14. Départ


Ainsi c'était fini.

Qui aurait cru que ce serait si rapide ?

Lui, sans aucun doute, s'il ne s'était pas leurré.

Vraiment, il ne pouvait s'en prendre qu'à lui-même.

Cela avait été si évident.

Comme avait-il pu croire que les choses fonctionneraient ?

Ils étaient trop différents.

Mais Jack s'était surpris à espérer.

Pour la première fois depuis des années, peut-être même encore plus qu'à l'Agence, il avait cru trouver quelque chose qui faisait sens.

Des amis.

Une famille.

Un cadre de vie.

Et il avait tout détruit.

Bien sûr.

Il détruisait toujours tout, après tout.

Sa mère n'avait eu de cesse de le lui répéter.

Jack la haïssait.

Jack se haïssait.

Jack haïssait l'univers entier, pour l'avoir ainsi manipulé.

Pourquoi lui offrir un cadeau aussi extraordinaire, pour ensuite le lui reprendre ?

Il n'avait pas eu le choix.

Ce n'était pas sa faute.

Le garde allait tuer Rose.

Jack avait vu rouge.

En un instant, il avait traversé l'espace les séparant.

En un instant, il s'était interposé.

En un instant, il l'avait tué.

Le son de la nuque se brisant avait résonné avec plus de violence qu'il ne l'aurait imaginé.

Peut-être, parce que depuis qu'il avait rejoint le Tardis, Jack avait appris à rejeter la violence.

Le Docteur la haïssait.

A son contact, Jack avait essayé de changer.

Il ne se leurrait pas sur qui il était, non. Mais le Docteur croyait en lui, et personne n'avait autant cru en lui en des années, si ce n'était jamais, et Jack avait voulu espérer.

Il avait voulu rendre fier, cet être extraordinaire.

Voulu être à la hauteur, de tout ce que cet homme voyait en lui.

Voyager avec le Docteur provoquait cela.

Vous ne pouviez pas juste rester en arrière : le Seigneur du temps vous regarderait, et soudainement, c'était toutes vos croyances qui s'écroulaient.

Jack avait voulu le rendre fier.

Et à présent, il le haïssait.

N'est-ce pas ?

Quoi d'autre ?

Jack avait tué.

Il ne regrettait pas, non. Il avait sauvé Rose. Mais le regard du Seigneur du temps..

Jack en aurait pleuré.

Il ne l'avait pas regardé. Il n'avait pas osé. Mais il pouvait le sentir, le poids de son regard sur sa nuque, si fort, si intransigeant, si puissant.

La déception avait dû le faire briller.

L'écœurement, aussi, surement.

Le Docteur ne lui avait pas parlé, et c'était le meilleur indice pour indiquer à Jack ce qu'il pensait.

Un sanglot lui échappa.

Avec rage, il frappa du poing le mur de sa chambre, furieux.

Un humement blessé résonna, et il sursauta, avant de caresser la paroi.

Pardon.. Pardon.. Oh, je suis désolé, je ne voulais pas.. Un souffle triste. Jack renifla. Je sais. Je n'ai pas le choix, hein ? Il ne voudra plus de moi. Une série de bruits mitigés résonna. Pas besoin d'essayer d'être gentille, vieille fille.. C'est évident.. Oh, tu vas me manquer, souffla-t-il.

Il ne voulait pas partir. Il ne voulait vraiment pas. Jack était heureux sur le Tardis, plus heureux qu'il ne l'avait été depuis des années. Mais il n'avait pas le choix. Il ne pouvait pas rester. Faire face à Rose, et son écœurement.

Faire face au Docteur, et son jugement.

Depuis quand l'avis du Seigneur du temps comptait-il autant ?

Jack n'avait jamais laissé personne s'infiltrer autant dans son esprit. La simple perspective l'avait toujours terrifié, mais le Docteur avait été différent.

Le Docteur l'avait guidé, jaugé, tancé, provoqué, poussé dans ses retranchements, le forçant à donner le meilleur de lui-même, et rien d'autre.

