Le Sorcier Vagabond

Prologue : Lundi 4 Mars 2030, Londres


Londres, 17h36, UTC


17h36. Assise derrière son bureau, le bout des doigts de sa main droite pianotant nerveusement sur la surface en bois devant elle, Ludivine Martin jeta un énième regard à la petite pendule accrochée au-dessus de la porte de son bureau. Celle-ci affichait 17h36, heure locale, aux côtés de ses sœurs dont les aiguilles indiquaient toutes des heures différentes : 18h36 pour Paris, 00h36 pour Singapour, 16h36 pour Dakar, 12h36 pour Ottawa, et ainsi de suite pour différentes villes et capitales à travers le monde. De quoi s'assurer de ne jamais tirer du lit ses inspecteurs dispatchés aux quatre coins du globe et de pouvoir les joindre pendant leurs heures de travail si cela était nécessaire.

De l'autre côté de son bureau, assise sur l'un des deux fauteuils recouverts de mousseline bleue destinés à ses visiteurs, l'une de ses meilleures inspectrices, la regardait l'air de dire « Je te l'avais bien dit ».

Et Ludivine devait bien le reconnaître, Rose Weasley le lui avait bien dit : Scorpius Malefoy serait en retard : il l'était toujours. Ludivine appréciait sincèrement Rose Weasley, et plus particulièrement la qualité de son travail et le fait que la jeune femme rendait systématiquement ses articles avec une semaine d'avance, mais elle détestait son incroyable faculté à toujours avoir raison.

Sur tout.

Et surtout, sur Scorpius Malefoy.

17h37. Scorpius Malefoy était en retard, indéniablement. Ce n'était pas la première fois, et certainement pas la dernière. Si Rose Weasley faisait preuve d'une ponctualité qui frisait l'impolitesse, Scorpius Malefoy, lui, faisait preuve d'au moins autant de zèle à être en retard, que sa collègue à être à l'heure.

Pour ce qui était la trois-cent-soixante-septième fois environ, Ludivine Martin se demanda ce qui lui avait pris de prendre la décision de leur faire faire équipe pour la publication de leur tout prochain Guide 2031 sur l'Asie.

Sur le papier, c'était très certainement la pire décision que la Rédactrice en Chef d'un guide de voyage puisse prendre. Ou la meilleure, si elle cherchait à faire couler sa collection éditoriale.

Dans les faits, en revanche, Ludivine Martin était certaine que leur collaboration ferait des étincelles. Elle n'avait plus qu'à espérer qu'il s'agirait du genre d'étincelles qui ferait exploser les ventes plutôt que les locaux de leurs petits bureaux londoniens.

Et aussi, que Rose Weasley et Scorpius Malefoy ne s'entretueraient pas tout bonnement sur-le-champ en apprenant la nouvelle.

17h39. Rose Weasley laissa échapper un petit soupir, à peine audible, arrachant Ludivine à la contemplation de l'horloge qui affichait l'heure de Londres.

– On peut peut-être commencer sans lui ? suggéra Rose en repoussant ses lunettes sur le bout de son nez.

Ludivine se força à sourire :

– Je suis sûre qu'il ne va plus tarder. Il a dû être retenu par…

– Une jolie fille ? proposa Rose, sans faire preuve de la moindre émotion. Une partie de bavboules impromptue avec le Ministre de la magie hongrois ? Ou, ma préférée, une invitation de dernière minute au festival de la Bièraubeurre à Berlin…

– Faux, Weasley, comme toujours ! s'exclama soudain Scorpius Malefoy en franchissant le seuil du bureau de sa supérieure hiérarchique, les mains plongées dans les poches. J'ai croisé la route d'un troll en me rendant au service fabrication… mais ne t'en fais surtout pas, on s'est battus, et c'est moi qui ai gagné, conclut-il en se laissant tomber dans le second fauteuil en velours bleu, à côté de celui de Rose.

