8. Règle
Voyager avec le Docteur, découvre rapidement Jack, est accepter de se soumettre à une quantité de règles hallucinantes.
La plupart lui sont édictées dès son premier soir, d'autres apparaissent les jours suivants, alors qu'il s'installe lentement sur le Tardis.
Les premières concernent ses interactions sociales avec Rose.
Oh, Jack n'a pas besoin qu'on lui dise de ne pas flirter avec elle – pas sérieusement, en tout cas. Il est évident que la blonde n'a yeux que pour le Docteur, et celui-ci le lui rend bien, même si, à la grande stupeur de Jack, il apparait rapidement que rien n'en a découlé.
Comment ces deux-là peuvent-ils continuer à nier la vérité alors que leur amour est aussi criant, le capitaine n'en a aucune idée.
Il doit l'admettre, il n'a pas pu retenir un sourire moqueur lorsque le Seigneur du temps lui a expressément interdit de flirter avec elle.
-Ne vous inquiétez pas, Doc, je ne suis pas aveugle. La blonde est tout à vous.
L'autre homme le fusille du regard, mais ne commente pas, malgré sa jalousie évidente. Il préfère enchainer sur d'autres règles, un peu plus contraignantes, mais relativement acceptables.
Pas de nudité sur le Tardis.
Une honte, vraiment, Jack aime être dans une tenue confortable en privé. Mais comme lui rappelle vertement le pilote de son nouveau vaisseau, Rose est originaire du XXIème siècle terrien, et les coutumes y étaient très différentes. La nudité y était alors principalement associée aux relations sexuelles, en particulier entre deux membres de sexe opposés. Un fait que Jack trouve absolument absurde, mais il a suffisamment voyagé dans le temps pour s'avoir s'adapter.
(Le fait que la pointe des oreilles du Docteur devienne rouge pendant son explication ne fait pas naitre un sourire narquois sur ses lèvres, non, absolument pas)
Pas de blague sur le sexe dans le Tardis.
La seconde règle découle de la première, clairement. Jack roule des yeux, mais hoche la tête, sachant déjà qu'il ne la tiendra pas. La justification du Docteur tient toujours sur les origines de Rose, mais le capitaine doit l'avouer, il n'est que moyennement convaincu. La jeune femme n'était en rien gênée lorsque tous deux flirtaient sur la Tour de Londres, ou – Jack en a encore le sang en feu – lorsqu'elle dansait avec le Docteur.
Non, la véritable explication réside en un mot très simple.
Jalousie.
Jack n'est pas aveugle, le Docteur le considère comme une menace, et pas simplement en terme de sécurité de l'espace-temps.
Le Seigneur du temps est peut-être incapable, ou non désireux, de faire avancer les choses avec Rose, mais cela ne l'empêche pas d'agir comme un ours possessif autour d'elle.
Jack en serait vexé, si la situation n'était pas si cocasse.
Comme si Rose aurait répondu à ses avances.
Oh, la blonde n'est pas aveugle, et certainement pas timide. Mais son flirt ne consiste qu'en cela, du flirt : il n'existe qu'une personne qu'elle désire réellement, et Jack n'est pas désireux d'abimer leur relation pour un moment de plaisir égoïste.
Malgré les apparences, lui aussi a des règles.
La suivante ne l'a pas surpris, même si elle l'a laissé dépité, et mélancolique.
-Restez loin des moteurs du Tardis, Harkness.
Cela fait sens, vraiment. Jack est un pilote lui-même, il connait la relation unique reliant chacun d'entre eux à son vaisseau. Lui non plus n'aurait pas accepté de laisser un inconnu toucher, ou entretenir ses moteurs. La simple pensée lui hérisse le poil, et c'est pourquoi il reste d'abord éloigné de la console, malgré son désir grandissant de pouvoir la toucher, et l'explorer.
(Lorsque cette règle change, le jour où le Docteur lui demande son aide pour la première fois, le capitaine est euphorique. S'il existait une preuve que le Seigneur du temps lui faisait à présent confiance, c'était bel et bien celle-ci, et Jack aurait préféré se couper la main lui-même plutôt que de faire quoique ce soit pouvant entacher cette évolution de leur relation)
Il existe des règles, cependant, qui sont plus difficiles à accepter.
Le pacifisme du Docteur, par exemple, est souvent source de tensions.
-Pas d'armes sur le Tardis, énonce-t-il très clairement dès le premier soir. Etant donné que l'homme avait remplacé en plein chaos son magnifique pistolet sonique par une banane (excellente source potassium, avait-il eu le culot de lui affirmer !), Jack n'est pas franchement surpris.
Cela ne veut pas dire qu'il est d'accord.
S'il existait une règle sur laquelle les deux hommes s'opposaient, c'était bien celle-ci.
