Encore une fois je suis horriblement désolée pour le retard mais entre le boulot, les bugs informatiques et les mal de tête... surtout que je n'ai pu le montrer à ma Isa qu'aujourd'hui (désolée, je raconte ma vie ;-)) mais le prochain devrait arriver bientôt, promis.

Sinon merci à Grace et Megara comme d'habitude pour leurs adorables commentaires (d'ailleurs j'ai pris en compte leur conseil et vous pouvez maintenant laisser des reviews anonymes)

Bonne lecture :-)


(Behind blue eyes, Limp Bizkit)

Une paire d'yeux turquoise parcourrait – avec un curieux mélange de désespoir et d'infinie tendresse – le corps mince étendu sur le ventre. Le regard profond s'attarda sur les boucles brunes éparses sur l'oreiller. Puis il glissa sur la courbe parfaite de la nuque et des épaules diaphanes pour descendre le long de la colonne vertébrale et finalement atteindre la douce ligne d'une hanche. Le reste de ce corps enchanteur était dissimulé par le léger tissu d'un simple drap. En se penchant un peu – tout en prenant garde de ne pas réveillée la belle endormie – l'homme entreprit de mémoriser chacun des traits gracieux du visage de la jeune femme, comme pour les mémoriser avec une précision quasiment scientifique, méthodique. Il ne voulait pas l'oublier. Jamais.

Il voulait pouvoir toujours se souvenir de cette délicieuse fragilité qui se dégageait de son corps au repos, du léger sourire qui flottait sur ses lèvres pleines, de son nez délicatement froncé, de son poing refermé sur le drap, de ses doigts fins reposant à côté de son visage. S'il avait été un artiste, elle l'aurait inspiré. Mais il n'était pas un artiste, il ne pouvait ni la peindre ni la sculpter, il ne pouvait pas lui écrire une sonate – ni même un simple refrain – et s'il se surprenait à quelques envolées lyriques quand il plongeait son regard dans ses yeux noisette, il se garderait bien de l'en faire profiter de peur qu'elle ne s'enfuit à toute jambe… Son estomac se contracta douloureusement. Il n'aurait jamais l'occasion de la peindre, de la sculpter ou de lui écrire la moindre composition puisqu'il allait partir et qu'il ne la reverrait pas.

La prise de conscience de cette dernière affirmation déclancha en lui un maelström d'émotions. Il savait déjà que s'autoriser cette nuit à ses côtés ne rendrait la séparation que plus insurmontable mais pas… comme ça. Le pouvoir qu'elle avait sur lui – sans même s'en rendre compte – semblait s'être décuplé avec une force qui flirtait à présent avec celle de la dépendance pure et simple. Peut-être parce qu'il ne s'était jamais autant laissé aller avec qui que se soit. Peut-être parce qu'il n'avait jamais ressenti avant cet impérieux besoin de se confier, de s'abandonner, de tout lui révéler – son passé, la surdité de sa mère, la menace de cette maladie génétique… – parce qu'il savait qu'elle le comprendrait, le soutiendrait quoi qu'il arrive. Et il allait la quitter. Ce n'est pas comme si il avait vraiment le choix…

Il se souvenait encore avec une étonnante précision du regard qu'Andrew lui avait lancé à cette soirée. Cinq jours auparavant. Lorsqu'il était arrivé, Sara à son bras. Les yeux de son vieil ami ne reflétaient aucune surprise, aucun reproche… mais une mise en garde. Un farouche éclat de jalousie et de protection presque paternelle dansait dans ses prunelles. Il n'avait fait aucun commentaire, se contentant de complimenter la jolie brune sur sa tenue et de la mettre au courant de l'avancement des affaires en cours. Même lorsqu'ils s'étaient retrouvés en tête à tête le sujet n'avait pas été abordé. Ils avaient seulement observé Sara évoluer au milieu de ses collègues avec l'aisance et la grâce d'une jeune femme sûre d'elle et heureuse de retrouver ses amis.

Un nouvel indice de l'égoïsme dont il ferait preuve en lui demandant d'abandonner tout ça pour le suivre à Vegas. Il avança une main tremblante pour caresser ses boucles brunes mais s'arrêta brusquement à mi-parcours – comme s'il s'était brûlé – et la laissa retomber en réprimant un douloureux soupir. Si elle se réveillait maintenant, il ne pourrait pas partir. Il ne pourrait pas la quitter… En fait, il ne savait pas vraiment ce qu'il craignait le plus : qu'elle lui demande de rester ou qu'elle ne le fasse pas… Le radio réveil indiquait 03:58. Presque quatre heures du matin. En étant tout à fait franc, il n'avait pas à regagner son hôtel avant 7 heures. Il aurait bien le temps de prendre une douche et de boucler sa valise avant que le taxi ne passe le prendre pour l'emmener à l'aéroport.