Cette dernière leva les yeux au ciel, mais se refusa à répondre. Il y avait longtemps qu'elle avait passé l'âge de s'abaisser aux enfantillages de Scorpius. De toute façon, c'était un jeu auquel elle ne gagnait jamais.

Ludivine s'éclaircit la gorge, sonnant la fin de la récréation.

– Si je vous ai demandé de venir aujourd'hui c'est pour vous parler du nouveau Guide Asie 2031, commença-t-elle en croisant les mains devant elle. Avant toute chose, sachez que vous pourrez protester autant que vous le voulez, ma décision est prise...

– Quelque chose me dit qu'on ne va pas apprécier ce qui va suivre, fit Scorpius, s'attribuant un regard noir de la part de la jeune Rédactrice en Chef.

Rose, elle, demeura parfaitement silencieuse, mais fronça les sourcils avec inquiétude, se préparant à encaisser la mauvaise nouvelle qui leur pendait au nez.

Ludivine prit une inspiration discrète, s'armant de courage et de patience. Elle savait qu'il lui en faudrait des chaudrons tout entiers.

Machinalement, la Rédactrice en Chef rabattit une longue mèche blonde derrière son oreille, avant de reprendre :

– Je veux que nous tentions une nouvelle approche pour ce nouvel opus. Et cette approche implique que vous deux, fit-elle en les désignant du doigt l'un après l'autre, vous collaboriez.

Ludivine marqua une pause, les sondant lentement du regard. Rose exprimait peu de chose, mais derrière le masque professionnel qu'elle affichait, Ludivine devinait sans peine son inquiétude. Scorpius, au contraire, ne prenait même pas la peine de dissimuler son appréhension, et seul le regard menaçant de Ludivine l'empêcha d'ouvrir la bouche.

Ludivine Martin était peut-être un peu trop jeune pour être Rédactrice en Chef du meilleur guide touristique du monde sorcier, un peu trop jolie ou un peu trop française au goût de certains, mais elle n'était pas arrivée là où elle en était aujourd'hui sans faire ses preuves, et Scorpius Malefoy la respectait bien trop pour lui manquer de respect. Ludivine comptait un peu là-dessus pour faire passer la potion.

– Rose, comme d'habitude, tu te chargeras de la rubrique « À voir absolument », et toi, Scorpius, de la rubrique « À faire sans hésiter ».

La rubrique « À voir absolument » rédigée par Rose, recensait, comme son titre l'indiquait, tous les lieux, monuments et autres vestiges magiques et moldus à voir au cours de votre voyage. Rose insufflait à sa rubrique sa passion pour la richesse culturelle des pays dans lesquels elle mettait les pieds.

Tandis que la rubrique « À faire sans hésiter » portait davantage sur les activités insolites que vous pouviez faire entre une visite ennuyeuse des archives magiques du Louvre et une gentille promenade au bord de la Seine. La rubrique de Scorpius traduisait son goût pour l'aventure.

Chaque rubrique isolément offrait un choix aux voyageurs. Mais Ludivine ne voulait pas offrir à ses lecteurs vagabonds ce qu'ils voulaient. Elle voulait leur offrir quelque chose de nouveau, les pousser à essayer des choses qu'ils n'avaient jamais faites. Elle voulait donner à ses lecteurs intrépides l'envie de mettre un pied au Taj Mahal pour admirer le fabuleux travail des sorciers moghols qui avaient participé à sa construction, et encourager ses lecteurs plus habitués à la fraîcheur artificielle des musées qu'à la disparité de températures d'une ascension du Kilimandjaro, le goût du risque en participant à une course de tapis volant au-dessus de la Grande Muraille de Chine.

Mais pour convaincre ses lecteurs d'élargir leur horizon, elle devait d'abord convaincre ses deux meilleurs inspecteurs…

– Cette fois, en revanche, vous partirez ensemble, vous logerez au même endroit, vous déjeunerez dans les mêmes restaurants, et surtout – surtout ! –, insista Ludivine en fronçant les sourcils d'un air menaçant : vous travaillerez ensemble en partageant les mêmes expériences.