-Mes pistolets m'ont souvent sauvé les fesses, Docteur ! Vous êtes peut-être un incorrigible rêveur, mais certains d'entre nous vivons dans le vrai monde !
-J'obtiens les mêmes résultats que les vôtres avec mon tournevis, capitaine ! Tout le monde n'a pas besoin de tuer pour se sentir en sécurité !
-Tuer ? Qui parle de tuer ? La menace suffit souvent à les faire reculer !
-Besoin de compenser, Jack ? On ne se sent pas assez fort tout seul ?
Les disputes étaient légion.
-Vous faites ce que vous voulez de votre vie, Docteur, mais vous ne m'empêcherez pas de me défendre ! Je ne suis pas une gamine de dix-huit ans sortie des jupes de sa mère, je sais me débrouiller !
-Vous savez tellement bien vous débrouiller, que vous avez manqué détruire la Terre, fut la réponse sifflée avec mépris et froideur.
Le Docteur la regretta immédiatement.
Avant qu'il n'ait eu le temps de s'excuser, cependant, Jack avait reculé, son visage blême.
-Jack, souffla-t-il, mais le jeune homme secoua la tête, son expression écœurée.
-C'est donc ce que vous pensez de moi. C'est comme cela que vous me voyez. Un tueur, rien de plus ou de moins.
-Quoi ? Non ! Non, non, non, Jack…
Qu'avait-il dit ? Qu'avait-il fait ? Le Docteur tendit la main, tentant de se rapprocher de son compagnon, mais celui-ci recula davantage, son regard bleu tordu par la colère – et, réalisa avec culpabilité le Seigneur du temps, la honte.
Jack ne s'était jamais pardonné son erreur en 1941, et le Docteur venait juste de rouvrir la plaie.
-Quoique je dise, quoique je fasse, cela ne changera rien, hein ? Vous et vos belles paroles, siffla le jeune homme. Vous souriez, et vous riez, vous parlez d'amitié, de pardon, de rédemption, mais au fond, vous m'avez déjà jugé. Je suis peut-être un tueur, Docteur, mais au moins, je ne suis pas un hypocrite, cracha-t-il avant de tourner sur ses pieds et quitter en trombe la salle des contrôles.
Le Docteur demeura immobile, son expression abasourdie.
Il ne reprit conscience de son environnement que lorsqu'un choc électrique traversa brutalement sa main, le faisant crier.
-Aoutch ! C'était pourquoi, cela ? Aie ! hurla-t-il, furieux, lorsque le Tardis le zappa une nouvelle fois. Je sais ! Je sais ! Je.. Je ne voulais pas.. Ses épaules s'affaissèrent, avant qu'il ne laisse tomber son visage entre ses mains. Je ne voulais pas..
Un souffle froid lui répondit.
-Je sais, souffla-t-il. Je suis vraiment allé trop loin cette fois, hein ? Un son hautement réprobateur résonna depuis le plafond. Je sais.. J'irai le voir.. Aoutch ! pesta-t-il lorsque le vaisseau l'électrocuta de nouveau. Maintenant ? Tu plaisantes ! Aoutch !
Clairement, le Tardis ne le soutiendrait pas cette fois.
Mais il ne le méritait pas, n'est-ce pas ?
Il avait été rude, désagréable, insultant envers un de ses compagnons.
Humiliant.
Mauvais.
Il avait honte, si honte.
Pourquoi n'arrivait-il pas à communiquer avec Jack sur ce sujet ?
Pourquoi n'arrivait-il pas à lui expliquer ?
Jack était un soldat. Un homme traumatisé par son passé et les nombreuses violences vécues. Un survivant, qui n'avait souvent dû son salut qu'à sa maitrise parfaite du combat et son sens aigu de l'analyse.
Le Docteur en avait rencontré beaucoup, beaucoup d'autres.
Mais il n'en avait accueilli aucun sur le Tardis.
Etait-ce pour cela que leur relation était si explosive ?
Jack était un miroir de tout ce que le Docteur détestait.
Tout ce qu'il avait été.
La Guerre, la Guerre du temps était toujours parfaitement inscrite dans son esprit, et chaque centimètre carré de son corps. Le traumatisme avait été tel, la honte de ses actes si violente, que chaque acte du Seigneur du temps était depuis dicté par ses souvenirs.
Plus jamais, il ne sombrerait dans une telle violence.
Plus jamais, il ne romprait son serment.
Toujours, il serait un Docteur.
Un homme de bien, un homme bon.
Jamais cruel. Jamais lâche. Ne jamais abandonner. Ne jamais renoncer.
Il semblerait qu'il venait de rompre son serment, une nouvelle fois.
Et de la pire des manières, puisque cela avait été en retournant une des faiblesses d'un ami contre lui.