D'abord irrité, Jack était devenu fasciné.

Mais c'était terminé.

Dans un soupir lourd, il se laissa tomber contre le mur, s'affaissant lentement sur le sol. Ses yeux se posèrent sur son sac, et un sourire amer se forma sur ses lèvres.

Etrange, comme préparer son départ avait été si pénible.

Partir n'avait jamais été si difficile, auparavant.

Mais c'était avant.

Le Docteur..

Jack laissa tomber sa tête entre ses mains, contenant en vain ses pleurs.


-Aoutch !

Le Tardis l'avait zappé, encore !

Le Docteur secoua sa main, avant de fusiller la console, furieux.

Qu'est-ce qu'il y a ? Hé ! pesta-t-il lorsqu'un choc d'électricité statique traversa sa main. Mais cela ne va pas ? Qu'est-ce qui t'arrive ? Quoi ? Quoi, Jack ? fronça-t-il les sourcils, lorsqu'un humement irrité résonna par-dessus lui. Il a besoin de calme, je..

Un cri lui échappa, en même temps qu'une série de flashs traversaient son esprit.

Jack. Seul, dans sa chambre. Un sac, à côté de lui. Mal, si mal, le Docteur avait si mal. Pourquoi avait-il si mal ? Il était seul. Il avait peur. Il avait toujours été seul, jusqu'à maintenant. Non, avant. Depuis peu. Le soleil, l'espoir. Des amis. Mais c'était fini. Il était seul, si seul. Il avait froid, si froid, dans son cœur.

Son cœur ?

Le Docteur avait deux cœurs.

De qui ressentait-il les émotions, si ce n'était pas les siennes ?

Mais c'était les siennes.

C'est ce qu'il avait ressenti, à peine quelques mois plus tôt, après avoir..

Avoir..

Le Docteur émergea en un cri, son souffle court. Autour de lui, les murs de la salle de contrôle réapparurent, troubles.

D'un geste vif, il essuya ses larmes, avant de sauter sur ses pieds.

Jack.

Qu'avait-il fait ?

Il avait pensé bien faire, en le laissant seul. Le garçon n'avait prononcé aucun mot lors de leur retour sur le Tardis, ni même après, disparaissant silencieusement dans le couloir. Le Docteur n'avait su que lui dire, le choc encore si fort qu'il en avait presque tangué.

Rose avait manqué mourir.

Jack l'avait sauvée.

Jack avait tué.

Ses sentiments avaient été si confus sur le sujet, qu'il n'avait pas su comment lui parler. Son compagnon avait fui à peine arrivé, et le Seigneur du temps ne pouvait pas réellement l'en blâmer.

Il savait, ce que Jack vivait.

La sensation de sentir la vie filer entre vos mains, plus vite qu'une poussière du Temps.

Il savait, et pourtant, il l'avait laissé seul.

Mais il avait été si perdu, lui aussi. Si effrayé, si choqué.

Mais il l'avait laissé seul, et à présent Jack se haïssait.

Bien sûr.

Qui ne se haïrait pas ?

Pour toute sa verve et l'apparente noirceur de son cœur, Jack n'était pas un tueur. Il ne prenait aucun plaisir en la violence l'entourant, et encore moins, lorsque lui-même devait l'utiliser. Ce ne serait qu'un outil pour parvenir à son objectif, rien de plus. Comme beaucoup de soldats, elle s'était imprégnée en lui, devenant un réflexe presque automatique de défense. Mais il existait d'autres voies, et Jack s'était montré particulièrement désespéré à les découvrir.

Jack souffrait, et il l'avait laissé seul, parce qu'il avait pensé que comme lui, le garçon voudrait lécher ses plaies sans être dérangé.

Et dans d'autres circonstances, il aurait sans doute eu raison. Mais comme lui, son compagnon était hanté par son passé, et les démons qui l'habitaient.

Comme lui, il y sombrerait avec facilité.

Comme lui, il devait être aidé.