Scorpius ouvrit la bouche, très certainement pour prendre la parole, mais Ludivine l'interrompit d'un simple signe de la main :

– Je n'ai pas fini. Scorpius, reprit-elle en se tournant vers lui, tu suivras Rose dans chaque musée, chaque temple, chaque site classé au patrimoine mondial de la communauté magique où elle mettra les pieds...

Scorpius étouffa un grognement, tandis que Rose esquissa un sourire presque sadique, avant de se raviser brutalement lorsque le regard de Ludivine s'abattit sur elle.

– Quant à toi, Rose, tu feras tout ce que Scorpius fait : chaque activité insolite qu'il te proposera. Cela signifie que s'il veut faire un trek de deux jours à travers la jungle de Sigiriya à la rencontre des derniers sorciers indigènes qui y vivent, ou explorer les tombeaux magiques du temple des grottes de Dambulla, tu le fais aussi.

Scorpius tourna la tête vers le visage blême de Rose avec un sourire vengeur. Ludivine savait qu'il imaginait déjà tout ce qu'il pourrait lui faire faire, juste pour la pousser à bout.

– Ne te réjouis pas trop vite, Scorpius, le mit en garde Ludivine. Tu as carte blanche, tant que tu respectes les règles de sécurité imposées par notre règlement intérieur. Tu as interdiction de mettre Rose en danger, est-ce que c'est clair ?

– Mais le danger, c'est cinquante pourcent de la recette pour une bonne aventure ! protesta vivement Scorpius.

– Typique, grommela Rose en levant les yeux au ciel.

Scorpius lui lança un regard mauvais, mais ne pipa mot.

Ludivine les observa un instant, avant de reprendre :

– Des questions ? demanda enfin Ludivine, en les défiant du regard d'en poser une qui lui déplairait.

Rose déglutit :

– Quand est-ce que l'on part ? demanda-t-elle simplement. Je devais repartir deux semaines aux Balkans à la fin du mois pour boucler la rubrique « À voir » du Guide EDS...

– Et moi trois semaines au Brésil en avril pour le Guide ADS, fit Scorpius à son tour.

– C'est déjà prévu. Vous ne partirez que début mai, répondit Ludivine. D'ici là, vous aurez le temps de boucler vos rubriques en cours et de planifier votre voyage. Vous commencerez par l'Inde. Je veux que vous me proposiez un itinéraire d'ici le 31 mars, ça nous laissera le temps, ensuite, de voir avec le Département des transports magiques comment planifier tous vos déplacements pendant votre séjour. À votre retour, vous disposerez de dix jours pour finaliser et me transmettre vos rubriques, puis d'une semaine de congés. Après ça, vous partirez au Japon, si j'estime que l'expérience en Inde a été positive…

– Et dans le cas contraire ? demanda Scorpius.

Ludivine lui lança un regard sévère.

– Il n'y aura pas de cas contraire, parce que vous allez tout faire pour que ce soit une expérience enrichissante, pour donner à nos lecteurs l'envie de voyager sur vos traces, n'est-ce pas, Scorpius ?

– Absolument, fit Scorpius, d'une voix qui contrastait avec le peu de conviction qu'il ressentait.

– Parfait, fit Ludivine. Dans ce cas je ne vous retiens pas. On essaye de faire un point par semaine pour préparer ce voyage et régler les détails administratifs. Rendez-vous lundi prochain, même heure, fit-elle en appuyant ses derniers mots d'un regard entendu à l'attention de Scorpius.

– Aucune chance, souffla Rose dans sa barbe en se levant de son fauteuil.

Scorpius ne daigna pas relever la pique de sa collègue, mais adressa un sourire éclatant à Ludivine :

– Je ferai de mon mieux !

Rose sortit la première du bureau de Ludivine, immédiatement suivie de Scorpius.

