15. Non
Non.
Jack lui avait dit non.
Le capitaine ne reviendrait pas voyager avec lui.
Cela avait été un choc, il devait être honnête.
Le Docteur ne s'y était pas attendu, de même qu'il n'avait pas vu venir le départ de Martha.
Pourtant, il aurait dû s'en douter.
Quelles raisons Jack aurait-il eu de vouloir rester auprès de lui, après tout ce qu'il lui avait fait subir ?
Il était celui qui l'avait rejeté en premier, après tout.
Un peu plus de cent ans passés à l'attendre, et le chercher désespérément, et le Seigneur du temps l'avait accueilli en le fuyant, puis en l'insultant.
Et c'était sans compter l'année horrifique passée à mourir encore et encore sous la main (mais pas que) du Maitre, alors que la Terre était mise à feu et à sang.
Quelle raison Jack aurait-il eu de vouloir rester ?
Le Docteur, ce Docteur, ne lui en avait donné aucune.
Il avait été si présomptueux. Un défaut qui l'avait accompagné depuis sa régénération et qui ne semblait pas vouloir disparaitre.
Il méritait le mépris de Jack, sa colère, son rejet.
Mais cela ne l'empêchait pas d'en souffrir.
Il aurait voulu s'excuser. Il aurait voulu le retenir, s'interposer, attraper sa manche, murmurer, n'importe quoi pour le faire écouter. Mais il s'était contenté de sourire, hocher la tête et le laisser s'éloigner.
- Non.
Le Docteur tressaillit, ses mains s'enfonçant davantage dans ses poches alors qu'il fixait l'immortel assis derrière son bureau. Celui-ci le fixa, son regard fatigué et irrité.
-Jack..
-J'ai dit non, Doc. Je ne viendrai pas. Je vous l'ai déjà dit, je ne changerai pas d'avis.
Les épaules du Seigneur du temps s'affalèrent.
-Bien sûr, murmura-t-il en détournant la tête. Bien sûr, je.. je comprends. Vous avez vos responsabilités. Protéger la Terre, noble cause, magnifique cause, rien que je ne peux critiquer, je..
-Non.
-Quoi ?
Jack soupira, et se leva lentement, avant de faire le tour du bureau pour lui faire face. Il enfonça les mains dans ses poches, adoptant une posture miroir à celle du Docteur.
-Non. Oui. Bien sûr. Bien sûr que je protège la Terre, Doc. Je la protège depuis cent cinquante ans, et je n'ai pas l'intention de m'arrêter. Le Docteur tiqua, mais ne répondit pas, tentant de dissimuler son malaise. Au sourire triste de Jack, il avait lamentablement échoué. Mais ce n'est pas que cela. Il n'y a pas que cela.
-Quoi ? murmura le Docteur. Quoi d'autre ?
Quoi d'autre, à part la rancœur et la colère ? Cette part-là, il la connaissait, par cœur. Il la vivait tous les jours, la supportait tous les jours. Jack secoua la tête, avant de venir se placer devant la vitre de son bureau, observant son équipe travailler. Son regard s'adoucit, et le Docteur sentit son cœur se serrer.
Bien sûr.
-Mon équipe.. Ils ont besoin de moi.. Je les ai abandonnés.. La culpabilité dans la voix du capitaine était évidente, et le Seigneur du temps sentit la sienne augmenter. Je ne peux pas juste.. J'ai mis tellement à regagner leur confiance.. et Ianto.. Il s'interrompit brutalement, avant de soupirer de nouveau. Non, Docteur, je ne peux pas. Vous ne pouvez pas simplement débarquer et me proposer de venir sans réfléchir. C'est.. - stupide, immature, égoiste, irréfléchi, inconséquent, furent autant d'adjectifs qui lui vinrent à l'esprit – non, finit-il simplement.
Le Docteur hocha simplement la tête, ses yeux rivés eux aussi sur le groupe en contrebas.
-Je vois.
Une famille. Jack avait trouvé une famille, ici, sur Terre, à Cardiff. Le Seigneur du temps sentit ses cœurs se serrer.
Une famille.
Ses compagnons étaient sa famille, mais il semblait condamné à toujours les perdre.
Le capitaine roula des yeux, avant de soupirer de nouveau. Il n'avait pas voulu réveiller cette vieille plaie. Se tournant vers le plus âgé, il força un sourire sur ses lèvres, avant de poser sa main sur son épaule :
-Un jour. Peut-être. Je ne sais pas quand, Doc. Je ne veux pas vous faire de promesse. Simplement..
-Pas maintenant, termina tristement le Docteur. Je comprends, Jack.
Avec lenteur, celui-ci se pencha, avant de déposer un baiser hésitant sur ses lèvres. Le Docteur frémit, fermant les yeux en même temps que sa langue sortait instinctivement gouter le gout du capitaine. Ce dernier sourit, et cette fois le geste était réel, en même temps qu'il saisissait sa main, la pressant entre les siennes.
-Plus tard, Doc. Pas jamais. Cela ne veut pas dire que vous ne pouvez pas venir me visiter, admit-il, incapable de dissimuler l'espoir dans sa voix. Nous pourrions toujours employer de l'aide, et le thé de Ianto est aussi délicieux que son café, commenta-t-il en souriant.
Malgré lui, le Seigneur du temps se sentit sourire à son tour.
-Est-ce une invitation pour visiter votre antre secret, capitaine ?
-Intéressé ? interrogea ce dernier en jouant de ses sourcils, son expression taquine.
-Uniquement si vous me laissez voir votre ptérodactyle ! s'exclama le Docteur en sautillant, son changement d'humeur aussi soudain que radical.
Jack rit à son tour, et embrassa de nouveau sa main, s'attirant un couac indigné et une série de tapes sur le bras.
Non, tout n'était pas résolu avec le Docteur. Leurs blessures prendraient des années à se soigner, peut-être même des centaines.
Certaines choses avaient besoin de temps.
Au milieu du désastre qu'était devenue leur relation, Jack était cependant certain d'une chose.
Il ne pourrait jamais vivre sans le Seigneur du temps.
Non, jamais.
