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LE SORCIER VAGABOND

CHAPITRE 4 : Mercredi 8 mai 2030, Haridwar

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À voir absolument: « La cérémonie des lumières est l'une des plus belles choses qui m'a été donnée de voir en voyageant. Malheureusement, elle n'a lieu qu'une fois tous les douze ans, alors il vous faudra patienter encore un peu si vous voulez voir la prochaine. En attendant, parcourez les ruelles d'Haridwar, ses étales et ses échoppes intemporelles, et faites-vous faire un Sari (ou un Sherwani) sur mesure. Croyez-moi, ils sont nettement plus confortables que nos robes de sorcier(e)s ! » {Rose W.}

À faire sans hésiter : « Mangez avec vos mains ou avec du pain. Goûtez à quelque chose que nous n'avez pas encore essayé. Et si vous aimez les lassis, goûtez les tous ! J'ai récemment essayé celui à la rose, et à ma grande surprise, c'est vite devenu mon parfum préféré. Les lassis à la rose de Padma, rue Darjeeling, ne sont pas qu'une boisson sucrée mais également un filtre enivrant de sa concoction, à goûter sans hésiter ! » {Scorpius M.}


Dehli, 22h57 UTC + 05h30 (heure d'été + 04h30)


Scorpius et Rose étaient enfin de retour à Dehli après deux longs jours de trek à travers le Ladakh, la chaîne Pir Panjal et la vallée du Cachemire qu'elle encerclait.

Deux jours pendant lesquels Rose avait souffert le martyr, malgré les choses incroyables qu'elle avait pu voir ou découvrir en chemin et qui resteraient à jamais gravées dans son esprit. Et ils n'avaient fait que gratter la surface, effleurer du bout du doigt tout ce que cette incroyable région avait à offrir. Avec un peu de chance, peut-être que Ludivine les laisserait revenir dans un ou deux ans pour la réédition du guide Asie 2032 ou 2033…

Même si son corps avait fini (tout juste) à s'habituer à l'effort physique surhumain qu'elle lui réclamait, Rose était heureuse de pouvoir détendre ses muscles meurtris dans l'eau chaude d'un bain moussant au sel de l'Himalaya parfumé à la lavande.

Elle avait dû négocier âprement avec Scorpius pour qu'ils modifient leur feuille de route – (si quelqu'un avait annoncé à Rose, deux jours plus tôt, que ce serait elle qui insisterait pour faire une petite entorse à leur itinéraire et Scorpius pour qu'ils le respectent à la lettre, elle lui aurait certainement poliment administré le contre-sort au sortilège de confusion) – mais elle avait finalement obtenu gain de cause : ils passeraient la nuit dans un hôtel moldu à Delhi, où elle pourrait prendre un bain chaud (non négociable) et dormir dans un vrai lit, dans une chambre qui ne grouillait pas d'insectes et de bestioles toutes plus inquiétantes les unes que les autres.

Il y avait presque une demi-journée de route entre Leh et Delhi, mais heureusement, Scorpius et Rose avaient réussi à obtenir un Portoloin en moins d'une heure en se rendant à l'office de tourisme magique le plus proche.

Ils devaient se rendre dès le lendemain matin à Haridwar en bus pour visiter l'un des villes les plus religieuses du monde et assister à la cérémonie des lumières qui s'y déroulait chaque année pendant plusieurs jours, au crépuscule. Il y avait environ quatre heures de bus entre Delhi et Haridwar, et Rose comptait bien faire le plein d'énergie et de sommeil avant leur départ.

Lorsque l'eau de son bain fut presque froide, Rose décida d'en sortir, à contrecœur. Elle s'enveloppa dans le peignoir en coton mis à disposition par l'hôtel et enroula ses cheveux dans une petite serviette assortie. (Parfois, elle était juste trop fatiguée pour se rappeler qu'elle était une sorcière.)

Elle se dirigea vers sa chambre et se laissa tomber sur son lit en soupirant de fatigue, avant de se pencher vers sa table de chevet pour attraper son carnet de notes et une plume toute neuve qu'elle avait achetée à Leh. Elle eut à peine le temps de griffonner la date de la veille sur une nouvelle page de son carnet lorsqu'elle entendit frapper à la porte.

