurdité : ce n'était que son ami, rien d'autre !

Arrivé sur le trottoir, à sa hauteur, il demanda :

- Est-ce que tu veux venir passer Noël à la maison ?

Amélia ne s'attendait pas à cela, et d'ailleurs elle n'avait même pas encore pensé à ce qu'elle ferait à Noël. Sans plus attendre, et sans hésitation, elle accepta l'invitation. Après tout, si elle pouvait revoir Thomas le plus vite possible, elle était prête à dire oui à tout.

- Très bien, continua Thomas visiblement ravi, appelle moi pour me dire à quelle heure tu viendras, et je te chercherais à la gare. Au revoir!

Et il remonta dans sa voiture, redémarra et roula. Son arrêt au stop laissa Amélia songeuse, se demandant s'il reculerait à nouveau. Mais cette fois-ci, il continua son chemin, tournant à droite, et disparut.

Après quelques instants, elle se décida à retourner dans son appartement, sentant le froid hivernal l'envahir. En montant les escaliers, elle pensa au fait qu'elle passerait Noël pour la première fois, sans ses parents. Cela aurait dû l'attrister, mais il n'en fut rien. Passer cette fête chez la famille de Thomas serait un peu comme être en compagnie de ses parents, dans un foyer chaleureux, et cette idée lui fit remarquer qu'en fin de compte, le week-end s'était bien terminé !

Tout à coup, elle percuta quelque chose, ou plutôt quelqu'un : Pascal se tenait face à elle, arborant son sourire de top model.

- J'aime quand tu me bouscules ! affirma-t-il d'un air vicieux.

Amélia ne répondit pas et voulut simplement passer son chemin. Mais Pascal lui bloqua le passage.

- Laisse moi passer, s'il te plaît !

- Il est parti ? demanda Pascal en ignorant totalement le souhait d'Amélia.

Celle-ci s'arrêta un instant, le fixa, étonnée.

- Oui, mais ne t'en fais pas, ajouta-t-elle avec un sourire narquois, la prochaine fois qu'il vient, on t'appellera.

Croyant que cela allait le calmer, elle essaya de se faufiler, mais il ne s'enlevait toujours pas. Apparemment l'idée du ménage à trois ne le dérangeait plus maintenant que Thomas était loin.

- Laisse moi passer ! ordonna-t-elle, la colère montant en elle.

- Ce n'est pas un type pour toi, s'exclama Pascal avec pour une fois l'air sérieux.

- Qu'est-ce que tu en sais ? Tu ne le connais même pas !

Pascal retrouva soudain son expression d'arrogance sur le visage, tout en affirmant :

- Ce qu'il te faut, c'est un homme qui saurait te faire grimper au rideau !

Amélia, habituée des remarques particulières de son voisin, le fixa, un petit sourire aux coins des lèvres, et lança :

- Thomas est le meilleur amant du monde…

Pascal sourit, et elle sentit qu'il allait lui répondre quelque chose de bien penser, peut être même quelque chose qu'il voulait lui dire depuis un long moment.

- Je ne t'ai pourtant pas entendu crier ce week-end !

Amélia en eut alors assez. De quoi se mêlait-il ?

- Laisse moi tranquille, ça ne te regarde pas !

Et elle réussit à se frayer un passage pour entrer dans son appartement. Elle claqua la porte derrière elle, puis à moitié en colère, entendit Pascal hurler :

- Avec moi, tout le quartier t'aurait entendu !

Mais pour qui se prenait-il ? De quel droit pouvait-il juger la relation entre Thomas et elle ? Et puis elle n'avait pas besoin de crier pour éprouver du plaisir…

Soudain, Amélia revint sur terre : qu'est-ce qu'elle racontait ? Il ne se passait rien entre elle et Thomas, c'est normal que Pascal n'avait rien entendu ! Pourquoi avait-elle eu besoin de lui répondre ? Que lui arrivait-il ?