Une nouvelle vague de chagrin qui n'était pas le sien le traversa, et c'est en courant qu'il remonta le chemin le séparant de la chambre de l'humain.

Lorsqu'il y parvint enfin, il s'immobilisa, sa main figée en direction de la porte. Avait-il le droit de l'ouvrir sans prévenir ? Tout doute disparut, néanmoins, lorsqu'un son étouffé de douleur résonna de l'autre côté.

-Jack ! s'exclama-t-il en poussant le battant.

Assis sur le sol, ses yeux rouges, son compagnon le fixa, surpris. Et puis il détourna le regard, enroulant ses bras autour de lui-même – comme un enfant, nota distraitement le Seigneur du temps.

-Doc..

-Jack ! Qu'est-ce qu'il se passe ? Le Tardis .. Ses yeux se posèrent sur le sac posé sur le sol, son cerveau tournant à toute vitesse pour former diverses hypothèses. Jack ? murmura-t-il finalement.

Le jeune homme baissa la tête.

Bien sûr, le Docteur le prendrait pour un lâche.

A la défense de celui-ci, Jack n'avait pas exactement prévu de prévenir avant de partir.

Mais c'était mieux ainsi. Ce n'est pas comme s'il avait le choix, de toute manière.

Il n'avait pas besoin de le regarder, pour savoir que le Seigneur du temps le fusillait du regard. L'intensité de ses yeux était suffisante pour le faire frémir.

-Désireux de me dire ce que vous prépariez, garçon ?

Sa voix était plate, presque froide, mais Jack pouvait y entendre sa déception.

Un rire étranglé et amer lui échappa, avant qu'il ne laisse tomber sa tête entre ses mains.

-Je pense que c'est assez évident, Doc. Laissez-moi la nuit, ok ? Le temps de me préparer, murmura-t-il sans le regarder, terrifié à l'idée qu'il le voit pleurer.

-Jack..

-Je.. Je suis désolé, Docteur.. Je.. Sa voix se fit plus faible. Je ne voulais pas vous déranger. Ne vous inquiétez pas, je.. Je serai prêt..

-Jack..

-Juste.. Pas maintenant ? Demain ? Je … Je suis épuisé, je ne suis pas certain que je ne ferai pas tout cafouiller..

-Jack..

-Je serai prêt ! Promis ! Relevant les yeux, il le fixa avec désespoir. Juste.. Réveillez-moi avant qu'elle.. Je ne veux pas qu'elle me voit..

-Jack !

Le Seigneur du temps le dévisageait, effaré.

-Mais qu'est-ce que vous racontez ?

Bien sûr. Bien sûr. Il ne le laisserait pas être un lâche. Jack devrait assumer. Détournant le regard, il hocha la tête.

-Ok. Bien sûr. Je comprends, je.. Je lui dirai au revoir. Je.. Je lui dois bien cela..

-Jack ! Un cri échappa au plus jeune lorsque le Docteur le saisit, le relevant brutalement pour le plaquer contre le mur. Qu'est-ce que vous me racontez ? siffla-t-il très bas entre ses dents, ses yeux bleus lançant des éclairs.

Jack pensait connaitre la définition de la peur.

Ecrasé contre le mur par un Seigneur du temps furieux, les mains de celui-ci enfoncées dans sa peau pour mieux la marquer au fer rouge, son visage à quelques centimètres du sien, il révisa son jugement.

Ce n'était plus de la peur.

C'était de la terreur.

-Je..

-Est-ce que vous voulez partir ?

Il avait grondé, bas, entre ses dents, et Jack sentit son estomac se nouer.

Et puis le sens des mots prononcés fit enfin son chemin dans son esprit, et il cligna des yeux, perdu.

-Je..

Les doigts du Seigneur du temps s'enfoncèrent un peu plus fort dans sa peau, et Jack dut se mordre la lèvre pour réprimer un son de douleur.

-Est-ce que vous alliez partir, Jack ? Dans notre dos ?

-C'était mieux ainsi !