Lorsque Rose tourna les talons pour regagner son bureau sans attendre Scorpius, ce dernier l'interpella avec agacement :

– Weasley ! Je sais bien qu'une princesse telle que toi n'a pas de temps à perdre avec un bon à rien comme moi, mais est-ce que ce serait vraiment trop te demander de m'accorder cinq secondes pour discuter de ce qui vient de nous tomber dessus ?

Piquée au vif, Rose se retourna vers son arrogant collègue et lui lança un regard méprisant, sans toutefois perdre une once du calme qui l'habitait éternellement et que Scorpius cherchait à faire voler en éclats depuis des années. Douze ans, pour être exacte. Mais Rose ne comptait pas, bien entendu. Elle était au-dessus de tout cela.

– J'ai encore un peu de travail à terminer avant ce soir. Je préférerais que l'on en parle demain, si tu n'y vois pas d'inconvénient. De plus, fit-elle rapidement en voyant que Scorpius était prêt à répliquer : je propose que nous réfléchissions séparément à ce que nous voulons faire et voir pendant notre déplacement en Asie, et que nous validions ensuite ensemble une liste et un itinéraire définitifs à soumettre à Ludivine. Nous serons nettement plus efficaces ainsi. Même si j'imagine que c'est trop demander à quelqu'un qui fait toujours tout à la dernière minute, est incapable de s'organiser et préfère davantage réaliser une feinte de Wronski depuis le sommet du Kilimandjaro pour amuser la galerie au mépris de toutes les règles de sécurité, plutôt que de se comporter en adulte responsable…

Scorpius leva les yeux au ciel, mais à la grande surprise de Rose, ne prit pas la peine de répliquer.

– Comme tu voudras, faisons à ta manière, princesse. Ça promet un voyage ennuyeux à mourir, j'ai hâte ! fit-il sans tenter une seconde de dissimuler son sarcasme.

Rose ouvrit la bouche pour répliquer, mais Scorpius avait déjà tourné les talons, lui signifiant qu'il ne portait aucun intérêt à ce qu'elle avait à dire.

La jeune femme poussa un long soupir, lasse, en le voyant disparaître dans les escaliers qui menaient au rez-de-chaussée. C'était de bonne guerre, après tout.

Elle ne savait pas exactement pourquoi ils ne s'entendaient pas, seulement que cela remontait à leur première année à Poudlard. D'aussi loin qu'elle se souvenait, Scorpius ne l'avait jamais appréciée. Elle ne savait pas bien ce qui le rebutait tant chez elle, mais au fil du temps, à force de regards méprisants et de piques désagréables, elle avait tout simplement fini par partager son inimitié.

Tout le monde n'était pas fait pour s'entendre. Et de toute évidence, Scorpius et elle étaient bien trop différents pour qu'ils parviennent un jour à mettre fin à douze années de mépris partagé.


Londres, 18h42, UTC


Scorpius avait rejoint son meilleur ami à la Baguette de Sureau sans repasser par son bureau après la joyeuse nouvelle délivrée par sa cheffe, Ludivine, et ses délicieux échanges avec Rose Weasley, avec laquelle il devrait prochainement parcourir l'Inde en respectant le défi fou de ne pas s'entretuer.

En face de lui, Albus Potter l'observait avec amusement, les doigts enroulés autour de sa chope.

– Admets quand même que c'est cocasse…

Scorpius lança un regard noir à son meilleur ami.

– Ravi que tu trouves mon désespoir amusant, grommela-t-il.

Albus, qui – au goût de Scorpius – aurait dû montrer davantage de compassion pour un Médicomage, ne se retint pas d'éclater de rire.

– Tu sais ce que je pense ? fit-il, l'oeil brillant.

– Non, mais j'ai le sentiment que quoi ce soit, ça ne me plaira pas, grommela Scorpius.