Instinctivement, elle se saisit de sa baguette, qu'elle avait glissée négligemment dans l'une des poches amples de son peignoir avant de se diriger vers la porte et de se hisser sur la pointe des pieds pour regarder à travers l'œil de bœuf pour voir qui, à part Scorpius, pouvait venir frapper à sa porte à une heure pareil.

Rose laissa échapper un soupir malgré elle. Si Scorpius était là pour la forcer à venir crapahuter dans Delhi avec lui, elle était prête à lui claquer la porte au nez.

Curieuse malgré tout, elle rangea sa baguette dans la poche de son peignoir et ouvrit la porte.

– Scorpius, qu'est-ce que…

Son collègue leva les deux mains devant lui pour l'arrêter :

– Je sais que tu as dit que tu voulais rester à l'hôtel ce soir, mais je pensais faire un tour en ville pour trouver un restaurant ou un quelque chose à manger. Tu veux te joindre à moi ?

Rose grimaça. Elle avait faim, certes. Mais elle n'avait aucune envie de ressortir maintenant et l'idée même de remettre des chaussures lui faisait mal aux pieds.

– Je crois que je vais rester là ce soir. Je commanderai peut-être quelque chose au bar de l'hôtel. C'est l'avantage des hôtels moldus, tout est à disposition. Tu peux y passer des vacances complètes sans mettre un pied dehors, ils ont même une salle de sport et un spa.

Scorpius grimaça, ce qui arracha un sourire à Rose. Elle était prête à parier que cette vision des « vacances » ressemblait davantage à un cauchemar pour Scorpius Malefoy, qui détestait rester immobile plus de cinq secondes d'affilées. Non pas que Rose aurait choisi de telles vacances pour elle-même : pas quand il y avait tant de choses à voir dehors, des musées à visiter, des temples à parcourir, des histoires à découvrir...

Mais parfois, il fallait aussi savoir écouter un peu son corps, et le corps de Rose lui criait de faire une petite pause.

– D'accord, fit Scorpius après quelques secondes de silence. On se voit demain alors ?

S'il était déçu, il n'en fit rien paraître.

Rose hocha la tête :

– Oui, petit-déjeuner à 8h. Ne sois pas en retard !

Un sourire moqueur se fraya lentement un chemin jusqu'aux lèvres de son collègue.

– Moi ? Jamais, répondit-il, son sourire gagnant peu à peu ses yeux glacés. Bonne nuit, Rose, ajouta-t-il avant de tourner les talons.

– Bonne soirée, Scorpius, fit Rose avant de refermer la porte sur la silhouette du jeune homme qui lui tournait déjà le dos.

Rose pivota sur elle-même, avant de se rappeler l'accoutrement dans lequel elle avait accueilli Scorpius : dans un peignoir, une serviette enroulée autour de la tête.

Soit Scorpius n'avait rien remarqué, soit il avait eu la décence de ne rien dire, par politesse.

Rose, qui commençait à connaître Scorpius, sut qu'il s'agissait très certainement de la première hypothèse. Même s'il était poli, il n'était pas du genre à manquer une occasion de se moquer d'elle. À une époque, elle prenait ses moqueries pour du dégoût, voire de la méchanceté. Aujourd'hui, elle savait que c'était juste sa façon de communiquer. Scorpius était taquin, mais il n'était jamais cruel.

Rose enfila un pyjama, laissa ses cheveux finir de sécher à l'air libre et alla se glisser sous sa couette. Elle reprit son calepin et sa plume, puis commença à coucher tous ses souvenirs de ces deux derniers jours sur le papier pour ne rien oublier.

Une demi-heure plus tard, Rose referma son calepin et le posa avec sa plume sur sa table de chevet.

Elle hésita une seconde, peut-être deux, avant de se lever et d'aller chercher son sac-à-dos de l'autre côté de la chambre. Elle fouilla dans la poche ventrale et y trouva ce qu'elle y avait glissé avant de quitter son appartement à Édimbourg : un paquet de cartes de tarot, toutes cornées et usées à force d'avoir été manipulées, tournées et retournées, encore et encore, et encore.