Mais il ne pouvait pas rester. Parce que si il restait, il allait se rallonger auprès d'elle, la prendre dans ses bras, lui faire l'amour, lui avouer combien il l'aimait et… après il partirait de toutes façons. Alors, autant rendre les choses plus faciles et leur éviter à tous les deux une pénible scène d'adieux, non ? Elle allait lui en vouloir bien sûr, elle allait le détester… Elle allait croire qu'il s'était joué d'elle, qu'il avait abusé de la confiance et de l'amitié qu'elle avait placées en lui… C'est sans doute ça qui lui faisait le plus mal. Ça et le fait de ne plus pouvoir voir son adorable sourire et ses grands yeux noisette, de ne plus pouvoir entendre le son de sa voix, de ne plus pouvoir embrasser ses lèvres sucrées ni toucher sa peau douce. Comment pourrait-il vivre sans jamais ressentir à nouveau l'extase à laquelle il avait goûté dans ses bras ? Il n'en savait rien. Il le faudrait pourtant…

Il se leva avec précaution, prenant soin de ne pas perturber le sommeil de sa maîtresse. Il enfila son boxer – le reste de ses vêtements étant dispersé dans le salon – et passa une main dans ses cheveux, indécis, torturé. Serait-ce si mal de déposer un dernier baiser sur ses lèvres rosées ? De chuchoter une dernière fois à son oreille des mots tels que 'je t'aime', 'je suis désolé' ? Sa raison décida – à son cœur défendant – que oui et il quitta la pièce, refoulant au fond de lui l'horrible sentiment de manque qui se faisait déjà ressentir. Il ne vit jamais la larme unique qui franchit la paupière close de la jeune femme, s'attardant un instant au bord de ses longs cils avant de rouler le long de sa joue pâle pour finir sa course dans son cou. Pas plus qu'il ne vit son poing se refermer sur les draps, enfonçant ses ongles dans sa peau à travers le tissu au point de faire blanchir ses jointures.

Il descendit les escaliers la plus discrètement possible, ignorant tout de la détresse de celle qu'il abandonnait. Il s'habilla en silence, partagé entre une sourde souffrance et une culpabilité aigue. Il hésita un instant à laisser un mot – quand même – puis se résolut à n'en faire rien. Parce que rien ne pourrait excuser ni même expliquer sa lâcheté. Pas même son amour inconditionnel. Et puis il valait mieux qu'elle ne sache pas… En claquant la porte de l'appartement derrière lui, il fut parcouru d'un désagréable frisson et c'est d'une démarche peu assurée qu'il gagna l'ascenseur. Dans le hall, le gardien de nuit – un qu'il ne connaissait pas – lui adressa un regard suspicieux mais s'abstint de tout commentaire – pour le plus grand soulagement du docteur Grissom.

L'entomologiste décida de regagner son hôtel à pied, noyant sa mélancolie dans la fraîcheur de la nuit. Dix fois, vingt fois il fut tenter de rebrousser chemin. Et dix fois, vingt fois, il s'en dissuada. Il mit presque une heure à rejoindre Lexington Avenue et c'est le cœur terriblement lourd qu'il pénétra dans le hall luxueusement décoré. Peu enclin à entamer la conversation il indiqua simplement son nom au réceptionniste et attendit qu'il lui remette son pass. A sa grande surprise, l'homme lui remit non seulement la clef de sa chambre mais aussi une grande enveloppe marron en papier kraft.

- « Une jeune femme a remis ceci pour vous il y a quelques heures » expliqua l'employé, le regard étrangement rêveur.

Intrigué, Gil le remercia d'un signe de tête et se dirigea vers sa chambre, préférant ouvrir la mystérieuse enveloppe dans un cadre un peu plus 'privé'. Après avoir refermé la porte, trois étages plus haut, il s'adossa contre le montant de bois, soudain submergé par un sentiment de lassitude intense. Il était fatigué. Pas de cette fatigue saine qu'aurait pu être la sienne après une nuit d'ébats passionnés. Non, il s'agissait d'une fatigue plus perverse, plus vicieuse. L'entomologiste embrassa machinalement la pièce du regard sans prêter vraiment attention au décor. Tentures et draps de couleur chaudes, meubles élégants de bois foncé, tout le confort moderne avec une pointe de magnificence… 4 étoiles oblige. Mais tout ça était perdu pour lui. Il était dans une autre chambre, dans un autre quartier, avec elle.