– Et tu aurais sans doute raison, admit Albus, avant de reprendre : Je pense que si tu avais vraiment voulu éviter Rose, tu n'aurais pas accepté le boulot que te proposait Ludivine Martin il y a deux ans en sachant pertinemment que Rose travaillait pour le Sorcier Vagabond…

Scorpius grimaça. Son ami avait raison, Scorpius le savait. Et Albus savait qu'il le savait.

Mais, il n'allait pas commencer à reconnaître la vérité aujourd'hui, après douze années passées à la nier de tout son être.

Lorsque sa carrière de poursuiveur chez les Flèches d'Appleby avait volé en éclats suite à une blessure à l'épaule irréversible lors d'un match contre le Club de Flaquemare en demi-finale du Championnat, Scorpius avait dû rebondir, et vite. Après de longs mois de convalescence, il s'était reconverti en journaliste sportif pour une petite gazette irlandaise. Pendant un temps, cela lui avait permis d'assouvir son besoin de bouger et de vivre, par procuration, ses rêves de voler, de jouer. Très vite, toutefois, il avait souffert de rester immobile dans les gradins et de voir ses anciens coéquipiers et adversaires vivre de la passion qui l'animait et sur laquelle il avait dû faire une croix, beaucoup trop tôt.

Alors lorsque Ludivine Martin, charmée par le ton de ses articles, lui avait proposé une place au Sorcier vagabond, il n'avait pas hésité. Non seulement le job cochait toutes les cases de sa liste (à l'exception de son désir de devenir l'un des meilleurs joueurs de Quidditch de sa génération), mais en complément, il lui offrait l'occasion, enfin, de prendre sa revanche sur Rose Weasley.

Certes, c'était puérile.

Mais malgré tous ses efforts pour mettre derrière lui ses années à Poudlard, il n'était jamais parvenu à oublier l'enfer que cela avait été d'être Scorpius Malefoy face à des professeurs qui n'avaient d'attention et de compliments que pour Rose Weasley.

Malgré tous ses efforts pour être à la hauteur, il n'y avait eu qu'un seul trône à Poudlard, et il avait été, dès le début et avant même qu'ils ne descendent du Poudlard Express, destiné à Rose Weasley.

Lorsqu'il décrochait un O à un devoir particulièrement difficile ou réussissait du premier coup un exercice compliqué, Rose Weasley en faisait autant.

Mais seul l'un deux recevait les louanges de leurs professeurs. Jusqu'au jour où Scorpius comprit que ses meilleurs efforts n'y changeraient rien. Il ne surpasserait jamais Rose Weasley pour la simple et bonne raison que personne ne l'accepterait.

Alors il avait trouvé quelque chose que Rose ne pourrait pas lui voler. Il s'était pris de passion pour le Quidditch et s'était accroché à son balai et à son rêve de devenir le meilleur joueur du Royaume-Uni de toutes ses forces. Et il y était parvenu. Peu à peu, il avait fini par quitter l'ombre de Rose Weasley et s'était forgé son propre nom.

Jusqu'au jour où un cognard avait brisé son épaule en 394 morceaux, emportant ses rêves avec lui.

Alors non, il n'était pas tout à fait prêt avouer la vérité. Pas même à son meilleur ami qui en devinait déjà suffisamment.

– Crois-moi, personne de sensé n'accepterait une offre d'emploi pour les beaux yeux de ta cousine. Je ne connais personne d'aussi ennuyeux et à la fois incroyablement imbu d'elle-même que ta cousine.

– Tu exagères, Rose n'est pas si ennuyeuse. Elle est juste un petit peu… studieuse. Et c'est vrai qu'elle peut être un peu arrogante parfois, mais franchement, n'importe qui le serait à sa place, à force d'être traitée comme elle l'est.

Albus marqua une courte pause avant de reprendre, sans laisser à Scorpius le temps de rétorquer :

– En réalité, vous vous ressemblez beaucoup plus que tu le ne croies ! ajouta Albus en portant à ses lèvres sa bièraubeurre au gingembre.