Rose retourna s'asseoir sur son lit, en tailleur, et commença à battre ses cartes une fois, deux fois, trois. Elle posa le tas devant elle et piocha trois cartes, qu'elle posa côté face cachée devant elle, les unes après les autres. Trois cartes pour un tirage qui devait l'aider à y avoir plus clair, à lever le voile sur une situation qui lui échappait. Cela avait toujours été son tirage favori. Il lui permettait de chasser l'incertitude, d'avoir un coup d'avance sur son avenir.

Rose inspira, puis retourna la première carte, en partant de la gauche : l'Amoureux. C'était la carte qu'elle redoutait le plus, mais elle ne pouvait pas feindre la surprise. Comme l'Amoureux, Rose était en proie aux doutes. Elle l'avait toujours été.

La seconde carte était l'Hermite. Cette fois, la jeune femme grimaça. L'Hermite, c'était elle, il n'y avait aucun doute. Elle devait prendre un moment pour elle, pour examiner ce qu'elle ressentait, ce qu'elle désirait, avant de pouvoir avancer et sortir de sa coquille. Soit.

Enfin, Rose avança sa main vers la troisième carte et la retourna : la Roue de la fortune, qui lui rappelait que la vie était faite de hasards et de chances.

Rose devait faire face aux doutes qui l'accablaient, examiner ce qu'elle désirait et saisir sa chance. Laisser place à l'inconnue pour s'épanouir. Saisir ce qu'elle désirait si elle voulait une chance d'être heureuse.

Des banalités, pour la plupart des gens qui ne croyaient pas en la cartomancie, ou, plus généralement à l'art de la divination. Mais elle, elle y croyait. Et ces trois petites cartes avaient sur elle plus de pouvoir qu'une baguette magique pointée dans sa direction.

Rose regroupa ses cartes et les mélangea à nouveau une fois, deux fois, trois fois. Puis, elle tira trois nouvelles cartes, qu'elle posa devant elle les unes après les autres. Elle avait grandement besoin d'y voir plus clair.


Dehli, 7h55 UTC + 05h30 (heure d'été + 04h30)


Le lendemain matin, Scorpius étouffa un bâillement et étira ses bras au-dessus de tête en souriant. Rose devait commencer à trépigner en voyant l'heure. Il ne savait pas vraiment pourquoi, mais l'idée de jouer avec ses nerfs et sa patience, comme s'il tirait les ficelles d'un pantin pour qu'il s'agite, l'amusait plus que de raison. Peut-être parce que Rose était plus facile à faire craquer que n'importe qui d'autre, mais que malgré la rapidité avec laquelle elle perdait parfois patience, elle n'était jamais rancunière.

Cinq minutes, c'était largement assez pour se lever, prendre une douche, et être pile à l'heure pour le petit-déjeuner. Enfin presque. Il n'était pas à deux ou trois minutes prêt…

Il se leva, sauta dans la douche, en ressortit moins trois minutes plus tard, se sécha avec sa baguette, et enfila ses vêtements, puis ses chaussures. Son sac-à-dos était déjà prêt et l'attendait devant la porte de sa chambre. Il l'attrapa, et quitta sa chambre pour retrouver Rose dans le hall d'entrée.

8h03. Parfait. Il n'était pas vraiment en retard, mais juste assez pour apercevoir la moue agacée de Rose.

Et, comme il l'avait prédit, lorsqu'il arriva dans le hall d'entrée de l'hôtel, Rose l'attendait déjà, les yeux rivés sur la montre accrochée à son poignet, une moue impatiente peinte sur son visage : un petit creux était apparu entre ses deux sourcils froncés, ses lèvres étaient légèrement tordues, comme si elle se mordait l'intérieur de la joue, et elle commençait à cligner rapidement des yeux.

– 8h04, fit Rose en le voyant, son expression s'adoucissant aussitôt pour laisser place à un sourire discret. Il y a du mieux. Encore une semaine, et tu devrais arriver pile à l'heure.