Il avait crié, sans réfléchir. Il le regretta à l'instant où de nouveaux éclairs furent lancés dans sa direction.

-Oh, vraiment ? siffla le Docteur, sa hargne évidente.

Jack hocha la tête, désespéré.

-Oui ! Pas besoin de me voir ! Je.. Vous n'auriez pas eu besoin.. Doc, je.. Je sais que vous me détestez – sa voix se brisa sur le mot – ce n'est pas la peine de vous forcer à rester, je..

-Je quoi ?

L'intéressé le dévisageait, ébahi. En un instant, sa rage avait disparu, laissant place à l'ahurissement.

Le visage de son compagnon se ferma.

-C'est évident, Doc. Ecoutez, nous sommes tous deux des adultes, ce n'est pas la peine d'essayer d'être plus tendre qu'il n'y en a besoin avec moi, je..

-Vais-je pouvoir prononcer un mot sans que vous ne l'interprétiez immédiatement sans me laisser parler? tonna le maitre des lieux, et Jack sentit sa bouche se fermer en un pop.

Partir. Jack allait partir. Le Docteur recula, se sentant tanguer, en même temps qu'un sentiment de nausée l'envahissait.

Partir. Jack allait partir.

Mais pourquoi ?

Qu'avait-il fait, pour le faire fuir ?

Etait-ce à cause de ce qu'il s'était passé ? Est-ce qu'il se blâmait ? Est-ce qu'il le blâmait ? Pensait-il – à juste titre – que le Docteur aurait dû être capable de stopper le garde ? Que c'était sa faute (et cela l'était) si Jack avait dû le tuer ?

N'allait-il pas au moins lui laisser une chance de s'excuser ?

Mais qu'y avait-il à excuser ?

Jack avait raison de le blâmer.

Un humement froid frappa sa nuque, et il fixa le plafond, encore plus perturbé.

A moins que.. que lui aussi se trompait ? Qu'il analysait seul, sans demander ? Pourquoi Jack pensait-il qu'il le haïssait ? Pourquoi pensait-il qu'il fallait qu'il parte dans leur dos, dans le dos de Rose ? Pensait-il vraiment que le Docteur le jetterait dehors, en pleine nuit, alors qu'il était épuisé et visiblement choqué ?

Pensait-il vraiment qu'il le forcerait à employer son bracelet d'Agent du temps, au risque de provoquer une explosion temporelle avec le Tardis ?

Le Docteur avait-il été un si terrible hôte que Jack pensait si peu de lui, ou bien était-ce les peurs du jeune homme qui parlaient pour lui ?

-Pourquoi voulez-vous partir ? murmura-t-il enfin, sans le regarder.

Jack cligna des yeux, surpris par le changement de ton. Il secoua la tête, sa bouche formant un trait amer.

-Qui a dit que je voulais partir ?

Ce fut au tour du Docteur de cligner des yeux.

-Vous ? Vous avez .. Jack, vous avez … Votre sac ! s'exclama-t-il en le pointant du doigt. Et vous alliez.. Jack, vous alliez partir sans un mot !

Son compagnon baissa la tête.

-Oui. Mais non.

-« Oui, mais non » ? répéta le Seigneur du temps, exaspéré. Qu'est-ce que je suis sensé faire de cela, garçon ? Parlez clairement !

-Je parle clairement ! Je ne vois pas comment je pourrai parler plus clairement ! Je ne comprends même pas pourquoi on en parle, parce que c'est évident !

-Visiblement, non, murmura-t-il, en sentant sa colère disparaitre de nouveau devant le désespoir de son compagnon. Il semble que nous ne soyons pas sur la même page, mon garçon.

-Qu'est-ce que vous voulez dire ? Evidemment qu'on l'est ! De quoi est-ce que vous pensez parler ?

Jack le fixait, perdu. Le Docteur soupira, se pinçant le nez.