Scorpius lança un regard interdit – et presque horrifié – à son meilleur ami.

– On se ressemble ? Il n'y a pas plus différents que ta cousine et moi, s'offusqua-t-il. Cite-moi une chose que nous ayons en commun ?

Albus haussa les épaules, comme si rien n'était plus facile :

– Vous êtes tous les deux inspecteurs pour un guide de voyage, pour commencer. Si ça, c'est pas une ressemblance majeure...

Scorpius leva les yeux au ciel et but à son tour une longue gorgée de bièraubeure.

– Je t'arrête tout de suite. On travaille peut-être pour le même éditeur de guide touristique, mais si tu as lu ne serait-ce qu'une seule de nos rubriques respectives, tu comprendras qu'on n'appréhende pas du tout ce job de la même manière. Ce que j'aime, moi, c'est raconter un pays à travers les expériences qu'il a à nous offrir. Ta cousine, elle, passe son temps enfermée dans des musées comme s'ils avaient toutes les réponses aux mystères de l'univers…

Albus hocha la tête, un sourire goguenard accroché aux lèvres :

– Bien sûr. Si tu le dis…

Scorpius reposa sa chope vide sur la table.

– Rappelle-moi pourquoi on est amis, déjà ? Demanda-t-il.

– Parce qu'au plus grand étonnement, ou désarroi, de nos familles respectives, nous avons atterri à Poufsouffle alors qu'ils avaient d'autres projets pour nous. Et ce genre de chose, ça rapproche pour la vie, fit Albus en levant sa chope.

Malgré son agacement, Scorpius finit par sourire en repensant à leur rencontre, le jour de la répartition, et fut forcé de reconnaître qu'il avait raison. Mais il y avait pire que d'acquérir un ami comme Albus Potter pour la vie.

Par exemple, il y avait être forcé de travailler main dans la main avec Rose Weasley.


Édimbourg, 21h47, UTC


Il était tard lorsque Rose apparut dans l'âtre de la cheminée de son petit appartement édimbourgeois.

Une fois de plus, Rose avait quitté le bureau bien après que tous ses collègues soient partis, tard dans la soirée. Trop tard, sûrement. Mais comme se plaisait à lui rappeler Scorpius Malefoy environ 47 fois par jour, Rose avait peu de choses dans sa vie si ce n'est son travail. Et son travail était toute sa vie, elle n'avait pas honte de le dire. Elle aimait ce qu'elle faisait. Le monde la passionnait. Les gens qui l'habitaient et leur histoire plus encore. Elle voulait transmettre cette passion aux sorciers et sorcières curieux de découvrir le monde, comme elle.

Elle savait que tout le monde s'était attendu à ce qu'elle suive les traces de sa mère en politique ou qu'elle mette à profit ses spectaculaires résultats aux ASPIC pour briller dans une carrière davantage… tape à l'oeil.

Mais à la surprise de tout le monde – à commencer par la sienne – Rose avait pris un autre chemin. Un chemin dans lequel elle était parvenue à s'épanouir. À se faire un nom qui n'était pas celui de ses parents.

Épuisée par sa journée de travail et retournée par la « surprise » que lui avait réservée sa cheffe, plus tôt dans la journée, Rose s'écroula sur son canapé.

Coincé sous une pile de parchemins, Rose aperçut son set de cartes fétiche. Elle n'y avait pas touché depuis longtemps. Elle s'interdisait de le faire, mais ne pouvait se résigner à s'en débarrasser.

Pour la première fois depuis longtemps, le besoin de jeter un coup d'oeil à ce que lui réservait l'avenir la démangeait.

Elle savait qu'elle devait arrêter de lire dans les cartes et les feuilles de thé. Mais chaque fois qu'elle le faisait, qu'elle cédait à la tentation de contrôler son avenir – ou du moins, de l'anticiper pour s'y préparer au mieux – le poids qui écrasait son coeur semblait s'envoler.