Scorpius cligna des yeux, bêtement, avant d'éclater de rire.

– N'y compte pas trop, Weasley…

Rose haussa les épaules, l'air de dire « si tu le dis », puis fit volte-face en direction de la salle de réception où se tenait le petit-déjeuner.

Scorpius la suivit en silence, jusqu'à ce qu'ils arrivent dans la salle et se dirigent vers le buffet plein à craquer de mets locaux et continentaux. Ils remplirent chacun leur assiette et allèrent s'asseoir lorsque Scorpius vit que l'assiette de Rose contenait au moins deux fois ce qu'il y avait dans la sienne.

– Tu vas manger tout ça ?

Rose grimaça légèrement.

– Finalement, je me suis endormie avant de manger hier soir, admit-elle.

– Tu aurais dû venir avec moi. Je suis tombé sur une petite cuisine moldue dans le centre de Delhi, qui fait les meilleurs Rajma daal de l'Inde.

L'eau à la bouche, Rose grogna en croquant dans un Puttu pour distraire son estomac.

– Tu vas en parler dans ta rubrique ?

– Non mais, je l'ajouterai à la liste de nos recommandations culinaires. Enfin, si tu es d'accord, évidemment.

Rose haussa les épaules.

– Si tu penses que ce restaurant vaut le détour, je te fais confiance, tu peux l'ajouter.

Scorpius sourit avant d'attaquer le contenu de sa propre assiette.

Il devait bien reconnaître que Ludivine avait eu raison finalement. Si sur le papier Scorpius et Rose semblaient être un duo catastrophique, plus les jours passaient, plus, il lui paraissait facile de travailler avec Rose, même lorsqu'ils n'étaient pas d'accord. Et à dire vrai, ils l'étaient rarement. Cependant, ils finissaient toujours par trouver un terrain d'entente, un compromis. Et, plus surprenant encore, Rose commençait à lui faire confiance. Elle acceptait de voler en tapis volant, le laissait inscrire seul quelque chose à leur liste de recommandations culinaires sans même y avoir goûté…

Cette Rose Weasley là, n'était pas du tout celle qu'il avait imaginée ou cru connaître à Poudlard. Elle ressemblait davantage à celle dont Albus lui avait toujours parlée, celle qu'il aurait aimée croiser lorsqu'ils étaient à l'école.

Mais pour être honnête, lorsqu'ils étaient à Poudlard, Scorpius n'était pas prêt à accepter que Rose fût autre chose que son bourreau. Un bourreau qui ne lui prêtait aucune attention et qui savait à peine s'il existait, mais son bourreau malgré tout. Ou du moins, la raison pour laquelle il s'était toujours senti inférieur, inapte. Jusqu'au Quidditch. Jusqu'à ce qu'il trouve sa voie, la seule au monde à laquelle Rose Weasley, la favorite, ne pourrait jamais le battre ou briller comme lui.

Il avait passé presque toute sa scolarité en compétition avec Rose Weasley, et après tout ce temps, il comprenait enfin qu'il s'était toujours battu seul. Rose Weasley n'était pas compétitrice pour une noise. Pas comme lui, du moins. Elle aimait avoir raison, certes. Mais elle acceptait toujours la défaite avec grâce (ou presque). Elle était obstinée, sans aucun doute, mais prenait le temps d'écouter les autres et accordait sa confiance plus facilement qu'il ne l'aurait cru.

Et cette Rose-là, Scorpius l'appréciait un peu plus chaque jour.


Haridwar, 12h45 UTC + 05h30 (heure d'été + 04h30)


– J'ai l'impression qu'on passe notre temps à manger, fit Scorpius alors qu'ils s'installaient dans un petit restaurant au bord du Gange, après un trajet de quatre longues heures en bus depuis Delhi à travers de somptueux paysages.

Parfois, il regrettait d'avoir insisté sur des trajets non magiques, juste pour embêter Rose…

– Il y a pire comme activité pendant un voyage en Inde, répondit la jeune femme en se saisissant du menu. Si on travaillait sur le guide ADN, je ne dis pas, mais pour le guide Asie, je pourrais tester tous les restaurants que le souhaiterait Ludivine…

Scorpius arqua un sourcil.

