Contexte de l'OS
Type de l'OS : Ce texte est ma réponse au 3e défi collectif organisé par Bibliothèque de fiction, qui constituait à écrire selon les contraintes d'un autre participant. Je devais placer les mots "chaussette, rire, groupe, vendeuse, saladier", le tout devant traiter du thème de la mer ou de l'océan.
J'en ai profité pour répondre (en retard) au 5e thème des 24 heures du FoF : Je t'ai promis de ne jamais t'abandonner, alors même si je venais à mourir, je continuerais éternellement à veiller sur toi
Note : La chanson citée dans le texte et bien évidement Mistral Gagnant, de Renaud
Personnages : Lucy, Natsu, Aquarius
Contexte de l'OS : moment de vie (PAS DE SPOIL PLEASE, j'en suis toujours saison 7)
Merci à Neliia et Coraline (x4) pour leurs review sur le drabble précédent
Lucy déteste la mer.
Toute cette étendue d'eau sans commencement ni fin, au fond abyssal et dangereux, à la température glacée... Sans parler des vagues qui ramènent avec elles la nostalgie des jours passés – et de la tonne de sel qui vient agresser ses sens, la rendant aveugle et aux facultés gustatives diminuées...
Oui, Lucy déteste la mer. Mais cela ne l'empêche pas de s'y rendre chaque jour.
Elle ne sait pas pourquoi elle continue d'y aller, mais c'est plus fort qu'elle. Elle ne peut s'empêcher de répéter chaque jour la même routine : se lever silencieusement, enfiler quelques vêtements dans la pénombre, quitter sa petite maison pour marcher jusqu'à la plage. Là, sur le sable blanc, elle retire chaussettes et chaussures, pour s'enfoncer pieds nus dans l'eau. Et elle commence à parler. Elle raconte à la mer ce qui s'est déroulé la veille, les joies et les peines partagées par la guilde, les disputes entre Natsu et Grey (tu te rends compte ? Ils ont même cassé un saladier qui traînait sur le bar !) Elle rajoute parfois des petites provocations, dans l'espoir de la faire réagir (Mirajane était furieuse, je crois que même toi tu aurais eu peur...).
Mais la mer demeure toujours sans réponse.
Cela ne devrait pas la surprendre. C'est juste de l'eau après tout. Elle devrait arrêter de venir.
Mais elle continue d'espérer. Qu'un jour, elle ait une réponse, un signe, n'importe quoi qui lui prouve qu'elle ne vient pas quotidiennement se friper les pieds pour rien.
N'importe quoi. Ce n'est pas grand chose n'est-ce pas ? Elle ne demande pas la lune, juste quelque chose. N'importe quoi, murmure-t-elle.
N'importe quoi.
N'importe quoi.
Aujourd'hui, elle ne peut rien dire d'autre. Ce n'est pas qu'il n'y ai rien à dire – au contraire. Elfman et Evergreen ont enfin admis que peut-être, ils étaient effectivement en couple. Cela s'est ébruité dans la ville comme une traînée de poudre. D'ailleurs, en y repensant, c'est de ça que Lucy est venue parler ce matin. Mais maintenant qu'elle est face à la mer, elle ne peut plus réfléchir correctement. Tout ce qu'elle peut formuler, ce sont ces deux petits mots. N'importe quoi.
Elle reste les pieds dans l'eau, les cheveux emmêlés, le mascara de la veille coulant sur ses cernes, à répéter encore et encore ces mêmes mots. N'importe quoi. A force de les rabâcher, elle ne sait plus s'ils désignent ce qu'elle attend de l'univers, ou bien toute cette situation, totalement dénuée de sens. Comme Levy qui annonce joyeusement ses fiançailles avec Gajeel comme si rien ne s'était passé !
C'est du n'importe quoi !
