31. Chance


Parfois, Jack avait du mal à croire combien il était chanceux.

De seul, traqué et avec une perspective de vie aussi joyeuse que celle d'une mouche dans l'espace, il s'était retrouvé sauvé, et accueilli à bord du Tardis.

De visiteur, il était devenu invité, puis compagnon.

De cordiale, sa relation avec le Docteur était devenue chaleureuse, et même, oserait-il le dire, amicale.

Jack ne se souvenait pas de la dernière fois qu'il avait eu un réel ami.

Cette chance, si spéciale, de pouvoir partager ses passions et sa vie, avec quelqu'un d'honnête et généreux.

Cette chance, d'avoir quelqu'un avec qui rire, plaisanter, discuter, s'amuser.

Cette chance d'avoir quelqu'un se souciant de vous, votre santé, votre bien-être, sincèrement, purement, sans arrière-pensée autre que le fait d'être votre ami.

Un ami.

Jack n'en avait plus rencontré de réel depuis qu'il s'était enfui de chez lui.

Et puis c'était arrivé.

Cela avait été soudain, brutal, inopiné.

Avant qu'il n'ait eu le temps de comprendre, la chance avait tourné.

La chance lui avait souri.

Cette chance si simple, que Jack n'avait pas connue en des décennies.

Le capitaine en aurait pleuré.

Cette chance, de rencontrer quelqu'un capable de le comprendre, sans qu'il n'ait besoin de s'expliquer, ou se justifier.

Cette chance de rencontrer quelqu'un capable de le confronter, et l'aider à s'améliorer.

Cette chance de rencontrer un mentor, un ami, un professeur.

Cette chance d'avoir rencontré le Docteur.

Parmi toutes les rencontres qui avaient marqué et marqueraient la vie de Jack, celle-ci s'était révélée la plus déterminante.

Cela ne s'était pas fait sans accroc, oh, non : les deux hommes s'étaient régulièrement déchirés au début de leur relation, faisant trembler les murs du Tardis par leurs confrontations.

Leur chance avait été de ne pas être seuls.

Rose les avait forcés à s'écouter.

Rose les avait poussés à s'excuser.

Rose les avait obligés à discuter.

Parler.

Echanger.

Communiquer.

Malgré tout son amour pour le Seigneur du temps, Jack ignorait comment leur relation aurait tourné si la jeune femme n'avait pas été présente pour l'aider à évoluer.

Quelle ironie de réaliser à quel point tous deux étaient si semblables.

Peut-être était-ce ce qui les avait tant effrayés.

Mais c'était aussi ce qui leur avait permis d'échanger.

Cette chance, ironique, de partager un passé tourmenté.

Jack secoua la tête, avant de porter son verre de vin à ses lèvres, amusé.

Face à lui, l'immensité de l'espace lui souriait, provocante et incitatrice.

Existait-il plus belle chance que de pouvoir admirer un tel spectacle ?

Derrière lui, la lumière jaune du Tardis l'enveloppait de sa couverture dorée.

Se redressant, il plia avec paresse une jambe, avant de se laisser tomber légèrement en arrière, fixant les étoiles avec insolence et un sentiment de profonde satisfaction.

Si on lui avait dit quelques mois auparavant qu'il voyagerait dans le vaisseau le plus extraordinaire de l'histoire de l'univers, il aurait ri, incapable de s'imaginer si chanceux.

Et pourtant.

Son regard croisa celui de l'homme assis à ses côtés, un verre vide abandonné sur le sol, entre eux. Le Docteur lui sourit, de ce sourire doux et discret, presque timide, comme l'homme en était coutumier.

Si Jack était la définition même d'expansif, le Seigneur du temps incarnait un caractère beaucoup plus pudique.

Leur chance était de se compléter, au lieu de s'opposer.

Les doigts de Jack glissèrent sur le sol, se posant sur ceux du plus âgé.

Avec douceur, il les entremêla, avant de les presser gentiment.

Le sourire du Docteur s'agrandit légèrement, avant qu'il ne roule des yeux avec affection lorsque son compagnon porta sa main à ses lèvres.

-Jack, soupira-t-il, exaspéré mais souriant.

Une lueur taquine dans le regard, celui-ci recommença une nouvelle fois, avant de tourner sa main dans la sienne, exposant sa paume. Avec tendresse, il y posa ses lèvres, provoquant un brusque appel d'air chez l'autre homme. Relevant les yeux, il le dévisagea, tentant désespérément d'exprimer tout ce qu'il ressentait.

Il n'en avait pas besoin, néanmoins. Le sourire du Docteur s'agrandit, et il tendit la main, enveloppant la joue de son compagnon pour mieux la caresser. Avec douceur, il se pencha, rencontrant ses lèvres des siennes. La main de Jack se perdit dans son pull, s'y agrippant en même temps qu'il se pressait contre lui, le souffle rauque.

-Docteur

Existait-il plus belle chance que de pouvoir partager sa vie dans les étoiles avec l'homme qu'il aimait ?