Le Docteur baissa la tête, tenaillé par la honte. D'un pas lourd, il se dirigea vers la chambre de son compagnon.
Sans surprise, Jack ne répondit pas lorsqu'il frappa à sa porte.
Le Docteur laissa tomber sa tête contre le battant, honteux.
Méritait-il autre chose ?
Jack n'avait aucune raison de vouloir lui parler.
Mais il devait s'excuser. Il devait faire amende, à défaut d'être pardonné.
Est-ce que Jack voudrait s'en aller ?
Cette simple pensée le terrifiait.
Ils commençaient à peine à se connaitre.
Le jeune homme était arrivé depuis si peu de temps, à peine quelques semaines, le Docteur avait la sensation d'avoir à peine effleuré la surface de l'être qu'il était.
Il en avait déjà beaucoup appris, cependant.
Suffisamment, pour comprendre que les règles qui avaient jusqu'ici régi la vie de Jack, étaient diamétralement opposées aux siennes.
Ce n'était pas sa faute, cependant.
Vous ne choisissiez pas les circonstances dans lesquelles vous grandissiez.
Jack n'était pas Rose. Peut-être avait-il connu une enfance heureuse, mais quelque chose de suffisamment grave était arrivé pour qu'il s'enfuit et s'engage dans l'Agence, sans jamais se retourner.
Le Docteur était suffisamment familier avec ce genre de situation pour pouvoir former une série d'hypothèses plus ou moins précises.
Aucune d'elle, cependant, n'était joyeuse.
Jack avait besoin de ses armes, comme lui avait besoin de son tournevis sonique. Elles étaient son bouclier, sa carapace face au monde, tout autant que son charme et ses sourires. Le renier était refuser de le comprendre, et l'accepter tel qu'il était.
Refuser de l'aider.
Jack avait besoin de ses armes pour se protéger, car il n'avait personne d'autre pour le veiller.
L'Agence l'avait trahi.
Aucun partenaire n'était venu la remplacer.
Le capitaine avait été seul, face au reste de l'univers. Seul avec ses peurs, seul avec sa colère. Seul, sans personne pour le soutenir, ou le rassurer, ou le guider.
Le Docteur soupira, une nouvelle vague de honte le frappant.
-Je suis désolé.
Si Jack ne le laisserait pas rentrer, alors il resterait ici, devant la porte. La règle avait été instaurée, et le Docteur, cette fois, ne serait pas l'homme qui la briserait.
Sa voix était basse alors qu'il parlait, chacun de ses mots marqués par la honte qui le rongeait.
-Je n'aurai pas dû.. C'est tout moi, cela. Je parle sans réfléchir. Rose me le reproche constamment. Elle me dit de tourner ma langue sept fois dans ma bouche avant de l'ouvrir, pour voir si ce que j'allais dire serait si important. Souvent, je me rends compte que non. Que j'allais mal m'exprimer, blesser quelqu'un, encore, surement. Je suis doué pour cela, blesser les gens. Comme vous, Jack. Un soupir lui échappa. Je ne vous blâme pas, Jack. Je déteste les armes. C'est ainsi. J'ai mes raisons. Je les hais, plus que je ne pourrai jamais le dire. Il serra son poing, l'écrasant contre la porte en même temps qu'une onde de colère le saisissait. Je les ai vues à l'œuvre. Je les ai employées, admit-il très bas, ses cœurs se brisant à cette pensée. Je pense que … c'est assez évident. Que je les connais. Trop. Beaucoup trop. J'ai fait la guerre, Jack. Trop. Beaucoup trop. Trop longtemps. J'ai vu des choses.. Il ferma les yeux, l'horreur de la Guerre du temps fondant de nouveau sur lui, l'enveloppant de sa noirceur et ses crimes. J'ai.. fait… des choses.. Sa voix se brisa. Je ne peux pas vous laisser vous perdre sur ce chemin vous aussi, Jack. Il y a mieux. Beaucoup mieux. Il y a d'autres moyens. Il doit y avoir d'autres moyens, siffla-t-il en frappant de nouveau la porte, sa haine de lui-même émanant de chacun de ses mots. Mais vous ne pouvez pas le savoir, hein, Jack, mon garçon ? Vous n'avez connu que cela, pendant si longtemps. La violence. Elle fait partie de vous. Elle est inscrite dans vos gênes. Quand je vous regarde..
Il pressa la tête contre le battant de bois, désespéré.