Elle se rend compte qu'elle a cessé de murmurer son étrange incantation et qu'elle s'est mise à hurler. Elle a effrayé quelques mouettes qui traînaient autour d'elle en haussant ainsi la voix – mais elle s'en fiche. Elle se fiche tellement de toute décence, des regards inquiets qui se posent sur son corps meurtris et son esprits embrumé, qu'elle se laisse tomber à genoux dans l'eau. Une vague plus puissante que les autres se fait alors sentir et la balaye. Lucy ne cherche pas à se débattre – à quoi bon ?
Et puis avec un peu de chance, c'est elle qui essaie de lui dire quelque chose.
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Une voix lui parvient. Non – des voix. Elle ne parvient pas à les distinguer. Mais il lui semble que les voix ne sont pas contentes.
- Elle aurait pu mourir Ezra ! Et tu me demandes de me calmer ?
Natsu. Pourquoi pleure-t-il ?
Elle ne sait pas, et elle s'en fiche. Elle ne sait même pas ce qu'il vient faire dans son rêve. Car elle rêve, n'est-ce pas ? Tout cela n'est qu'un rêve, ou plutôt un affreux cauchemar, un songe dont elle va bientôt se réveiller. Mais elle ouvre les yeux, et il n'en est rien. C'est juste la réalité – toujours aussi cruelle et décevante.
Elle fait un grognement qui veut dire « je vais bien, laissez moi tranquille et barrez vous ». Une petite part d'elle est mortifiée de s'entendre être aussi familière et ingrate. Mais la principale partie de son cerveau pense chacun de ces mots.
Laissez-moi tranquille et barrez vous. Elle devrait connaître mieux son petit groupe d'amis – ils vont l'étouffer de leur présence jusqu'à ce qu'elle rende son dernier souffle. Ne pourraient-ils pas comprendre et accepter que cette fois-ci, même la magie de l'amitié et toutes ces âneries ne pourront rien pour elle ?
- Lucy ? Lucy tu m'entends ?
'Oui, je t'entends, Erza'. Elle se contente de cligner lentement les yeux, et voit ceux de son amie se remplir de larmes.
- Ne refait jamais ça, d'accord ? murmure la grande guerrière. Si la vendeuse de glace ne t'avais pas récupérée à temps... tu serais...
Erza ne termine pas sa phrase. Elle se contente de répéter :
- Ne refait jamais ça. Nous sommes là, tu le sais n'est-ce pas ? Nous sommes là, avec toi.
Oui, ils sont là.
Erza, Wendy, Natsu, Grey, Happy et tous les autres.
Tous les autres, sauf elle.
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Lucy ne sait pas pourquoi elle est aussi dévastée de la mort d'Aquarius. Peut-être parce qu'elle avait imaginé la disparition de nombreuses personnes, mais jamais la sienne. Les esprits sont forts, invincibles, et d'entre tous, Aquarius était la plus puissante. Du moins, c'est comme ça que Lucy voyait les choses : l'esprit du verseau était celle qui résisterait à tout.
Constater qu'elle avait tort n'avait jamais été aussi douloureux.
Cette explication est celle qui lui est le plus facile à supporter. L'autre, la réelle raison pour laquelle Lucy est aussi triste... Cela la dévaste à chaque fois qu'elle y pense. Après avoir perdu sa mère, son père, et même Michelle, Aquarius est – était – la seule famille qui lui restait.
Bien sûr, Lucy considère Fairy Tail comme sa famille désormais. Mais ce n'était pas pareil avec Aquarius – l'esprit, elle, était là depuis le début de vie. Pour veiller sur elle, pour jouer avec elle, pour lui faire des remontrances, pour se rappeler avec elle des caramels qu'elle piquait dans la réserve de son père.
Et désormais, elle est partie.
Et quatre mois après, cela fait toujours aussi mal.
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Lucy déteste la mer.
Elle la déteste tellement qu'elle ne peut même plus entendre son nom être prononcé, comme cette fois-ci où Mirajane fredonne « et entendre ton rire, comme on entend la mer, s'arrêter, repartir en arrière ». Sitôt que l'étendue est nommée, Lucy se fige – elle voudrait profiter de la douce voix de la barmaid sur cette chanson qu'elle a toujours aimé, mais cela lui est impossible. Alors elle regroupe ses affaires, et se lève.