C'était un toc que Rose avait toujours gardé secret, qu'elle n'avait jamais ébruité de peur de décevoir sa mère. Elle savait pertinemment ce que la plupart des sorciers et sorcières respectables pensaient de l'art de la divination.

Or, non seulement Rose croyait en l'art de la divination, mais elle le pratiquait de manière obsessionnelle.

Elle détestait être prise au dépourvu. Elle avait toujours besoin de savoir ce que l'avenir lui réservait. Elle aimait pouvoir s'organiser à l'avance. Elle aimait être préparée. Elle aimait que tout ait une étiquette, rentre dans une case.

Elle aimait l'ordre, le calme et la prévisibilité.

Peut-être que cela faisait d'elle quelqu'un d'ennuyeux, comme le pensait Scorpius, qui était tout le contraire.

Mais cela lui était bien égal.

Le chaos effrayait Rose.

D'une main hésitante, elle repoussa la pile de parchemin sur le côté de sa table basse et attrapa son set de cartes.

Rose battit les cartes.

Elle posa la pile devant elle.

De sa main gauche, elle souleva une première carte et la posa sur la table, face visible, correspondant à un évènement passé :Un évènement perturbateur.

Rose grimaça, mais devina sans peine à quoi cela faisait référence. La nouvelle que lui avait assené Ludivine plus tôt dans la journée avait perturbé le cours de son existence, chamboulé ses plans, cela allait sans dire.

Elle retourna une nouvelle carte illustrant son présent : Le conflit.

Rose fronça les sourcils. Cette carte illustrait-elle sa relation conflictuelle avec Scorpius ?

Elle n'avait pas vraiment d'amis, en dehors de sa famille. Difficile de se faire des amis quand vos professeurs passaient le plus clair de leur temps à rappeler à vos camarades qu'ils feraient mieux de prendre exemple sur vous plutôt que de bâcler leurs études.

Rose tendit une nouvelle fois la main vers son tas de cartes et piocha une troisième et dernière carte, qui devait lui dévoiler son avenir, mais son coeur rata quelques battements en découvrant la carte :

– Oh non, souffla-t-elle en clignant des yeux. Il doit forcément y avoir une erreur…

Mais Rose ne faisait jamais d'erreur.

Jamais.

Alors elle recommença. Elle rassembla les cartes étalées sur la table, les mélangea et tira à nouveau trois cartes, les unes après les autres.

Puis encore une fois.

Et encore une fois.

Mais le résultat était le même, tirage après tirage.

Alors pour la première fois depuis… depuis aussi longtemps qu'elle pouvait s'en souvenir, Rose douta. D'elle, de ses cartes, de son avenir.


Note : Bonjour à tous !
Vous l'aurez compris, j'ai craqué et je me suis lancée dans une nouvelle histoire (Scorpius et Rose, évidemment - ils m'avaient manqué), alors même que je n'ai ni le temps, ni même la motivation par moment. Mais voilà, je n'ai pas pu m'en empêcher, alors j'espère que cette nouvelle histoire vous plaira.

Malheureusement, je vais devoir vous demander beaucoup de patience, parce qu'avec les beaux jours qui arrivent, la réouverture du pays, et les vacances d'été, plus tous ces dossiers à boucler avant la période estivale... je risque d'avoir un rythme d'écriture et de publication assez chaotique.

Alors je vais essayer de poster 1 chapitre toutes les deux semaines et je m'y tiendrai du mieux que je le peux. Mais il pourrait arriver que ce calendrier bouge un peu.

En attendant, j'ai hâte de savoir ce que vous avez pensé de cette entrée en matière.

Merci à tous d'être là et d'avoir pris le temps de lire ce premier prologue/chapitre, en tout cas.

Et surtout, merci à DelfineNotPadfoot qui a accepté de corriger cette nouvelle histoire :)

Bon dimanche ensoleillé à tous,
LittlePlume

Prochain chapitre : 20 juin 2021