-Vous ? En train de pleurer, seul ? Jack détourna la tête. Un sac, pour partir ? Partir dans notre dos, sans un mot ? articula-t-il, et il vit son compagnon se ratatiner sur lui-même. Pour une raison, explosa-t-il soudain, dont je n'ai aucune idée !

-Aucune..

Le capitaine le fixa, ébahi.

-Mais je..

-Quoi ? pesta-t-il, alors que le désarroi envahissait le visage du jeune homme.

-Aucune.. Mais vous..

-Je quoi ? le coupa-t-il brutalement.

-Vous ne m'avez pas parlé, murmura Jack, sa voix faible.

Le Docteur cligna des yeux, avant que la honte ne l'envahisse.

-Non. Je.. Je suis désolé, Jack, je..

-Vous ne m'avez pas parlé.. Depuis que.. Qu'on est revenu.. Vous.. Vous êtes resté avec Rose, murmura le jeune homme, en se laissant tomber sur le sol, contre le mur. Je.. Je comprends.. J'ai.. Il baissa la tête. Je ne vois pas pourquoi vous auriez voulu rester avec moi, marmonna-t-il enfin, et le Docteur le dévisagea, choqué.

-Quoi ?

Un rire amer échappa à son compagnon.

-J'ai tué, Doc ! explosa-t-il enfin. Ne vous méprenez pas, je n'ai aucun regret. Il allait tuer Rose, et vous étiez si loin, il n'y avait aucun autre moyen de la sauver.. Il baissa la tête. Vous n'aimez pas les tueurs, souffla-t-il très bas, et ce fut tout ce dont avait besoin le Docteur pour enfin comprendre.

-Jack.. Est-ce que.. Est-ce que vous pensez vraiment, que j'allais vous chasser, à cause de cela ?

L'expression sur le visage de son compagnon aurait valu de l'or en d'autres circonstances.

En cet instant, cependant, elle donna la nausée au Seigneur du temps.

Un malentendu.

Un horrible, terrible, stupide malentendu, né de sa bêtise et son incapacité sociale.

Stupide, si stupide.

Jack avait cru..

Mais avait-il tort ? Il avait raison, le Docteur haïssait les tueurs. Il haïssait les tueurs, et la violence, et ne s'en était jamais caché. Il s'était même montré particulièrement dur avec son nouveau compagnon sur le sujet, indiquant clairement que s'il souhaitait rester, il devrait s'adapter et développer un nouveau comportement.

Qu'est-ce que Jack était supposé penser ?

La gorge sèche, il se laissa tomber sans un mot sur le fauteuil à côté du lit, incapable de rester debout plus longtemps.

-Vous ne.. Quoi ?

Jack le fixait, perdu.

-Je ne..

Il ne parvenait pas à parler. Il n'y arrivait pas, le choc, la peur, la colère étaient trop fortes, si fortes, il pouvait sentir son estomac se tordre alors que tout son corps hurlait de colère à l'idée que Jack ait pu penser..

-Je ne.. Je ne suis pas venu – il ferma les yeux – je ne vous ai pas parlé.. parce que j'étais choqué.. Jack baissa la tête. Parce que.. Oh, Jack, souffla-t-il. Je ne voulais pas.. Que vous voyez…

-C'est ok, Doc, je comprends, murmura son compagnon. Je n'aimerai pas me tenir non plus à côté d'un tueur.

Et pourtant, c'est exactement ce que tu fais, pensa amèrement le Seigneur du temps, avant de secouer la tête, fixant le sol.

-Non. Oui. Non, non, non ! Non, Jack, soupira-t-il. Je ne voulais pas que vous voyez mes propres démons, murmura-t-il doucement. Jack le fixa, choqué. Vous n'êtes pas le seul à avoir les mains sales, mon garçon.. Vous pensez être un monstre ? Oh, Jack. Il renifla. Vous n'avez aucune idée de ce que ce mot signifie.

Et il y avait un tel mépris dans sa voix à son propre égard, une telle haine de lui-même que le capitaine se sentit frémir, un sentiment de malaise l'envahissant.