– Je crois me souvenir que tu as refusé de goûter au Curry d'agneau épicé de Rekha, le premier jour à Delhi…

Rose éclata de rire.

– Ça, c'est parce que je ne suis pas inconsciente !

Scorpius se saisit à son tour de son menu, mais il savait déjà ce qu'il voulait manger : un Aloo Gobi.

– Quel est le guide pour lequel tu préfères voyager ? Jusqu'à présent, quel est le pays ou la région que tu as visité pour le Sorcier Vagabond, tu as préféré ?

– Culinairement parlant ?

– Pas forcément. D'une manière générale.

Un serveur arriva à ce moment-là pour prendre leur commande : un Aloo Gobi pour Scorpius et un Malai Kofta pour Rose, accompagné d'un thé Nilgiri. Lorsqu'il repartit, Rose reporta son attention vers son collègue et sembla réfléchir quelques secondes avant de lui répondre.

– C'est difficile à dire, parce que chaque continent, chaque pays à une histoire différente, et elles ne sont pas toutes comparables. Prends l'ADN par exemple… Les moldus européens ont presque totalement détruit et effacé l'histoire des autochtones. Ils les ont presque rayés de la carte. Pourtant, c'étaient des peuples fascinants. Moldus et sorciers ont vécu pendant des centaines d'années en parfaite harmonie sur ces terres, jusqu'à ce que les européens débarquent. Nous, en Angleterre, nous n'en avons jamais été capable. On a presque toujours vécu cachés. L'histoire des autochtones d'Amérique du Nord est fascinante. En revanche l'histoire de l'ADN comme on la connait aujourd'hui est nettement moins riche que celle de l'Europe, de l'Asie ou de l'Afrique par exemple, parce qu'elle est beaucoup plus récente.

Rose fit une pause, alors que leur plat et son thé leur étaient apportés.

– Ça ne répond pas vraiment à la question, fit remarquer Scorpius en prenant un naan pour manger son Aloo Gobi.

Rose laissa échapper un léger rire.

– Je sais oui, désolée. Si tu veux tout savoir, ce n'est pas impossible que l'Inde devienne rapidement l'un de mes pays préférés.

– Pour la nourriture ? se moqua Scorpius en la voyant croquer dans une boulette de pomme de terre et de paneer.

Un sourire fendit le visage de Rose en deux, et après avoir déglutit, répondit :

– En partie. Mais pas uniquement. Tout ce qu'on a vu depuis le début de ce voyage m'a laissé un souvenir indélébile. J'irai même jusqu'à dire que ça en valait tous les kilomètres que tu m'as fait parcourir à pied…

– Ça tombe bien que tu dises ça, parce que je me disais justement qu'on pourrait recom…

– Même pas en rêve, le coupa immédiatement Rose, le regard affolé. Mon corps ne s'est pas encore remis de ce que tu lui as fait subir, je te signale. À ton tour, ajouta-t-elle pour changer rapidement de sujet : dis-moi quel est ton pays ou ta région préféré, jusqu'ici ?

– L'Italie, répondit Scorpius sans la moindre hésitation, tout en finissant de saucer son plat avec un morceau de naan.

Rose cligna des yeux.

– L'Italie ? répéta-t-elle, dubitative.

– Pourquoi ce ton surpris ? sourit Scorpius.

La jeune femme haussa les épaules :

– Je ne sais pas. Ça ne te ressemble pas vraiment.

– Ah non ? Pourquoi ?

Rose grimaça, gênée.

– Ce n'est pas très… exotique ? Je m'attendais à quelque chose de plus… aventureux de ta part.

– Comme quoi ? fit Scorpius, de plus en plus gagné par l'amusement.

Rose haussa les épaules. Ce n'est pas comme si elle avait ardemment réfléchi à la question.

– Je ne sais pas. Un pays d'Amérique du Sud ou d'Afrique subsaharienne peut-être ? Mon petit frère, Hugo…

– Petit ? l'interrompit Scorpius. Tu oublies que j'ai déjà vu Hugo. Déjà en première année, il était plus grand que la plupart des élèves de troisième ou quatrième année… Ton frère est un ours.