Et tandis qu'elle franchit le seuil de la guilde, elle entend Mirajane conclure son chant.
« Et te dire enfin qu'il faut aimer la vie, l'aimer même si le temps est assassin et emporte avec lui les rires des enfants – et les mistral gagnants »
Aquarius a été emportée, tout comme ses rires d'enfant – et avec eux, les caramels de la réserve de son père.
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Lucy déteste la mer.
Toute cette étendue aux eaux tumultueuses, à l'humeur changeante et capricieuse, aux formes pleines, aux vagues puissantes et déferlantes... Oui, Lucy déteste la mer, mais cela ne l'empêche pas de s'y rendre chaque jour. Car tout en elle lui rappelle Aquarius.
Elle ne sait pas pourquoi elle continue d'y aller, mais c'est plus fort qu'elle. Certains jours, Lucy se saisit de sa clef d'or, la plonge dans l'étendue salée, et effectue la même prière, celle qu'elle a fait des centaines de fois. « Ouvre toi, porte du vaisseau... A... »
Mais elle ne parvient jamais à finir son incantation. Dire son nom à voix haute est beaucoup trop douloureux – surtout qu'au fond, Lucy sait très bien que brandir une clef vide ne lui servira à rien. Aquarius n'est plus, et elle doit l'accepter.
Elle entend alors un bruit d'eau derrière elle. Elle se retourne vivement – serait-ce... ? Non. Ce n'est que Natsu. Le mage de feu s'approche près d'elle, le visage déformé par le dégoût alors qu'il marche sur ce qui doit être une algue. Il lui prend la main, et Lucy le laisse faire. Sa main est chaude, si chaude comparée à l'eau glacée autour d'eux.
Lucy voudrait lui demander de partir et de la laisser seule – mais à la place, elle se contente de serrer un peu plus fort sa main, et de si accrocher comme si sa vie en dépendait.
Elle va lui laisser la marque de ses ongles, se dit-elle distraitement. Mais Natsu n'a pas l'air d'y prêter réellement d'importance car il lui dit :
- J'ai appris une nouvelle langue aujourd'hui.
- Ah ? Se force-t-elle à articuler.
Après tout, il s'est enfoncé dans une eau à treize degrés pour la rejoindre. Elle lui doit bien quelques syllabes.
- Oui. Je sais parler la mer maintenant.
- Et qu'est-ce que la mer dit alors ?
- « Je t'ai promis de ne jamais t'abandonner, alors même si je venais à mourir, je continuerais éternellement à veiller sur toi. »
Lucy ne répond rien. Elle se met à pleurer. Ses sanglots sont si importants qu'elle se laisse tomber à genoux – mais contrairement à la dernière fois, Natsu est là pour la rattraper. Il la fait sortir de l'eau, asseoir dans le sable, et lui offre son épaule pour pleurer. Il dit ne proteste même pas quand elle utilise son écharpe pour essuyer ses larmes. Peut-être parce que lui aussi se sert de sa précieuse étoffe pour cacher les pleurs qui se glissent au coin de ses yeux.
Et cela, plus que l'étreinte de Natsu, l'apaise profondément. L'idée qu'elle n'est pas la seule à souffrir de la disparition d'Aquarius... elle a l'impression réconfortante que quelqu'un d'autre que elle se rappellera de l'esprit, et sera là pour faire vivre son souvenir.
Peut-être que Lucy se trompe finalement. Peut-être que Elfman, Evergreen, Levy et tous les autres ne font pas comme si rien ne s'était passé. Peut-être qu'ils essaient simplement de vivre du mieux qu'ils le peuvent.
Sûrement devrait-elle prendre exemple sur eux, même si cela lui semble impossible.
Mais alors qu'elle voit Natsu lui sourire en caressant ses cheveux et qu'elle sent son cœur se réchauffer devant ce geste, elle se dit qu'elle se doit au moins d'essayer.
