19. Désert


Le soleil brillait si fort que même les serpents avaient fui sous terre.

Au milieu de la chaleur insoutenable et du vent, au sommet d'une colline constitué d'un sable si rouge qu'une tomate en aurait eu honte, se tenaient deux hommes.

L'un venait d'un autre monde, l'autre était né des centaines de milliers de générations après celle habitant en cet instant cette planète.

Tous deux avaient arpenté ses sols plus longtemps qu'aucun être vivant.

Un large chapeau enfoncé sur leurs yeux, les mains enfoncées dans les poches de leurs longs manteaux, ils fixaient le paysage leur faisant face, un large sourire aux lèvres.

-Je n'arrive pas à croire qu'après tout ce temps passé sur Terre, vous n'étiez jamais venu ici, Jack.

Le sourire de celui-ci s'élargit, et il mâchonna avec encore plus d'enthousiasme le morceau d'herbe enfoncé dans sa bouche.

-New York ? Yep. Le reste du pays ? Nope. Tournant la tête vers lui, il lui lança un clin d'œil, plissant ses lèvres pour révéler deux parfaites rangées de dents. Je vous attendais, Dokidoc.

-Jack ! rit le Seigneur du temps. Arrêtez avec ce surnom, c'est ridicule !

-Vous préférez Doc ? répliqua le gredin, ses yeux bleus pétillants dissimulés par son large chapeau.

L'intéressé roula des yeux, avant que ses lèvres ne s'étirent en un large sourire. D'un geste sec de la main, il tira son chapeau en arrière, révélant son visage.

-Tant que ce n'est pas Doc Holliday.

-Quoi ? Naaaaaaaaah ! Je ne vous ferai pas cette insulte, Doc de mon cœur !

-Doucement, capitaine, sourit ce dernier, on pourrait vous entendre.

-Qui donc ? s'exclama l'immortel en ouvrant les bras pour montrer l'immense étendue leur faisant face. Il n'y a personne ! Juste nous, perdus en pleine nature !

-Dites ça aux coyotes, renifla le Seigneur du temps. Et les corbeaux, les serpents, les tarentules, les scorpions … Oh, les pumas ! Et les coyotes, s'exclama-t-il, un large sourire aux lèvres.

-Charmante faune, rit Jack.

-Sans oublier les insectes, ajouta le Docteur, en abaissant une paire de lunettes noires sur ses yeux. On en trouve beaucoup qui vivent sur les différentes plantes du désert : la grande punaise de l'agave, la punaise des cactus, la cochenille du cactus … Oh, et les oiseaux, bien évidemment ! commenta-t-il en claquant de la langue. Les cigales ! Est-ce que vous saviez qu'il y a des cigales dans les déserts américains, Jack ? Je..

Et c'était parti.

Le monologue était lancé.

Le cours avait débuté.

Un large sourire aux lèvres, Jack enfonça ses mains un peu plus profondément dans ses poches, les yeux rivés sur le désert leur faisant face, son oreille droite concentrée sur le discours enthousiaste du Seigneur du temps.

Incurable.

Il ne le blâmait pas, vraiment : cet endroit était hallucinant. Le ciel était si bleu, et le sable si jaune, la lumière si forte qu'ils pouvaient à peine regarder les lieux.

C'était comme se trouver devant une explosion de pastels, peintes par un enfant sur-enthousiaste.

Jusqu'à présent, le seul désert que Jack avait exploré était celui du Maghreb, et un petit peu l'Egypte. Mais il était resté proche du Nil, se contentant de le toucher du bout des doigts alors qu'il remontait à cheval vers Abou Simbel.

Un autre pays, un autre désert.

Cette planète en était autant recouverte que d'océans.

Magnifique, vraiment.

Le vent volait dans ses cheveux, les faisant tressauter doucement sur son visage. La chaleur aurait été insupportable, s'il n'avait pas été issu d'une péninsule située jusqu'à côté d'un immense désert.

Un autre désert, une autre époque.

Un sourire étira son visage basané à ce souvenir.

Du coin de l'œil, le Docteur le fixa, amusé.

Jack aurait constitué un cow-boy parfait.

Le long manteau volant au vent, les mains enfoncées dans les poches, le sourire mystérieux, une arme à la hanche..

Il ne manquait que le cheval.

Leurs propres montures se reposaient à l'ombre d'un des rares arbres ayant survécu à des centaines de kilomètres à la ronde. Les deux hommes les avaient laissées s'abreuver à volonté après avoir mis pied à terre, souriant lorsque les cheveux avaient commencé à dévorer avec enthousiasme l'herbe rêche à côté du tronc.

Dans un long soupir, Jack vint s'assoir à côté d'eux, se laissant tomber contre l'arbre avant de tirer son chapeau sur ses yeux.

-C'est l'heure de la sieste, Doc. Il fait trop chaud pour continuer à chevaucher. Venez vous reposer.

Le Seigneur du temps claqua sa langue, indigné.

-Me reposer ? Qui veut se reposer ? J'ai trop à faire pour me reposer ! s'exclama-t-il en sortant son tournevis sonique, avant de scanner avec intérêt les environs. Oh ! Oh.. Intéressant, murmura-t-il en s'éloignant.

-Doc ! rit Jack. Sérieusement ? Il fait trop chaud pour courir ! Ayez pitié d'un pauvre homme !

Le plus âgé le fixa sans un mot, son expression vide. Sa langue entre ses dents, Jack lui lança un clin d'œil, le dévisageant de son regard bleu avant de tirer de nouveau son chapeau sur ses yeux, son morceau d'herbe toujours fermement enfoncé entre ses dents.

Le Docteur roula les siens, partagé entre exaspération et amusement.

Vraiment ?

Rien ne serait donc jamais trop cliché pour lui ?

Le sourire du capitaine s'agrandit, et il croisa les mains sur sa poitrine, adoptant la parfaite attitude du cow-boy au repos.

-Quelqu'un a regardé trop de westerns, murmura le Docteur, avant de relever son chapeau et tourner les yeux vers l'horizon, un large sourire aux lèvres.

-Et quelqu'un aime trop y jouer, se murmura pour lui-même son compagnon, avant de sombrer dans un sommeil bien mérité.