-Je.. Je suis désolé, Jack.. Je ne suis pas venu, non.. J'aurai dû… J'étais choqué, atterré.. Mais pas contre vous.. Parce que je sais exactement ce que cela fait, Jack.. Parce que je l'ai vécu.. Parce que je sais qu'après, on a besoin d'être seul.. J'ai pensé que comme moi, vous préféreriez être laissé en paix.. Je ne voulais pas vous rejeter, au contraire, je pensais respecter.. Oh, j'aurai dû venir tout de suite, souffla-t-il en secouant la tête.

Jack ne répondit pas, le fixant sans un mot.

Etait-il possible qu'il se soit trompé sur toute la ligne ?

Mais le Docteur haïssait les tueurs, il l'avait toujours dit..

-Je croyais..

-Vous croyez que j'allais vous jeter dehors en pleine nuit, parce que vous avez tué un homme pour sauver Rose, articula le Docteur avec amertume.

Jack le fixa sans un mot, et il ferma les yeux.

-Et ce n'est pas le cas ? demanda finalement son compagnon, alors que le silence s'éternisait.

-Non ! Le Docteur avait rouvert les yeux, le dévisageant, choqué. Non, Jack, jamais !

-Mais vous détestez les tueurs ! Vous me l'avez dit ! Vous le dites tout le temps ! Jack leva les bras au ciel, exaspéré. Vous avez transformé mon arme en banane !

Un sourire étira un instant les lèvres du Docteur, avant qu'il ne fronce les sourcils.

-C'était différent.

-Différent en quoi ? interrogea Jack, exaspéré. Je ne vous comprends plus, Doc !

-Vous l'avez sauvée, murmura-t-il. Ce n'était pas.. volontaire. Calculé. Mauvais. Vous vouliez la protéger. Jack hocha la tête, son expression déterminée. Il n'y avait pas de plaisir, Jack. Pas de volonté de nuire.

-Bien sûr que non, murmura-t-il, las. Je ne l'aurai pas fait si j'avais pu l'éviter.

-Exactement. Exactement, Jack, soupira-t-il en se levant enfin, pour venir s'assoir à ses côtés. La violence.. Ma morale.. Un sourire amer étira ses lèvres. Non, Jack, je n'approuve pas la violence. Je pense que c'est une solution facile, une solution de facilité, plutôt que d'employer son cerveau et de chercher d'autres méthodes. Mais je ne suis pas non plus naïf, Jack. Je sais que parfois, la violence est nécessaire. Il secoua la tête, ne cachant pas son écœurement. Je n'en suis pas heureux. Mais c'est ainsi. Vous pensiez ne pas avoir le choix.. Je ne peux pas vous blâmer. Je.. Je suis désolé.. Si j'avais été plus proche.. J'aurai pu faire exploser son arme, murmura-t-il, sa culpabilité évidente.

-Mais vous ne.. Alors vous ne.. Je pensais.. Le regard de Jack s'humidifia de nouveau. Je croyais..

-Je suis désolé, Jack. J'avais aussi besoin de temps.. J'aurai dû venir avant, murmura-t-il.

Il était seul. Il avait peur. Il avait toujours été seul, jusqu'à maintenant.

Le soleil, l'espoir. Des amis. Mais c'était fini. Il était seul, si seul. Il avait froid, si froid, dans son cœur.

Les cœurs du Docteur se tordirent alors qu'il se souvenait du mal-être qui l'avait traversé.

Jack avait cru..

-Vous n'êtes pas seul, Jack, souffla-t-il le plus doucement possible.

-Mais Rose..

-Quoi, Rose ?

-Elle me hait..

-Quoi ? Non ! Elle est choquée, mais surtout inquiète. Pour vous. Elle insistait pour que je vienne vous voir, et j'aurai dû l'écouter, soupira-t-il.

Jack baissa la tête, tentant avec difficulté d'avaler toutes ces informations.

-J'ai tué, Doc, souffla-t-il finalement, sa voix se brisant.

