Amélia se rétablit très rapidement, anormalement vite même, vu le sort qu'elle avait subi. Mais cela ne faisait que renforcer l'idée qu'elle était véritablement unique en son genre. Quelques heures seulement après son réveil, elle se promenait librement dans l'infirmerie de Beauxbâtons, faisant les cents pas entre les quatre murs. Plus que tout, elle souhaitait en sortir pour visiter le reste du collège, mais évidemment, ça lui était encore interdit. Daniel venait de partir, prétextant vouloir voir un de ses anciens professeur, bien qu'Amélia se doutait qu'il en avait marre de l'entendre se plaindre à cause de son « enfermement », mais c'était plus fort qu'elle.
- Qu'est-ce que vous faites encore debout ? interrogea Barth qui venait d'arriver.
- Mais je vais très bien, regardez !
Elle exécuta quelque pas de danse, d'un air enjoué, mais cela ne convainquit pas le médicomage.
- C'est très bien, mais dans le lit maintenant ! ordonna-t-il en haussant le ton.
Amélia dut se résoudre, et s'y installa à nouveau pendant que Barth lui tendit une fiole remplie d'un liquide de couleur jaunâtre. Comme les dix fois auparavant, elle l'avala, et toujours ce goût affreux de fromage pourri lui revenait en bouche. Mais elle ne s'en plaint plus, ayant réalisée au bout de la sixième fois, que cela était inutile. Puis elle remonta sa manche, dans un geste devenu habituel depuis quelque heures, et il appliqua sa baguette au creux de son coude. Il se concentra un instant, les yeux dans le vide, et finit par dire :
- Vous êtes en excellente santé !
- Je sais ! C'est ce que je n'arrête pas de vous dire ! Je peux partir maintenant ?
- Attendons encore une heure, et si votre état reste ainsi, je vous laisserais partir.
- Ho non ! Pas encore une heure…
C'est alors qu'un rire se fit entendre, et Amélia put voir Daniel qui s'approchait d'elle. La situation semblait l'amuser, et cela agaça encore plus Amélia. Si au moins il pouvait compatir…
- Je ne trouve pas ça drôle ! s'exclama-t-elle en remontant la couverture sur elle.
- Ho si, ça l'est ! On dirait une gamine !
- Une gamine ? Facile à dire pour toi ! Tu peux te balader dans le collège autant que tu veux !
Daniel arrêta de rire, et affirma le plus sérieusement du monde :
- Soit contente, tu aurais pu ne jamais venir ici je te rappelle. Tu as failli y rester…
- Oui, oui, je sais… Mais je veux en profiter moi !
- Ça va venir ! En attendant, j'ai une surprise pour toi.
- Un surprise ?
Tout à coup, son envie de sortir disparut, voulant savoir ce que Daniel lui avait réservé. Celui-ci ressortit par la porte presque immédiatement. Etonnée, Amélia regarda Barth qui rangeait des potions dans la grande armoire vitrée. Il semblait concentré dans sa tâche, et ne prêtait aucune attention à sa malade. Enfin, Daniel revint accompagné d'un vieil homme. Il portait une robe de sorcier, ou ce qu'elle pensait être une robe de sorcier, et avait à peu près le même gabarit que Daniel. Amélia le reconnut tout de suite, et sans réfléchir, sortit du lit et marcha vers lui.
- Amélia, au lit ! ordonna alors Barth, ce qui réfréna son élan.
- Mais je…
- Pas de discussion !
Le vieil homme lui fit la bise, et elle se remit dans le lit pour ne pas éveiller la colère du médicomage. Celui-ci continua à s'occuper de ses potions, comme si de rien n'était.
- Mr Granduc ! Je suis contente de vous revoir ! Qu'est-ce que vous faites ici ? demanda-t-elle, impatiente, alors qu'il s'assit sur le lit d'à côté.
- Moi aussi je suis content, surtout après ce qu'il t'est arrivé.
- Oui, oui, on va pas en parler pendant vingt ans non plus…
- C'est quand même fantastique ! Tu es un cas…
- Unique ! coupa-t-elle excédée. Oui, je sais, vous devez être la dixième personne qui me dit ça aujourd'hui ! On ne peut pas parler d'autre chose ?
François Granduc regarda son petit-fils qui venait de s'asseoir sur le lit d'Amélia, puis en affichant un sourire, affirma :
- Oui, bien sûr.
- Alors qu'est-ce que vous faites ici ?
- Je suis professeur Amélia, répondit Mr Granduc, je travaille dans cette école.
- Vous ? s'étonna-t-elle.
C'est alors que leur dernière rencontre lui revint en mémoire. C'était sur le quai de la gare, avant qu'elle n'embarque pour se rendre chez Thomas, passer Noël. Cette période lui semblait si lointaine, alors que seulement un mois venait de s'écouler. Mais à ce moment, elle était encore dans l'ignorance, elle ne savait pas qu'ils étaient sorciers.
Mr Granduc lui avait alors dit qu'il enseignait dans un cirque, dans une école de cirque.
- C'était donc ça l'école de magie dont vous avez d'abord parler ?interrogea-t-elle.
- Oui, je pensais que tu connaissais l'existence de la magie, et puis quand j'ai vu que tu étais étonnée d'entendre le mot « magie », j'ai compris que tu ne savais rien. Et là j'ai inventé l'école de cirque.
- Je comprends maintenant, vous paraissiez si étrange !
Daniel rit, il devait sûrement penser à sa tête lorsque son grand-père lui avait dit qu'il travaillait dans un cirque : c'était vraiment étrange, en effet.
- Qu'est-ce qu'il vous est arrivé ? Je veux dire que je ne vous ai plus revu après le décès de votre femme, et vous n'étiez pas au courant que mes parents étaient morts.
Daniel et Mr Granduc se jetèrent un regard, qui apparemment, voulait en dire long, mais Amélia ne put déchiffrer ce qu'ils se disaient.
- Je suis fâché avec mon fils, Jean-Paul, nous avons des divergences à propos de la façon dont notre communauté est dirigé. On ne s'est plus revu depuis plusieurs années. Je voyais juste Daniel et Thomas quand ils venaient me voir.
Amélia n'en demanda pas plus, les histoires de famille étaient bien trop complexes et personnelles pour qu'elle ait le droit de poser des questions. Elle se contenta d'acquiescer.
- En tout cas, je suis bien contente de vous savoir ici ! Ça à l'air mieux que dans un cirque !
- Oui, c'est certain, ajouta Mr Granduc en riant.
- Enfin j'en sais encore rien, JE N'AI PAS ENCORE LE DROIT DE SORTIR ! s'écria-t-elle en direction de Barth.
Mais celui-ci ne bougea même pas d'un centimètre, comme s'il n'avait rien entendu, continuant inlassablement son rangement.