Il ferma les yeux un instant et rejeta la tête en arrière, nauséeux. Après avoir prit une grande inspiration, il se décida à se redresser pour aller s'asseoir dans un des fauteuils qui entouraient la table basse sur laquelle il venait de laisser tomber son pass. Il fut tenté un instant de noyer son dégoût de lui-même dans une bouteille d'un bon whisky mais s'imposa de subir sobrement sa déchéance. Il l'avait bien mérité… Son attention se reporta tout naturellement sur l'enveloppe qu'il tenait toujours. Quelque part il savait qui l'avait déposé. Une jeune femme. Il n'en connaissait que deux ici et il avait passé la journée avec l'une d'elle. La déduction était logique. Surtout vu la réaction béate du réceptionniste. Fébrile, il décacheta l'emballage et en fit tomber quelques papiers.

Deux feuilles A4 cartonnées, un rectangle de papier glacé et un post-it – rose fluo. Il reconnut immédiatement les deux esquisses. La première représentait Sara, attentive, lors de son discours d'introduction. Sur la seconde ils étaient représentés tous les deux, au repas qui avait suivi. Emu, il redessina d'un doigt tremblant les traits de crayons qui reprenaient avec précision ceux de la jeune femme. S'arrachant à sa contemplation, il détailla la photo. En noir et blanc. Sara, rieuse, acceptait le morceau de barbe à papa qu'il faisait glisser entre ses lèvres entrouvertes. Il riait lui aussi et seule l'absence de couleur sur la photographie masquait la teinte rosée qui ornait ses propres pommettes à cet instant. Une douce impression d'intimité et de chaleur se dégageait du portrait…

Son cœur se serra et il se mordit violemment la lèvre inférieure afin de se reprendre. Ce n'était pas le moment. Il repensa à un proverbe qui l'avait, autrefois, fait sourire. « Qui commence à aimer doit se préparer à souffrir ». Le Chevalier de Méré. Il ne souriait plus à présent. Il comprenait. Enfin, il s'était toujours douté que de tels sentiments n'étaient pas sans danger – l'exemple de ses propres parents étaient flagrants – mais à ce point… Ses yeux se posèrent d'eux même sur le post-it et il manqua de s'étrangler. 'J'espère que cela vous plaira. Ne revenez jamais. Megan'. Succinct. Clair. Pas vraiment sec mais difficilement chaleureux. Comment diable avait-elle pu savoir ce qu'il allait faire avant même qu'il en soit sûr, lui… ? Il passa une main sur ses yeux, la remerciant silencieusement de cette attention.

Sous des dehors d'insouciance et de nonchalance, elle avait su lire en lui et prévoir sa réaction. Et maintenant elle le détestait. Et si 'elle' le détestait, qu'est-ce que Sara… ? Il savait qu'il n'aurait pas du prendre cette décision pour elle. Il savait qu'il n'aurait pas du la quitter de cette façon, s'éclipser comme un voleur. Elle n'avait même pas son numéro de téléphone. Bien sûr, si elle le voulait vraiment, elle trouverait. Mais après ce qu'il venait de faire, elle serait certainement plus tentée par les services d'un marabout afin de lui jeter le mauvais œil. Autant pour lui, ça ne serait que justice…. Il regarda longuement la délicate écriture qui se détachait sur le petit carré rose. 'Ne revenez jamais'. C'était typiquement un truc qu'aurait pu écrire Andrew. Il allait lui en vouloir lui aussi. Et il aurait raison.

Après tout, son vieil ami l'avait prévenu. Mais évidemment, le grand Gil Grissom ne prenait jamais en compte les conseils des autres. Non. Gil Grissom n'était qu'un enfoiré affectif de première qui trouvé le moyen de blessé la seule femme qui n'ait jamais compté pour lui. Bravo. Bien joué. Malgré tout, il pressentait que Andrew n'aurait jamais vent de toute cette histoire. Sara ne dirait rien. Megan non plus… Il secoua vivement la tête, sortant de ses pensées. Il avait encore sa valise à préparer et il valait mieux qu'il s'occupe les mains et l'esprit s'il ne voulait pas passer les deux prochaines heures à tourner comme un lion en cage en se torturant mentalement. Il se pencha sur la question de la douche mais l'écarta immédiatement. Il voulait garder son odeur sur lui le plus longtemps possible.

Quatre heures s'étaient écoulées lorsqu'il passa la douane à l'aéroport JFK, sa sacoche noire à la main, les traits tirés. Il se retourna une dernière fois dans l'espoir un peu fois qu'elle serait là. Il se savait positivement pathétique. Mais il n'y pouvait rien. C'est donc avec un douloureux poids sur les épaules et sur le cœur qu'il rejoignit sa porte d'embarquement. Il laissait derrière lui une partie de son âme et pour aussi ridicule que cela puisse sonner à son oreille, il n'aurait pas su l'exprimer autrement. Pour la première fois depuis qu'il s'y était installé, c'est à regret qu'il rentrait à Vegas avec la sensation dérangeante de faire la plus grosse erreur de sa vie…


TBC (le prochain c'est le point de vue de Sara bien sûr... et ne me tuez pas pour celui-là)