Sans un mot, le Docteur se redressa, avant de faire ce qu'il aurait dû faire depuis plusieurs heures.

Il le prit dans ses bras, le serrant contre lui.

Un frisson échappa au jeune homme, mais il ne le repoussa pas.

-Je sais, mon garçon. Et je suis désolé. Tellement, tellement désolé.

-Je croyais.. Que vous me détestiez.. C'est pour cela que.. Je pensais.. Que vous ne vouliez plus me voir..

La voix de Jack s'était faite désespérée. Le Docteur avait envie d'hurler.

-Jamais, Jack, murmura-t-il en embrassant son crâne. Jamais.

Le capitaine ferma les yeux, inspirant profondément.

-Je suis désolé.. Je n'aurai pas dû..

-Non, Jack, c'est moi qui suis désolé, soupira le Docteur en caressant maladroitement son dos. Je vous ai laissé seul.

-Vous pensiez bien faire..

-Peut-être. Mais vous n'auriez jamais dû penser que je vous rejetterai si facilement. J'ai clairement été un bien mauvais hôte si c'est la première chose qui vous ai venu à l'esprit..

Jack secoua la tête.

-Non, au contraire, vous..

-Si, le coupa-t-il. Je ne suis pas un dieu, capitaine.. J'ai mes défauts, comme tout le monde, grimaça-t-il.

Jack roula des yeux, ne répondant pas, mais le Docteur le vit se détendre légèrement, avant qu'il ne murmure :

-Ne lui dites pas. Elle n'a pas besoin.. Il soupira. Je ne veux pas qu'elle se sente coupable de quoi que ce soit.

-Un peu tard pour cela, malheureusement, capitaine… Le Docteur secoua la tête. Je pense que nous sommes tous deux d'accord sur le fait qu'il n'y a pas besoin de partager ce moment.

-Non, marmonna son compagnon, avant de murmurer, hésitant : Je ne veux pas dormir, Doc. Est-ce que cela vous dérange si je reste avec vous ?

-Oh, Jack, bien sûr que non, soupira-t-il en le serrant plus fort contre lui.

-Rose..

Un humement doux par-dessus leur tête.

-Rose est dans la cuisine, en train de vider nos réserves de chocolat chaud, sourit le Docteur. Envie de la rejoindre ?

Jack renifla, mais hocha la tête, souriant. Les deux hommes échangèrent un regard, le malaise finissant de se dissiper entre eux en même temps qu'ils se relevaient ensemble. Avec maladresse, le Docteur tapota son bras, s'attirant un nouveau sourire.

-Vous êtes mon compagnon, Jack. Je suis désolé si je vous ai fait sentir différent, ou indigne, murmura-t-il doucement. Je dois clairement ajuster mon attitude. Il se frotta le cou, gêné. Juste.. la prochaine fois que vous avez le moindre doute, ou mal-être.. Venez me voir ? Ou allez voir Rose ? Ne restez pas seul, murmura-t-il doucement.

Jack hocha la tête.

-Je.. J'essaierai. Je ne peux pas vous promettre de toujours.. Mais j'essaierai, Doc.

Celui-ci lui sourit, un sourire large et éblouissant, et Jack sentit son cœur manquer un battement, en même temps qu'une nouvelle chaleur l'envahissait.

-Fantastique ! Venez, Jack, ne faisons pas attendre Rose plus longtemps.

Un son mitigé résonna par-dessus lui, et il roula des yeux.

Merci.

Un reniflement irrité et orgueilleux résonna dans son esprit, et il ne put contenir un sourire.

Que deviendrait-il sans son Tardis ?

-Ne tardons pas, j'aurai besoin de votre aide pour réparer une fuite dans les consoles, et les accélérateurs temporels ont besoin d'un bon nettoyage, ne vous attendez pas à un travail facile, ils sont plein de poussière, une honte, vraiment, j'aurai dû m'en occuper beaucoup plus tôt..

Jack sentit un sourire étirer ses lèvres.

Certaines choses ne changeraient jamais.