Rose sourit avec tendresse en pensant à son petit frère. Certes, Hugo était un géant. Mais un géant au cœur de guimauve, et peu importe sa taille, il serait toujours son petit frère.

– Ce que je veux dire, c'est qu'il est au Pérou depuis deux ans. Pas très loin de Tarapoto, quelque part dans la vallée. Il travaille dans une réserve de créatures magiques, toutes plus dangereuses et incroyables les unes que les autres. Disons que j'ai toujours imaginé que tu serais davantage attiré par ce genre de chose que par… je ne sais pas, les sortilèges qui maintiennent la Tour de Pise debout en dépit de la gravité ?

Le regard horrifié de Scorpius arracha un éclat de rire à la jeune femme.

– Pour commencer, j'adorerais rendre visite à ton frère à Tarapoto. Ce que tu me racontes sur son travail a l'air incroyable. En revanche, quand je parle de l'Italie, je ne parle pas de la Tour de Pise, Merlin… Je parle de ses lacs et de ses montagnes, des entrailles magiques des colisées…

Rose haussa les épaules, mais elle ne pouvait pas nier que ce que racontait Scorpius lui donnait envie. Peut-être qu'à son retour, elle pourrait demander à Ludivine de l'envoyer là-bas lors de la réédition du guide Europe Latine…

Quand elle avait commencé à travailler au Sorcier Vagabond, elle avait été affectée à l'Amérique du Nord pendant deux ans. Puis à l'Europe de l'Est et l'Europe du Sud pendant quelques années. Avant de partir pour l'Inde, elle avait d'ailleurs bouclé toutes ses rubriques pour les Balkans.

En revanche, elle n'était encore jamais allée en Italie, même si cela faisait des années qu'elle voulait aller à Rome.

Rose finit son thé en silence et ils payèrent l'addition. N'en déplaise à Scorpius, ils avaient un programme chargé et une feuille de route à respecter s'ils voulaient arriver à l'heure pour assister à la cérémonie des lumières qui devait se tenir le soir-même, à la tombée de la nuit, sur les quais du Gange pour l'ouverture de la Kumbh Mela, un festival religieux qui avait lieu tous les douze ans en Inde.

Avant de se lever, et dès que Scorpius eut le dos tourné, Rose jeta un regard dans le fond de sa tasse. Les feuilles de thé représentaient un bouton de rose en train de s'ouvrir.

Mais de s'ouvrir à quoi, au juste ?


Haridwar, 21h45 UTC + 05h30 (heure d'été + 04h30)


Scorpius sirotait un lassi à la rose (son troisième depuis le début de l'après-midi), tandis qu'à côté de lui, sa collègue lisait la brochure qui lui avait été tendue par une dame lorsqu'ils étaient arrivés.

– C'est vraiment fascinant, marmonna Rose, avant de lever la tête vers Scorpius. Tu savais que la célébration de la Kumbh Mela venait du combat qu'ont mené les démons et les dieux pour la Kumbah, la cruche contenant le nectar d'immortalité qu'ils avaient fabriqué ensemble au départ ? La légende raconte que le combat a duré douze jours et douze nuits, soit douze ans pour les humains. Pendant la bataille des gouttes du nectar d'immortalité sont tombées à quatre endroits, Prayag, Ujjain, Nashik et Haridwar. Alors tous les douze ans, un festival se tient à tour de rôle dans l'une de ces villes et les gens s'immergent dans le Gange pour être lavés de tous leurs péchés et ceux de leurs ascendants sur 88 générations…

Scorpius arqua un sourcil.

– Ça, ça m'intéresse, fit Scorpius. Quand est-ce qu'a lieu ce grand bain ?

– On sera déjà partis, fit Rose. On ne pourra assister qu'à la cérémonie des lumières ce soir, mais le festival dure plusieurs jours.

– Dommage, ça aurait été amusant.

La jeune femme réprima une grimace à ses côtés.