-Quand je vous regarde, Jack.. J'ai l'impression de me voir, en déformé.. Nous sommes si semblables, vous et moi, mais aussi si différents.. Et je déteste cela, je déteste vous voir, et me souvenir.. Mais ce n'est pas vous, Jack. Vous n'êtes pas le problème. C'est moi.. Une larme coula sur sa joue. Je suis désolé, Jack. Vous méritez mieux. Mieux qu'un vieil homme aigri. Je vous ai blessé.. et je n'aurai jamais dû. J'imagine.. que c'est plus simple de s'en prendre à vous, à tout ce que vous symbolisez.. plutôt qu'à moi-même. Un rire sans joie lui échappa. Un lâche, moi. Un vieil homme lâche, et stupide, qui parle à une porte, parce qu'il a trop peur de l'ouvrir, et de vous faire face. Ses épaules s'affaissèrent. Je suis désolé, Jack.. Je ne.. J'imagine qu'il vaut mieux que je me taise, à présent. Je vous laisse tranquille, souffla-t-il, ses cœurs se brisant en même temps qu'il se détournait.
Il ne s'attendait pas à voir la porte s'ouvrir.
Il ne s'attendait pas à faire à Jack, et son regard bleu humide mais perçant.
Pendant un instant, un court instant – un millième de dizaine de seconde – il imagina s'enfuir. Cette pensée disparut aussi vite qu'elle était apparue, cependant, et il se redressa, prêt à affronter la légitime colère de son compagnon.
Celui-ci, cependant, demeura silencieux, ses yeux rivés sur lui en même temps qu'il se rapprochait, ses mouvements lents et tendus.
Le Docteur sentit une nouvelle vague de haine contre lui-même l'envahir.
Bien sûr.
Jack avait peur.
Il avait provoqué cela.
Combien de temps avant qu'il ne blesse Rose de la même manière ?
Les yeux de Jack cherchaient les siens, son expression impénétrable lorsqu'il s'arrêta face à lui.
Les poings serrés, le Docteur se redressa, croisant enfin son regard.
Quoique Jack y cherchait, il dut le trouver, car il hocha lentement la tête, semblant satisfait. Le Docteur se tendit en le voyant lever la main, mais le jeune homme la posa sur son bras, le pressant gentiment, presque timidement.
-Ok.
Le Docteur cligna des yeux, confus. Jack roula des yeux, avant d'ajouter :
-C'est ok, Doc. Je vous pardonne.
-Vous.. Quoi ?
Le Seigneur du temps le fixa, perdu. Le jeune homme se frotta le bras, gêné.
-Je.. Je suis désolé, Docteur. Je ne.. Je ne peux pas promettre que.. que je changerai complètement.. mais je.. j'essayerai, murmura-t-il, son regard se faisant fuyant.
Les cœurs du plus âgé se serrèrent.
Avec gentillesse, il vint presser son bras à son tour, tentant de convoyer ses sentiments dans le geste.
A en juger par le regard humide de Jack, il avait dû réussir.
-Je sais, murmura-t-il. Je vous crois, capitaine.
Celui-ci baissa la tête, clairement honteux.
-Doc, je..
-Jack. Vous n'avez pas à vous excuser. Vous ne.. Il se mordit la lèvre. J'ai été ignoble, murmura-t-il finalement. Je n'aurai jamais dû… Je ne mérite pas votre pardon, marmonna-t-il très bas.
Le capitaine secoua la tête.
-Ce n'est pas à vous d'en décider, Doc. Son expression s'assombrit. Je sais ce que je suis, Doc. Il n'y a besoin de tourner autour du pot.
-Jack. La voix du Seigneur du temps s'adoucit, en même temps qu'il venait essuyer les traces de ses larmes sur ses joues. Je ne vous juge pas. Je.. Si je le fais, alors j'ai tort. Tout le monde peut commettre des erreurs. Tout le monde a le droit d'être pardonné, et de recommencer.
Jack renifla, ses joues étrangement rouges.
-Si vous le dites, Doc.
-Je le dis, répéta ce dernier avec fermeté. Et je dis, que vous êtes mon compagnon, Jack, à part entière. Il n'y a aucune différence entre vous et Rose. J'ai eu tort de vous traiter différemment, à cause de préjugés stupides.
-Je ne vous blâme pas, Doc.. Jack soupira. Je ne suis pas exactement digne de confiance.
-C'est là que vous vous trompez, Jack, mon garçon, murmura le Docteur en pressant son bras. Vous ne seriez pas là si je n'avais pas confiance en vous. Il secoua la tête, ajoutant fermement : Je n'ai qu'une seule règle concernant mes compagnons : ils sont tous les bienvenus, qui qu'ils soient.
Le capitaine détourna la tête, son émotion évidente.
-Si vous le dites, Docteur, murmura-t-il.
Tant de doutes dans sa voix. Le Docteur sentit son cœur se serrer.
Sans surprise, Jack peinait à le croire.
A lui de lui prouver l'honnêteté de ses mots.
Le Docteur pressa son bras plus fort, déterminé.
A lui d'adapter ses règles, pour prouver à Jack qu'il était digne d'être aimé.