– Je ne peux pas dire qu'un bain collectif soit dans le top cinq de mes activités favorites. Surtout quand on sait que le Gange est l'un des fleuves les plus pollués au monde, voire le plus pollué du monde. Je t'épargne les chiffres, mais le Gange reçoit chaque jour des centaines de cadavres humains et des milliers de carcasses d'animaux y sont abandonnées. Sans compter le déversement de produits toxiques par les usines de la région…

– Tu m'as convaincu, grimaça le jeune homme. On va rester bien au sec sur la rive, ajouta-t-il en faisant disparaître son gobelet d'un coup de baguette très discret pour ne pas se faire repérer. Ça va bientôt commencer, on devrait trouver une place…

Rose suivit Scorpius qui se frayait un chemin à travers la foule, jusqu'à ce qu'il trouve un petit carré de pelouse libre. Il se laissa tomber par terre et Rose l'imita.

Sans un mot, ils attendirent en silence que la nuit tombe complètement et que la cérémonie des lumières tant attendue par Rose débute.

Malgré la pollution, le ciel était miraculeusement clair ce soir-là, et les étoiles brillaient nettement, haut au-dessus de leur tête.

Peu à peu, les premiers lampions furent allumés et s'élevèrent dans le ciel. Scorpius regarda Rose allumer le sien discrètement du bout de sa baguette dissimulée dans la manche de sa chemise, avant de le laisser s'envoler avec les autres.

Bientôt, des milliers de lampions brillaient dans le ciel aux côtés des étoiles, offrant un spectacle incroyable à ceux qui étaient présents.

Rose ne perdit pas une miette du spectacle, suivant la trajectoire de son lampion des yeux, fascinée par ce qu'elle lisait dans le ciel, le chant des pèlerins s'élevant lui aussi dans les airs.

Scorpius n'aurait su dire combien de temps ils restèrent là. Bien après que le dernier des lampions ne disparaisse, cela, il en était certain. Malgré la musique, la foule, et les activités qui se déroulaient autour d'eux, Rose n'avait pas bougé depuis ce qui lui semblait être une éternité. Les yeux rivés sur les étoiles, Scorpius savait qu'elle y voyait quelque chose que lui ne pouvait voir, mais il ne pouvait se résoudre à l'arracher à sa contemplation.

Du moins, jusqu'à ce que sa curiosité vienne à bout de sa patience.

– Tout va bien ? Tu as un air très sérieux depuis quelques minutes…

La jeune femme cligna des yeux et les tourna vers Scorpius, comme si elle venait de se souvenir qu'il était là.

– Oh, ce n'est rien, fit-elle après quelques secondes. J'étais juste perdue dans mes pensées. C'était magnifique, non ?

– Oui, c'était…

– On devrait rentrer à l'hôtel, l'interrompit Rose en se levant soudain.

Scorpius fronça les sourcils.

– Rose, tu es vraiment sûre que tout va bien ?

Cette fois, le jeune homme en était certain, le sourire que Rose lui adressa n'avait rien de vrai.

– Absolument. Juste un peu fatiguée et nous avons une longue journée devant nous demain.

Sans un mot de plus, Rose s'éloigna en direction du centre, et Scorpius, perplexe, la suivit en silence jusqu'à leur hôtel.


Note : Surprise... je suis de retour...

Je sais que je n'ai pas d'excuse pour ce retard, je le sais bien, si ce n'est que j'ai une vie bien chargée. J'ai bien vieilli depuis l'Université et je n'ai plus autant de temps à consacrer à LittlePlume. Malgré tout, c'est toujours un vrai plaisir d'écrire, surtout sur Scorpius et Rose (guimauve4ever), vous le savez.

Alors je suis désolée pour ceux qui attendait ce chapitre il y a déjà des mois, mais j'espère que certains d'entre vous seront là aujourd'hui, ou demain pour lire ce chapitre. Sinon tant pis. De toute façon, cette histoire me tient à coeur, et j'ai bien l'intention de la finir, peu importe le temps que cela me prendra.

J'espère que ce chapitre vous plaira tout de même un peu et je vous dis à « bientôt » pour la suite.

Bon dimanche à tous,
LittlePlume